Entre les mondes
Tout était conforme à ce que Bouda avait annoncé, pensa Nao en observant le Píngmín dénommé Luke. Celui-ci avait regardait à travers la fenêtre de ce qui semblait être la cuisine des Hadley, dans une maison quelconque. Rien à voir avec les temples du Shaolin et les planques luxueuses des Tiāncái rebelles à Pékin, bien que ces derniers temps, Nao et son frère aient été forcé de se terrer dans l’immeuble de Bouda afin de ne pas se faire repérer. Dissimulé dans la forêt en face de la demeure, ils attendaient en compagnie de cinq des hommes. La Tiāncái n’avait pas fait les choses à moitié, elle tenait vraiment à mettre la main sur ce Píngmín.
– Tenez-vous prêts, murmura l’un des hommes en tapant légèrement sur l’épaule d’Akira et en lui désignant une fenêtre à l’étage.
D’ordinaire, son frère aurait envoyé une rafale de vent à l’impudent qui avait osé porter la main sur lui mais tout à son excitation, il ne s’en formalisa pas et prit cinq cailloux dans la poche. Il attendit quelques secondes, puis lança une des petites pierres en l’air et la guida avec le Don pour la faire atterrir sur l’un des carreaux. Au troisième lancer, la fenêtre s’ouvrit et le Píngmín apparu, l’air intrigué.
– Simon? lança-t-il.
Tous restèrent silencieux, contrôlant leur souffle.
Il était primordial que leur cible semble voir quelqu’un dans le bosquet et deux minutes plus tard, Nao sut qu’ils avaient réussi lorsque le garçon franchit la porte de la maison.
Il prit alors un tube en bambou, souffla. Une minuscule fléchette empoisonnée en jaillit, qu’Akira dirigea.
Le Píngmín s’écroula juste avant d’atteindre l’orée de la forêt.
Parfait.
Akira s’élança et, avec la force que lui conférait son statut de Tiāncái, tira le garçon vers eux. Les hommes de Bouda s’assuraient que personne n’ait été témoin de la scène.
– Vite! Embarquons-le! souffla l’un des hommes en tentant d’empoigner le garçon évanoui par les aisselles.
Nao le chassa sans ménagement.
– Attendez.
Il s’accroupit. Il savait que le temps était compté mais il fallait qu’il vérifie quelque chose. Il ferma les yeux et passa ses mains au-dessus du Píngmín, concentré. La trace de Don était si bien dissimulée qu’il faillit la rater. Il n’avait senti qu’une légère perturbation lorsqu’il avait mis les mains au-dessus du ventre du garçon. Il revint en arrière et un sourire de prédateur apparut sur son visage.
– Je l’ai trouvé. Un lien, comme celui que nos ancêtres utilisaient durant la dynastie Ming. Je croyais que ce savoir s’était perdu, murmura-t-il en chinois à son frère.
Il avait soupçonné l’existence d’un tel prodige sans en avoir la certitude. La preuve était désormais faite. Ce garçon était relié à un Tiāncái puissant à en juger la solidité du lien.
Nao y avait pensé lorsque Bouda avait expliqué que le Píngmín était probablement en contact avec un Tiāncái se faisant passer pour mort. Or, le lien était le moyen parfait pour relier deux êtres. Nao avait déjà étudié cette forme de protection durant de longs mois à Shaolin, séduit par le pouvoir qu’elle offrait autrefois aux nobles qui engageaient des seigneurs de guerre comme gardes du corps. C’était une forme de communication avant l’heure, un moyen infaillible de savoir si son supérieur était en danger.
Il avait poursuivi ses anciennes recherches sur internet, dans l’immeuble de Bouda. Il était capable de craquer n’importe quelle plate-forme grâce au Don. Il ne comprenait pas pourquoi les autres Tiāncáis dédaignaient la technologie, qui pouvait se révéler extrêmement utile, surtout à l’heure où la plupart des grimoires et manuscrits étaient scannés et se trouvaient à portée de main pour qui savait les chercher.
Au lieu de se focaliser sur les propriétés du lien, il avait cherché s’il existait un moyen de le neutraliser, en se plongeant dans les anciens récits de guerre. Il était loin de les avoir tous parcourus. La bibliothèque du Shaolin lui manquait cruellement mais il avait quand même trouvé, dans le journal de bord d’un Tiāncái ayant participé à une mission d’exploration lancée par l’empereur Yongle. Restait maintenant à savoir si ces connaissances réussiraient à être mises en pratique.
Il se concentra pour « sentir » le lien et concentra la puissance de son Don entre ses mains, qu’il enroula autour du filin invisible. Des gouttes de sueur commencèrent à perler à son front. Il devait lutter contre une résistance et il fit bientôt appel à toute sa puissance, qu’il déversa en se retenant de hurler de douleur, tant l’effort était violent. Puis soudain, la résistance céda, mais son Don commença à s’éparpiller dans tous les sens. Il retint sa respiration et son pouvoir se figea. Il procéda à l’instinct, créa une paroi invisible douée à la base du lien, alors que sa tête était sur le point d’exploser. Il expira, incrédule. Il avait réussi…
L’attache existerait toujours mais ne transmettrait plus rien à celui ou celle qui se trouvait à l’autre bout.
– Nao! cria soudain son frère.