Bell de Bilgewater
Comme tous les matins, le soleil du désert frappait les voyageurs, aussi ardemment qu’en pleine journée. La veille, Mora qui conduisait la caravane pour les derniers jours, avait annoncé qu’ils passeraient une dernière nuit dans le désert, avant d’arriver à Nerimazeth aux aurores.
A mesure qu’ils approchaient de leur destination, les paysages changeaient, les dunes percées de petits pics rocheux laissaient place à une terre plus rocailleuse, quelques îlots de végétation firent même leur apparition çà et là.
Alors que Bell s’exerçait au traçage de carte, elle le vit enfin. Le mont Targon. Sa perte de conscience et les préoccupations des derniers jours l’avaient tellement distraite qu’elle en avait oublié qu’ils arrivaient près de la montagne sacrée, d’autant que la météo autour la rendait peu souvent visible dans son entièreté.
De loin, la yordle pouvait déjà observer la chaîne de montagnes immenses qui séparaient le continent de l’océan à l’ouest, mais l’une d’entre elles sortait du lot. Tandis que les plus grandes montagnes culminaient à moins d’une dizaine de kilomètres, le mont sacré lui se dressait à plus du triple. Sa forme était semblable à une aiguille, comme s’il était tiré vers le ciel artificiellement, tel une tour de pierre.
Éclairée par les premières lueurs, une ville se dessina doucement face à la caravane. Bell pouvait distinguer de mieux en mieux les bâtiments, dans le style et la pierre propres à Shurima. Des nombreux groupes de voyageurs de dirigeaient eux aussi vers la cité, tandis que d’autres quittaient l’enceinte des murailles pour affronter le désert.
Les itinérants se dirigèrent vers un plateau sur l’un des flancs de la cité, relié à cette dernière par d’immenses portes en pierre et de belles routes en pavés ocre. L’aire, immense, accueillait déjà plusieurs caravanes, dont les voyageurs déchargeaient les marchandises qu’ils s’apprêtaient à vendre en ville.
Comme d’habitude, Bell et les autres vinrent aider leurs compagnons de voyage à s’installer, bien que cette fois le groupe résiderait dans une auberge. L’atmosphère était à la joie, le soulagement d’être arrivé à bon port se lisait sur les visages. Malgré cela, un certain poids pesait sur le cœur des voyageurs, l’heure était aux adieux, certains repartiraient d’ici peu, surtout les mercenaires pour qui le solde dépendait de leurs voyages, d’autres comme l’équipage du Somua avaient des objectifs plus lointain.
Après l’installation, le maître caravanier rejoint l’équipage qui s’apprêtait à quitter le camp, accompagné de son fils et de sa belle-fille, tandis qu’Amara, qui devait les rejoindre, confiait à une connaissance sa monture du désert le temps qu’elle se repose.
- Ainsi donc notre voyage commun prend fin, sourit Victor en serrant la main des membres. Au nom de tous mes camarades, je vous remercie pour votre aide.
- C’est nous qui vous remercions pour l’accueil, répondit Nâmis. J’espère que nos chemins se croiseront à nouveau.
- Quant à toi, je te souhaite de trouver ce que tu cherches, dit-il en s’accroupissant devant Bell. N’oublie pas qu’Amara est là pour t’aider, je lui confierais ma vie, tu peux lui faire confiance.
La yordle remercia chaudement le maître, qui s’éloigna sur le côté avec le reste du groupe. Mora et sa compagne Jolyne vinrent la saluer à leur tour, un sourire triste sur le visage. Bell se jeta sur le couple, serrant les deux dans ses petits bras.
- Merci pour tout, dit-elle la voix chevrotante. J’ai tant appris à vos côtés.
- Porte toi bien jeune Bell, répondit la femme. Si tu passes par le désert à nouveau je suis sûre que les vents et le soleil te porteront jusqu’à nous.
- Et n’oublie pas de t’entraîner à la cartographie, ajouta le caravanier, tu as un grand potentiel.
La yordle les salua et les remercia à nouveau, avant de courir rejoindre Cynthia aux côtés d’Ileae, qui lui tendit sa main, avant de pénétrer la ville.
Avec Anna et Nâmis en tête, suivis de Reiner et de la commandante Bertillon, le trio se dirigea vers l’auberge, afin d’y déposer leurs affaires. Bien que le voyage eût été éreintant, la troupe n’aurait pas l’occasion de se reposer, puisque leur départ était prévu pour le lendemain, suivant les consignes de leur guide Amara.
Même si ce n’était que pour une nuit, ils pourraient enfin retrouver le confort d’un lit, entre des murs solides. La répartition des chambres était là même, bien que cette fois le lit que partageraient Bell et Ileae soit un choix et non le fruit d’un arrangement imprévu. Dans la salle principale, Anna profita du repas pour annoncer au groupe qu’ils avaient quartier libre, leur laissant l’après-midi pour visiter la cité des artisans.
- Je crois me souvenir que tu cherches un forgeron pour le questionner sur ta dague, lança Nâmis. Je connais un excellent artisan en ville, je peux t’indiquer son adresse si tu le désires.
- Je connais la ville, ajouta Amara, je pourrais guider les jeunes si vous m’indiquez l’adresse en question. Voulez-vous nous accompagnez dame Bertillon ?
La commandante, acquiesça doucement, replaçant le fusil fabriqué par Ileae qu’elle portait en bandoulière. Le vieux sage expliqua rapidement le chemin vers un des quartiers plus reculés de la cité, à l’évocation du nom de l’échoppe, le visage du mercenaire s’illumina. Ce dernier semblait connaître l’artisan, et félicita le vieil homme pour ses contacts de qualité.
La ville ressemblait autant à la capitale shurimienne qu’à Nashramae, cité du commerce impériale, de par son effervescence, et son style architectural. Les bâtiments, dans la pierre endémique des contrées ensoleillées, étaient moins grandioses dans leur taille que ceux autour du disque solaire, mais les dépassaient largement dans leurs détails et ornements. Chaque pierre, chaque angle, était taillé, ciselé, offrant aux yeux des visiteurs un spectacle artisanal ébahissant. La cité regorgeait des plus fins artisans de tout Runeterra, chaque pièce décorative ou non était un moyen pour eux d’exprimer leur art, et d’exposer leur talent.
Le climat, comme le paysage, était très légèrement différent. L’implacable et étouffant désert avait laissé place à de plus clémentes températures, un soleil moins ardent, qui épuisa moins le groupe au cours des heures qu’ils passèrent à déambuler dans les rues. En plusieurs endroits, ils purent passer par des jardins, au grand étonnement des jeunes filles, qui avaient presque oubliées à quoi ressemblait la végétation. Des arbres, ainsi que quelques espèces de buissons et fleurs résistantes à la chaleur étaient méticuleusement entretenus, et offraient aux passants un peu d’ombre. Proche du fleuve Mère de la Vie, la cité accueillait aussi nombre de fontaines, ce qui soulagea le groupe, qui n’avait désormais plus à se soucier de la soif.
Partout en ville, les voyageurs purent découvrir des échoppes, dont certaines regorgeaient d’ouvrages splendides. Ileae n’avait de cesse de s’émerveiller devant le travail de quelques forgerons et joailliers, tandis que Cynthia ne parvenait à cacher la joie qu’elle ressentait en déambulant tant dans les boutiques de vêtements, que les échoppes de magie, dont les étals grouillaient d’objets intéressants. Bell et Holly quant à elles, esquissèrent un sourire en découvrant un magasin spécialisé dans la fabrication de Khopesh, allant du plus pratique et simple au plus fantaisiste et tape-à-l’œil.
Sous les conseils avisés d’Amara, le groupe choisit un petit établissement, discrètement caché dans une ruelle, pour tester quelques spécialités locales. Même dans la cuisine, la cité des artisans ne cessait d’épater ses hôtes, y compris Clapper, qui goûtait les plats de sa maîtresse discrètement.
- Etes-vous souvent allé à Targon ? demanda Bell à leur nouveau guide.
- Quelques fois en effet. Ce sont des contrées sauvages, inhospitalières quand on ne les connaît pas assez. Et leurs habitants sont… spéciaux dirais-je.
- C’est-à-dire ?
- Ce sont des fanatiques, leurs croyances guident et dirigent leur vie, ils transitent autour de la montage des mois durant, suivant le soleil qu’ils vénèrent.
- Les shurimiens aussi vénèrent le soleil non ?
- Pas de la même façon, expliqua-t-il. Pour ces derniers, l’astre lui-même offre à ceux qui le méritent une forme différente, qui exacerbe ce qui les rend différents. Les Solaris eux vouent un culte à la divinité liée à l’astre, qui pour le coup existe vraiment et fait partie d’un panthéon de divinités cosmiques.
- Ces derniers sont différents ?
- C’est peu de le dire. Lorsqu’une personne arrive au sommet du mont, par la force de sa volonté où en ayant été attirée par un céleste, ce dernier prend possession de son corps, qui en devient l’hôte.
- Vous connaissez des célestes ? demanda Ileae, dont les yeux brillaient de curiosité.
- Pas personnellement je le crains. L’aspect du soleil, est vénéré par les Solaris, qui chassent les Lunaris. L’aspect de la guerre a un jour affronté un ancien transfiguré, on raconte que celle du crépuscule apporte de terribles changements, à moins qu’elle ne cherche simplement à vous jouer des tours, et j’ai ouïe dire que la manifestation du protecteur avait trouvé un hôte, protégeant l’amour et la beauté. J’admets avoir du mal à suivre les incarnations avec toutes ces années…
- Pourquoi des gens chercheraient à se voir déposséder de leur corps ? s’interrogea Cynthia.
- Aucune idée. Tous ne sont pas volontaires, l’ascension peut être une punition similaire à un exil, ou même involontaire lorsque le céleste manipule le futur hôte. Des dizaines essaient chaque année.
- Qu’arrive-t-il à ceux qui échouent l’ascension du mont ? Ou qui ne sont pas jugés dignes par les divinités ?
- Ils périssent.
Un frisson parcourut le dos des voyageurs, qui trouvèrent soudain la montagne magique bien moins sympathique.
Finalement, le petit bout d’équipage finit par quitter la taverne, et arriver dans le quartier dont Nâmis avait parlé à leur arrivée. Les rues étaient plus tranquilles, les échoppes moins nombreuses, ce que Bell trouva plus reposant. Le petit rat des quais partageait son avis, si bien que ce dernier, lové au creux de son cou, finit par s’assoupir.
Amara leur indiqua un bâtiment, à la façade très simpliste en comparaison des autres, invitant à pénétrer par une lourde porte en fer forgé.
Ileae et Bell lâchèrent un long soupir d’admiration en découvrant la boutique. Sur des étagères, de très nombreux objets trônaient fièrement, tous dans de brillants métaux, parfois même ornés de pierres précieuses. Ces étals, directement à la vue, étaient destinés à directement montrer le nec plus ultra de l’artisanat local, cependant le reste de la pièce regorgeait de présentoirs, sur lesquels étaient posées des lames, des boucliers, aux côtés d’armures fièrement exposées sur des mannequins. Le style était ici très différent de ce que Bell avait pu voir jusque-là, rêche, mais élégant, sauvage et robuste, adapté à l’itinérance, contrairement aux modèles d’exposition.
- Soleil sur vous voyageuses et voyageurs ! lança une voix, désolé je ne vous avais pas vu !
Un homme était sorti de l’arrière-boutique, suivi d’une bouffée d’air brûlant, attestant qu’il devait être en train de travailler une pièce.
- Pas de souci, sourit Amara. La maison a changé de main ?
- Oh non j’ai repris le marteau et l’enclume de celles de mon père il y a quelques années, il dessine nos pièces et marchande. Vous connaissiez la boutique je présume ?
- Absolument.
Amara sortit un coutelas, ainsi qu’une flûte métallique qu’il déposa sur le comptoir. L’arme était certes jolie, mais c’est l’instrument qui attira l’œil de l’homme, qui écarquilla les yeux en tournant l’objet dans tous les sens, avant de le reposer en souriant. D’après les articles qui les entouraient, il était évident que son père était spécialisé dans la confection d’armes et armures, et non d’instruments, mais ce dernier eût l’air d’y reconnaître l’œuvre de son paternel.
- Que puis-je pour vous ? dit-il avec un sourire aussi radieux que le soleil impérial.
- Mon amie ci-présente a en sa possession une dague très intrigante, elle aimerait votre expertise.
L’homme se tourna vers la yordle, qui était très loin d’arriver à la hauteur du comptoir. Cette dernière saisit dans sa sacoche sa lame, qu’elle déposa sur la pointe des pieds. L’artisan la sortit de l’étui en cuir, son sourire se mua en une expression de béatitude, ses yeux parcouraient les ciselures qui couraient le long de la lame d’un blanc d’albâtre.
Il observa longuement la dague, scrutant le moindre détail dans tous les sens à l’aide de lunettes, marchant dans la boutique pour la voir sous toutes luminosités possibles. Il attrapa des chutes de cuir, de papier, testa son tranchant, qu’il dut juger bon au vu de son air satisfait et de son sourire, avant de disparaître dans son arrière-boutique.
Il ressortit plusieurs minutes plus tard, sans la dague, et se planta devant le groupe.
- L’un d’entre vous serait-il doué de magie ? Où mieux, aurait en sa possession un objet magique, une arme peut-être ?
Le groupe se regarda, l’air surpris.
- J’ai ceci, dit Holly en tendant son fusil.
L’homme saisit l’arme, regardant à nouveau avec curiosité comme il l’avait fait avec la dague. Le fusil, fabriqué par Ileae, était toujours aussi blanc qu’au début, rigoureusement entretenu par la commandante Bertillon. Les parties métalliques, dorées, étincelaient à la lumière, rendant honneur au travail de la jeune vastaya.
- Je n’avais pas vu de fusil depuis un moment, les piltoviens sont rares par chez nous. Savez-vous qui a fabriqué ceci ?
- C’est moi, dit timidement Ileae.
- C’est un ouvrage remarquable, c’est précis et méticuleux. Vous dites que c’est magique ?
- C’est gentil… Une fois la sécurité retirée, indiqua Ileae à l’artisan, il suffit soit d’appuyer une petit coup sur la détente, voilà comme ça, soit de rester appuyé mais… pas trop longtemps sinon…
BOOM
Une vive lumière rouge fusa de l’arme, éblouissant les yeux des clients présents, et vint frapper un mannequin avec une force telle que ce dernier, pourtant lesté d’une lourde armure, s’écrasa avec force contre le mur à l’opposé, dans un fracas assourdissant.
L’artisan, qui n’avait pas épaulé le fusil avant de charger son tir, pensant l’arme inoffensive, manqua de tomber à la renverse lorsque l’arme lui échappa des mains, mais il se rattrapa à son comptoir, tâchant d’éviter de laisser l’objet tomber au sol.
- Oh… je… bredouilla-t-il hébété. Ah oui ça envoie ça.
Chargée au max, l’arme pouvait s’avérer létale, et faisait montre d’un recul très surprenant, ce malgré la carrure impressionnante du forgeron.
- Toutes mes excuses, se rasséréna-t-il, j’ai été surpris, très intéressante arme en tout cas.
- Vous n’êtes pas le premier à qui ça arrive, gloussa Ileae, mon amie yordle a volé sur une dizaine de mètres la première fois.
Amara et Cynthia explosèrent de rire derrière, imaginant la scène, tandis que la jeune navigatrice détournait le regard, le visage rouge de honte.
- Bien, suivez-moi !
L’artisan se dirigea vers l’arrière-boutique, entraînant le groupe à sa suite. Comme attendue d’une forge, la pièce baignait dans une atmosphère étouffante, des armes plus ou moins travaillées trainaient sur de grands établis, et des plans étaient attachés un peu partout.
A l’autre bout de la pièce, la dague de Bell était maintenue par le manche dans un étau, la lame bien visible face à eux.
- Voilà ce que j’en dis, lança l’artisan. Cette arme est assez spéciale, regardez donc.
Il saisit un gigantesque ouvrage carré, d’une cinquantaine de centimètres, aussi épais que sa tête. Il le posa lourdement sur sa table, ce qui fit voler un nuage de poussière vers le plafond, faisant tousser tout le monde, à l’exception de Bell, qui ne dépassait pas de ladite table.
L’artisan feuilleta le livre, le regard plongé dedans, comme aspiré par celui-ci. Ileae tendit un tabouret à sa compagne, qui put monter dessus et observer comme ses camarades les pages qui regorgeaient de nombreux dessins d’armes, de lames diverses, accompagnées de paragraphes écrits très petit.
- Là ! s’exclama-t-il. La coutellerie shurimienne regorge d’œuvres similaires, je pense que celui-ci doit avoir déjà de très nombreuses années, sûrement plus d’un siècle au vu de la forme et des détails. Savez-vous à qui elle appartenait ?
- Ma mère, répondit-elle.
- La dague a-t-elle été fabriquée pour elle ?
- Une inscription est notée dessus, expliqua Amara, cela semble être son nom en effet.
- Très bien. Il existe plusieurs armes similaires, assez rares. Ces dernières ont été faites dans l’empire à l’intention de combattants d’une secte très intéressante. Son alliage contiendrait de la pétricite, sorte de bois fossilisé utilisés par les Demaciens pour bloquer la magie.
- La lame n’est pas Demacienne ?
- Nul doute qu’elle a précédé le pays, admit le forgeron. A l’époque on murmurait l’existence d’un groupe se faisant appeler les sentinelles… de…
- De la lumière, compléta Amara, j’en ai entendu parler. Ils combattaient un fléau n’est-ce pas ?
- La Ruine, apportée par la Brume Noire.
Les trois jeunes filles restèrent silencieuses, se jetant des regards aussi surpris que curieux.
- Vous en savez plus à ce sujet ?
- Mon père m’en a parlé, je pense qu’il vous expliquera mieux que moi, mais d’abord il nous faut tester cette hypothèse.
Sur ces mots, il saisit le fusil, délicatement, et mit la dague à l’autre bout de la pièce en joue, avant d’appuyer doucement sur la détente. Une petite décharge rouge fusa vers la dague, mais la manqua de plusieurs centimètres. Il tira à nouveau, pour rater, puis encore, et encore.
- Donnez-moi ça, grommela Holl qui saisit l’arme.
D’un geste précis, elle visa la lame, et tira une salve de décharges magiques rapides, qui touchèrent toutes avec précision. Chaque tir, une fois touché la lame, s’évanouissait sans une trace, sans une gerbe d’étincelle.
- Vous êtes plus douée que moi, sourit l’artisan.
Un semblant de sourire suffisant manqua de venir perturber le calme qui régnait sur le visage de la piltovienne. L’homme récupéra la dague, qu’il remit à la yordle.
- Je pense que cela confirme ce que nous pensions, dit Amara.
Intéressé, le forgeron discuta de ses techniques avec Ileae, qui en connaissant finalement un rayon sur le sujet. Cette dernière, ravie malgré sa timidité d’avoir quelqu’un de qualifié à qui parler, échangea avec lui ce qu’elle savait, tout en apprenant plein de choses qu’elle avait déjà hâte d’essayer.
Le père de l’artisan, maintenant devenu commerçant, finit par arriver, trouva son fils occupé à tout, sauf à forger. Ce dernier était un vieillard souriant, qui d’un seul coup d’œil à la dague sut l’identifier comme l’avait fait son fils.
- J’imagine que vous avez quelques questions sur le passé de cette lame, dit-il en s’asseyant au comptoir.
Le groupe acquiesça en silence, pendu aux lèvres du shurimien.
- Les sentinelles sont un ordre très anciens, comme mon fils a dû vous l’expliquer, ils avaient pour passe-temps de combattre la Ruine.
- Nous connaissons la Nuit de la Terreur à Bilgewater, expliqua Bell, où la Brume parvient à frayer jusqu’à l’archipel, et déclencher l’apparition de monstres dans les ruines profondes. Pourtant, pas de sentinelles chez nous ?
- La brume n’est pas qu’un phénomène, sourit le vieillard, c’est un outil. Longtemps avant nos vies, un autre archipel brillait au sud de celui de la Flamme Bleue, dont vous venez. Connaissez-vous les Îles Bénies ?
Le groupe resta silencieux, laissant à l’homme la liberté de leur dévoiler tout ce qu’il savait.
- Cet archipel très renfermé abritant des érudits, un peuple sage, prospère, capable de soigner les pires maladies. Ces derniers ont subi l’attaque d’un roi qui, aveuglé par la mort de sa femme, tenta l’interdit le plus absolu. Le destin fit que cette dernière refusa de renaître pour lui, et le roi se transforma, lui et tous les habitants, en de monstruosités sans pareilles. Il usait de sa nouvellement acquise Brume Noire pour envoyer des sbires par-delà les mers, traquer la moindre solution à son problème de résurrection, semant désolation partout où il passait.
- On n’a pas vu telle chose depuis des décennies, souffla Amara. Je croyais la Ruine contenue sur l’archipel.
- Les Îles Obscures renferment toujours le roi, mais ce dernier n’est pas éteint pour autant. Traqués, sans but, les membres des sentinelles ont fini par disparaître petit à petit.
- Et si la Brume revenait ? lança Ileae.
- Personne n’en a vu depuis des lustres…
- Nous avons été attaqués, plusieurs fois, avons combattu des goules, affirma Cynthia d’une voix dure. Nous avons perdu des proches à cause d’elle…
Bell, qui tenant dans sa main celle de sa compagne, la sentit se serrer fortement.
- Vous cherchez des informations sur ces armes donc.
- Ses propriétaires plus exactement.
- Depuis le temps ils sont probablement…
- Ce sont des yordles, intervint Bell. Comme moi. Je parie qu’ils sont quelque part, on les retrouvera, et ils nous aideront à soigner les victimes.
- Comment comptez-vous soigner à l’aide d’une dague, railla le vieillard. En la plantant dans le cœur des goules ? La pétricite aspire la magie, vous les tuerez. Allez donc affronter le Roi Déchu sur son île, au moins plus personne ne sera à nouveau transformé.
- Père…
Le visage des membres du groupe se durcit. Si l’ancien artisan disait vrai, alors il était déjà trop tard pour sauver les contaminés.
- Je vous remercie pour votre temps, dit Amara en se levant. Grâce à vous nous avons fait de grands progrès.
- Pas de quoi, sourit le forgeron. N’hésitez pas à repasser lorsque vous viendrez à Nerimazeth !
Tous saluèrent poliment père et fils, avant de sortir pour se diriger vers leur auberge, sous le soleil couchant de Shurima.
***
L’esprit de Bell était partagé entre la joie de peut-être en savoir plus sur ses parents, et la peur que ces derniers aient définitivement disparu. Cette idée hantait ses pensées, tandis qu’elle marchait distraitement vers leur auberge.
Évidemment, durant le repas le reste de ses compagnons insista pour être mis au courant des informations récoltées par la jeune fille. Les sentinelles, le roi déchu, les armes en pétricite, tout concordait avec ce que le doyen Horace leur avait transmis, ils se rapprochaient de leur objectif, petit à petit.
- De bonnes nouvelles, dit Anna en se levant.
Devant la vue d’une de muscle debout, l’équipage se tut, et reporta son attention sur la lieutenante.
- Nous avons reçu une lettre de nos camarades à Piltover !
Le visage de l’assemblée s’illumina d’un seul coup, aussi rapidement que les sourires y apparurent, la freljordienne sortit de sa veste une feuille enroulée fermée par un ruban noir.
- Les nouvelles sont excellentes, laissez-moi vous les lire. Chers camarades, je me doute que votre périple pour Targon progresse rapidement, aussi j’espère que ce dernier est sans embûches. De notre côté la situation a évolué, votre foyer, le Somua, est de nouveau en état de naviguer !
Un cri de joie résonna dans toute la taverne, accompagné d’applaudissements.
- Nous partirons une semaine après l’envoi de cette missive en direction d’Ixtal, où le reste de nos compagnons nous attendent. Ces derniers ont atteint leur objectif, et obtenu de l’empire des soigneurs ixaocans qui seront conduits à Piltover par un navire ami. Nos compagnons vont bien, aucun blessé n’est à déplorer, ils attendent nos retrouvailles. Nous vous rejoindrons à Targon lorsque votre expédition sera terminée. Salutations, votre capitaine.
Bell regarda le reste du groupe avec un grand sourire, même Holly, d’ordinaire froide et impassible, semblait gagnée par la liesse générale.
- Nous avons aussi reçu ceci, dit-elle en tendant deux papiers à la piltovienne. Du doyen.
Cette dernière déplia la première feuille, et lut les quelques mots inscrits. Lorsque son regard se porta sur la seconde, une vague expression de satisfaction sembla passer sur son visage. Elle regarda avec attention le contenu de la missive, avant de la passer aux autres.
Lorsqu’elle arriva jusqu’à Bell, cette dernière ne comprit pas desuite de quoi il retournait. Il s’agissait du portrait d’un homme, dessiné à la main. Il avait l’air dans la fleur de l’âge, les cheveux noirs, l’un de ses yeux aussi. La plus grande particularité était l’absence d’un bon tiers de son visage, comme une statue dont un morceau se serait détaché, remplacé par un vide, noir, constellé de petits points blanc brillant.
- De qui s’agit-il ? Demanda la yordle.
- D’après le doyen Hekins, le portrait-robot d’un homme qui a été vu plusieurs fois autour des laboratoires de Krenn, chez les ratels.
- Ma proie, lâcha sèchement Holly.
Bell se tourna vers Ileae. Sa compagne fixait la feuille, le regard accroché au visage de celui que l’on jugeait comme responsable des évènements de Zaun.
- Son visage ? Est-ce normal ?
Le portrait passa de main en main, Reine grimaça, Nâmis soupira, Amara écarquilla les yeux, avant que la feuille ne finisse au milieu de la table.
- D’après Hekins, des parties de son corps manquent, les témoignages racontent qu’à la place on voit… un ciel étoilé.
L’assemblée resta muette de surprise, ne sachant que répondre à ça. La yordle posa la main sur celle de la scientifique, elle qui avait perdu ses parents dans les expériences menées dans la jumelle souterraine.
Ils avaient maintenant une information capitale en leur possession.
- Nous partons dès demain, continua Anna. Profitez de votre dernière nuit dans un lit, soyez prêts à l’aube.
Des hochements de tête accueillirent l’ordre, en silence.
***
Comme toujours, le soleil shurimien accompagnait les premières minutes de la journée, qui s’annonçait chargée. Le groupe avant minutieusement préparé ses affaires, déjà depuis leur départ de Piltover tous n’avaient emporté que le nécessaire, sachant qu’il leur faudrait les porter eux même.
Ileae elle n’avait aucune expérience en voyage, elle avait pris avec elle tout ce qu’elle avait pu, des carnets aux outils, cependant elle ne semblait pas du tout importunée par le poids de son paquetage. À ses côtés, Bell semblait écrasée par son sac, de par sa très petite taille elle peinait, si bien que la vastaya l’avait contrainte à lui laisser une partie ses affaires.
Le groupe chemina vers l’entrée ouest de la cité, qui donnait sur les routes menant au cœur des montagnes de Targon. Bien que la chaleur reste intense, tous portaient quelques vêtements supplémentaires, qui seraient utiles lors de leur ascension. Même Clapper avait eu droit à un petit vêtement en cuir rembourré.
Tous, sauf Anna.
La montagne freljordienne, pas frileuse pour un sou, arborait son habituelle tenue de voyage. Cette dernière approchait accompagnée d’Amara, lui aussi chaudement vêtu. À ses côtés, sa monture marchait doucement, balançant son écailleuse tête pointue de gauche à droite. L’animal portait sur son dos de grands sacs, solidement accrochés, ces derniers contenaient les provisions dont le groupe aurait besoin lors des prochaines semaines.
- Tout le monde est prêt ? Demanda Anna au reste du groupe.
Tout le monde hocha la tête, paré à s’élancer à la conquête des montagnes. La lieutenante posa sur Bell un regard insistant, souhaitant confirmer que la jeune yordle souhaitait continuer dans cette direction. La navigatrice sourit, et acquiesça fermement.
Au signal de la freljordienne, le groupe s’engagea sur le chemin de terre battue, prêts à affronter ce que Targon leur réservait.
*** *** ***