Le premier Sorceleur et le dernier Chevalier
Chapitre 5 : Le premier Sorceleur et le dernier Chevalier
1397 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour il y a 2 jours
Voldrak se réveilla dans leur chambre d’emprunt, sur la couche au sol installée en sus du lit, dans lequel Shiryu gisait inanimé. Il se redressa et l’absence de vertige l’enhardit. Se mettant debout, il put constater qu’il n’avait aucun mal à conserver son équilibre. Il avait dû rester évanoui un bout de temps pour ne ressentir ainsi aucune fatigue ou autre effet secondaire de ses exactions.
Le sorceleur alla vérifier l’état de son compagnon. Le chevalier dormait paisiblement. Sa vie ne paraissait pas en danger. Un bruit dans son dos le fit se retourner. Il n’eut que le temps de voir une paire de jambes décamper bruyamment. Quelques secondes plus tard, Pyrann apparut dans l’encadrement de la porte, son fils cadet réfugié derrière sa présence imposante.
L’échevin et le louvard avaient tous deux survécu au massacre orchestré par Seleneis, mais pas l’aîné duquel ils empruntaient les quartiers. Le deuil régnait dans la maisonnée et, plus largement, dans le village, mais toute menace était désormais écartée. Charge au temps à présent de refermer les blessures physiques et d’atténuer les souffrances morales.
— De retour parmi nous ! constata le colosse. Comment te sens-tu, Voldrak ?
La familiarité quelque peu paternelle perturba le jeune sorceleur, mais il ne s’en formalisa pas outre mesure.
— Je vais bien, merci. C’est vous qui avez pansé mon ami ?
— Mon fils et moi nous sommes occupés de vous, oui. Dans la limite de nos moyens, du moins. Il faut croire que cela a été suffisant. Vous avez une vitalité exceptionnelle pour votre âge.
À ce moment-là, Shiryu remua et ses yeux s’ouvrirent. Pyrann avança vers lui et posa une main sur le front du blessé tout en fixant son regard dans le sien.
— Aucune trace de fièvre, mon garçon, annonça-t-il.
Il souleva les bandages qui recouvrait le torse du chevalier et émit un bruit appréciateur.
— Ta blessure est bien refermée. Décidément, vous êtes d’étonnants jeunes gens.
Shiryu se redressa à son tour en faisant attention à ne pas rouvrir ses plaies par un mouvement trop brusque.
— Merci pour vos soins, Monsieur, déclara le chevalier avant de se tourner vers son ami. Et merci de m’avoir sauvé la vie, Voldrak.
Ce dernier hocha simplement la tête.
— Tu es venu à mon secours quand j’ai failli, avant qu’on arrive à Vargonfels. Je ne pouvais faire moins, ton tour venu.
— Au final, tu as été la solution, admit le disciple de Dohko. Je vais pouvoir en aviser le Vieux Maître : les chevaliers ne devront pas être les protecteurs de ce monde. Les sorceleurs en auront la mission.
Voldrak grogna. Intrigués par cet échange incongru au sortir d’une convalescence, Pyrann et son fils regardaient alternativement l’un puis l’autre des jeunes garçons.
— J’ai peut-être donné le coup de grâce, mais tu as vaincu la vokudlak.
— Pendant que tu sauvais tout un village, objecta Shiryu. Et je n'ai pas totalement vaincu Seleneis. Je l’ai simplement occupée et grièvement blessée.
— Pas tout un village, corrigea le sorceleur. Il y a eu trop de morts.
— Mais tous ceux qui restent vous doivent la vie à tous deux, alors cessez cette joute stérile, les enfants, les interrompit sévèrement Pyrann.
Le qualificatif inattendu eut pour conséquence de taire les adolescents qui fixèrent le colosse avec un air de reproche.
— Bon, c’est pas tout ça, dit ce dernier, bourru. J’ai dorénavant un village à gérer, moi. Mon fils est à votre disposition.
L’expression paniquée de celui-ci fut manifeste. De quoi avait-il peur, s’interrogea Voldrak. De ne pas être à la hauteur de la tâche ? De la corvée que cela représentait ? D’eux ? Le nouveau bourgmestre prit congé, laissant les trois garçons dans un silence gêné. Son fils n'osait pas regarder les deux guerriers dans les yeux et tressaillait chaque fois que son regard tombait sur les pansements de Shiryu ou sur les fioles vides et usagées du sorceleur. Celui-ci comprit que le jeune lycanthrope se sentait coupable des séquelles que le combat contre Seleneis avait occasionnées.
Dans les jours qui suivirent, le malaise du louvard ne s’atténua pas, s’amplifiant même chaque fois qu’il devait rendre visite à Voldrak et Shiryu, malgré les efforts de ce dernier pour le faire déculpabiliser.
Quand les jeunes guerriers furent enfin totalement rétablis, ils décrétèrent ne plus rien avoir à faire à Vargonfels. Il était temps pour eux de s’en aller, de laisser les anthérions et les thérianthropes lupins rebâtir leur vie, reconstruire leur équilibre. Ils finirent donc par rassembler leurs quelques effets. Le chevalier rendossa la boîte de son armure et le sorceleur retrouva Zoryog, qui l'accueillit d’un long tête-à-tête. L'étalon transmit à son cavalier toute la joie qu'il avait de le revoir sain et sauf. Il avait été bien traité par les habitants, qui avaient fait de leur mieux pour ne pas le considérer comme une proie. L’animal était néanmoins content de quitter ce repaire de loups, ce qui amusa Voldrak.
Les adolescents allèrent faire leurs adieux aux villageois sur la place centrale. Ils acceptèrent amèrement les remerciements, obligés de faire face à la conclusion mitigée de leur quête. Alors qu'il faisait volte-face vers la sortie de Vargonfels, tenant Zoryog par la bride, Voldrak marcha sur un objet métallique. Il se baissa pour le ramasser. C'était le médaillon de Seleneis, celui-là même qui lui permettait d’enclencher ses transformations en monstre, au prix d’un peu de son sang. Dorénavant vide de toute magie, le pacte maléfique ayant été rompu à la mort de la vokudlak, l’artefact était réduit à ce qu'il devait être à l’origine : une pièce de métal en forme de tête de loup.
Le sorceleur repensa à son envie de se choisir un totem. Pied de nez à son premier véritable ennemi vaincu, il passa la chaîne autour de son cou.
Le loup ferait effectivement un très bon emblème, eût égard à cette mission. Il s’imagina fonder plus tard une école dispensant un enseignement spécialisé dans le combat à l’épée, sans armure, adapté contre de grands groupes et suivant une doctrine respectueuse de l’équilibre, de l’éthique et de l’équité. Il s’en fixa l’objectif, déterminé dorénavant à défendre, contre les menaces surnaturelles, les innocents et les vulnérables, quelle que soit leur appartenance, du moment qu’ils fussent intègres. L’École du Loup… ça sonnait bien dans son esprit.
Le disciple des Ithlind Cin'tha Morhir et l'élève de Kaer Morhen tournèrent définitivement le dos au hameau perdu dans les Monts du Dragon. Ils y avaient éprouvé leurs forces et leurs faiblesses, mais aussi leur amitié et leur complémentarité.
Shiryu était le dernier chevalier et, même s'il restait aux Cimes des Cinq Vieillards où le temps s'écoulait lentement, il arriverait forcément un jour où il ne serait plus de ce monde.
Voldrak était le premier sorceleur. Il lui revenait d’inspirer les suivants et de développer un ordre qui, dans un avenir lointain, ne bénéficierait plus de l'appui du Dragon.
Quand leur route les amena à se séparer, les deux guerriers échangèrent pudiquement une simple poignée de main. Mais dans le regard l’un de l’autre, ils lurent toute l’estime et la connivence qui à présent les liaient.
Jamais ils n’oublieraient le village de leur première mission. Jamais ils n’oublieraient la leçon qu'ils en avaient tirée. Jamais ils n'oublieraient que les apparences sont souvent trompeuses et que les créatures qu’ils étaient amenés à combattre pouvaient n'être elles-mêmes que les victimes de véritables monstres.
Mais surtout, jamais ils ne s’oublieraient l'un l’autre, pour toujours investis de la même mission : celle de protéger le Globe, de se battre contre les enfants du Chaos Primordial et pour la Justice.