Transcendance

Chapitre 15 : SILYEN

2207 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 12/02/2024 20:36

Plus tard dans la journée, Silyen fut convoqué chez le roi. Pour cela, il fallut traverser les cinq boucliers doués qui protégeaient les deux îles supérieures. L’Egal était curieux, car hormis lors de la cérémonie de présentation, il n’avait jamais croisé le monarque. Celui-ci passait apparemment son temps sur son île, entouré de sa Cour.

Le palais était toujours impressionnant. Escorté par ses cinq gardes, Sil atterrit dans une cour entourée de buissons. Il les suivit à travers un déluge d’escaliers, de tourelles, de colonnades blanches. Chaque couloir était ornementé: peintures abstraites, fresques dorées ou encore sculptures représentant le Don personnifié sous la forme d’une femme mince et dorée. Certaines pièces avaient un sol en gazon et il arrivait souvent qu’un arbre traverse un couloir ou que du lierre tapisse les murs, signe de la proximité des Kils avec la nature. Des petites cascades dégringolaient de part et d’autres des escaliers.

Enfin, Silyen reçu l’ordre de s’asseoir dans une pièce à la décoration éblouissante. Le temps passa, et l’Egal finit par tremper sa main dans une vasque, où il saisit une sorte de fleur nénuphar parcourue de minuscules motifs - une œuvre d’art végétale qui aurait rendu extatique n’importe quel biologiste. Il la déchira lentement, laissant négligemment retomber les pétales suppliciés dans l’eau. Quand il laissa couler le cœur déchiqueté de la dernière fleur, les portes du fond s’ouvrirent. Enfin !

Le sol de la salle d’audience, gardée par deux Aériens, était presque entièrement couvert d’une eau cristalline dans laquelle évoluaient des raies dorées. Un chemin dallé conduisait jusqu’à une plate-forme. Un trône étirait sa carcasse massive, sur lequel était avachie une silhouette aux cheveux rouges: le roi Awen, sixième du nom, vaisseau suprême de l’heikan et protecteur de la cité suspendue de Kils. Celui-ci regarda approcher Silyen, les yeux mi-clos, avant d’ordonner :

-     Laissez-nous.

Une fois les portes closes, le roi se leva. Il portait une tunique semblable à celle de tous les Kil - croisée sur le torse et maintenue à la taille par une épaisse ceinture brodée de perles. Un nombre impressionnant de broderies argentées décoraient chaque centimètre carré de tissu, mais ce qui attira vraiment l’attention de Silyen fut le pendentif qui pendait au cou du monarque. Plusieurs pierres y étaient enchâssées – œil-de-tigre, opale, améthyste, pierre de lune, bronzite et peut-être même une agate de feu - couvrant vraisemblablement toutes les facettes du Don. L’Egal aurait adoré observer le bijou en détail, mais il se força à rester silencieux.

Le roi contourna son trône puis s’engagea sur le chemin dallé qui se prolongeait de l’autre côté de la plate-forme.

-     Suivez-moi.

C’était un ordre. Avec un sourire ironique, Silyen lui emboîta le pas. Ils arrivèrent dans une nouvelle pièce, au sol cette fois couvert de gazon. Des chênes se dressaient aux quatre coins, leurs branches s’entrelaçant sous le plafond en forme de dôme. On se serait cru dans une clairière ensoleillée au milieu de la forêt. Seuls les fauteuils et les tables de bois vernis indiquaient la fonction de la pièce: un salon. Le roi sauta par-dessus un petit étang et fit signe à l’Egal de s’installer sur un des moelleux fauteuils blancs.

Lui-même s’enfonça dans le fauteuil d’en face, posant négligemment ses jambes au-dessus d’un accoudoir. Puis, le menton sur son poing replié, il sourit à Sil:

-     Je suis censé vous réprimander. Selon Nevë, Cerclier des Gardiens, vous avez refusé de prendre part à la cérémonie d’union.

Sil s’assit en tailleur sur son fauteuil:

-     J’ai participé à la cérémonie. Tous les Gardiens présents l’ont vu, Votre Majesté.

-     Allons, Enkaï, vous savez très bien ce que je veux dire. Vous avez refusé cette jeune femme, la Kils la plus prometteuse de la cité. Avez-vous la moindre idée de ce que signifie cette humiliation pour elle?

Non, et Sil s’en fichait. Cependant, le ton badin du roi l’intriguait, tout comme son comportement d’adolescent folâtre, à l’opposé de celui qu’il avait eu lors de la cérémonie de bienvenue. Il le laissa poursuivre.

-     Voilà, considérez que vous êtes réprimandé. Vous vous interrogez sans doute sur mon attitude… Souvenez-vous que j’ai accédé au pouvoir très jeune. Beaucoup se verraient à ma place et n’attendent qu’un faux pas. Or, voilà que vous entrez en scène: l’Enkaï, dont la venue avait été prophétisée dix siècles en arrière… Vous impressionnez la plupart des Kils, inspirez la crainte, mais représentez aussi un immense enjeu stratégique. Chaque Cerclier veut vous avoir dans son camp. Je suis censé représenter la neutralité, il serait donc de très mauvais goût qu’on me voie avec vous, d’autant plus que les affaires de l’heikan relèvent uniquement des Gardiens. (Puis il se leva avec souplesse et son ton redevint plus léger). Que pensez-vous de ce salon privé? C’est un de mes favoris, spécialement emménagé par un des plus brillants Bâtisseurs de notre époque. Cependant, ce n’est pas cela que je voulais vous montrer. Venez.

Ils s’engagèrent dans un couloir, puis pénétrèrent dans une immense salle, qui ravit l’Egal : une sorte de version réduite de la grande bibliothèque de Kilsaï, aux livres beaucoup plus ouvragées. Des sphères douées reposaient sur des rangées entières.

-     Ce sont les archives personnelles des souverains de Kilsaï. Et ici, dans ces réceptacles, se trouvent les souvenirs marquants de tous mes prédécesseurs.

Sil fixa les sphères ayant l’air les plus anciennes:

-     Jusqu’à quand remontent ces souvenirs?

-     Une dizaine de générations. La méthode permettant de figer la mémoire dans des gemmes n’était pas vraiment au point avant ça.

-     Donc rien qui ne vous renseigne sur les origines de cette cité, commenta Sil.

Le roi se retourna, ramena son bras en serrant le poing.

-     Exactement. Nous ne possédons pas d’archives non plus. Nous pouvons uniquement nous baser sur les légendes, bien que celles-ci possèdent quelques fâcheux trous noirs.

Curieux. En attendant, les yeux de Sil sautaient d’un ouvrage à l’autre, le quartz qu’il portait en pendentif se chargeant de traduire les mots pour lui. Cette bibliothèque était d’une richesse exceptionnelle. Il aurait adoré congédier le roi et passer la journée à lire. A la place, il demanda:

-     Qu’est-ce que vous attendez de moi?

Adossé contre une des étagères, le monarque lâcha:

-     On m’a rapporté que vous avez passé tout votre temps dans la grande bibliothèque lorsque vous êtes revenu à Kils. Il se trouve que nous partageons les mêmes intérêts, car je cherche depuis des années à en apprendre davantage sur le fonctionnement du Don, sur ses possibilités, son origine. Je veux aussi percer le sens de la prophétie. J’ai étudié toutes les interprétations que les Sages et les Gardiens en ont faites au cours des siècles…

-     Pourquoi me racontez-vous ça? le coupa Sil.

Il était réellement perplexe. Le monarque venait de lui servir sur un plateau une arme contre lui, étant donné que les Kils considéraient que le Don était sacré, car si de nombreux traités décrivaient les différentes facettes de ce pouvoir, personne n’aurait commis le sacrilège de se questionner sur son origine ou n’aurait osé l’analyser. Car cela aurait signifié que le Don n’était qu’un simple objet, un outil, et non une entité propre.

-     Parce que je pense que vous êtes réellement l’Enkaï et que je souhaite votre réussite. Je crois que si vous n’allez pas au bout de la prophétie, notre civilisation s’éteindra, expliqua le roi qui récita le premier et le dernier vers du texte:

 

Pour sauver la cité vertigineuse, tu devras d’abord perdre ce qui est le plus important à tes yeux Ainsi s’élèvera l’Enkaï.

Né pour comprendre, Né pour sauver,

Né pour transcender.

 

Mais cela faisait longtemps que Sil ne croyait plus à la sincérité, venant des politiciens. Il croyait davantage à l’intérêt de se servir d’eux.

-     Expliquez-moi vos théories, dit-il en faisant craquer ses doigts.

C’est ainsi que commença une collaboration fructueuse. Quasiment chaque soir, Sil se rendait invisible - un des rares secrets qu’il avait dévoilé au roi, émerveillé d’apprendre qu’il existait réellement un moyen de disparaître - puis s’envolait. Awen ouvrait ensuite une brèche dans les boucliers afin que les gardes Aériens ne soient pas alertés.

En feuilletant de tout son saoul les ouvrages de la bibliothèque privée, Sil put confirmer un certain nombre d’hypothèses à propos du Don que Luke lui avait dérobé. Plus un pouvoir était puissant, plus on pouvait combiner ses différentes facettes pour en développer de nouvelles. La prophétie resta cependant hermétique à toute interprétation crédible et continuait à défiler dans la tête d’Egal:

 

Lorsque l’or sombrera, tu trouveras l’orée du chemin solitaire, et ce qui a été brisé sera réparé.

Cinq clés seront nécessaires pour défaire ce qui a été fait.

Les trois premières sont trois facettes d’un Tout.

Tu trouveras la quatrième là où tout a commencé, mais si tu tardes trop, elle se perdra dans le flot du temps.

Quant à la cinquième, elle se révèlera quand tout semblera vain. Suis ton âme, le portail s’ouvrira et tu retrouveras ce que tu as perdu.

Poursuis ta route jusqu’aux questions que tu t’es toujours posées.

Ainsi s’élèvera l’Enkaï. Né pour comprendre, Né pour sauver,

Né pour transcender.

 

 

 

Lui-même en était arrivé à la conclusion qu’il devait passer les Épreuves le plus tôt possible. Ce n’était qu’après ce moment-là qu’il pourrait interpréter les événements futurs. Il s’aperçut aussi que « portail » était un des mots qui avait fait l’objet du plus d’interprétations - les sages s’étant écharpés concernant son étymologie et ce qu’il désignait. Avait-il une signification métaphorique? Ou s’agissait-il d’un véritable portail? Le terme pouvait aussi désigner le miroir se trouvant sur l’île la plus haute de Kilsaï, reflétant le monde du Don.

Silyen demanda un soir au roi de le conduire là-bas. C’est alors que ses recherches firent un bond prodigieux. Après s’être posé au milieu de la jungle de l’île culminante, puis avoir passé toutes les protections douées disposées le long d’un boyau souterrain, il se retrouva avec Awen dans une immense caverne. Au centre, le miroir n’avait pas changé. Il semblait banal en apparence, mais son reflet était extraordinaire: il dévoilait un monde entièrement doré, habité par des ombres, au ballet fascinant. On avait d’abord l’impression que leurs mouvements étaient aléatoires avant de réaliser qu’elles suivaient un schéma bien précis.

Mais ce n’était pas le reflet qui intéressait Sil, c’était le cadre du miroir. Il l’étudia millimètre après millimètre, imité par le roi. C’est là qu’il aperçut un détail gravé dans le bois patiné, si petit qu’il faillit passer à côté. C’était un huit, entouré d’un cercle. Or, il avait déjà vu ce symbole. Et ce n’était pas dans la cité de Kilsaï.



Note de l'autrice: Un chapitre un peu plus tranquille, qui fait la part belle aux descriptions. Et ça tombe bien, c'est un aspect de l'écriture que j'apprécie énormément.. Le goût m'a sans doute été donné par Bilbo le Hobbit et les Seigneur des anneaux. ;) Alors, un avis sur cet Awen? Vous l'aimez bien? :p

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