Spectres

Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, Dani réunit ses camarades pour leur faire part de son idée. Tous écoutèrent avec attention et la jeune femme constata avec soulagement que tout le monde semblait approuver ses intentions.

-Bon, vous connaissez toute l’histoire, maintenant, conclut-elle. Dès que les effets du sérum se dissiperont, Illy et moi, on aura notre combat dans le champ, derrière le bâtiment.

-On pourra vous regarder, au moins ? protesta Rahne.

-Je suis désolée, Rahne. Mais pour cette première fois, c’est trop risqué. Je veux que vous me promettiez sincèrement que, pendant le combat, vous resterez à l’écart. On ne sait jamais, rien ne dit que je serai capable d’empêcher mon pouvoir d'invoquer vos cauchemars. C’est plus sûr si vous restez en dehors de tout ça. Alors… s’il vous plaît ? C’est promis ?

Avec réticence, tous les élèves hochèrent la tête.

-Avec un peu de chance, si mon plan fonctionne, vous pourrez enfin me voir m'en servir, leur assura Dani. Docteur MacTaggert arrêtera de m’injecter le sérum à partir de demain. Par contre, si l’un de vous fait tout d’un coup des mauvais rêves ou des cauchemars dans les deux-trois prochaines nuits, vous devez en parler sans attendre. C’est possible que mon subconscient erre la nuit et se mette à lire dans vos têtes pour faire surgir des sales trucs. Je pense que personne n'a envie d'un deuxième épisode de ce qu'il s'est passé lors de ma première semaine.

-Non, ça c’est clair, confirma fermement Sam.

-Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? questionna Amara, curieuse.

-Tout comme elle vient de dire, répondit Roberto. Son pouvoir a farfouillé dans nos cerveaux, trouvé nos pires cauchemars et leur a donné forme. D’ailleurs, t’avais de ces trucs dans la tête, Illy !

La concernée s’apprêta à répliquer, avant de simplement hausser les épaules en signe d'abandon.

-Eh ben… voilà ce qui arrive quand on a été éduquée dans un monde démoniaque, répondit-elle. Au moins, les miens étaient intéressants.

-« Intéressant », c’est pas le mot que j'utiliserais, rétorqua le jeune Brésilien sur un ton moqueur.

-Bon, on est tous là pour toi, Dani, lança Amara en changeant de sujet. J’espère vraiment que ça va marcher. J’ai sincèrement envie que tu t’en sortes aussi, comme lorsque vous m’avez aidée.

-Ouais, Dani. Quand tu reviendras, on veut que tu nous dises que t’as réussi à tenir cet Ours en laisse, dit Sam.

-Tu nous montreras, ensuite, ajouta Roberto.

Dani reporta son regard sur Illyana.

-Hé, t’as mon soutien, à moi aussi, je t’assure, l'informa cette dernière avant de sourire d'un air malicieux. C'est pas pour ça que je vais y aller mollo, cela dit.

Dani se contenta de lui sourire :

-Si ça tourne mal, je compte sur toi, Illy. Mais si tout se passe bien…

-Ouais ?

-Attends-toi à ce que je t’envoie à l’autre bout du terrain.

Tous les élèves ricanèrent au défi de Dani. Illy, elle, se contenta de sourire d’un air satisfait.

-Oh, dis-donc, ça va être chaud, déclara-t-elle.

-C’est vraiment dommage qu’on ne puisse pas vous regarder, déclara Sam dans un soupir.

-Je sais, Sam, acquiesça Dani. Mais, hé, si tout se passe bien, non seulement je pourrai m’entraîner avec Illy, mais je pourrai aussi m’entraîner avec vous tous. Ça serait génial.

-C’est vrai que ce serait cool que tu puisses utiliser tes pouvoirs avec nous, tous ensemble, approuva Roberto.

Rahne étreignît sa compagne.

-Ça va bien se passer, déclara-t-elle. Je le sais.

-J’espère, Rahne, répondit Dani. J’espère de tout cœur.

Hank McCoy fit son entrée dans le salon.

-Ah, vous êtes tous là. Illyana, tu es prête à y aller ?

-Oui, monsieur. Il faut juste que je prenne mon gilet.

Avant de se lever, elle se pencha pour murmurer à l’oreille de Roberto :

-Un de ces soirs, je te montrerai tous mes rêves cochons. Tu en garderas un bien meilleur souvenir qu’avec mes cauchemars. Ça, tu peux y compter.

Arborant un air satisfait, elle se précipita hors de la pièce, laissant le jeune homme médusé sur place.

Sam sourit en remarquant la réaction de son ami :

-Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

-Je pense que c’est facile à deviner, rigola Dani.

-Pendant mon absence, c'est le docteur MacTaggert qui assurera le cours de ce matin, leur annonça Hank. Avec un peu de chance, on se retrouvera au repas de ce midi.

-On ne peut pas venir avec vous, professeur ? demanda Rahne d’un ton plaintif.

-Je regrette, Rahne, mais non. Maintenant que nous savons que le manoir est en proie à une instabilité temporelle, il est plus sûr que vous restiez en dehors du périmètre jusqu’à ce que cette anomalie disparaisse. Nous ferons aussi vite que possible, expliqua-t-il en fronçant les sourcils. Je suis certain que quelque chose de néfaste s’y trouve. Je ne l’ai pas encore trouvé.

Il leur adressa ensuite un signe amical de la main.

-À plus tard.

-Bonne chance, professeur, lui répondit Dani, avant d'être imitée par ses camarades.

 * * *

Peu de temps après, Hank et Illyana arrivèrent au manoir où ils y trouvèrent une grande berline de luxe garée dans l’allée. Un homme d’un certain âge à la silhouette mince, aux cheveux blonds et courts et vêtu d’un costume noir, se tenait près de l’entrée principale et leur souriait.

-Warren ? s’exclama joyeusement Hank en descendant de la camionnette.

-Hank McCoy. Ah, ah ! Sacré vieux fauve.

Les deux hommes s’étreignirent jovialement puis s’écartèrent pour se contempler l’un l’autre.

-Je sais, je sais, grogna Hank. J’ai pris du poids.

-Ça, c’est parce que tu passes tes journées assis dans un labo, fit Warren Worthington en riant. Fais donc un peu comme moi : vole une bonne soixantaine de kilomètres le matin avant le petit-déj’. Ça te garde en forme.

Il donna ensuite une tape sur l’épaule du mutant à fourrure.

-Bon dieu, ça fait plaisir de te revoir, mon vieux.

-Plaisir partagé. Au fait, je te présente Illyana Rasputin, dit Hank en faisant les présentations.

-Ah, oui ! La petite sœur de Colossus. Je me souviens de toi, salua chaleureusement Warren en prenant la main de la jeune blonde, avant de froncer les sourcils d’un air perplexe. Il me semblait que tu étais plus bien jeune dans mes souvenirs, en revanche.

Illyana afficha un sourire :

-J’ai grandi vite.

-Je vois ça, fit Warren avant de se tourner vers Hank. Et Moira ? Elle n’est pas là ?

-Non. Mais nous t’emmènerons au domaine annexe tout à l’heure, tu pourras passer la voir. Je croyais que tu n’arriverais pas avant demain.

-Eh bien, quand tu m’as dit que tu avais peut-être de bonnes nouvelles à propos de Charles, j’ai pris le premier vol.

-En tout cas, je suis ravi que tu sois là. Avec un peu de chance, ce que nous allons découvrir aujourd’hui pourrait bien nous dissuader de fermer le manoir pour le long terme.

-En effet, ce serait une bonne chose, confirma Warren. Alors, expliquez-moi ce qu’il se passe ici.

-Me croiras-tu si je te dis qu’il s’agit… d’une distorsion temporelle ?

-Ce serait pas une chanson du Rocky Horror Picture Show ?

-Oui, mais… là, il ne s’agit pas d’un numéro musical. C’est on ne peut plus vrai. Mais aujourd’hui, au moins, on ne perdra plus notre temps à essayer de chasser des spectres. Il se trouve que les spectres en question sont nos amis. Il est dorénavant simplement question de savoir à quelle période ils se trouvent et quand est-ce que Charles et les autres pourraient revenir.

-Après toi, l’invita Warren.

Ils entrèrent dans le bâtiment et Warren contempla, avec un certain étonnement, les capteurs de détection éparpillés un peu partout.

-Eh bien… je vous que vous avez fait un sacré travail.

Hank se contenta de sourire :

-Ne jamais entreprendre une enquête scientifique sans se munir de l’équipement adéquat.

-Tu n’as jamais pu te passer de tes gadgets, fit Warren qui désigna ensuite Illyana d’un signe de tête. C’est ta protégée ? Tu l’emmènes en petite excursion pendant que les autres élèves restent en classe ?

-Non. Figure-toi qu'Illyana a un rôle crucial dans cette expérience. En réalité, sans son aide, je serais encore en train de nager en pleine incompréhension.

-Ah oui ? murmura Warren, intrigué. Et que fait-elle ?

Illyana lui adressa un sourire :

-Regardez un peu.

Elle créa un « disque de téléportation » puis disparut aussitôt.

-Ouah, s’exclama Warren d'un air admiratif.

-Illyana est toute aussi particulière que son frère, lui assura Hank tout en examinant son matériel de surveillance.

-Je veux bien te croire.

Quelques secondes plus tard, la jeune fille réapparût et Warren lui sourit.

-Alors. Comme ça, tu peux te téléporter.

-C’est ça, acquiesça Illyana. Je suis aussi une sorcière démone. Et une psychopathe. Mais je vous aime bien, monsieur Worthington. Donc, vous ne craignez rien… pour l’instant.

-Voilà qui est bon à savoir, répondit Warren, pas totalement à l’aise, avant de questionner son ami du regard. Elle plaisante… n’est-ce pas ?

Son acolyte se contenta d’émettre un petit rire.

-Pas à propos des démons. Très bien, Illyana. Le matériel est prêt. J’aimerais que tu fasses comme hier mais, cette fois-ci, commence par des endroits où tu n’es pas encore allée.

-Comme le bureau du professeur Xavier ? Ou le hangar ? demanda la jeune mutante, tout excitée.

-Aujourd’hui, tu as le droit d'aller où tu veux, lui assura Hank.

-Génial !

-Mais ne touche à rien, ajouta rapidement le professeur. Tes disques doivent constituer les seules perturbations. Visite autant de pièces que tu pourras en élargissant les distances autant que possible. Reviens ici chaque fois que tu auras fait à peu près dix téléportations, au cas où j’aurais besoin que tu t’arrêtes.

-Ça marche, professeur.

-Et… tu peux y aller.

À nouveau, Illyana s’évapora aussitôt.

-Elle était sérieuse lorsqu’elle a dit qu’elle était une sorcière démone ? demanda Warren.

Sans détacher ses yeux de l’écran en face de lui, Hank lui répondit :

-Illyana a été enlevée par Belasco à l’âge de six ans. Les démons de son royaume l’ont littéralement élevée pendant les sept années qui ont suivi. Et je dois avouer que, malgré ses antécédents, c’est une jeune femme relativement équilibrée.

Warren émit un sifflement :

-Peter n’en a jamais parlé.

-C’est normal. J’imagine que ce n’est pas le genre de sujet qu'on aborde ordinairement. En réalité, Illyana est la raison même pour laquelle le domaine annexe a été conçu. C’est la première à y avoir été placée, et elle est toujours considérée comme la résidente plus dangereuse.

Illyana réapparut dans un de ses portails.

-Les dix premières téléportations, c’est fait, informa-t-elle d’une voix légèrement haletante. Je continue ?

-Oui, s’il te plaît, Illyana.

-Ok, dit-elle avant de disparaître à nouveau.

-Je n’exagère pas. Charles a fait construire le bâtiment annexe pour elle.

Warren secoua la tête, ne croyant pas à ce qu’il entendait.

-Enfin… il n’a pas vraiment fait construire la propriété, non, corrigea Hank. Mais il lui fallait un espace destiné à isoler certains mutants qui présentent un danger immédiat pour eux-mêmes ou pour autrui.

-Donc, si j’ai bien compris, il a fait enfermer des enfants dans des cages ? dit Warren d’un ton laissant entendre son opinion désapprobatrice sur le sujet.

-On peut difficilement parler de cages. Tu auras l’occasion de constater par toi-même cet après-midi. Mais tous les élèves qui s’y trouvent ont soit de sévères difficultés à maîtriser leurs mutations, soit vécu un traumatisme physique ou émotionnel important à la suite de leurs manifestations. Ce sont des élèves qui requièrent des besoins spécifiques.

-Et maintenant, tu les prends en charge.

Hank haussa les épaules :

-L’autre option était de les laisser vadrouiller dans la nature ou de laisser quelqu’un comme Magneto se charger d’eux. Ce sont de bons élèves, Warren. Je pense que tu vas les apprécier. Mais oui, ces jeunes-là ont assurément davantage besoin d’aide que ceux que tu as l’habitude de côtoyer.

-Et combien de temps tu vas continuer à faire ça ?

-Autant que nécessaire.

Warren le regarda d’un air incrédule.

-Tu vas laisser tomber ta bourse de recherche et tout ce que tu as pour t’occuper d’une poignée d’étudiants que tu connais à peine ?

Le professeur afficha un sourire morose.

-Où serions-nous à l’heure actuelle si Charles Xavier n’avait pas tout laissé tomber pour nous ? Je te le demande. Il y a un moment et un endroit pour tout, Warren. J'ai eu une vie extraordinairement bénie : j’ai eu de grands mentors, de grands professeurs et aussi de bons amis. Il est maintenant temps de partager mon expérience avec ceux qui en ont besoin.

Illyana revint.

-Ça fait vingt, dit-elle, cette fois-ci à bout de souffle.

-Tu n’as pas chômé, constata le mutant à fourrure en souriant, les yeux rivés sur l’écran. C'est bien, tu as dispersé les perturbations de tes téléportations, Illyana. Tu visitais tous les endroits défendus, je me trompe ?

-Ouais, répondit la jeune élève en lui rendant son sourire. Mais je n’ai touché à rien, professeur. Je vous le jure. Je n'ai fait que regarder.

-Eh bien, n’hésite pas à continuer d’explorer pour ta prochaine série. Ensuite, reviens ici. Je crois que je devrais avoir récolté suffisamment de données pour comparer avec ce que nous avons trouvé hier.

-Ça marche.

-Tu n’as pas eu d’autres apparitions pour l’instant ?

-Je n’ai pas entendu de voix et je n’ai vu personne dans les miroirs. Mais je ne suis pas retournée dans la chambre de mon frère, ni dans celle de Katya.

-Préviens-moi si tu entends ou vois quelque chose.

Et la mutante disparut une fois encore.

Warren émit un reniflement discret :

-Eh bien… personne ne pourrait mettre en cage une telle mutante, avec un tel pouvoir…

-Non. Il ne faut jamais enfermer les enfants. Ce qu’il faut, c’est leur donner une excellente raison de rester où ils se trouvent.

-Et comment tu t’y prends pour empêcher quelqu’un comme cette jeune fille de s’en aller ?

-En réalité, ce n’est pas moi qui réussis à la retenir, mais ses amis. Ici, Illyana a des gens qu’elle aime et en qui elle a confiance. Cela la retient plus efficacement que n’importe quelle cage que Charles et moi pourrions construire.

-Cela me rappelle presque notre équipe, à nos débuts.

Hank afficha un large sourire.

-Dès que nous aurons terminé, nous rentrerons au domaine, suggéra-t-il. J'ai eu la chance de commencer à travailler avec un groupe de jeunes aussi étrange que nous l’étions à l'époque. J’ai hâte de te les présenter.