Vaer aen birke - the Witcher

Chapitre 19 : Miracle

4801 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 4 mois

Année 1275, Dol Blathanna, Fidhail.

 

Le temps s'est considérablement radouci bien que l'hiver ait peu d'emprise sur la Vallée des Fleurs. Pourtant, la beauté du monde extérieur émeut peu Calened qui s'est retranché dans son palais depuis plusieurs jours. Et ce, malgré les suppliques d'Elina pour sortir un peu. Il n'a pas cédé, prétextant qu'ils devraient se concentrer sur sa formation de Sage plutôt que de vagabonder dans les prairies. La petite a fait beaucoup de progrès et est maintenant capable d'incanter des sorts mineurs. Mais elle se montre de moins en moins attentive au fur et à mesure que le temps passe.

–Aller, Elina, l'encourage-t-il, concentre-toi un peu, Qui dirigeait l'Armada Noir durant la Migration ?

– Pfff, je ne sais pas. Pourquoi est-ce que je dois étudier l'histoire de toute façon ? Quel rapport avec la magie ?

–Tu n'es pas une simple mage, Elina, répond Calened avec patience. Tu es vouée à devenir une Sage et une Sage doit connaitre ce genre de choses. On attendra de toi bien plus que des tours de magie. C'est pour ça qu'il est important d'étudier l'histoire, la génétique, l'astronomie, la politique...

–La politique, c'est bête.

–Je peux difficilement te donner tort, fait le Sage dans un gloussement. Mais il s'agit néanmoins du savoir de base pour une Érudite accomplie.

–Pourquoi est-ce qu'on reste enfermés ? se plaint la jeune demi-elfe. On faisait les leçons dehors avant, c'était bien.

–Oui, eh bien, hm, il y a beaucoup de distractions à l'extérieur, c'est important de se retrouver dans un endroit dédié à l'étude.

–Il s'est passé quoi à Belleteyn ?

Le visage de Calened s'empourpre immédiatement.

–Je ne vois pas ce que ça à faire avec la leçon...

–Mais depuis Belleteyn, vous êtes tout bizarre, on ne va plus dehors et vous sursautez dès que quelqu'un frappe à la porte...

–Je suis juste très pris par les leçons...

–Est ce que ça à voir avec le général de la Scoia'tael ? Celui qui est venu frapper à la porte et à qui vous n'avez pas voulu répondre ?

–Ça suffit, Elina, gronde le Sage, je n'ai pas à justifier la façon dont je fais les cours, c'est moi le professeur ici, toi tu es l'élève et tu ferais bien de te montrer attentive au lieu de te plaindre constamment.

Calened soudain se fige tel une statue, il reste ainsi sans bouger ni parler, sans ciller un tant soit peu.

–Calened, appelle Elina un peu inquiète. Ça va ?

–hmm oui, ça va. lui répond-il en s'animant soudain. Tu vas être contente, je viens de recevoir une convocation du palais pour une audience avec la reine. Tu as donc l'après-midi de libre, profites en pour jouer avec tes amis.

–Vrai ? Demande la petite les yeux brillants.

–Je n'ai pas pour habitude de plaisanter sur ce genre de choses. Va donc voir tes amis, tu as l'après-midi...

Il n'en faut pas plus pour la demi-elfe qui saute de la table où elle était assise avant de se précipiter vers la porte.

Calened regarde le départ de sa protégée en secouant légèrement la tête. Est ce que je fais bien ? Je n’ai jamais eu d’apprentis auparavant. Est ce que je devrais l’emmener avec moi dans les différentes sphères ? Fait-il. Est ce que c’est bien pour une jeune fille comme elle ? Ou est ce que je devrais rester dans ce monde pour qu’elle puisse se faire des amis ?

Prenant son bâton incrusté de cristaux, Calened sors à la suite d'Elina et se dirige vers le palais royal, vers le bureau privé de Francesca. Quoi qu'elle ait à dire, elle compte le faire en privé.

Alors qu'il entre dans la pièce, Calened aperçoit sans surprise les conseillers proches de la reine, Ida et Filavandrel. Ce qui le surprend en revanche, c'est la présence d'Isengrim Faoltiarna dans un coin, jouant avec un couteau qu'il lance en l'air. La lumière joue délicatement avec ses cheveux bruns et ses cicatrices lui donnent un air sauvage, sexy même. Calened s'empourpre à nouveau à ces pensées. Mes dieux, qu'est ce qui m'arrive ? Un peu de tenue, par le diable, tu es un Sage !

–Ah, fait la reine, Vous voici et bien avant tout le monde.

–Tout le monde, votre majesté ? Demande Calened, incertain.

–Oui, j'ai convoqué pour cet entretien tous les membres de la caste des Sages, je crois d'ailleurs les entendre dans le couloir.

Des bruits de pas se font en effet entendre et la porte s'ouvre sur cinq elfes, trois hommes et deux femmes. Rien en eux ne pourrait indiquer qu'ils font partie de la même caste, leur vêtements et coiffures sont très variés et vont de très distingués à complétement négligés. L'un d'eux porte un collier d'ossements et une autre une coiffe compliquée qui a surement nécessité plusieurs heures de préparation. Les couleurs de leurs vêtements varient grandement, jaune et bleu pour Ida et Calened et du vert éclatant au marron terne pour les autres. Chacun s'incline gravement devant la reine.

–Bien, j'imagine que vous devinez plus ou moins la raison de cet entretien, commence Francesca.

Plusieurs Sages hochent la tête tandis que Calened grimace, n'ayant aucune idée de quoi ils peuvent bien faire allusion. De quoi est ce qu'elle peut bien parler ? Je n'aime pas ne pas savoir, ça fait terriblement longtemps que ça ne m'est pas arrivé.

–Bon, autant commencer cet entretien par une nouvelle forte fait la reine en se massant les bras. Je suis enceinte.

–Quoi ? Fait Calened incapable de se contenir.

Les autres Sages hochent la tête tandis que d'autres affichent des yeux ronds, tout aussi surpris.

–Majesté, vous êtes sûre ? Demande Calened. À votre âge, cela parait plus qu'improbable

–Je suis sûre, j'ai fait tous les tests médicaux et magiques possibles, il n'y a pas à douter, j'ai bel et bien un bébé en moi. Et je ne suis pas la seule, mes agents me rapportent de nombreux cas similaires au mien : Des elfes trop âgées pour avoir des enfants se retrouvent soudainement enceintes de plusieurs jours. Et ce à travers tout le pays. En fait, il semblerait qu'il n'y ait pas une elfe adulte qui ne soit pas, comme disent nos amis nains, avec un berlingot dans le tiroir.

–Mais comment... demande l'un des Sages. Cela va à l'encontre de notre biologie, aucune elfe de plus de cent cinquante ans ne peut avoir d'enfants, même en ayant un amant humain. C'est impossible.

–Et pourtant nous en sommes là. Dit la reine. Quant à savoir comment c'est possible, nous n'avons que des théories. Mais d'après tous les tests, cela remonte à la nuit de Belleteyn.

–Serait-ce possible... Fait Calened, que ce soit une intervention divine ? Je me souviens ce soir-là, j'ai cru apercevoir la Reine des Champs par-delà le feu de Belleteyn, elle était accompagnée d'un faon et du plus gros hérisson que j'aie jamais vu et son visage était serein comme le printemps.

–C'est le plus probable, commente Filavandrel. De nombreux témoignages disent avoir aperçu Dana Meadbh lors de cette nuit et qui d'autre que la déesse de la fertilité pourrait ainsi nous bénir ? Nous n'avons plus à craindre le futur causé par la folie d'Aelirenn, nous sommes sur le point de voir naitre toute une nouvelle génération d'Aen Seidhes.

–Dame Ida, êtes-vous également ...? Demande l'Érudit au collier d'os.

La Sage ne répond pas, se contentant de triturer sa ceinture verte. Mais son visage rosit et un sourire comme on lui en voit rarement, apparait, un sourire de pure joie.

–Mes Sœurs, mes Frères, fait Francesca en se levant. Nous avons œuvré pour donner un nouveau futur à notre espèce et maintenant grâce à l'intervention de la Vierge du Printemps, ce futur n'en devient que plus prometteur... et dangereux car les enjeux viennent brusquement de s'accroitre. Et un ennemi mortel s'approche de nous au-delà du Pontar. Nous devons lever une armée mais nous devons aussi penser au futur et éviter les erreurs passées. Aussi, je propose que toutes les femmes, hormis les magiciennes, soient exclues des combats.

–Exclure les.... Majesté, vous n'y pensez pas, s'exclame Isengrim, Ce serait couper de moitié nos effectifs. Et je peux d'emblée garantir que ça ne plaira pas à beaucoup d'entre elles.

–Je le sais bien mais il faut à tout prix préserver ce magnifique cadeau de la déesse et protéger cette nouvelle génération de tout danger.

–Même en conscrivant et en entrainant tous les hommes de Dol Blathanna, nous arriverions à une armée de trois milles soldats. C'est bien peu.

–Peut-être mais c'est tout ce que nous sommes capables d'offrir. Il n'y a plus qu'à espérer que les autres races pourront combler le nombre qui nous manque. Nous avons d'ailleurs décidé d'un nouvel entretien avec Hen Uniade afin de nous préparer pour Radovid. Un émissaire Nilfgardien sera aussi présent.

–Ah, Nilfgaard, soupire Filavandrel, Et que veulent-ils ? Notre soumission à ne pas douter.

–Surement, en échange de leur protection, je parie, renchérit Calened. Nous ne pouvons pas accepter, ce serait renoncer à tout ce pourquoi nous nous battons.

–Le Conseil en jugera, asséna Francesca, nous pourrions bien ne pas avoir le choix.

–Si je peux me permettre, ma reine, il me vient une idée, une solution peut-être pour renforcer nos rangs.

La reine des elfes fait un geste de la main, invitant le Sage à poursuivre.

–Je pense que nous ne devrions pas recourir à l'aide de Nilfgaard mais nous pouvons toujours demander de l'aide à nos cousins, les Elfes des Bois, qui vivent dans l'empire. Leurs colonies ont moins souffert de l'expansion humaine que nous. Nous pourrions leur demander de l'aide.

–Quoi, juste à cause de notre lien de parenté ? Ces colonies ne sont-elles pas soumises à Nilfgaard ? N'ont-ils pas un représentant au Sénat ?

–Si fait, ma reine mais ils conservent une certaine autonomie. Ils peuvent nous envoyer une armée si l'empereur ne s'y oppose pas. Nous pourrions aussi demander de l'aide aux Nains et aux Gnomes de Tir Tochair dans le sud. Le pire qui puisse arriver est un refus

La reine se perd dans ses pensées, tapotant son bureau de ses ongles manucurés avant de se redresser.

– Très bien, j'en parlerai au Conseil à notre prochaine séance, si les dieux le veulent, nous obtiendrons ainsi de précieux renforts.

–Quand aura lieu la prochaine assemblée ? S'enquiert Filavandrel

–Dans moins d'une semaine. Ce qui me laisse le temps d'envoyer un messager parlementer avec les elfes du sud. Avec de la chance, ils seront sensibles à notre détresse. Vous pouvez disposer. À part Filavandrel, nous avons des choses à discuter.

Tous les elfes s'inclinent à l’exception de Filavandrel et sortent. Une fois la porte refermée, le seigneur elfe se tourne vers Enid.

–Eh bien, me Rhena, dit-il en scrutant profondément la reine. De quoi voulez-vous parlez ?

–Oh, tu sais très bien de quoi, nous n'avons pas eu le temps de discuter de ce qui s'est passé à Belleteyn ni de ça, fait Francesca en désignant son ventre.

–Ça est un merveilleux don et la solution à ton problème de succession. Tu ne vois pas ? Nous n'avons plus à craindre de voir les familles nobles s'entredéchirer pour le pouvoir, tu as maintenant un héritier ou une héritière.

–Je sais cela. C'est ce qui m'inquiète, est ce que je serai capable de le ou la protéger contre les vautours qui tournent autour de mon trône ? Si jamais il m'arrive quelque chose...

–Je serai là pour protéger l'enfant, dit l'elfe aux cheveux blancs, mon clan sera là, nous ne laisserons rien de grave leur arriver.

Enid relève la tête et regarde Filavandrel de ses yeux de verre. L'inquiétude les fait miroiter

–Et est-ce que... cette nuit-là....

–J'ai pensé chaque mot et chéris chaque moment passé à ton côté. Il y a plusieurs années de cela, je regardais les miens dépérir à petit feux, victimes de la faim ou de la maladie. Et puis, tu es venue, tu as obtenu de nouvelles terres pour les elfes, sauvé mon peuple et offert l'espoir. Ce n'est pas rien, Enid, et je t'aime pour cela, pour ton courage, ton intelligence. Être le père de ton enfant m'honore et me remplit de joie. Et maintenant, je ne désire rien tant que passer le reste de ma vie avec toi, à élever cette enfant ensemble comme une famille.

–Filavandrel, qu'est-ce que tu....

Le seigneur elfe fait voler ses robes autour de lui avant de poser genou à terre et prend la main de la reine dans la sienne.

–Me Enid, me Rhena, je désire partager avec toi les joies et les peines que la vie aura à nous offrir. Moi, Filavandrel de la Maison des Feleaorn des Vaisseaux Blanc et des Tours d'Argent, te demande officiellement de m'épouser.

Filavandrel glisse dans la main de Francesca une fleur, une rose d'un violet profond. La fleur parait fraiche comme si elle venait juste d'être cueillie.

–Une Rose de Souvenance, murmure le seigneur elfe, offerte à quelqu'un que l'on aime et la fleur vivra éternellement. Et l'éternité est le temps que je désire partager avec toi.

Francesca prend délicatement la fleur pour l’examiner au soleil. Les Aen Seidhes capables de cultiver ces fleurs sont rares et pour les elfes, elle est la plus grande marque d'amour possible. La rose donne l'impression qu'elle restera fraiche et en fleur pour toujours. Enid baisse les yeux vers Filavandrel, toujours à genoux, qui la regarde avec des yeux emplis de tendres sentiments. La reine s'autorise à sourire, l'un de ses rares sourires qui illuminent les pièces et fait vaciller les cœurs. Ou, en tout cas, celui de Filavandrel. Francesca se penche et caresse la joue de l'elfe sereinement

– oui, répond-elle dans un murmure.

Pendant ce temps, Calened marche d'un pas vif vers la sortie du palais, bousculant au passage serviteurs et nobles. Alors qu'il atteint la grande porte, quelque chose attrape son bras et le retient. Alors qu'il se retourne, il voit qu'il s'agit d'Isengrim qui tient fermement son bras.

– Un instant, Sage, il y a quelque chose dont j'aimerais vous parler... en privé.

–Général... il faut que je retourne chez moi, mon apprentie m’attend...

–Je suis sûr qu'elle peut attendre encore un peu. Ça fait des jours que vous m'évitez mais je pense qu'il est important que l'on parle.

Autour d'eux, les murmures et les messes basses des nobles qui leur jettent des regards en coin, intrigués et curieux.

–Il y a une pièce vide pas loin, venez, nous pourrons en parler là. Après, je ne vous embêterai plus, je vous le jure.

Calened ne parvient pas à trouver la volonté de résister et se laisse guider par Isengrim vers une petite pièce destiné aux serviteurs. Les deux elfes se fixent, embarrassés, sous la lumière de la seule fenêtre de la pièce.

–Eh bien, fait Calened avec effort. De quoi voulez-vous donc me parler ?

–Enfin, vous savez bien, répond Isengrim avec une pointe d'agacement. De ce qu'il s'est passé entre nous lors de Belleteyn.

–C'est... commence Calened. Enfin, qu'y a-t-il à en dire ? Nous étions sous l'enchantement de Dana Meadbh, nous ne contrôlions pas nos gestes... ou nos esprits. Ça ne veut pas dire grand-chose.

–Pas grand... Pour moi, si, ça voulait bien dire quelque chose. Quelque chose de profond que je ressens depuis des mois.

Calened lui jette un regard surpris par sa soudaine véhémence.

–Je ne... commence t'il

–Je n'ai pas compris, le coupe Isengrim, pas au début, je vous pensais comme les autres Mages, distants et arrogants, toujours à manigancer quelque chose en secret pour servir votre soif de pouvoir, je pensais que vous vouliez vous servir de nous, de la Scoia'tael comme Enid autrefois.

–Eh bien, c'est plus ou moins...

–Oui, j'ai bien vu que vous êtes un manipulateur mais vous le faites pour le plus grand bien, vous faites de votre mieux pour éviter les bains de sang, quitte à vous impliquer personnellement. Parce que vous vous préoccupez des autres, même de nos ennemis. Et cela, j'admire cela chez vous.

Calened reste complètement interdit mais le général n'en a pas terminé.

–Je sais que vous avez vos responsabilités en tant que Sage, tuteur et conseiller mais ne voudriez-vous pas nous donner une chance ? Dites-moi que vous ne ressentez rien pour moi et nous en resterons là. Si vous pensez... Si vous n'êtes pas....

Le silence s'installe entre eux deux pour ce qui semble être une éternité. Ce n'était pas prévu, je n'ai pas prédit cela... Et avec tous mes devoirs.... Oh Dieux, qu'est-ce que je vais répondre.

–Isengrim... dit enfin Calened sur un ton hésitant. Je ne sais pas, la nuit de Belleteyn fut si confuse, je ne sais pas ce que je ressens pour vous.

–Alors ne serait-il pas intéressant de le savoir ? Je ne vous demande pas de m'épouser mais de sortir avec moi pour boire un verre, discuter afin d'apprendre à mieux nous connaitre ?

–Mais je suis si vieux et vous si jeune, ne préfériez-vous pas... ?

–Votre âge ne me dérange pas, je vous aime tel que vous êtes... Ah, je ne voulais pas dire ça à voix haute. Mais tant pis, je le pense, je le ressens. Et vous, Calened ? Est-ce que vous voudriez bien nous donner une chance ?

Ce n'était pas prévu, comment ça se fait que mes visions ne m'ont pas prévenu ? Et il y a une telle différence d'âge entre nous deux... Oh et puis zut, pourquoi pas ?

–D'accord, fait Calened. Je veux bien prendre un verre avec vous.

Isengrim sourit et son sourire éclipse toute lumière.

–Très bien, quand pensez-vous être libre ?

–Je... peux l'être demain.

–Fantastique, disons 18 heures ? parfait.

Isengrim s'avance puis recule, de l'incertitude dans les yeux, puis il se décide et glisse vers la porte non sans au passage caresser la main de Calened du bout des doigts. Des courants électriques fusent à travers les veines du Sage à ce léger contact et parcourt tous son corps vague après vague.

Calened ne peut s'empêcher de fixer la porte par lequel Isengrim vient juste de disparaitre.

Ô mes dieux, qu'est-ce que c'était que ça ? Se demande-t-il, les mains grippées sur ses robes. Il reste un instant complétement interdit avant de se ressaisir et rentrer chez lui précipitamment.

Dans la cité, Elina a retrouvé ses amis dans l'un des grands jardins, l'un de ceux que les ménestrels visitent souvent.Plusieurs enfants elfes et demi-elfes jouent à l'ombre des grands arbres fleuris. Des adultes se trouvent également présents écoutant des bardes ou conversant les uns avec les autres mais un œil acéré notera les nombreux regards en coin que les adultes jettent en direction des enfants.

–Medlinne, Arenas, appelle Elina en se mêlant à la bande.

Deux demi-elfes se retournent aussitôt et lui sourient. Medlinne est une fillette aux cheveux blonds et des yeux couleurs pastel. Avec ses yeux en amandes et ses traits fins, elle passe facilement pour une elfe de sang pur s’il n'y avait ses canines. Arenas tient plus de son père humain, son visage est aussi rond que ses yeux qui arborent une chaude couleur chocolat. Ses cheveux noirs sont coupés court dévoilant deux petites oreilles légèrement pointues.

–Elina, s'écrie Medlinne d'un ton joyeux, qu'est-ce que tu fais là ? On ne t'a pas vu depuis des jours.

–Je sais, mon maitre ne voulait pas me laisser sortir, il voulait que je me concentre sur mes études parce que c'est important.

–On avait fini par croire que tu ne voulais plus de nous tout occupée avec ton grand destin de Sage, dit Arenas en baissant les yeux vers Elina.

–N'importe quoi, je voudrais toujours de vous. Comment ça va dans vos familles ?

–Très bien, dit Medlinne les yeux pétillants avant de faire un grand geste en direction d'un couple d'elfes sur un banc qui lui renvoient le signe. J'ai toujours droit à des friandises et ma maman aime beaucoup les câlins... Ma maman, tu te rends compte ? Et je vais avoir un petit frère ou une petite sœur.

–Tu en as de la chance d'avoir des parents qui t'aiment. Fait Arenas avec une pointe d'amertume. Les miens m'ont choisi parce que les autres enfants avaient l'air encore plus humains que moi. Et maintenant, ils sont tous concentrés sur la grossesse de ma mère.

–Allons, je suis sûre que c'est dans ta tête...

–Pas du tout, ils ne sont même pas là, dans le jardin. Ils s'en foutent de moi, ils m'ont adopté uniquement parce qu'ils pensaient que ma mère n'aurait jamais d'enfants. Mais maintenant, elle en a un et je compte plus.

–au moins tu as des parents, fait Elina. Moi, j'ai un maitre qui me fait bosser dur pour apprendre la magie et les runes, et l'histoire et la politique...

–Alors c'est vrai ? Tu es une magicienne ? Demande Medlinne. Tu as appris quoi comme tours ?

–Je ne suis pas une magicienne, je suis une Sage, mon maitre insiste tout le temps que ce n'est pas la même chose.

–Mais tu peux faire de la magie, n'est-ce pas ? Qu'est-ce que tu peux faire ? Faire voler les pierres ? Changer les couleurs des plantes ?

–Pfff, ça tous les mages et ménestrels le font, fait Arenas, non, il doit t'apprendre autre chose pas vrai ? Des sorts de Sages secrets auquel les mages ordinaires n'ont pas accès. Alors Sage, montre-nous un peu de ta magie.

–Je ne suis pas censée le faire, hésite Elina, Mon maitre répète tout le temps que ma magie doit servir une plus grande cause...

–Ah, tu vois ? Je t'avais dit qu'elle s’estimait trop importante maintenant pour nous. Elle veut juste qu'on l'admire sans qu'elle fasse quoi que ce soit pour le mériter.

–C’est pas vrai !

–Prouve le alors !

Les joues rouges d'Elina enflent tandis qu'elle souffle avec extravagance. Ils vont voir ce qu'ils vont voir, se dit elle dans sa tête. Elle recule de trois pas et ouvre son esprit comme Calened lui a appris. Elle sent la Force battre en elle et elle s'en saisit, formulant un sort dans sa tête.

Rien ne se passe. Elina relève la tête, les yeux grands ouvert allant de droite à gauche. Elle se met à scander la formule de plus en plus fort.

–Eh ben alors ? Demande Arenas, il se passe quoi ? Elle est où la magie ?

–Je ne comprends pas balbutie Elina, la pointe des oreilles rouge. Je fais tout correctement, je ne...

–Ouais, où alors les Sages se trompent et tu n’as pas ce qu'il faut pour être l'un d'eux, raille Arenas

–Si, Calened l'a dit, j'ai les cauchemars et tout, je...

–Eh bah s’il suffit de faire des cauchemars, pourquoi je suis pas Sage, moi ? Je devrais peut-être me présenter à la candidature

Les autres enfants elfes et demi-elfes se mettent à rire devant les pitoyables efforts d'Elina pour invoquer la magie.

–Avoue le, t'es pas une vraie Sage ou alors tu es juste nulle.

–Ou tu es nulle, juste nulle, se mettent en scander les autres enfants en riant.

Le visage rouge, Elina n'entends plus que ces mots qui tournent autour d'elle et viennent de partout. La tête lui tourne, ses joues lui font mal et une grande douleur s'installe dans ses boyaux

Et en un cri, tout explose. Une décharge d'énergie fait voler en l'air les jeunes enfants, les précipitant à terre. Des fissures apparaissent sous les pieds d'Elina et s'étendent en lézardant. La jeune demi-elfe continue de crier, un son surnaturel et métallique. L'eau des fontaines s'envole dans les airs tandis que les arbres se mettent à tanguer violemment, une tempête de pétales de fleurs entourant tout le jardin. Effrayés, tous les adultes se jettent à terre, les parents essaient tant bien que mal de récupérer leurs enfants. Les ménestrels présents incantent en direction d'Elina mais leur pouvoir est comme une goutte de pluie luttant contre un orage. Le cri d'Elina ne cesse de s'élever, des branches d'arbres commencent à craquer et les fontaines à se fissurer.

Dans la tourmente, une voix forte se fait entendre et une grande Force s'attaque à la spirale de fleurs, d'autres voix et pouvoirs se joignent au combat et la tempête commence enfin à s'affaiblir. Les arbres cessent de tanguer et les lézardes de se répandre. Toute épuisée, Elina se laisse mollement tombér au sol et le monde devient soudainement sombre.

Elle se réveille dans les bras de quelqu'un et en remontant les yeux, elle vit qu'il s'agit de Calened qui la scrute avec inquiétude.

–Elina ! Est ce que tout va bien ?

Seul un rauquement lui répond et aussitôt le Sage scande une incantation, faisant apparaitre dans sa main une coupe d'eau. Il relève délicatement la tête de la jeune fille afin qu'elle puisse boire. L'eau se répand, bienfaisante, dans son gosier desséché et elle parvient à se redresser.

Une scène de carnage se dévoile devant ses yeux, l'eau s'écoule mollement des fontaines détruites et de nombreux arbres du jardin sont abimés, leurs branches cassées et leurs fleurs jetées à terre. Plusieurs elfes sont blessés, surtout les enfants autour desquels s’affairent des adultes complètement affolés.

–Oh non, c'est moi qui ai fait tout ça ? Demande Elina.

–Oui, répond Calened, un spectacle plutôt impressionnant.

–Impressionnant ? Impressionnant ! répète un parent furieux en pointant un doigt accusateur vers Elina, c'est tout ce que vous trouvez à dire devant les dégâts qu'elle à causer ? À cause d'elle, de nombreux enfants sont blessés.

–Elina, je veux que tu me dises précisément ce qui est arrivé ici, Demande Calened le visage fermé.

Et la petite lui raconte alors les taquineries d'Arenas et son incapacité à lancer un simple petit sort jusqu'à ce que tout explose.

– Je vois, c'est normal, Elina, les Sources n'ont pas un contrôle inné de leur potentiel magique, cela vient avec de la pratique et de l'expérience. Mais parfois, surtout dans les moments de stress, cette magie peut soudainement se manifester avec des résultats... chaotiques.

–Mais, et les autres, s'enquit la petite demi-elfe, je ne les ai pas...

–Ils vont bien, ils s'en remettront, regarde

Autour d'eux, des mages s'appliquent à faire disparaitre les fissures du sol et à réparer les fontaines et les bancs. Les arbres sont soignés et de nouvelles fleurs poussent sur leurs branches. Les blessures et bobos des enfants sont vite guéris par la magie.

– Tu vois, plus de peur que de mal. Et toi, là, Arenas ! interpelle Calened, que cette mésaventure te serve de leçon à toi aussi, on ne se moque pas ainsi de ses camarades et surtout pas d'une source, ce n'est simplement pas prudent.

–Je... je ne le ferai plus, c'est promis bégaye le jeune demi-elfe.

Les jeunes enfants se précipitent hors du jardin, certains en larmes escortés par leurs parents qui adressent un regard sévère au Sage et à sa jeune protégée. Elina baissa les yeux, honteuse.

–Ne t'en fais pas, avec le temps, ils te pardonneront, lui dit Calened en hochant la tête. Viens, rentrons à la maison, tu mérites quelque chose de frais pour te remettre de tout ça. À propos, Elina, quel a été l'une de mes premières leçons ?

La petite ne répond pas, le nez vers le sol, les joues rouges.

–Tu ne dois jamais puiser la force en toi, seulement dans les sources naturelles, ça a été ta première erreur aujourd'hui et de loin la plus dangereuse, tu prends de sérieux risques pour ta santé en le faisant.

–Pardon, je ne le ferai plus, maitre.

–Pas la peine de devenir toute formelle pour ça, veille juste à ce que ça n'arrive plus et je serai content.

Sur ce, il lui prit la main et s'en alla vers la maison.


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