Un combat de tous les instants

Chapitre 19 : Avis de tempête

3360 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 05:51

Raphaël n'avait pratiquement pas fermé l'œil de la nuit. Alors que tous les autres étaient encore assoupis, il décida d'aller prendre son petit-déjeuner. Il préférait manger dans le calme, or s'il attendait que Mikey se réveille pour cela, il devrait se heurter à son bavardage incessant.

Tandis qu'il passait devant la couche où April et Marion étaient profondément endormies, il retint un grognement. Quand Casey lui avait demandé, la veille, s'il pouvait tenter sa chance avec la jeune épéiste, il ne s'était pas attendu à ce qu'il le fasse vraiment. Cela le mettait hors de lui.

Alors qu'il maugréait mentalement des pensées peu courtoises à l'encontre des deux adolescents, il constata que, contrairement à ce qu'il avait d'abord pensé, il n'était pas le seul à être debout. De la lumière s'échappait sous la porte du laboratoire de Donatello. Renonçant à se rendre dans la cuisine, il prit sa direction.

- Déjà levé ? s'enquit le génie en relevant les lunettes de sécurité qu'il portait devant ses yeux.

Il s'affairait avec un fer à souder autour de différents morceaux de métal, qu'il s'efforçait d'assembler ensemble de façon à former une rangée de barreaux. Ce n'était pas les matériaux qui manquaient au repère avec tous les objets que les Kraangs avaient détruits lors de leur invasion.

- Toi aussi, à ce que je vois.

- Ça fait au moins trois heures que je suis ici. Je n'arrivais pas à trouver le sommeil, alors j'ai décidé de commencer à réfléchir à un piège pour Karai.

- Et c'est tout ce que tu as trouvé ? Une cage ? Ce n'est pas un peu trop commun ?

- Si c'est commun, c'est justement parce que c'est une méthode qui a fait ses preuves, souligna Donnie avec un haussement d'épaules.

Raphaël ne releva pas. Après tout, c'était lui, l'intellectuel de la bande. Il devait donc savoir ce qu'il faisait. Le ninja rouge demeura silencieux quelques minutes, pendant que son frère se remettait à l'ouvrage, avant de lui demander s'il n'avait pas besoin d'un coup de main.

- Si tu veux, tu peux me passer les tiges au fur et à mesure, afin que je les soudes le long de ce montant.

- Comment va ta bosse ? interrogea Raph, tout en lui donnant les objets qu'il lui réclamait.

- À merveille. Le mantra que maître Splinter a utilisé sur moi était très efficace, et la glace de Minette Glacée a fait le reste. Et toi, la petite séance de torture des sbires de Shredder ? Tu te remets ?

- Mon physique toujours mieux que ma fierté, grommela-t-il. Elle en a pris un sacré coup, d'autant plus qu'il a fallu que ce soit Marion qui vienne me sauver.

Son ton était devenu plus dédaigneux encore lorsqu'il prononça le prénom de l'adolescente. À l'instar de Mikey, Donnie n'approuvait pas l'antipathie dont il faisait constamment montre à son égard.

- Tu devrais essayer d'être plus sympa avec elle. Comme tu viens de le faire remarquer, elle t'a sauvée la vie.

- Oh, je comprends que tu l'apprécies. C'est vrai qu'elle vient de te débarrasser de ton rival.

- Quoi ? s'étonna Donatello en éteignant le fer à souder qu'il était en train de manipuler. Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Je les ai surpris dans la cuisine, avec Casey. Ils étaient en train de se bécoter.

Le scientifique ouvrit des yeux ronds derrière son bandeau et ses lunettes. Cette révélation le surprenait. Ce n'était pas du tout l'image qu'il était parvenu à se faire de Marion depuis qu'il la connaissait. Quant à Casey, il n'avait pas pensé qu'il se détournerait aussi facilement d'April.

- Tu es vraiment sûr de ce que tu as vu ?

- Ils étaient enlacés et leurs visages n'étaient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. De toute façon, ça ne m'étonne pas. Ils se sont bien ramassés, ces deux-là.

Donnie observa Raph avec attention pendant qu'il continuait à grogner et qu'il donnait un violent coup de pied dans les barreaux qu'il restait à souder. Ils rebondirent sur le sol pour provoquer un fracas assourdissant.

- Ce n'est pas vrai... souffla Donatello, abasourdi. Ne me dis pas que toi, après tous les discours moralisateurs que tu m'as fait au sujet d'April et du fait qu'elle soit humaine, tu... Tu as le béguin pour Marion ?

- Roh ! Dis pas n'importe quoi ! Moi ? En pincer pour cette pimbêche arrogante et tête à claque ? Même pas en cauchemar !

- Raph ? insista le ninja mauve.

- Tu n'es pas censé fabriquer un piège pour Karai ? Alors tu ferais mieux de te remettre au boulot.

La tortue à l'humeur maussade s'apprêtait à lui passer une nouvelle tige de métal, après avoir rassemblé celles qu'il avait éparpillées dans sa colère, quand la porte du laboratoire s'ouvrit. April apparut dans l'encadrement, encore en pyjama, pied-nus et l'air ensommeillé.

- Qu'est-ce que vous faites ? J'ai entendu du tintamarre, alors je suis venir voir ce qui se passe.

- Donatello essaye de fourrer son nez dans le cœur des autres. Avant ça, il devrait peut-être bien s'occuper du sien. Tiens, remplace-moi, ça vaudra mieux.

Avant même qu'elle n'ait eu le temps de réagir, l'adolescente se retrouva avec un barreau entre les mains, tandis que Donnie devenait écarlate. Raphaël fit claquer le battant dans son sillage, ce qui attira l'attention de tout le monde sur lui dans la grande salle. Visiblement, avec le vacarme qu'il avait fait, il était parvenu à réveiller tout le monde.

- Quoi ? aboya-t-il alors que Mikey et Léo le fixaient d'un regard insistant. Je croyais qu'on était censé partir à la recherche de Karai, non ? Alors debout, et au boulot !

- Ouh... Tu t'es levé de la patte gauche, ce matin ? le taquina immédiatement Michelangelo. T'inquiète pas, une bonne part de pizza et tu te sentiras tout de suite de meilleure humeur.

- De la pizza au petit-déjeuner ? glapit Marion. Sérieusement ?

- À condition que tu ne la laisses pas brûler, cette fois.

Mikey lui jeta un regard accusateur pendant qu'elle levait les yeux au ciel. Raph, pour sa part, afficha un rictus mauvais avant de répliquer :

- Demande à quelqu'un d'autre, alors, parce que Mademôiselle a autre chose en tête.

- Ah bon ? Quoi ?

- Rien du tout ! répliqua l'intéressée. Raph !

Elle escomptait l'interpeler pour s'expliquer avec lui sur la scène qu'il avait surprise la veille, mais le temps pour elle de se dégager de sous sa couverture, sous laquelle elle était encore assise, il avait disparu dans la cuisine. Elle s'empressa de se mettre debout et traversa la pièce au pas de course.

***

Un profond malaise s'était installé dans le laboratoire de Donatello sitôt que Raphaël l'eut quitté. April se tortillait nerveusement, son barreau à la main, tandis que la tortue n'osait plus remettre son outil en marche afin d'achever la soudure qu'il n'avait achevée qu'à moitié.

- Euh... Je...

Ils venaient de s'exprimer en même temps et, au son de la voix de l'autre, s'interrompirent précipitamment, tout en évitant avec soin de se regarder. April se racla la gorge, gênée, pendant que Donnie déglutissait péniblement. En articulant avec difficulté, il réussit à lui dire :

- Tu devrais aller t'habiller, je n'ai pas vraiment besoin d'aide. Je m'en sors très bien tout seul.

- D'accord.

L'adolescente posa précipitamment la tige de métal sur le sol et tournait déjà les talons pour quitter la pièce quand le ninja se ravisa. Alors qu'elle avait presque atteint à la porte, il l'interpela.

- Il faudrait que je te pose une question, annonça-t-il

- De quel genre ? s'enquit-elle, méfiante.

April n'avait pas envie qu'il évoque à nouveau ses sentiments, et encore moins le baiser qu'elle lui avait donné à North Hampton. C'était encore trop tôt, elle n'avait pas réfléchi à la façon dont elle allait lui parler et elle ne voulait pas être prise de court.

- C'est à propos de Marion.

Elle retint le soupir de soulagement qu'elle brûlait de pousser et, d'un signe de tête, elle l'invita à poursuivre son interrogation.

- Je sais que ça ne me regarde pas, mais... Est-ce qu'elle aurait... Comment dire ça...

- Oui, Donnie ? Qu'est-ce que tu veux savoir ?

- Ahem... C'est assez délicat. Bon, je me lance. Est-ce qu'elle t'a paru éprouvé une certaine inclination à l'égard d'un membre du groupe ?

April fronça les sourcils, déçue. Ce n'était pas dans les habitudes de Donatello s'immiscer ainsi dans la vie privée des gens et de jouer les quémandeurs de ragots. En voyant son air courroucé, il s'expliqua précipitamment :

- C'est Raphaël qui m'a laissé entendre quelque chose, à l'instant, et j'ai été si surpris que j'ai refusé de le croire.

- Marion est très proche de Michelangelo, mais elle le considère comme un petit frère, rien de plus. Raph ne le supporte pas, il passe son temps à les embêter à cause de ça.

- Je ne crois pas qu'il était question de Mikey.

Malgré l'affection qu'il portait à April et la jalousie que lui inspirait Casey, Donnie était plutôt fair-play. Il se doutait que l'adolescente éprouvait des sentiments à son égard, bien que cela le blesse de l'admettre, et il ne tenait pas à lui révéler son implication dans le récit de Raph, à moins qu'elle-même ne l'évoque dans la conversation.

- Ah bon ? Ça m'étonnerait. Je parle souvent avec Marion et je pense qui si elle avait un faible pour quelqu'un, elle me l'aurait confié. J'imagine que Raphaël a lancé cette rumeur dans l'unique but de la faire enrager. C'est l'un de des passes-temps préférés.

- Tu es sûre ?

- Évidemment. C'est l'instinct féminin, mon cher Donnie. Notre flair ne nous trompe jamais dans des cas comme ça.

La tortue acquiesça, tandis qu'April sortait du laboratoire pour de bon. Les propos qu'elle venait de tenir infirmaient ceux du ninja rouge, or le scientifique peinait à croire qu'il aurait été capable d'inventer un pareil mensonge. N'avait-il pas simplement vu ce qu'il désirait voir avant de se laisser aveugler par la jalousie ?

***

- C'est quoi ton problème, à la fin ?

Marion referma brutalement la porte de la cuisine dans son sillage, à l'intérieur de laquelle elle s'enferma avec Raphaël, qui s'y trouvait déjà. Il la méprisa royalement, préférant sortir une tasse du placard, pendant qu'elle continuait à crier.

- Tu n'en as pas marre de t'acharner sur les gens de la sorte ? Pourquoi est-ce qu'il faut toujours que tu pourrisses la vie de tout le monde, et en particulier la mienne ?

- Quoi ? consentit à lâcher sèchement Raph. C'est la vérité, après tout. Si tu as peur de perdre ta grande copine April, il fallait y réfléchir à deux fois avant de fricoter avec son Casey.

- De quel droit est-ce que tu te permets de me faire la morale ? Tu as surpris une situation et tu l'as interprétée à ta manière, alors que tu n'as aucune idée de ce qui s'est réellement passé.

- Ce que j'ai vu me suffit amplement.

- Évidemment ! Monsieur buté, borné, entêté n'admettra jamais qu'il est susceptible de faire des erreurs comme le commun des mortels. Sauf que tu sais quoi ? Dans un cas comme ça, le meilleur moyen de ne pas se tromper, c'est encore de la boucler. Et c'est ce que tu aurais dû faire.

- Ah ouais ? Cesse de me prendre pour un idiot et éclaire donc ma lanterne, si je fais fausse route.

- Il n'est pas question que je t'encourage à t'immiscer dans ma vie privée. Ce qui s'est passé ne concerne que moi. Et Casey. Toi, ça ne te regarde en aucune façon.

Raphaël allait répliquer, mais au même moment, Léonardo ouvrit la porte pour apparaître sur le seuil de la cuisine. Avant qu'il n'ait eu l'occasion de faire un pas à l'intérieur, le regard noir que lui jetèrent la tortue et l'adolescente suffit à l'en dissuader. Tout en tournant les talons, il bredouilla :

- Je repasserai dans quelques minutes.

Sitôt que le battant se fut refermé dans le dos du ninja bleu, la dispute reprit de plus belle entre Raph et Marion, à croire qu'ils luttaient pour savoir lequel des deux réussirait à crier le plus fort.

- Puisque tu tiens tant que ça à mettre ton nez partout, pourquoi est-ce que tu n'interroges pas Casey ? pesta la jeune fille.

- Parce que je suis déjà au courant, figure-toi. Je sais très bien qu'il a des vues sur toi, il me l'a confié pas plus tard qu'hier.

- Eh bien, il aurait mieux fait de se faire trancher la langue par Tiger Claw au lieu de te raconter ça. Et, de toute façon, je ne vois pas pourquoi tu t'acharnes sur moi de la sorte. Même s'il y avait quoi que ce soit entre lui et moi, qu'est-ce que ça peut bien te faire ?

- Rien ! gronda aussitôt Raphaël.

- Parfait, alors pourquoi est-ce que tu ne me fiches pas la paix, à présent ?

- Je ne demande que ça, mais manque de chance, je ne peux pas faire un pas sans te tomber dessus. Je ne peux même pas être noyé par les sbires de Shredder sans que tu rappliques.

- Décidément, plus le temps passe et plus je regrette vraiment de l'avoir fait...

***

Lorsqu'April sortit du laboratoire de Donatello, elle eut la surprise de voir que Michelangelo et Léonardo se tenaient devant la porte de la cuisine, l'oreille tendue. Ils essayaient d'écouter ce qui se passait de l'autre côté, mais seul un vacarme inaudible leur parvenait, que la rouquine identifia comme étant des cris.

- Que se passe-t-il, là-dedans ? interrogea-t-elle.

- Raph et Marion s'en donnent à cœur joie. Je ne sais pas ce qu'il lui a fait, encore, mais elle n'a visiblement pas l'intention de se laisser marcher sur les pieds.

- Et toi, tu n'écoutes pas ? s'enquit April à l'intention de Casey, qui était assis sur le sol en pierre de la grande salle.

Il se contenta de secouer la tête en détournant rapidement les yeux. Suspicieuse, l'adolescente l'observa. Un pressentiment lui indiqua qu'il n'était sans doute pas étranger à la querelle qui opposait Raphaël à Marion. Même si ces deux-là s'entendaient déjà comme chiens et chats la plupart du temps, quelque chose était forcément venu envenimer la situation.

Avant qu'elle n'ait eu le temps d'ouvrir la bouche pour interroger son camarade du lycée, Mikey et Léo s'écartèrent précipitamment, car la porte venait de pivoter. Ils tentèrent de prendre une pose nonchalante, mais Raph ne fut pas dupe. Il leur jeta un regard assassin à tous les deux tandis qu'il franchissait l'encadrement.

Il n'avait pas fait un pas qu'une tasse l'atteignit de plein fouet au niveau de la nuque. Ses poings se contractèrent sous le choc, mais il ne se retourna pas, en dépit du flot d'injures que Marion déversa à son encontre. Le mot « crétin » revint à plusieurs reprises dans sa liste.

Quelques secondes plus tard, elle apparut à leur tour dans leur champ de vision, les traits déformés par la colère, la mâchoire crispée, le souffle saccadé. Quoi qu'ils aient pu se dire, la tortue l'avait visiblement poussée à bout pour qu'elle perde son calme de la sorte.

- Marion, que... commença April.

- Rien. Rien du tout. Bon, je croyais qu'il fallait qu'on parte de bonheur à la poursuite de Karai. Vous avez l'intention de vous y mettre ou pas ?

Michelangelo, docile, s'empressa de pénétrer dans la cuisine, pendant que Léonardo et April échangeaient un coup d'œil. De tous les membres de l'équipe, Marion était la seule de le mauvais caractère pouvait rivaliser avec celui de Raphaël. Pas étonnant que cela fasse des étincelles lorsqu'ils se confrontaient l'un à l'autre.

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