Transcendance

Chapitre 67 : LUKE

2714 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 15 jours

Luke ouvrit ses volets, qu’il gardait fermés pour se protéger des journalistes, et un courant d’air tiède lui caressa les cheveux. Puis il sauta dans le vide, laissant le vent le porter. Il y avait quelque chose de si réjouissant au simple fait que Sil puisse le suivre.

Sous lui, le paysage était tellement normal, comme si la guerre n’avait jamais existé. Un soleil doux enrobait le parc autour du quartier. Le chant d’un merle saluait le début du crépuscule et les lilas embaumaient l’air. Le printemps s’installait pour de bon.

Invisibles, Luke et Silyen survolèrent deux adolescents se faisant des passes, puis s’amusèrent à suivre un chemin en forme d’arc de cercle avant de survoler un bouquet d’arbres.

Lorsque la colline apparut, couronnée de son bosquet, Luke s’y posa. Quand il était petit, il avait baptisé ce lieu La jungle, persuadé que des serpents et des scorpions s’y cachaient. De lourdes branches plongeaient vers le bas et la forêt semblait montrer les dents.

 Comme il l’avait fait des années plus tôt, Luke, à nouveau visible, écarta les feuilles pour s’enfoncer dans la végétation. L’odeur des feuilles gorgées d’humidité saturait l’atmosphère et un cocon de quatre mètres carrés apparut. Au-dessus, les frondaisons s’entrelaçaient, toit vert et frais. Le sol était jonché de feuilles mortes, de vieilles canettes et de plumes de pigeon.

Luke inspira profondément. Posa la main sur un vieil arbre noueux et observa les minuscules flaques de lumière au sol, qui oscillaient au gré du frisson des feuilles, hypnotisantes. Cette minuscule clairière, c’était sa cachette, l’endroit où il venait à chaque fois qu’il se sentait malheureux. Il s’était toujours juré de la montrer à sa future copine…

Sa copine

Quel adolescent naïf il avait été. Un garçon qui ne rêvait que de foot et de jeux vidéo sans savoir qui il était vraiment. Millmoor, Eilean Dochais, Silyen, le Don et la guerre l’avaient forcé à grandir…

Il posa son front contre le tronc, puis un mouvement attira son attention. Silyen balançait ses pieds dans le vide, assis sur une branche, cinq mètres plus haut.

-     Ton repaire secret, je présume? Joli. J’avais un coin similaire à Kyneston, commenta-t-il.

Avec un sourire timide, Luke s’assit en tailleur, créant machinalement un bouclier doué autour de la clairière. Quelque chose continuait à le tracasser.

-     Sérieusement, Sil, je n’arrive pas à comprendre comment tu peux… ne pas m’en vouloir.

-   Continue à le répéter et tu subiras réellement ma colère. Et si je devais t’en vouloir, ce serai plutôt à cause des risques inconsidérés que tu as pris durant la guerre. Le Don est censé protéger son porteur, mais tu aurais pu prendre une balle ou je ne sais quoi…

-      Hé ! Ne détourne pas la conversation !

Alors, l’Egal abaissa brièvement la muraille qui protégeait en permanence son esprit, et Luke sentit la profondeur de son désarroi, exactement comme dans le mausolée. Pour la dixième fois au moins, il sentit son cœur se briser.

- Je te dois des excuses, souffla finalement l’Egal.

-      Des excuses? répéta bêtement Luke.

Sil semblait mal à l’aise, comme si faire son mea culpa était nouveau pour lui, ce qui était d’ailleurs certainement le cas.

-      A Kilsaï... Je me suis mal comporté avec toi, alors que tu avais traversé tellement d’épreuves.

-      Sil…

-      Je… Je n’étais pas dans mon état normal. Je venais d’apprendre la mort de Gavar et Mère venait de…

          Cette fois, Luke n’arriva pas à se retenir.

   Il s’envola et s’assit sur la branche de Sil – ou plutôt la percuta à moitié, dans son empressement. L’Egal tressaillit, mais ne recula pas lorsqu’il ouvrit ses bras.

—      C’est moi qui te dois des excuses, murmura-t-il. Vraiment. Je n’aurais jamais dû ramener ta mère à Kil…

—      Arrête, Hadley. Ce qui est fait est fait, marmonna Sil.

   Et il se laissa tomber contre Luke, qui refermera ses mains sur lui.

   Ils restèrent un long moment comme ça, jusqu’à ce que les épaules de l’Egal se mettent à tressaillir. Sa tristesse déborda du lien, comme s’il n’arrivait plus à la contenir et fit monter les larmes aux yeux de Luke.

   Ce dernier songea à la manière dont Sil devait prendre sur lui, pour se laisser aller de la sorte, et le serra fort. Des paroles coulaient de ses lèvres, à peine perceptibles.

-      Chhhht… Chttt… Je suis là… Je suis tellement désolé…

   Des sanglots lui répondirent et Luke se sentit encore plus impuissant. Ses larmes s’écrasèrent sur les cheveux de Sil. Jamais l’Egal n’avait semblé si fragile, pas même lorsqu’il avait déclenché un ouragan à Far Carr. Le moindre geste brusque semblait pouvoir le briser en mille morceaux.

   Le voir se laisser aller à ce point, c’était… C’était aussi merveilleux qu’horrible, comme un jeu vidéo tragique. Irréellement réel.

   Parce que si on avait dit à Luke, un an plus tôt, qu’il consolerait le benjamin des Jardine dans son jardin secret de Manchester… Il aurait cru à la blague du siècle.

   Enfin, le flot se tarit, et Sil se redressa en s’essuyant les yeux.

-      Ce moment restera bien sûr entre nous, déclara-t-il.

    Et voilà, Silyen redevenait Silyen.

          - Bien sûr, souffla Luke.

Puis une phrase lui revint en mémoire.

          - Tout à l’heure, tu disais que j’aurais pu mourir plusieurs fois. Ça semble peut-être logique, mais comment tu peux le savoir ?

Fait à nouveau inédit, Silyen parut mal à l’aise.

-     J’ai pu voir quelques-uns de tes souvenirs par inadvertance, quand je t’ai soigné, avoua l’Egal.

Aïe. Pourvu qu’il n’ait rien vu impliquant de près ou de loin Nikkin, supplia mentalement Luke. Heureusement, ça ne semblait pas être le cas.

-     Tu as fait preuve d’énormément de courage, Luke. Sache que je le respecte.

-     Tu respectes quelque chose chez moi? Sérieux?

L’Egal sourit, imita le ton de Luke:

-     Oui. Sérieux. Je n’ai pas la moitié de ton courage, tu as bien dû t’en rendre compte.

-     Alors je te dois aussi des excuses pour t’avoir confondu avec un prunier, dans ce lac, lâcha Luke en détournant le regard.

Il se sentit tout de suite plus léger. Alors il s’envola et se posa sur la branche d’un des arbres les plus épais. Puis il se força à expulser chaque mot de sa gorge.

-     En parlant de Kilsaï… Tu aurais pu aller dans le monde du Don, mais tu ne l’as pas fait. Pourquoi?

-     J’aurais pu faire bien des choses, à Kilsaï. Ce n’étaient pas les tentations qui manquaient… Mais tu seras heureux d’apprendre que j’y ai résisté, répondit Silyen en s’étirant comme un chat, avant de le rejoindre.

Luke rêvait-il ou avait-il perçu un double sens dans la dernière phrase? Il pensa à Nikkin et rougit. De son côté aussi, il avait eu des tentations, mais il y avait plus ou moins résisté. Ou bien?

Il détourna le regard, sauf que Silyen ne fut pas dupe.

-     Apprends à mieux dissimuler tes pensées, Hadley, si tu veux me cacher quelque chose.

Luke rougit de plus belle, puis se tut lorsque Sil lui posa les doigts sur les lèvres:

-     Je te répète que tu n’es plus un esclave. Si tu veux me parler de ce qui te tracasse, sens-toi libre. Mais je ne te forcerai pas à le faire.

Luke brûlait de lui poser lui-même la question. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer à Kilsaï? Et avec qui? Il fut surpris par le sentiment acide qui l’envahissait… de la jalousie ? L’Egal parut s’en rendre compte, parce qu’il lui sourit d’un air ironique. Puis sans transition, il lui empoigna les épaules et le plaqua contre le tronc.

-     Cependant, je me sens d’humeur généreuse aujourd’hui, poursuivit-il. Tu m’as posé une question, et je vais y répondre.

Luke essuya discrètement ses paumes moites contre son jean. Il s’attendait à ce que Sil lui parle, mais l’Egal resta silencieux, continuant à le fixer. Ce fut d’abord une sensation si discrète, en provenance du lien, que Luke ne perçut rien jusqu’à ce qu’un sentiment agréable le traverse, comme une rivière d’eau tiède. Il ferma les yeux et se laissa aller. La rivière se transforma en torrent, puis en fleuve tumultueux, et il fut brusquement envahi par un émerveillement qui dépassait ses joies les plus intenses. Quand la vague se retira, elle laissa la place à un sentiment de plénitude et de confiance absolue.

Il rouvrit les yeux. Et comprit.

La tristesse, la souffrance s’envolèrent un instant de ses épaules. À sa manière, Silyen venait de lui avouer qu’il l’aimait. L’Egal le regardait d’un air incertain, avec un éclat si vulnérable que Luke frémit. Les mots coulèrent naturellement de sa bouche:

-     Moi aussi.

Il se demanda s’il regrettait de l’avoir dit. S’aperçut que ce n’était pas le cas. Le sourire de Silyen devint encore plus lumineux, sans aucune trace de son ironie habituelle.

-     C’est la vérité, Hadley? lui demanda-t-il néanmoins.

-     Et toi?

Le rire de Silyen fut aussi léger que celui d’un oiseau:

-     La vérité, c’est que je n’ai jamais compris pourquoi j’étais aussi attaché à toi, depuis le moment où je t’ai vu sur cette photo. (Il précisa, devant l’air perdu de Luke.) Quand Mère m’a montré les nouveaux domestiques. Mais je ne pensais pas que ça irait aussi loin. Je… J’avais peur que ce ne soit pas réciproque, avoua-t-il.

Ce n’était pas suffisant. Soudain avide, Luke voulait entendre les mots de sa bouche.

-     Que ça ne soit pas réciproque? Quoi donc? répéta-t-il.

Sil secoua la tête, amusé, vulnérable.

-     Tu le sais parfaitement.

-     Dis-le.

Sil aurait pu se dérober avec une plaisanterie. Mais son sourire disparut et il détourna le regard.

-     Ces mots sont affreusement creux et ridiculement mièvres… Mais sache que je n’en pense pas moins.

C’était du Silyen tout craché. Luke devrait s’en contenter. Puis comme aux Cyclades, il eut une conscience aiguë de la présence de Silyen, de son Don éblouissant, de leur proximité. Plus aucune urgence, plus de responsabilités, plus de peur. Son cœur battit encore plus fort et tout son corps s’embrasa.

Leurs bouches se heurtèrent, impatientes, affamées. Sil déchira quasiment le T-shirt de Luke en le lui enlevant. Ce dernier répliqua en arrachant les boutons de la chemise de l’Egal. Il voulait sentir sa peau contre la sienne, ses caresses brûlantes, l’odeur de sa sueur. Puis Sil le surprit en s’envolant. Luke décolla à son tour et l’enlaça, l’embrassant férocement. Leurs corps s’illuminèrent sous l’effet du Don.

Ils heurtèrent brutalement un tronc d’arbre. Luke se retrouva allongé sur une grosse branche, la tête et les pieds dans le vide. Il s’aperçut que Silyen avait posé les mains sur sa ceinture, ses doigts tremblant d’impatience.

-     Je peux? demanda-t-il.

Tout cela allait beaucoup trop vite, songea machinalement Luke, tandis qu’un malaise inexplicable surgissait, avant de disparaître en un éclair. Il s’interrogea, conclut qu’il devait avoir rêvé, puis reporta son attention sur Silyen.

Son désir pour lui le foudroya. Il repensa à leur nuit, à Kilsaï, au fait qu’il n’avait plus de vies à sauver. Alors, haletant, il hocha la tête, puis se laissa faire. Son pantalon s’écrasa sans bruit sur le sol. Se tortillant sur la branche, le dos éraflé par l’écorce, il aida Sil à se débarrasser à son tour de son jean, puis grogna lorsque l’Egal s’allongea sur lui, volant à moitié pour ne pas perdre l’équilibre.

Ce n’était pas possible, il allait mourir de plaisir. Il fut presque déçu lorsque Sil s’écarta brusquement.

-     J’ai un meilleur lieu pour ça, souffla l’Egal, ses cheveux bouclés cascadant le long de son visage.

Luke n’était plus en état de réfléchir. Il se contenta de retrouver son souffle en regardant l’Egal créer un portail, admirant sans vergogne son corps à moitié nu.

- Laisse-toi faire, chuchota l’Egal en le prenant dans ses bras.

Ils passèrent à travers le portail.

 


Note de l'autrice Oh la la, désolée d'avoir tardé. J'ai eu du pain sur la planche avec ma formation d'écriture, mais je suis enfin libérééééeee, délivréééeee. Trêve de plaisanterie (je déteste cette chanson), MERCI pour votre patience!!!! Il y a eu une centaine de lecture pour le chapitre précédent, franchement, vous voulez me faire pleurer d'émotion? :') J'espère que ce petit chapitre tout doux vous aura plu... Normalement, il était plus long, mais je l'ai coupé en deux pour alléger la lecture et garder un petit cliffhanger, huhu! Car une partie du chapitre suivant s'annonce... tropicale... :p

PS: J'ai ajouté, lors de la dernière relecture, la partie dans laquelle Silyen se laisse aller. Car j'ai compris que le chapitre devait être ainsi.

Et très fière de son "sérieux". Je l'imagine TELLEMENT dire ça (avec le ton et toussa toussa) ou de son " Ton repaire secret, je présume? Joli. J’avais un coin similaire à Kyneston", qui colle tellement avec le style de Vic James. N'oublions pas "Cette minuscule clairière, c’était sa cachette, l’endroit où il venait à chaque fois qu’il se sentait malheureux. Il s’était toujours juré de la montrer à sa future copine…

Sa copine

Quel adolescent naïf il avait été. Un garçon qui ne rêvait que de foot et de jeux vidéo sans savoir qui il était vraiment."

Ralalala, Luke et Sil m'ont décidément manqué! Contente d'avoir pu revenir vers eux!

La suite tout bientôt! :)

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