Entre les mondes

Chapitre 36 : LUKE

4644 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/01/2022 17:13

Quand Luke avait pensé à son retour à Manchester, il ne l’avait jamais imaginé aussi cauchemardesque. Il avait été attaqué par des inconnus, failli être enlevé, puis avait été à moitié étranglé par une inconnue. A côté de ça, le monde noir ressemblait presque à une promenade de santé. Il se demandait pourquoi Silyen n’avait pas encore rappliqué. L’Egal avait dû sentir toutes les émotions qui l’avaient traversé, non? Mais Luke avait un problème plus urgent que le fonctionnement du lien. Pouvait-il faire confiance à cette fille… Enya? Elle avait dit être envoyée par Abi, sauf que pour l’instant, Luke n’avait pas encore vu sa soeur. Elle pouvait tout aussi bien lui mentir pour gagner sa confiance et d’ailleurs, elle n’avait pas l’air nette. Quel était cet espèce de bouclier qu’elle avait fait apparaître? Et comment avait-elle fait pour paralyser ces hommes? Luke n’était pas un spécialiste du Don mais il n’avait jamais entendu parler de tels pouvoirs. Peut-être était-ce répandu parmi les Doués d’autres pays… Car cette fille ne pouvait venir que de l’étranger. Elle parlait l’anglais avec un léger accent français.

  En attendant, Luke était prisonnier. Il serra les poings. Il en avait assez d’être une simple pièce d’échiquier. Lord Rix avait d’abord joué avec lui, puis il y avait eu Silyen, Crovan… Quand cela se finirait-il?

  Ok, Sil, j’aurais mieux fait de rester à Far Carr, pensa-t-il très fort.

  Aucune réponse.

  Evidemment.

  Jusqu’à la preuve du contraire, le lien ne permettait pas de communiquer.

  Soudain, il y eut un virage plus serré que les autres et Luke, installé sur le siège passager de la Yamaha, dut s’agripper à la taille de la fille. Jusqu’ici, ils avaient pris une succession de petites rues, peut-être pour échapper à d’hypothétiques ennemis. Luke avait perdu la notion du temps. L’odeur de l’essence lui faisait froncer le nez et le vrombissement des moteurs lui explosait aux oreilles, après le calme de Far Carr et du monde du Roi Merveilleux. Il regardait les panneaux de circulation, les bâtiments, les trottoirs, les véhicules défiler, s’attardait sur les gens qui, à cette heure, rentraient souper. Certains profitaient du début de l’automne pour boire un verre sur la terrasse et à leur vue, il fut frappé par le même sentiment d’irréalité qui l’avait saisi en rentrant chez lui. Peut-être que tout ceci n’était qu’un mauvais rêve et qu’il se réveillerait dans son lit.

  Il se pinça, au cas où, mais rien ne se passa.

  Enfin, la moto s’arrêta.

  Ils étaient sortis de la ville et se trouvaient maintenant en rase campagne. On voyait les milliers de lumières londoniennes qui commençaient à s’allumer au loin, alors que le crépuscule engloutissait le paysage. Luke inspira l’air pur profondément, savourant l’odeur de la terre et de l’herbe et s’étira pour se débarrasser des courbatures du trajet. Il n’avait aucune idée de l’endroit où ils se trouvaient. Tout ce qu’il voyait, c’était un parking où étaient garées deux voitures et un petit immeuble aux couleurs fanées. La mélodie des grillons s’élevait, parfois entrecoupée de trilles de merles qui voletaient d’un arbre à l’autre.

  Le jeune homme frissonna. Il était toujours habillé du T-shirt qu’il portait en quittant Far Carr. Puis il tourna la tête, juste à temps pour voir sa ravisseuse enlever son casque.

  Il en eut le souffle coupé. Devant chez lui puis dans l’immeuble, il n’avait pas vraiment eu le temps de l’observer, mais maintenant, sa beauté le frappait comme un uppercut. Elle était encore plus éblouissante qu’Ange avec ses traits fins, ses yeux couleur miel et ses longs cheveux bruns et brillants. Luke eut la curieuse impression de l’avoir déjà vue. Mais il s’en serait souvenu, se morigéna-t-il. Et belle ou pas, cette fille restait dangereuse. Elle l’avait immobilisé d’un simple mouvement.

– Hey beau gosse, suis-moi, lui sourit-elle.

  Luke devint rouge vif. Il était habitué aux sempiternelles taquineries de Silyen mais là, il n’avait rien vu venir. Il tenta de reprendre ses esprit et répondit du ton le plus hargneux possible.

– Pourquoi? Je pourrais essayer de m’enfuir et de rejoindre ma mère à Manchester.

– Tu ne le feras pas. Parce que je suis ton meilleur moyen de survie, lâcha la fille d’un ton léger.

  Ok.

 Luke choisit de ne pas relever, il était déjà bien assez dans le brouillard comme ça et ne voulait pas rajouter une couche à la peur qui le tenaillait déjà. Il changea d’angle d’attaque.

– Et Abi? Vous deviez me conduire à elle.

  La fille s’appuya sur sa moto.

– Pas encore. Je dois m’assurer que la voie est libre et après tout ce qui s’est passé aujourd’hui, c’était trop risqué de te mener à elle ce soir. Tu n’as pas idée du nombre d’espions qui grouillent au Parlement.

  Pas convaincu, Luke lança un regard amer à la moto, se demandant s’il pourrait la voler pendant que la fille dormirait, puis rouler à Manchester afin de s’assurer que sa mère allait bien. Si seulement il n’avait pas laissé son téléphone dans sa chambre. Puis se dit que la meilleure chose à faire pour l’instant était d’obéir. Il fallait regarder la réalité en face: il se trouvait dans un endroit inconnu et cette fille pouvait décider de lui casser le bras s’il ne lui obéissait pas. D’un autre côté, si elle lui avait voulu du mal, elle ne l’aurait pas emmené dans un hôtel. Il décida donc de lui accorder le bénéfice du doute tout en priant pour que Silyen vienne bientôt le tirer de ces guêpier. Et si l’Egal ne rappliquait pas avant la nuit, il volerait la moto.

  L’hôtel était aussi miteux à l’intérieur qu’à l’extérieur. Un petit bureau était casé au fond d’un couloir. L’air sentait le chou bouilli et une vielle moquette râpée recouvrait le sol. Un mélange hétéroclite de photographies représentant la construction de l’hôtel - probablement au siècle passé - décorait les murs recouverts d’une tapisserie à fleurs. Un vieil homme barbu, la panse débordant de son T-shirt leva les yeux du mot-croisé qu’il était en train de remplir.

– Une chambre pour deux, s’il-vous-plaît, demanda Enya. 

  L’homme n’aurait pas eu une autre expression s’il avait été foudroyé. Il ne devait pas avoir l’habitude de voir débarquer des filles comme elle.

– Vous avez réservé? finit-il par demander.

– Non, répondit Enya en pianotant sur son pantalon.

  Le vieil homme extirpa une clé de l’armoire qui se trouvait derrière lui.

– Chambre 12. Le petit-déjeuner est servi entre 7 et 10 heures du matin. Si vous repartez demain, vous pouvez faire le check-out jusqu’à 11 heures au plus tard. Il faudra aussi que vous me donniez une pièce d’identité.

  Avec un grand sourire, Enya extirpa un porte-monnaie de son sac à dos et lui tendit une carte d’identité.

  Le vieil homme observa le bout de plastique sous toutes ses coutures, puis le photocopia avant de le rendre à Enya. Enclin à bavarder, il demanda:

– Qu’est-ce qui vous amène par ici?

  Luke le comprenait. Après tout, ce vieil hôtel décrépi ne devait pas recevoir beaucoup de clients et les occasions de discuter devaient être rares. Un clin-d’oeil d’Enya interrompit ses pensées:

– Des choses privées, si vous voyez ce que je veux dire…

  Puis le jeune homme fut forcé de suivre Enya, qui lui avait pris la main. Elle le lâcha dès que la porte de l’ascenseur se fut refermée sur eux.

– C’était vraiment nécessaire, ce petit numéro? lui demanda-t-il, les dents serrées.

  Enya lui sourit:

– C’est ce qui s’appelle une couverture.

  Luke, qui s’empourprait à nouveau, fut heureux que les portes de l’ascenseur s’ouvrent. Ils découvrit un couloir recouvert d’un tapis de velours rouge. Un miroir trônait tout au fond. Leur chambre se trouvait juste devant.

  La première chose qu’il fit fut de séparer les deux lits, puis il inspecta les lieux d’un oeil critique. Il y avait une petite salle de bain équipée d’une baignoire vieillotte puis une armoire et un petit bureau, où se trouvait une bouilloire et un gobelet rempli de sachets de thé et de café.

  Enya alluma la lumière, verrouilla la serrure et en fit aucun commentaire à la vue des lits séparés. Elle se laissa tomber sur le plus proche, puis entreprit d’inspecter le contenu de son sac. Elle en sortit deux boîtes qu’elle décapsula à l’aide d’un drôle d’appareil et en tendit une à Luke, avec une cuillère.

  Celui-ci la prit d’un air méfiant. A l’intérieur, il y avait une bouillie d’une couleur indéfinissable qui sentait curieusement l’avoine

– Cette tambouille fait partie de mon kit de survie. Ce n’est pas mauvais une fois qu’on s’est habitué à la consistance.

  Joignant le geste à la parole, elle plongea sa cuillère dans la mixture puis la porta à sa bouche.

– Hmmm, ça me rappelle toujours des souvenirs, dit-elle d’un ton amusé en regardant Luke se lever pour se verser un verre d’eau. Il hésita quelques secondes puis lui remplit le deuxième verre, qu’il lui tendit.

– Merci. Je ne veux pas t’empoisonner, tu sais.

  Le jeune homme s’assit à nouveau sur le lit et se résolu à goûter cette espèce de gruau. En réalité, la fille n’avait pas tort. C’était meilleur que ça en avait l’air: ça lui rappelait le porridge que lui préparait sa mère le dimanche. A cette pensée, son sang ne fit qu’un tour:

– Vous auriez un téléphone? J’aimerais au moins appeler ma mère pour m’assurer qu’elle aille bien.

  Enya eut l’air ennuyée.

– Je n’aurais rien contre. Le problème est qu’elle est probablement sur écoute maintenant et que ce serait prendre un gros risque.

– Je suis prêt à le prendre.

– Pas moi.

  Luke reposa brutalement sa cuillère.

– Ecoutez…

– Non, toi, écoute-moi! s’exclama Enya en se redressant. Tu ne sais pas ce que tu risques.

– Alors expliquez-moi! Je n’arrête pas de vous le demander depuis tout à l’heure, lança Luke, excédé.

– Très bien.

  Enya s’assit en tailleur sur le lit. Elle reposa la boîte à côté d’elle et regarda le plafond, comme si elle cherchait l’inspiration:

– Je ne sais pas qui sont tes poursuivants mais j’imagine que certaines personnes s’intéressent à toi à cause de la disparition du Don de la Grande-Bretagne. Ils savent que tu y es lié d’une manière ou d’une autre. Le jour où cela s’est produit, beaucoup de caméras t’ont filmé en train d’entrer dans le Parlement avec Silyen Jardine et quelques heures plus tard, coïncidence, le Don disparaissait, Arailt Crovan mourait horriblement torturé, Silyen Jardine était assassiné et toi, tu disparaissait sans laisser de traces avant de ressurgir quelques mois plus tard à Manchester, puis de te rendre à Highwithel pour disparaître à nouveau…

  Luke avait l’impression d’avoir été balayé par une explosion. Un bourdonnement aigu lui vrillait les oreilles.

– Je ne suis au courant de rien. Silyen Jardine m’a laissé à l’entrée du Parlement. Tout ce que j’ai vu, c’est cette colonne de Don, comme tous ceux qui se trouvaient là.

  Enya sourit:

– A d’autres, Luke Hadley.

  Voilà qui inquiétait sérieusement Luke. Il eut envie de protester mais il avait l’impression que ça ne servirait à rien. Il eut soudain très chaud puis très froid. Il fallait qu’il apprenne à quel point cette fille était renseignée et d’où elle tenait ces informations. Il essaya donc de rester impassible et la laissa poursuivre.

– Si je te raconte tout ça, c’est parce que j’ai l’impression que si je ne suis pas honnête avec toi, tu ne voudras jamais collaborer. Tu mérites la vérité, dit la fille comme si elle avait lu dans ses pensées. Et la vérité, c’est que je ne m’intéresse pas à la disparition du Don mais à… autre chose.

  Il y eut un silence.

– Dites-toujours, laissa échapper Luke, tous les muscles tendus.

  Enya soupira.

– Bon. Je suppose que tu penses que je suis Douée. Ce n’est pas le cas. En réalité, je… (Elle s’interrompit, semblant ne pas trouver ses mots). Commençons plutôt par le début. Pour te donner une définition simple, le q´atöy amaq, que tu connais sous le nom de Don, est un courant d’énergie qui circule partout autour de nous. Ce pouvoir est particulièrement développé chez certains d’entre nous, et permet d’accomplir des actes contre nature. D’autre, comme moi, ne produisent pas eux-mêmes cette énergie mais sont capables de la canaliser et de s’en servir afin de se protéger et de contrôler l’environnement, dans une certaine mesure.

  La jeune fille se pencha en avant:

– Tu prends la nouvelle mieux que je ne le pensais, commenta-t-elle. Tu ne m’as pas encore traité de cinglée.

– C’est le cas?

– Non. Bien sûr que non. Mais attend de savoir la suite… Quand j’étais petite, j’ai été involontairement propulsée dans un autre monde, en plein cours de maths. J’ai cru que j’étais morte ou que j’étais devenue folle, mais non. Trois autres de la classe étaient avec moi… Mel, Hayden, Camille. Nous n’avions aucun moyen de revenir d’où nous venions alors un dénommé Jel nous a recueilli. Il faisait partie d’un groupe capable de voir et d’influencer le q´atöy amaq, les Rawen. Une sorte d’ordre guerrier. Il a vu en nous cette même capacité, alors, il nous a entraînés. Je suis devenue son apprentie avec Hayden, tandis qu’une autre Rawena entraînait Camille et Mel. J’ai grandi là-bas jusqu’à mes vint-cinq ans. C’est le temps qu’il nous a fallu pour développer une méthode capable de focaliser le q´atöy amaq et d’ouvrir une faille entre les différents mondes. Je te passe les détails techniques mais cela ne marche qu’avec plusieurs Raweni, qui doivent se connecter entre eux. Nous ignorions qu’il existait une variable temporelle. Quand nous sommes revenus ici, nous avons repris l’âge que nous avions à l’époque et atterri dans la même salle de classe. Je ne t’explique pas le choc. Il nous a fallu des années d’entraînement pour réussir à percevoir les autres Raweni et nous transporter à nouveau d’un monde à l’autre. Je me suis ensuite donnée la mission d’explorer les différents univers pour contrer les éventuelles menaces.

  Luke écarquillait toujours davantage les yeux. Il dut finalement s’appuyer contre l’oreiller, incapable d’encaisser de telles informations. Entre le Roi Merveilleux, Silyen et finalement Enya, il commençait à perdre l’espoir que sa vie redevienne un jour normale. A une époque, il aurait accablé Enya de questions pour savoir en savoir plus sur les Raweni et sur la façon dont son pouvoir fonctionnait. Mais le Luke d’aujourd’hui n’aspirait qu’à une chose. S’endormir et découvrir qu’il avait tout inventé.

– Ah, je me suis réjouie un peu trop vite concernant ta capacité à prendre la nouvelle, commenta Enya en le regardant attentivement.

  Luke se secoua, cligna plusieurs fois des yeux, comme s’il venait de se réveiller. Son regard tomba sur le collier bleu.

– Si ce que vous racontez est vrai, si vous n’êtes pas Douée… comment expliquez-vous votre médaillon et votre ceinture?

  La jeune fille lui sourit. D’une simple pression de son pouce, la ceinture redevint visible. Elle en décrocha le poignard, qu’elle tendit au jeune homme.

  L’arme était plus légère qu’il ne l’aurait pensé mais surtout, elle était faite d’une multitude de composantes qu’il n’avait pas remarquées.

– ça s’appelle la technologie. Les Rawena sont très avancés dans ce domaine. Ils ont par exemple découvert les rayons paralysants, entre autres gadgets utiles.

– Et la ceinture?

– Elle fabriquée à partir d’un matériau capable de courber la lumière en arrière-plan pour la ramener vers l’avant. Tu as l’impression qu’elle est invisible, mais elle ne l’est pas vraiment.

– Ok. Et le médaillon?

  Là, Enya leva les bras et s’étira, renversant la tête en arrière. Puis elle fit un clin-d’oeil à Luke:

– Mon seul objet lié au q´atöy amaq, ou Don, comme on l’appelle ici. Je n’ai jamais su comment il fonctionnait, c’est un talisman très rare. Mon maître me l’a offert à la fin de ma formation. Mel, Hayden et Camille en possèdent aussi un…

– Woaow. ça fait beaucoup d’un coup.

– Bien sûr, prends ton temps pour digérer tout ça.

  Le jeune homme se passa les mains dans les cheveux et fixa Enya, comme s’il la voyait pour la première fois, puis il réalisa qu’elle pouvait le tuer en moins de deux secondes à coup de poignard si elle le voulait et que personne n’en saurait rien. A nouveau, comme si elle lisait dans ses pensées, elle le rassura:

– Je ne te ferai pas de mal. Je te répète que je te conduirai à Abi dès que je serai sûre que la voie serait libre. En attendant, mange.

  Elle désigna le bocal à moitié entamé que Luke avait laissé à côté de lui. Le garçon obéit machinalement. Le nom de sa soeur avait fait surgir une question importante: quel était le lien entre cette… Rawena et Abi?

  Enya rit et ce fut comme si des carillons s’entrechoquaient joyeusement.

– A défaut de pouvoir te localiser, je me suis dit que tu devais toi aussi voyager dans un autre monde, mais connaissant ton attachement à ta famille - eh oui, je me suis renseignée sur toi, ne fais pas cette tête - je savais que tu referais surface ici un jour ou l’autre. C’est pour ça que je me suis rapprochée de ta soeur. Je lui ai dit que je pouvais l’aider à infiltrer la rébellion.

– La quoi? coupa Luke, catastrophé.

– Un groupe d’anciens roturiers qui estiment que les ex-Egaux doivent payer. J’ai fait mon possible pour leur mettre les bâtons dans les roues sans qu’ils ne s’en rendent compte. (Elle lui jeta un rapide coup d’oeil.) Ma mission était de les infiltrer. 

– Et Abi et chargée de…?

– D’aider à débusquer les meneurs et démanteler le mouvement.

– Quoi? Mais elle ne m’a rien dit? ça semble être super dangereux!

  Mais Enya n’écoutait plus, elle avait plongé la main dans sa poche et en avait extrait un minuscule smartphone. Elle fronça les sourcils lorsque l’écran s’alluma et murmura:

– ça explique beaucoup de choses.

– Quoi? répéta Luke, encore plus alarmé.

  Enya reposa le téléphone et le regarda droit dans les yeux:

– Le gouvernement de transition a arrêté les meneurs que j’avais identifiés, ce qui veut dire que ma couverture est tombée. Abi a essayé de m’avertir mais j’étais trop occupée à venir te récupérer à Manchester.

– Et dans l’appartement…

– C’était la rébellion venue me faire payer, oui.

  Luke frissonna en pensant qu’il l’avait échappé belle.

– Ce qui veut dire que nous sommes doublement recherchés maintenant. Moi qui avais peur de m’ennuyer, conclut Enya en mâchant son gruau et en faisant le V de « victoire ».

  C’était si décalé, si inattendu que Luke éclata de rire.

  La jeune fille le regarda, interdite, puis se joignit à son fou rire. Le jeune homme n’arrivait pas à s’arrêter, plus il essayait de se calmer, plus son hilarité augmentait, faisant dégouliner des larmes au coins de ses yeux. Tout ce qui lui arrivait depuis le début de ses jours d’Esclavage était d’un ridicule fini. A cette pensée, son rire redoubla encore.

  Enfin, il réussit à se calmer.

  Il dut malgré tout s’y reprendre à deux fois pour pouvoir parler normalement:

– Et vous disiez que vous étiez venue ici dans un but.

– C’est ça, opina Enya en essuyant ses larmes. Je vais être franche: je cherche un moyen d’accéder à un monde dans lequel je n’arrive pas à pénétrer. ça m’était déjà arrivé mais je dois aller dans celui-ci. J’ai ressenti une présence phénoménale du q´atöy amaq et je sens que quelque chose de terrible va bientôt s’y produire, sans que je n’arrive à dire quoi.

  Génial, songea Luke, dépité. Il ne manquait plus que ça, une nouvelle menace. Mais Enya poursuivait:

– …. J’ai beaucoup réfléchi et j’ai conclu que la solution à mon problème était simple. Je n’ai pas le Don, et tout simplement pas assez de pouvoir. Il fallait donc trouver quelqu’un qui en ait assez. J’ai fais le lien entre la disparition du q´atöy amaq et celle du corps de Silyen Jardine en espérant qu’il soit toujours bien vivant à quelque part… Probablement avec toi, que les caméras avaient filmé en sa compagnie peut de temps avant le drame.

  C’est alors que Luke eut une illumination. Il se souvenait où il l’avait déjà vue : dans le magasin de bricolage de Manchester. Elle l’avait fixé puis elle était passée derrière un rayon et il ne l’avait plus aperçue.

– C’est là que j’ai senti les traces d’un Don très fort sur toi. Probablement celui de Silyen Jardine, confirma la jeune fille.

  Ce dont Enya parlait était forcément la trace du lien ou de la Réserve, songea Luke, glacé. Silyen n’avait pas pensé à camoufler cela, il fallait qu’il lui en parle.

– Ne t’inquiète pas. Mesurer la puissance d’un Don n’est possible que pour les Raweni. Je ne connais aucun Doué qui en soit capable, pas même à Shaolin. Eux n’arrivent qu’à détecter les traces de Don.

  Luke croisa les bras et serra les lèvres. Qu’elle ne compte pas sur lui pour lui confirmer quoi que ce soit.

  La jeune fille ne parut pas s’offusquer de son attitude :

– Je vois que tu te méfies. C’est normal. Je te donnerai la preuve que tu peux me faire confiance.

– En me conduisant à Abi ?

– Exactement. Et en m’assurant que ta mère et ta sœur se portent bien.

– Je peux au moins appeler ma soeur ?

Enya rangea son téléphone portable avec une moue désolée. A l’entendre, elle craignait qu’avec sa couverture grillée, la résistance n’ait trouvé un moyen de la mettre sur écoute ou de pirater la ligne sécurisée qu’elle utilisait d’habitude.

– Mais je te promets que demain, je te mènerai à elle.

  Luke se laissa aller contre le coussin. Il faudrait s’en contenter. Puis il repensa aux Egaux paralysés devant sa maison. Le recherchaient-ils parce qu’ils avaient fait le lien entre lui et Silyen, comme Enya semblait le penser ?

– Je ne vois pas d’autre raison à la présence de Doués Chinois ici, en Grande-Bretagne. Etant donné ce que je sais de ceux du Shaolin, il doit s’agir de membre du groupe qui a fait sécession et qui cherche à régner à nouveau sur l’Empire Chinois.

– Des Egaux Chinois ? Vous en êtes sûre ?

– Certaine. Oh, et tu peux me tutoyer, tu sais.

  Luke se prit la tête entre les mains. Le pétrin dans lequel il se trouvait était encore pire qu’il ne le pensait. Il n’avait jamais eu autant envie de posséder le Don lui-même pour rejoindre Silyen, où qu’il se trouve, et le prévenir. Remettre les pieds ici était devenu dangereux pour lui. Pire encore, le jeune homme se demanda s’il y a aurait des répercussions sur Gavar et Thalia Jardine ou sa propre famille. Les Chinois oseraient-ils s’en prendre à eux pour obtenir des informations?

  Il faillit vomir.

Il releva la tête lorsqu’il senti une main posée sur son épaule. Enya le regardait avec compassion.

– Ne t’inquiète pas, je réglerai ce problème. N’oublie pas que je suis une Rawena.

– Vous… Tu lis dans mes pensées?

  Enya éclata de son rire carillonnant.

– Non, mes capacités ne vont pas jusque là. C’est juste que tu lui ressembles tellement que je n’ai aucun mal à interpréter tes expressions.

– Je ressemble à qui?

  Enya rit encore:

– Hayden. Tu as les mêmes cheveux, les mêmes attitudes et définitivement le même caractère, à vouloir sauver tout le monde.

– C’est qui?

– Un de ceux avec qui j’ai été téléportée…

  Elle ne dit rien de plus.

– C’est pour ça que tu es aussi familière avec moi? finit-il par demander.

  Enya eut la décence de paraître gênée et lui expédia un coussin, que Luke évita en se penchant.

– Je crois que tu vas surtout dormir. Tu dois être épuisé, fit la jeune fille en tirant sa couverture.

  Ses cheveux prenaient des reflets dorés à la lueur de la lampe vieillotte qui éclairait la chambre. Luke détourna les yeux. Il se glissa sous la couverture et s’endormit aussitôt, épuisé par les émotions de la journée.

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