Entre cosmos et Don
Chapitre 2 : Un monde mystère
3191 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour il y a 5 mois
- Allez, un indice! S’il-te-plaît ! fit Luke devant la porte.
Silyen laissa échapper un sourire malgré lui.
- C’est un monde où il y a beaucoup de planètes.
- Mais ça peut correspondre à des tonnes d’univers, ça !
- Hum, en effet. Laisse-moi réfléchir…
En réalité, Silyen voulait plutôt gagner du temps pour maîtriser son trouble. Des émotions étranges montaient en lui, comme s’il avait bu un whisky triple malt dans la réserve spéciale de Gavar. Une douce chaleur se répandait dans son corps, assortie d’une légère béatitude. Ce n’était pas désagréable, plutôt… surprenant. Était-ce cela qu’éprouvait Jenner quand il aidait les autres ?
- Pense à ton prénom, finit-il par dire d’un ton curieusement timide.
- Mon prénom ? Hein ? Quoi ? Nooooooon !? J’y crois pas ! Tu n’as quand même pas… Ok, Saint Seiya existe vraiment, mais ne me dis pas que… Nooooooon ?
- Si, sourit Silyen, plutôt fier de son petit effet.
Avec un sourire mi-incrédule, mi-ravi, Luke hésita un instant, parce qu’il n’était pas encore habitué à l’idée de sortir avec quelqu’un – un Doué, en prime ! En espérant très fort qu’il n’était pas à côté de la plaque, il finit par glisser sa main dans celle de Sil, avant de la porter à ses lèvres. Les doigts de l’Egal étaient froids et tremblèrent légèrement, tandis que son visage prenait une teinte d’un rose soutenu.
Puis Sil finit par reprendre contenance. Se défaisant de l’étreinte, il créa une bulle d’invisibilité autour d’eux. Ils franchirent le seuil ensemble.
De l’autre côté, un vent glacé et enjôleur s’immisça dans la chemise de l’Egal avant de chercher à infiltrer son pantalon et ses bottes d’équitation. Il fit aussitôt souffler une brise chaude à l’intérieur de la bulle parce que, s’il ne ressentait pas le froid, il n’en allait pas de même pour Luke. Mais il profita de l’occasion pour serrer le jeune homme contre lui, savourant le contact de sa taille tiède à travers son T-shirt.
L’automne était déjà bien installé. Ce qui était une jungle émeraude donnait désormais des signes de fatigue : à la lueur des étoiles, les branches de pin se préparaient au long sommeil hivernal, bruissant au gré des courants aériens. Un tapis d’aiguilles s’étirait jusqu’à un monastère, joyau perdu dans un océan de nature.
- J’ai mis un peu de temps à le retrouver, mais Luke Skywalker s’est apparemment retiré dans ce monastère Jedi.
- Wouah, ça doit être après le Retour du Jedi alors. Tu l’as vu ? Tu as pu lui parler ?
Silyen secoua la tête :
- Je voulais évidemment te laisser cet honneur.
De fait, il en aurait eu l’occasion, la première fois où il avait ouvert une porte sur ce monde : il était tombé presque nez à nez avec un énergumène brandissant une sorte d’épée lumineuse. Il avait fallu lire en cachette toute la trilogie de Star Wars, dénichée dans la bibliothèque privée de feu Lord Rix, pour mieux comprendre la Force, les Jedis et les codes de cet univers.
Quelque chose semblait pourtant étrange. Silyen ne se souvenait pas de banians, de camphriers et encore moins de bambous. Or, des bosquets entiers se dressaient autour d’eux, se battant silencieusement pour un accès à la lumière, dans un combat acharné et insidieusement lent, empreint d’une douce violence mêlée d’une rageuse pérennité.
Un cri fit soudain éclater le silence. Une plainte déchirante, comme si quelqu’un se battait pour sa vie. Luke réagit immédiatement et s’élança jusqu’au monastère, talonné par Sil.
Ils s’engouffrèrent dans les couloirs déserts, comme si ceux-ci eussent été habités de courants d’air et de fantômes, leurs pas explosant sur le sol dallé. Les cris semblaient venir de partout et de nulle part à la fois. C’est alors que Silyen comprit. Ils ne provenaient pas du bâtiment, mais de la forêt. L’humus envahit ses narines lorsqu’il retrouva les bambous et les camphriers. Un ruisseau coulait, un peu plus loin, et la canopée s’agitait, comme un cœur immense et impalpable.
Puis il s’arrêta net, forçant Luke à faire de même et posa un doigt sur les lèvres. Il reprit sa progression à pas de loup, conscient que sa bulle d’invisibilité n’étouffait pas les sons. Or, il voulait rester le plus discret possible, car s’il voyait juste, il ne voulait pas troubler le cours des événements.
La scène se dessina comme un tableau. Trois mètres plus loin, une femme était allongée dans une clairière, ses longs cheveux noirs déployés sur le sol comme une traînée d’ébène flottant dans une rivière. Sa peau pâle brillait à la lueur des étoiles, et son visage se tordait sporadiquement, au gré de ses hurlements. Un homme aux cheveux d’argent, vêtu d’un kimono de bonne facture était agenouillé à côté d’elle, les traits paisibles.
- Elle est en train d’accoucher ! murmura Luke, les yeux écarquillés.
Les yeux de l’homme se tournèrent aussitôt vers lui et scrutèrent le vide un long moment avant de se reposer sur sa compagne. L’inconnu avait l’oreille fine, songea Silyen en reposant à nouveau le doigt sur ses lèvres.
Aucune sage-femme n’était à proximité, ce qui rendait la scène encore plus intéressante. L’homme possédait peut-être des compétences médicales, ou alors, la femme maîtrisait si parfaitement son corps que toute aide était superflue, à moins qu’il ne s’agisse d’une sorte de rituel ?
Silyen entendit, grâce à son ouïe douée, que la femme avait calé l’intensité de sa respiration à l’ampleur de ses contractions, ce qui lui permettait sans doute de mieux supporter la douleur, et il vit la transpiration ruisseler sur son corps malgré la température ambiante, trahissant l’épreuve à laquelle son corps était soumis. Ses yeux étaient tantôt braqués sur la voûte céleste, tantôt sur son compagnon.
- Les Kappa-Draconides, fit celui-ci d’une voix douce. Elles sont en avance, mais ce sont elles ! Une pluie d’étoiles filantes dont le corps parent n’est autre que la comète Mère des Dragons dont je t’ai déjà parlé. Quelle coïncidence !
L’homme savait donc que les étoiles filantes étaient des morceaux qui se détachaient des comètes, ce qui n’était guère surprenant dans un monde où l’on voyageait dans l’espace, songea Silyen. Plus curieux, aucun sabre laser ne pendait à sa ceinture. C’est alors que les lèvres de Luke chatouillèrent son oreille, faisant naître de délicieux frissons dans son corps. Ce n’était bien sûr qu’un moyen de lui parler suffisamment silencieusement pour ne pas être entendu :
- Je crois qu’on n’est pas dans le bon monde. Tout ça ressemble toujours à Saint Seiya. Celui-là ressemblerait presque à… Nooon, ça ne peut quand même pas être Mitsumasa Kido ?
Mais Sil n’écoutait pas vraiment, absorbé par une dizaine de questions. Peu de choses arrivaient à le surprendre et en l’occurrence, Luke y était parvenu. Etaient-ils réellement dans le même univers ? Comment une telle erreur de calcul était-elle possible ? Cela pouvait cependant expliquer la forêt et le monastère, qui, tout compte fait, n’était pas celui que Sil avait vu lors de sa dernière venue.
En attendant, l’accouchement arrivait à son paroxysme. Puis ce fut la délivrance. Fasciné, l’Egal regarda le bébé pousser son premier vagissement, puissant. Son crâne était surmonté d’une mèche de cheveux soyeux couleur nuit et ses yeux, pers, selon sa vision Douée. A côté, Luke serra fort la main de l’Egal et tous deux échangèrent un sourire à la fois ému et incertain, tandis que l’homme emmaillotait le nouveau-né dans une étoffe.
A ce moment-là, le visage de la jeune mère tressaillit, tel un lac d’eau claire traversé par une ondée. Silyen passa à la vision claire-obscure du Don et fronça les sourcils, s’apercevant que l’aura de l’inconnue faiblissait à vue d’œil. Pourtant, il n’y avait aucune blessure visible, et l’accouchement s’était bien déroulé, selon les maigres connaissances de l’Egal à ce sujet. Il envoya un filet de Don, invisible, mais ne détecta rien d’anormal. C’était comme si la femme était rongée par un mal impalpable et invisible.
Inconscient du drame qui se jouait, Luke s’aperçut néanmoins que quelque chose n’allait pas, tout comme l’homme, qui s’exclama :
- Yùzhū ? Comment… ?
Ses accents étaient si désespérés que le doute n’était plus possible. Il devait s’agir du père du bébé, dont la sérénité s’était définitivement envolée.
La jeune mère n’arrivait désormais plus totalement à masquer sa douleur, mais elle trouva la force de tourner la tête et de tendre une main tremblante en direction du bébé, qu’elle prit contre elle.
- Non… Pas ça… Pas encore… Yùzhū… Pas toi… Pas cette fois ! continua à implorer le père.
Mais l’aura de la femme vacillait comme la flamme d’une bougie, désormais pratiquement éteinte. Silyen savait qu’il n’y avait plus rien à faire.
- Shiryu… chuchota la jeune mère en embrassant le nourrisson, « Dragon lavande »… Né l’année du dragon de feu d’une mère née sous le signe du dragon de l’eau. Le rouge de l’ardent mêlé au bleu de l’océan… Shiryu.
La main de Luke broya carrément celle de Silyen.
- Shiryu ! Put… C’est vraiment Shiryu ! Sil, fais quelque chose ! On ne peut pas la laisser mourir ! chuchota-t-il furieusement.
- Ce n’est pas toi qui disais qu’il ne fallait pas modifier le destin ? répliqua l’Egal.
- Ce n’est pas pareil !
- Très bien, si tu y tiens…
En réalité, l’Egal voulait surtout savoir comment une personne pouvait mourir sans raison apparente. Il leva les mains, tel un prestidigitateur, et envoya le Don qui s’infiltra dans le corps de la femme, jusque dans son cœur vacillant, et alors qu’il le ranimait progressivement, il perçut enfin de profondes blessures, perceptibles uniquement à travers le monde clair-obscur du Don. C’était fascinant, comme si ces stigmates avaient été infligés par le Don lui-même, longtemps auparavant, et grignotaient une cellule après l’autre. La guérison allait requérir une précision absolue assortie d’une grande créativité. Heureusement, Silyen ne manquait ni de l’un ni de l’autre, et il œuvra comme s’il jouait un air particulièrement compliqué sur son violon, lorsque les vibrations des cordes produisaient une explosion de musique, exquise, irrésistible.
Quand il rouvrit les yeux, il perçut des éclats de voix. Japonais et anglais s’entrechoquaient dans le chaos le plus total. Les oreilles de l’Egal mirent quelques secondes à faire la mise au point.
Sorti de la bulle d’invisibilité, Luke tentait manifestement de faire comprendre à l’heureux père qu’ils tentaient de guérir sa compagne, pas de l’achever, mais cela ne semblait pas être une franche réussite, puisque l’autre semblait prêt à passer à l’attaque.
Silyen régla la situation en créant une porte, puis en tirant Luke à travers, sous les yeux ébahis du porteur de kimono.
- Hé, qu’est-ce que tu fais ? Arrête ! s’exclama le jeune homme.
Peine perdue, ils étaient déjà de retour à Far Carr.
- Aucun de nous ne parle japonais, répliqua Sil sur le ton de l’évidence. Cet homme s’apercevra bien assez vite que sa compagne est vivante et désormais en bonne santé. D’ailleurs… Tu ne me disais pas que ce « Shiryu » était censé naître des siècles plus tard ?
- Oui. Après, c’est peut-être un autre Shiryu.
- Mais si c’est bien le même, cela voudrait dire que nous avons voyagé à travers le temps et l’espace ! Tu te rends compte de ce que ça signifie ? poursuivit Silyen d’un ton ravi. Pourtant, je n’ai pas eu l’impression d’avoir créé une porte différente… Il s’agit peut-être d’une variable liée à ce monde précis, ou alors, d’un lien avec cette fameuse perle cosmique ?
- Tu veux dire qu’on pourrait reproduire ça ? Voyager dans le temps ? Revenir dans le passé ?
Et Silyen sut exactement à quoi pensait Luke. Son père, Stephen Hadley, avait été exécuté à Fullthorpe, des mois plus tôt. Était-il possible de changer le cours de l’histoire et de le sauver ? Mais modifier le flot du temps pouvait être risqué et ouvrait un tel champ des possibles que l’Egal eut envie d’abandonner sa quête du Roi Merveilleux pour s’y consacrer entièrement.
- Enfin, ça peut attendre demain, toussota Luke avec un léger regret dans la voix.
Silyen cligna des yeux plusieurs fois comme s’il revenait soudain à la réalité.
- Ne le prends pas mal, poursuivit Luke, mais tu verrais ta tête... Tu aurais plutôt besoin d’une bonne nuit de sommeil.
- Ah non, je tiens à remplir ma promesse, protesta Silyen. Ne t’inquiète pas, je vais bien finir par retrouver le bon monde. Tu vas rencontrer Luke Skywalker.
Luke se mit à danser d’un pied sur l’autre.
- Je ne sais pas, Sil… Je crois que j’ai eu assez d’émotions pour aujourd’hui.
L’Egal pencha la tête sur le côté :
- Tu renoncerais à voir ton idole ?
Luke rougit jusqu’aux oreilles :
- Eh bien… J’ai surtout envie d’une soirée avec toi, si tu veux tout savoir. Quelque chose de simple, sans aventure et gens à sauver. On pourrait aller chercher un MacDo et je pourrais… je ne sais pas… t’apprendre à jouer aux jeux vidéo ?
- Mon rêve le plus fou, répliqua Silyen en levant les yeux au ciel. Tu es sûr de toi ? Pas de Luke Skywalker ?
- Alors que j’ai pu voir la naissance de Shiryu ? C’était déjà un super cadeau d’anniversaire, Sil.
C’est ainsi qu’ils se retrouvèrent avec des sacs remplis à craquer de bigmacs, de frites, des glaces, d’énormes verres de cocas et d’une petite salade.
A la place de revenir au salon, Silyen rouvrit une porte – encore une – dont s’échappa un flot de lumière dorée.
- Je te propose un cadre digne de ton anniversaire, expliqua-t-il en exécutant une petite courbette.
Luke fronça les sourcils, mais ce fut le carillon d’une cloche de vache qui le décida. Ses pieds quittèrent le plancher de Far Carr pour une prairie balayée par une légère brise automnale.
La vue était tout simplement époustouflante. Tout autour, des montagnes surgissaient du brouillard, tels de gigantesques paquebots verts et gris fendant une mer de sapins et de feuillus mordorés. Le soleil couchant y déposait un liseré d’or, si féérique qu’il semblait irréel.
Pivotant sur lui-même, Luke aperçut de l’autre côté une plaine immense, parsemée de champs, de lacs et de forêts, où s’attardaient les dernières bribes de l’été. Le temps semblait s’étirer, transformant chaque seconde en minute.
Tout était si paisible.
- J’ai découvert ce lieu en vacances, confia Sil en le rejoignant. Si mes calculs sont exacts, le téléphérique qui y mène a déjà dû fermer ; nous ne serons donc pas dérangés. Ça te convient, comme « soirée toute simple » ?
- Tu rigoles ? Sil, ça pourrait bien être mon meilleur anniversaire !
Et sur ces paroles, Luke mordit énergiquement dans son bigmac.