Entre les mondes

Chapitre 40 : ENYA

3759 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/01/2022 17:19

Les rues de Londres étaient étouffantes ce matin d’octobre. L’été avait décidé de faire de la résistance et une chaleur moite montait du béton, s’enroulant autour des passants et des automobilistes comme un voile poisseux. Malgré sa veste de cuir noir, Enya n’était pas d’humeur à prêter attention à la météo. Son avion pour Pékin décollait à 10h et elle ne tenait pas à le rater. Qui savait ce que Luke endurait en ce moment-même? La veille, la jeune femme avait envoyé sa conscience voguer dans les quartiers de Londres pour essayer de le repérer, au cas où il se serait encore trouvé dans les parages, mais elle n’avait rien trouvé. En même temps, Mel était beaucoup plus douée pour la méditation transcendantale et Enya était persuadée que le jeune homme avait déjà quitté le pays. Elle avait en revanche repéré une anomalie. Un pouvoir puissant qui semblait émaner d’un Rawena - pas d’un Doué - comme en témoignait sa signature si particulière. Enya n’avait pas su qu’en penser. Elle était certaine d’être la seule Rawena à Londres, Hayden, Camille et Mel le lui avaient confirmé lorsqu’elle leur avait demandé.

  Feu rouge. La Honda CB125F qu’Abi lui avait procurée s’arrêta en un quart de tour. Comme elle, la jeune fille avait jugé que la Yamaha était devenue trop repérable, même pour un simple trajet à l’aéroport. Enya n’avait plus entendu parler des Inégaux mais ce n’était pas une raison pour baisser la garde. Cela la fit songer à leur dernière discussion: Abi avait finalement admis que Luke était potentiellement en danger. Elle avait appelé sa mère, qui avait sangloté qu’elle refusait de perdre un de ses enfants. Puis la jeune fille avait essayé de mettre des agents du gouvernement de transition sur le coup mais Rebecca Dawson avait refusé tout net. Elle avait alors tout voulu lâcher pour partir à la recherche de son frère et Enya avait dû déployer tout son talent de persuasion pour l’en dissuader: Abi était beaucoup trop reconnaissable et elle ne savait pas où commencer à chercher.

   Feu vert. Enya redémarra et s’engagea dans la présélection pour l’aéroport.

  Un peu plus plus tard, elle atteignit les grands terrains vagues et zones industrielles de l’Est de Londres. Le lieu était nettement moins peuplé que le centre de la capitale. On y trouvait essentiellement des usines et quelques commerces plus ou moins louches. Soudain, une convergence d'énergie faillit faire tomber la jeune femme de sa moto. L’anomalie qu’elle avait repérée se trouvait ici! Elle influait sur le q´atöy amaq avec une puissance inouïe. Reprenant son sang-froid, la jeune fille envoya son esprit dans une ruelle située à sa gauche, entre deux usines désaffectées aux murs mangés par le lierre. Colère. Peur. Quelqu’un se battait pour sa vie.

  Enya jura, puis se calma pour gagner l’état de sérénité qui lui permettrait de prendre la meilleure décision. Une seconde plus tard, elle plantait sur les freins et tournait à 90°, se faisait klaxonner au passage.

  Lorsqu’elle arriva dans la ruelle, la scène se dessina comme un tableau. Deux personnes à terre. Deux hommes tenant un jeune hommes par les bras pour l’immobiliser, un troisième lui expédiant des uppercuts dans le ventre. Comme par miracle, le garçon réussit soudain à se dégager. Mais fut tiré en arrière par le premier assaillant, qui referma ses mains autour de son cou. Enya n’y alla pas par quatre chemins. D’un puissant coup de pied, profitant de l’effet de surprise, elle envoya l’agresseur le plus proche s’écraser contre le mur et lui frappa violemment le front de son doigt replié, ce qui lui fit perdre conscience. Elle faucha ensuite les jambes du deuxième attaquant, qui étranglait toujours le jeune homme. Sous le choc, il lâcha sa victime. Enya agit ensuite si vite qu’il n’eut pas le temps de riposter et subit le même sort que son compagnon.

  Haletante, Enya se releva et enleva son casque de moto.

  Le jeune homme la fixait avec des yeux ronds.

– N’ayez pas peur. Vous êtes en sécurité, dit-elle avec douceur.

– Enya? articula-t-il, comme s’il avait été frappé par la foudre.

  Elle le dévisagea. Il avait des yeux aussi bleus que le ciel, d’épais cheveux noirs coupés assez courts, un teint bronzé. Sa barbe, broussailleuse, avait l’air d’avoir connu des jours meilleurs. Quant à ses vêtements, ils semblaient d’assez bonne facture bien que couverts de poussière après l’attaque qu’il venait d’essuyer.

– On se connaît? demanda-t-elle.

– Je… commença le jeune homme avant de grimacer de douleur.

– Vous devez être en état de choc. Est-ce que vous voulez que je vous appelle une ambulance?

  Sa dernière phrase parut réveiller le jeune homme qui passa à un état de fébrilité absolue.

– Surtout pas! sursauta-t-il. Je vais bien, ils n’ont rien pas eu le temps de me faire grand chose.

  Enya en doutait après avoir vu les coups qu’il avait reçus à l’estomac. L’adrénaline qui coulait encore dans les veine du malheureux devait l’empêcher de ressentir la douleur. Elle s’approcha à pas prudents et demanda si elle pouvait au moins l’inspecter.

– Euh…, bredouilla l’inconnu.

Enya prit cela pour un oui et effectua quelques palpations et rotations de bras.

  C’était stupéfiant. Le jeune homme était en effet indemne, tout juste aurait-il quelques bleus le lendemain. Il était d’une constitution plus robuste qu’elle ne l’avait pensé. Puis avant d’avoir pu s’en empêcher elle le sonda et hoqueta face à sa puissance. Il n’était pas Rawena mais avait l’étoffe pour le devenir. Elle se demanda à quel point il était conscient

de son influence sur le q´atöy amaq, comme lorsqu’il avait réussi à échapper à son assaillant.

  Enya avait décelé de telles capacités quelques fois au cours de sa vie, mais jamais de cette ampleur, à une exception près, mais c’était il y avait si longtemps que le souvenir s’effaçait. Mais justement… Se pouvait-il que…? Elle n’eut pas le loisir de poser la question. Elle sentit soudain des présences au début de la ruelle, puis des objets qui se dirigeant vers eux à très grande vitesse. Tendant la main, elle dévia deux fléchettes mais ne vit pas venir la troisième, beaucoup plus petite, qui se ficha dans sa cuisse et provoqua une explosion de douleur. Si elle n’avait pas été distraite, elle ne se serait jamais laissée avoir de cette manière, pensa-t-elle. Elle bandait ses muscles pour foncer sur ses agresseurs lorsqu’un voile noir obscurcit sa vision. De la drogue.

  Elle tomba en avant.



Enya se réveilla d’un coup. Elle voulut se mettre debout mais des menottes fixées contre un mur l’en empêchèrent. La tête lui tournait. Elle regarda les alentours. C’était une pièce nue qui avait autrefois servi de cave, si on se fiait au sol de terre battue et à l’odeur. Aujourd’hui, elle semblait avoir été reconvertie en prison. La seule porte avait été renforcée avec du métal. Une lumière crue tombait du plafond et le froid ambiant s’infiltrait jusque dans les os.

  Sans paniquer, Enya essaya de voir si elle pouvait faire coulisser ses mains à travers les menottes mais elles étaient bien trop serrées. Elle tourna la tête et s’aperçut que le garçon qu’elle avait sauvé était menotté à côté d’elle. Ce qui l’amenait à la question principale: leurs agresseurs en avaient-ils après lui ou elle? S’il était bien celui qu’elle pensait, il était effectivement la cible.

  Elle ferma les yeux, calma sa respiration et bascula dans un état de transe. Avec la méditation transcendantale et la configuration des particules de q´atöy amaq, elle dénombra une dizaine de pièces réparties sur trois étages, de nombreuses caméras de surveillance. Il y avait au moins dix personnes. Toutes étaient tendus et l’une d’elles était emplie d’une rage froide. Elle capta quelques bribes de discussions, tout près de leur cellule.

  « … qu’on va faire d’eux? »

 « Un des patrons va arriver. Ils sont bien trop précieux pour qu’on les déplace… »

 Enya n’arriva à entendre que la fin de la phrase suivante.

 « … me file toujours la chair de poule avec ses manies de chien ». C’en était assez. La jeune fille réintégra lentement sa conscience et regarda le jeune homme, qui était en train d’ouvrir les yeux à son tour.

– Où sommes-nous? demanda-t-il.

  Enya expira.

 Pas de panique, de crise d’angoisse. On aurait dit que l’inconnu avait l’habitude de se faire capturer. A moins qu’il n’ait été formé pour genre de situation.

– Aucune idée. Mais nous allons bientôt le découvrir.

  Le jeune homme sembla se résigner. Il lutta un moment contre ses menottes mais dut déclarer forfait.

– Alors tu es bien Enya? Je suis…

– Chut! lui intima brusquement Enya.

  D’un mouvement de tête, elle lui désigna les deux caméras fixées au plafond.

 Qui qu’ils soient, leurs agresseurs durent abandonner tout espoir de recueillir des informations de cette manière. L’un d’entre eux arriva quelques minutes plus tard dans la cellule. Une barbe broussailleuse lui mangeait le visage. Un éclat fiévreux brillait au fond de ses prunelles.

– Bonjour Enya. Ravi de te revoir.

– Je ne peux pas dire que ce soit réciproque mais… on se connaît? demanda la jeune fille pour la deuxième fois de la journée en levant la tête.

  L’autre grimaça un sourire:

– La résistance te connaît. Traîtresse!

  Ah. Comment diable avaient-ils réussi à la retrouver?

– Je ne suis pas homme à croire à la chance mais cette fois-ci, la fortune nous a souri. A moins que ce ne soit le destin. Nous étions à la recherche du gamin et voilà que tu arrives sur un plateau. Un sacré coup de filet.

  L’homme s’accroupit pour se mettre à la hauteur d’Enya. Il la regarda droit dans les yeux:

– Qu’as-tu raconté au gouvernement sur nous?

  Un contact visuel. C’était tout ce qu’il fallait. La jeune fille capta quelques particules de Don dans l’air et les instilla dans les pensées de son adversaire, puis lutta pour prendre le contrôle. Cet esprit était plus fort que ceux qu’elle avait soumis autrefois mais l’homme fut si surpris qu’il n’arriva pas à déployer ses défenses à temps.

   S’emparant de son esprit, elle lui donna l’ordre d’ouvrir ses menottes.

  L’homme eut un tic nerveux.

  Il secoua la tête, le visage contracté. Alors Enya envoya d’autres étincelles de Don.

 Le visage de l’homme se détendit soudain. Il alla vers le garde posté en faction devant la porte. S’ensuivit un dialogue bref dont la jeune fille n’entendit que des bribes puis il revint avec un trousseau. Libérée, Enya fit tourner ses poignets puis libéra son compagnon.

– Comment tu as fait ça? demanda ce dernier, tétanisé.

– Plus tard.

  Ils devaient se concentrer sur leur fuite. Lors de sa petite inspection, Enya avait réalisé qu’ils se trouvaient dans un sous-sol. Ils devaient monter à l’étage et de là, repérer une porte de sortie. Il était peu probable qu’ils y arrivent sans qu’elle n’utilise son poignard ou son médaillon, quoique…

– Tu sais te battre? interrogea-t-elle.

– Oui. Tu ne t’en souviens pas?

  C’était bien lui, songea Enya. Alors il avaient une chance, et au pire des cas, elle utiliserait simplement ses pouvoirs.

– Bon, tu vas me suivre. Je vais nous faire sortir de là. Si tu vois des choses étranges, ne panique pas, d’accord?

  Le garçon acquiesça, jetant un regard furtif à l’homme barbu, qui s’était figé dans un coin. Ce dernier portait un pistolet à la hanche, remarqua Enya. Ce qui lui fit instantanément changer de stratégie. Elle dégaina l’arme, empoigna l’homme et lui braqua le canon sur la tempe.

– Qu’est-ce que tu fais? s’alarma son compagnon.

– Je prends un otage. Allez, suis-moi.

  Enya sortit en donnant un grand coup dans la porte. L’homme en faction se la prit au passage et hurla de douleur. Déjà, la jeune fille montait l’escalier. Elle resserra sa prise et appuya le canon de son arme un peu plus fort contre la tempe de sa victime. Un homme déboula, attiré par le bruit. Il avait la cinquantaine, un jean et une chemise usée.

– UN SEUL GESTE ET JE LUIS FAIS SAUTER LA CERVELLE!, aboya Enya, qui avait atteint le sommet de l’escalier, en sachant très bien qu’elle allait plutôt assommer l’homme et neutraliser le nouveau venu, s’il s’obstinait à bouger.

  L’autre, figé d’étonnement, resta où il était.

– Où est la sortie? lança-t-elle. Attention, si tu me mens, je le tue!

  L’homme jeta un coup d’oeil à son complice, qui tentait de se dégager malgré la prise d’étranglement.

– Je compte jusqu’à trois, insista Enya. UN, DEUX, TR….

– Attendez, c’est bon, céda le nouveau garde. La sortie est au bout de ce couloir.

  Enya prit le temps de projeter sa conscience à travers la pièce et sentit soudain la minéralité d’une route goudronnée. L’homme disait vrai.

  Elle lui hurla de ne pas bouger. Elle commença à marcher à reculant, traînant avec elle son prisonnier, à moitié évanoui tant elle avait dû resserrer sa prise d’étranglement. Elle s’assura que son compagnon suivait.

  Puis soudain, une porte.

  La sortie!

– Ouvre-la, ordonna-t-elle au jeune homme.

  A ce moment-là, plusieurs choses se produisirent. Le garde prisonnier écrasa le talon d’Enya avec une telle force que celle-ci desserra sa prise. Il essaya de se libérer mais la jeune fille le projeta au sol. Simultanément, l’autre garde dégaina son pistolet. La jeune fille serra les dents. Elle savait exactement où arriverait la balle: dans le dos de son compagnon, qui était en train de déverrouiller la porte. Elle déploya son bouclier translucide. La balle rebondit puis retomba, inoffensive.

  Quant au jeune homme, il s’était arrêté en pleine action, ébahi.

  Enya projeta le garde prisonnier hors du cercle protecteur puis poussa le garçon de côté et entreprit de déverrouiller elle-même la porte.

– Je croyais t’avoir dit de ne pas paniquer si tu voyais des choses étranges, grommela-t-elle.

  Un déclic.

  La porte était enfin ouverte.

  Le garçon déglutit.

– Tu es Douée… Pourquoi je n’étais pas au courant?

  Enya se demanda quand les gens se rendraient compte qu’il existait une infinité de pouvoirs et que le monde ne se limitait pas uniquement à Doué et à non Doué. En attendant, elle poussa le jeune homme dehors et la franchit à sa suite. Il y eut un choc sourd. Le garde qu’elle avait malmené venait de se précipiter vers eux mais s’était heurté au bouclier. Il subit le même destin que la balle: il rebondit et tomba par terre. Navrant.

  Enya referma la porte à la volée, maintint son bouclier, tandis que les balles de pistolets traversaient le bois et s’écrasaient dessus.

  Ils étaient arrivés dans une rue déserte bordée de grands immeubles de briques rouges. Des canettes de bière et de vieux gobelets en plastiques jonchaient le béton parcourut de lézardes. Soudain, une fenêtre s’ouvrit au sommet de l’immeuble voisin et une vieille femme passa la tête dehors, probablement pour voir ce qui se passait. Enya tira son compagnon sur le trottoir. Ils n’avaient que quelques secondes. Leurs agresseurs n’allaient pas tarder à les suivre et elle préférait éviter de les tuer. Son regard tomba sur une voiture garée là.

  Pas le choix.

  Elle matérialisa sa ceinture, fit apparaître son poignard. La serrure résista en une seconde, et la jeune fille passa le bras dans le trou pour ouvrir la portière. Vite! Alors que leurs poursuivants passaient par la fenêtre du rez-de-chaussée, elle agrandit son bouclier, qui engloba toute la voiture.

– Monte!

  L’air toujours aussi hébété, le jeune homme obéit néanmoins. Il passa par le siège conducteur et se tortilla pour accéder à celui du passager. Des sons sourds et sec crépitaient tout autour d’eux. Des pistolets qui vomissaient leur balles. Les hommes étaient arrivés à sortir et couraient vers eux. Enya s’installa au volant, reconnecta les câbles de la voiture.

– Vite, lâcha son compagnon d’une voix blanche, tandis que des sons sourds envahissaient l’habitacle.

  Les hommes criblaient de coups de poings la sphère protectrice.

  Enya ressentit une once de pitié. Elle ne connaissait rien qui soit capable d’entamer ce bouclier, ces hommes allaient juste s’écorcher les mains.

  Enfin, un rugissement retentit.

  Enya appuya sur l’accélérateur et la voiture fit un bond en avant.

  Leurs agresseurs reculèrent.

– Accroche-toi! lança Enya.

  Elle partit droit en avant.

  Puis d’une simple pensée, elle dissipa le bouclier dès qu’ils furent hors de portée.

  Jetant un coup d’oeil en arrière, elle s’aperçut qu’une autre voiture sortait du garage qu’abritait le bâtiment.

  Elle dut compter sur toute son habileté de conductrice pour semer leurs poursuivants. Elle grilla plusieurs feux rouge, prit une artère principale en sens inverse durant quelques secondes avant de s’engouffrer dans une ruelle secondaire. Elle n’avait pas la moindre idée de l’endroit où ils étaient jusqu’à ce qu’elle se retrouve au centre-ville. L’autre voiture n’était plus en vue depuis une dizaine de minutes mais elle continua à rouler à la limite de la vitesse autorisée, dépassant tous les véhicules qu’elle pouvait, prenant des artères perpendiculaires pour brouiller les pistes. Le garçon à côté d’elle n’avait pas desserré les lèvres, blanc comme un linge.

  Elle parvint finalement à un quartier se trouvant à une dizaine de minutes de marche de celui d’Abi et y gara la voiture. Elle laissa la tension qui habitait ses muscles la déserter, prit deux profondes inspirations afin de faire baisser son rythme cardiaque et ouvrit la portière.

– Allez viens, lança-t-elle.

  Le garçon resta où il était.

– Où est-ce que tu veux m’emmener?

– En sécurité, lâcha Enya de son ton le plus rassurant.

  Elle sortit mais s’arrêta en voyant que le jeune homme ne la suivait pas. Il s’était mis à trembler comme une feuille. Il voulut se redresser mais ses jambes le lâchèrent et il tomba à genoux sur le béton.

– Hé! fit Enya.

  Elle contourna la voiture. S’agenouilla à côté du jeune homme. Il respirait fort et claquait des dents. Elle l’avait peut-être un peu surestimé.

– Tu es en état de choc, dit-elle doucement en lui prenant la main. ça va passer. Regarde-moi et respire profondément.

  Le garçon serra les lèvres pour empêcher ses dents de claquer

– Allez, respire en même temps que moi. ça va aller.

  Alors il prit une grande inspiration. Puis une deuxième. Progressivement, ses frissons se calmèrent. Tant mieux parce qu’Enya ne tentait pas attirer l’attention, et un passant les regardait bizarrement.

  Elle glissa un bras sous les épaules du jeune homme pour l’aider à se redresser puis le conduisit à un petit square, juste à côté.

 Des bouleaux oscillaient dans le vent, couvert de somptueuses feuilles d’or. A intervalles réguliers, certaines se détachaient et tourbillonnaient jusqu’au sol. Une fontaine glougloutait dans un coin. Puis un voile de nuages couvrit le soleil.

  Enya se laissa tomber sur un banc et invitant le garçon à faire de même. Il s’affala et enfouit sa tête dans ses mains. Enya savait d’expérience qu’il ne fallait rien brusquer, aussi prit-elle son mal en patience. Au moins, le passant avait-il poursuivi son chemin.

 Enfin, le jeune homme redressa la tête. Il eut une longue expiration tremblante, puis regarda Enya avec l’air d’une biche aux abois.

– Tu vas enfin m’expliquer ce que tu fiches ici? demanda-t-il.

– Je te retourne le compliment…

  Enya se demanda encore comment elle avait pu ne pas le reconnaître. Il n’avait pas tellement changé en trois ans. Certes, quand elle l’avait connu, il n’avait pas de barbe et ne s’était pas teint les cheveux en noir. Reste qu’elle n’aurait pas dû l’oublier.

– Je dois voir un représentant du gouvernement de transition, de tout urgence, dit-il.

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