Ode au Chaos

Chapitre 14 : Acte IV - Scène 1

3603 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/10/2024 12:10

Acte IV - Scène 1

« Tu es comme Rhaast : une lame brisée ! »


La douleur c'était quelque chose. Je commençais à la connaître, à l'apprivoiser. Mais lorsqu'elle s'alliait à une fatigue virulente, pesante comme si mes épaules s'étaient chargées de plomb et que mes jambes tremblantes peinaient à se relever à chaque foulée, elle perforait ce qu'il me restait de courage. 

La nuit avait voilé le versant de la montage et ses dénivelés sinueux que nous suivions depuis un moment. Nous marchions depuis l'aube et la pause du déjeuné n'avait duré que quelques ridicules minutes. La roche défilait comme le temps s'étirait. Sans fin. J'avançais en queue de cortège pourtant, dans le sillon du groupe silencieux, lui aussi terrassé par l'effort intense et continu. 

Les reines de Daigo en main, je ralentissais dangereusement au milieu de notre ascension de l'escarpement. Chaque pas menaçait d'être le dernier depuis bien trop longtemps. A cet instant, la douleur sous ma voûte plantaire me fit céder. Je m'arrêtai, à bout de souffle, à bout de force. A bout de tout.

« Tu veux que je te porte ? gloussa Kayn qui s'était retourné vers moi. Je peux te sangler les jambes au creux de mes reins, viens voir... »


Je relevai la tête vers lui. S'il était éreinté, sa posture fière en dissimulait toute trace, le torse à l'air bombé comme s'il partait à la conquête du monde. Un sourire en coin, il fit quelques pas vers moi, si bien assurés que je le vis en cet instant comme un monstre de résistance. Un monstre outrageant d'élégance en ces circonstances. 

Il saisit les reines de ma monture :

« Allez, file-moi ça ! »


Par reflexe ou par principe, je secouai la tête pour désapprouver cette faveur et tendis la main pour reprendre mon fardeau. Il la repoussa sèchement.

« Oublie.

— Les consignes... de Maître Zed... bredouillai-je entre deux respirations chaotiques.

— T'en fais pas pour ça, vas ! T'as les atouts pour passer outre.

— Je te demande pardon ?

— ...

— Je veux respecter les règles... comme tout le monde ! Et je ne vois pas... de quels atouts tu ...

— Ben tiens ! Ne mens pas à ton camarade ! Je suis pas stupide !

— J'ai jamais pensé ça... »


Il savait. Forcément. Quand l'avait-il compris ? Et comment ? J'étais prise au dépourvu, il n'en avait jusqu'ici rien laissé paraître.

« Hirose ? Secoue-toi ! s'irrita Kayn qui avait repris sa marche. Le groupe avance, ne le ralentis pas ! »


La douleur me brisait les orteils, les jambes, les genoux, muscles, tendons, tout y passait. Mes forces s'évaporaient et mes poumons réclamaient bien plus d'air qu'il ne m'était permis d'en avaler. 

« Avance bordel ! »


La voix de Kayn remit mon corps en mouvement. Mécanique. Un pas. Après. L'autre. L'agonie dans la chair, je tentais d'oublier la réalité de mon état, les yeux rivés sur Kayn, j'enviais sa force, sa solidité et la facilité arrogante avec laquelle il déambulait. Ma vision se troubla. Kayn se stoppa net pour me toiser avec dédain. Je m'étais immobilisée et je venais tout juste de m'en apercevoir.

« T'es pas un cadeau... soupira-t-il. »


Il me saisit brusquement par les hanches et me hissa sur Daigo en pestant :

« Petite nature... »


Je n'eus ni la force de lui répondre ni celle de le remercier. Cette scène me vaudrait d'éternelles railleries. Mais j'avais définitivement atteint mes limites. Je vacillai. Ma tête plongea sur la crinière du cheval, douce et confortable, je me laissai bercer par son allure régulière. Surtout... ne pas... fermer... les... yeux.


๑๑இ๑๑


Quelle sensation agréable m'enveloppait de la tête aux pieds ? Moelleux, doux, chaud... une étreinte plaisante de couverture en fourrure au parfum enivrant. Quoi ? J'ouvris les yeux d'un coup. Depuis mon lit, sans relever la tête de l'oreiller, je discernai les parois de pierre d'une petite pièce exiguë. Non loin, un deuxième lit dans lequel une silhouette à la longue chevelure d'ébène – Kayn, sans aucun doute – dormait à poings fermés. Au pied de mon lit, le visage de Zed dépassait d'un drap enroulé autour de son corps massif. Les yeux clos, les traits détendus, il sommeillait paisiblement. Il était rare de le voir aussi décrispé alors je profitai un instant de la vue. Par la petite fenêtre sur le mur opposé, la lumière du jour naissant envahissait faiblement la pièce. Bercée par cette agréable atmosphère, je refermai les yeux.


« Hirose ». Une voix profonde résonna au fond de mon être. Mon sang se figea. Cette voix avait vibré, presque inaudible, à tel point qu'il me sembla un instant l'avoir halluciné. La voix d'un vieil homme au timbre sombre, grave, mystique presque, qui s'efface ; une voix vaporeuse emportée par une brise lointaine. Familière sans l'être, j'étais certaine de l'avoir déjà entendue il y a fort longtemps, si longtemps que tenter d'en saisir le souvenir se révéla, en cet instant, impossible. Je me redressai dans mon lit et massai mes tempes pour revenir à la réalité.


Les yeux de Zed s'étaient braqués sur moi et mon cœur tambourina lorsque je m'en rendis compte. Son regard écarlate m'éclaboussait comme une vague, un raz de marée d'émotions déferla sur tout mon être, je m'agitais de l'intérieur. Il posa son doigt sur ses lèvres en souriant, m'incitant au silence. Je hochai doucement la tête et mon regard se dirigea sur Kayn avant de retrouver les yeux brûlants de Zed. Je pointai discrètement Kayn du doigt en murmurant : « il sait ». Zed grimaça avant de plonger son visage dans ses mains.

Sans aucune discrétion, Zed envoya son drap valdinguer et se redressa. Inéluctablement, mon regard glissa sur son torse musclé, nu. Je mentirais si je disais que sa sculpture n'éveillait pas chez moi un désir ardent. Pourtant, je m'efforçai de garder le contrôle. Ici, j'étais chez lui, je devais jouer selon ses règles. Zed se leva et enfila sa tenue. Je me redressai et sortis les jambes du lit. Mes chaussures m'avaient été retirées, mais j'étais encore habillée. Je balayais la pièce du regard dans un instant de panique avant de trouver mon sac à dos calé contre un mur, soulagée.

A cet instant, ce fut au tour de Kayn de se réveiller. Il s'étira un instant avant de se redresser et ses premières paroles furent une vanne évidente qui m'était destinée :

« Bien dormi, petite nature ? ricana-t-il en se levant à son tour.

— M'appelle pas comme ça... grognai-je, particulièrement gênée.

— Petite Nature. Ça te va bien pourtant. »


Je sentis mes sourcils se froncer et cherchai désespérément le regard de Zed. Mais ce dernier était déjà occupé à enfiler ses bottes. Il prit la porte si vite qu'il me laissa en proie à la sournoiserie cruelle de Kayn. Je chaussai mes bottes pour éviter son regard railleur, bien que je le sentis glisser sur moi.

« Merci pour hier, lâchai-je pour l'adoucir.

— C'est pas comme si c'était la première fois que je devais t'assister.

— J'ai pas votre entraînement, moi... soupirai-je.

— Ne t'inquiète pas, ça va venir, rit-il. »


Pourquoi semblait-il si sournois ? Je lui emboîtai le pas. Nous traversâmes un couloir sombre aux parois anthracites taillées à même la roche et pourvues d'étroites fenêtres qui laissaient filtrer la lumière du jour. Nous rejoignîmes une immense salle dans laquelle reposaient de grandes tables flanquées de bancs en bois sombre. Nous eûmes à peine le temps de nous asseoir que Zed avait déjà posé devant nous deux énormes bols — que dis-je, des saladiers vu leur taille — remplis d'une étrange mixture compacte blanchâtre. Mon estomac se noua. Lorsqu'une cuillère en bois atterrit dedans, je compris que ce n'était pas le plat à partager, mais bel et bien ma portion. Les deux hommes se jetèrent sans un mot sur la nourriture à grandes bouchées. Je reniflai discrètement le contenu de ce bol. Un mélange de lait, de céréales, de fruits et autres ingrédients.

« Mange... grogna Zed. Et rapidement. »


Je m'exécutai et détachai délicatement un petit morceau de mixture à l'aide de ma cuillère. Je l'engloutis. Un arrière-goût de banane rendait ce repas gustativement correct mais sa texture pâteuse et farineuse se révéla particulièrement dure à avaler. J'eus la sensation de m'étouffer comme si je tentais d'ingurgiter du plâtre. Cette simple bouchée venait de remplir l'intégralité de mon estomac pour les quinze prochains jours. Je reposai la cuillère.

« Tu fais quoi là ? aboya Zed. Mange ! »


Kayn pouffa. Je m'apprêtais à m'excuser de mon manque d'appétit quand Zed reprit plus sèchement :

« Écoute-moi bien, Hirose. Tu ne quitteras pas cette table avant d'avoir fini ce bol. Ce matin commence ton entraînement. Je veux voir ce bol vide, ce n'est pas une requête, c'est un ordre. »


Je me tassai, vexée. Pourquoi était-il si virulent tout d'un coup ? Me testait-il ? Très bien, Maître, je vous obéirai, mais j'en vomirai très certainement. Je repris ma cuillère et me remis à manger. Par petites parties d'abord. Mais le contenu du bol me décourageait. Je changeai de stratégie et tentai des bouchées plus consistantes... mais je mis plus de temps à les déglutir. Chacune d'elle me pesait sur l'estomac. Ma gorge se nouait et avaler devint rapidement un effort surhumain. Zed sortit de table et se retira en silence tandis que les autres Yànléi nous rejoignaient avec leur propre bol. Tout le monde engloutissait cet enduit infâme sans sourciller ? Kayn avait raison, j'étais une petite nature.


Un léger coup de coude dans mon bras et Kayn me chuchota à l'oreille :

« Il ne va pas te ménager...

— (Je me tournai vivement vers lui) Pmqwmp ? (Je déglutis dans un effort) Pourquoi ?

— Parce que tu dois te mettre à niveau rapidement. Tu crois que c'est un camp de vacances ici ? »


J'enfournai une nouvelle cuillère en observant mon bol avec désespoir : encore trois comme ça, et j'en aurais ingurgité un quart. Un quart seulement...

« Les premières semaines sont les plus difficiles, me souffla Lyrah face à moi. Accroche-toi...

— Okay, les gars, on ouvre les paris ! s'écria Kayn. Vous lui donnez combien de temps à Petite Nature ?

— Trois jours, grogna Barry tout à fait sérieusement.

— Trois ? Moi je paris qu'elle ne passe pas la journée...

— Kayn... soupira Lyrah en roulant des yeux.

— Elle tiendra le coup, répliqua Jovn, sa sœur faisait deux fois plus à dix ans à peine. Sous-estime pas les abricots !

— Rien à voir ! rit Kayn. On parle de Petite Nature, là ! »


Je m'acharnai à me remplir l'estomac si bien que leur scandaleux paris me sembla lointain. Une nausée me traversa. Hé bien tant pis. Je régurgiterai tout sur la table s'il le fallait mais j'allais surmonter cette épreuve.

Je calai à un quart de la fin. La bouche désespérément pleine, je constatai que les autres m'attendaient gentiment face à leurs bols vides. Quel était donc leur secret ?

« Vous devriez aller vous échauffer, je pense qu'elle ne passera pas la première étape... conseilla Kayn.

— Allez, courage Hirose, tu peux le faire ! m'encouragea Lyrah en se levant. »


Je secouai la tête, me concentrant pour tenter de déglutir. Mon estomac pesait quinze tonnes et cet exercice tourna à la torture. Je posai ma main devant ma bouche pour ne pas recracher et pris une pause. Les autres quittèrent la table. Tous, sauf Kayn. Et je devinais qu'il n'allait pas tarder à grassement se régaler de ma tourmente. Je louchai sur ce qu'il restait dans mon bol.

J'avalai péniblement la pâte qu'il me restait en bouche et laissai tomber ma cuillère sur la table, vaincue. Kayn se saisit aussitôt de mon bol et s'empressa d'en finir le contenu dans un mouvement quasi imperceptible. Dans ma confusion, je l'interrogeai du regard.

« J'avoue que j'ai trop envie de voir la suite ! rit-il, la bouche pleine. »


C'était une fraude mais sa complicité, en plus de signer ma délivrance, m'évitait un renvoi humiliant. Dès le premier jour, dès la première heure, j'avais déjà triché et je me sentais honteuse. Kayn interpella Zed pour lui signifier que mon bol était vide en le brandissant fièrement au-dessus de sa tête. Je fermai les yeux, les paumes de mains sur mon estomac alourdi et douloureux, je priai que son contenu ne remonte pas. J'avais plus mangé ce matin que dans ma vie toute entière.

« Très bien, fit Zed qui nous avait rejoint. Kayn, je te laisse gérer l'entraînement. Aujourd'hui, j'ai un cours particulier à donner à notre nouvelle recrue. »


Un frisson me parcouru. Zed m'invita à le suivre et je m'exécutai aussitôt, crispée. Il nous conduit à l'extérieur de l'enceinte. Sous mes yeux ébahis, des rangées de huttes en toile de lin s'alignaient par dizaines, et des soldats tout de noir vêtus arpentaient les sentiers, par centaines peut-être, en formation ou non : une véritable armée de l'Ombre bien plus conséquente que je ne l'aurais imaginé. J'ignorais que les Yànléi étaient si nombreux, à vrai dire je n'en avais que rarement entendu les échos depuis mon petit hameau, plus loin dans l'ouest de Zhyun. Plus en amont, au-dessus du plateau qui abritait le camp, s'élevait, sur un haut sommet, un sombre sanctuaire bâti à flanc de montagne comme s'il en était la continuité naturelle. Il émanait de ce lieu une aura singulière et inquiétante à en glacer le sang d'un habitant de Freljord. Une part de moi, celle qui avait prêté allégeance aux forces des Ombres, se sentait étrangement apaisée en ce lieu, mais une frayeur résonnait au fond de moi, impalpable, bien présente pourtant.

Zed me présenta brièvement à différents commandants de troupes, dont — je devais l'avouer — je ne retins aucun nom. Certains affichaient une mine peu avenante, solennelle, tandis que d'autres, plus rares, m'offraient un sourire courtois, mais tous m'évoquaient une combativité insatiable.


Je progressai fébrilement dans les pas de Zed, intimidée, plongée dans un monde jusqu'alors parfaitement étranger. Ce lieu aurait dû depuis bien longtemps être ma place, pourtant en cet instant, je ne m'en sentais pas digne. Lorsque nous fûmes un peu en retrait des troupes, je demandais :

« Et le chef, c'est qui ?

— Tu veux dire, le général ?

— J'imagine... celui qui est à la tête de tout ce monde...

— Hé bien, tu l'as sous les yeux. »


Je manquai de m'étrangler et mon ventre se fendit en deux. J'avais certes compris que Zed n'était pas un simple soldat mais de là à imaginer qu'il était le chef de toute cette armée de rebelles me fit tourner la tête.

« T'as l'air étonnée ? Je suis le Maître des Ombres. Imaginais-tu un vieux sage barricadé dans un sanctuaire ?

— Peut-être bien... »


Zed leva brièvement les yeux vers le sommet de la montagne avant de s'arrêter devant un dojo dont toute la structure reposait sur des piliers de bois et de fines cloisons de tissu clair. Un tapis de jute faisait office de sol. Zed ôta ses bottes et j'en fis de même.

Il s'avança vers moi et posa ses mains sur mes épaules. Son regard me perça, incandescent mais rude. Son sérieux me rendit nerveuse :

« On va commencer par les bases, dit-il. Pas de magie des Ombres, pas d'armes. L'objectif, c'est de te renforcer physiquement, et je vais être franc, on ne perdra pas de temps. Je t'ordonnes, tu exécutes dans la foulée. Si tu interromps ton exercice avant de l'avoir terminé, tu le reprends depuis le début. Ça te semble clair ?

— Oui, Maître Zed... mais si je n'y arrive pas ?

— Tant que tu respires, que tes muscles ne sont pas déchirés, que tes os ne sont pas brisés, je considère que tu es tout à fait capable de continuer. Je t'ai entendu proférer de beaux discours à ta sœur. Tu veux être meilleure qu'elle ? Prouve-le. »


Je déglutis avec difficulté. Zed s'adoucit et soupira :

« Je te l'ai déjà dit, tu dois rattraper ton retard pour ne pas déséquilibrer le groupe et être capable de suivre les entraînements collectifs. Je connais tes limites, et je vais te demander de les franchir dès aujourd'hui, mais garde en tête que la difficulté que je vais t'imposer n'est qu'un dixième de ce que j'impose aux autres. Par ailleurs, tu remarqueras que tu n'as aucune courbature, la magie des Ombres se charge de réparer les lésions. »


Il était si grave et autoritaire que je m'en sentis rougir. Il le remarqua car son regard se durcit et il grogna :

« Concentre-toi ! »


๑๑இ๑๑


Des séries de pompes, d'abdos, de squats et encore des pompes, des abdos, des squats. Au bout de ce qui me sembla être des heures, j'en avais déjà plein les pattes. Mais Zed resta intransigeant. A cet instant, je tenais le choc sans problème, la magie des Ombres m'imprégnait et me donnait une résistance sans laquelle jamais je n'aurai tenu. Zed ne cessa l'exercice que pour en initier un nouveau : le combat rapproché. La garde, les coups de base, la coordination.

« Protège tes côtes ou je te les brise ! » 

« Dévisse ton poing, mieux que ça ! » 

« Applique toi ! » 

« Ne te précipite pas, sois précise ! La vitesse viendra après. »


J'essayais. Je recommençais. Je m'améliorais. Envoyer des coups, les parer, les esquiver. Recommencer. Encore et encore.

Des séries de pompes, d'abdos, de squats. Et je fatiguais. Encore des pompes, des abdos et des squats. Je m'affaiblissais. Je transpirais, brûlante, haletante. Et je reprenais.

J'ignorais combien de temps s'était écoulé, combien il en restait encore, mais je ne laissais rien paraître de ma faiblesse grandissante. J'étais solide, et bientôt le regard que Zed, Kayn et tout notre groupe porterait sur moi serait gratifiant. J'étais solide, bien sûr. J'escaladais lentement la douleur, pompe après pompe, série après série. L'épuisement n'était rien mais mes bras faiblissaient dangereusement, ils tremblaient. J'étais solide mais dans chaque tendon, chaque muscle, la douleur, légère au départ, s'accumula graduellement. Mon corps devint une charge désormais pénible de supporter. J'avais atteint le sommet de mes capacités et à présent je dévalais son versant opposé. J'étais solide...

« Stop, arrête-toi, m'ordonna Zed. »


Quel soulagement de m'arrêter enfin et plus tôt que prévus.

« Tu recommences cette série.

— Quoi ?! haletai-je. Mais pourquoi ?

— C'est pas bon, tu ne descends plus assez bas. »


Je me remis aussitôt à plat ventre et repris sans discuter. Zed était dur. Et mes bras ne tenaient plus. Mon corps ne tenait plus. Quant à mon mental... il s'effritait. Etais-je si solide que ça ?

« Tu comprends mieux l'intérêt du repas de ce matin ? »


Concentrée sur l'exercice, je ne pus répondre. Je soufflais, tentais d'encaisser douleur et fatigue pour éviter le malaise.

« A ce propos, la prochaine fois, je te conseille de tout manger. »


Je tombai aussitôt à plat ventre.

« Ok, reprends depuis le début, ordonna-t-il. »


La frustration me gagna. Je ne verrais jamais le bout de cette série de pompes. Je repris.

« Tu seras punie pour avoir désobéit, et m'avoir pris pour un idiot. »


Je me concentrais encore. Je n'avais pas triché, Kayn s'en était chargé seul. Mais loin de moi l'idée de le dénoncer. Néanmoins, si Zed avait eu connaissance de cette entourloupe, il avait probablement vu la scène de ses yeux. Je me hissais douloureusement sur mes bras avant de redescendre. Chaque mouvement n'était que souffrance.

Dans un effort considérable, j'arrivais au bout de ma série de pompes.

« Fais-en quinze de plus. »


Je manquai de m'effondrer. Résiste, résiste. Je manquais d'air.

« Respire ! »


Je déployai mes dernières forces. Mes bras menaçaient de céder, mais je devais m'accrocher. Les dernières pompes furent les plus difficiles. Je serrai les dents à m'en éclater la mâchoire. Je ralentis, la douleur me cisela les bras mais je m'efforçais de m'appliquer... Jusqu'au. Bout.

« Ok repos deux minutes, dit-il. »


Je m'effondrai sur le tapis, incapable de me redresser. Ma joue s'imprégna de la fraîcheur du sol et je tentai de récupérer ma respiration.

« On repars sur les abdos.

— Déjà ? m'étonnai-je en roulant sur le dos. »


Un frisson suivis d'une bouffée de chaleur, je me relevai maladroitement et bondis dans la panique hors du dojo pour vomir mes tripes. Pliée en deux, je refoulai deux spasmes. Le décor valsa et je perdis l'équilibre. Zed me saisit par le bras et je relevai la tête vers lui. Il essuya délicatement ma bouche avec un morceau de tissu.

« Bien, dit-il. On est sur la bonne voie. »

Laisser un commentaire ?