Les contes de l'Oie Saoule

Chapitre 40 : L'otage du Harad - Malédiction !

1216 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 14/08/2019 09:12

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Un hurlement déchira la quiétude de la demeure. Haletant et en nage, Hadhar se redressa sur son séant, dans la nuit noire d’encre. À côté de lui, son épouse découvrit fébrilement sa petite lampe à huile :

– Encore ce cauchemar ?

En effet…

Depuis des semaines, depuis ce matin terrible, des tourments insupportables le tiraient d’un sommeil agité. À son réveil, le cadir épuisé ne se souvenait que d’un visage grimaçant, une vieille femme aux cheveux se tordant comme des serpents, qui l’observait en silence.

Hadhar but un peu d’eau de fleur d’oranger. Il écouta un moment les bruits de la nuit. Un fennec glapissait dans les collines, sonnerie nocturne aigrelette appelant de l’au-delà les esprits maléfiques. À bout de force et pourtant incapable de replonger dans le sommeil, il se recoucha, en rassurant son épouse.

La journée ne lui apportait pas plus de repos. Dans les collines, lorsqu’il inspectait ses troupeaux, il se sentait suivi. Où qu’il se rendît, on l’épiait : durant ses ablutions rituelles, à l’étude ou sur la place du village, il sentait un regard accusateur dardé sur sa nuque. Parfois, au beau milieu de la rue ou en plein repas, il se retournait brusquement, ne saisissant que le néant et semant le trouble autour de lui. Il échouait à débusquer qui le poursuivait de ses reproches silencieux.

On commença à se défier de lui. Sa fille adorée, particulièrement, avait pris ses distances.

Pourtant, les affaires de la tribu s’étaient un peu améliorées, ils subissaient moins de vols de bétail ou de marchandises. Et les troubles dans les montagnes semblaient s’éloigner.

Mais le cadir, fébrile, sentait venir la catastrophe, il était en proie à un malaise qui grandissait en lui. Un œil gigantesque semblait l’épier constamment – le soleil le jour et cet horrible visage la nuit !

Il avait beau se dire que son coup de sang n’était qu’un juste châtiment pour tous les torts que sa tribu avait subis ! Mais il avait dû, pour cela, transgresser une des lois inviolables de la Déesse : l’hospitalité ! La vie et la dignité de son hôte étaient sacrées et tout autant celles de l’hôte de son hôte !

Comme les choses allaient de mal en pis pour le misérable cadir et que toute la tribu ne parlait plus que de cela – sans jamais oser le lui avouer, bien entendu ! – un matin la famille vint, en procession, demander l’intercession de l’Oncle.

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Le vieillard, du fond de son lit de douleur, s’était déjà fait son opinion. Il fit donc mander Hadhar et lui expliqua que ses terreurs n’étaient que sa conscience qui le travaillait. Cette sensation d’une présence, permanente, odieuse et supérieure, n’était que l’expression de la culpabilité qui habitait Hadhar. Ce sentiment était fort noble, il honorait le cadir, mais il fallait maintenant songer à le dépasser – avec l’aide de la Déesse, bénies soient Ses larmes !

Hadhar secoua tristement la tête. Il n’avait pas toute la science de l’Oncle ! Bien sûr, il comprenait cette histoire de culpabilité… Mais ce qui lui importait, c’était qu’on lui dît quoi faire pour que la Déesse lui pardonnât ! Mille grâces à Son effigie !

L’Oncle hocha la tête, tâchant de sonder le visage de son neveu, à travers ses pupilles malades. Il sourit pour lui-même et reformula patiemment :

– Hadhar, cher fils de mon frère aîné – que la Déesse le reçoive en Son sein ! Tu te sens – à juste titre – coupable d’une profanation ! Tu as courageusement pris sur toi seul, tout le poids de cette transgression, que le devoir t’avait pourtant imposée ! Par conséquent, il est inévitable que la Déesse – Infinie est Sa sagesse ! – ne t’en tienne compte à la fin ! La rédemption est possible ! À présent, il te faut expier cette malédiction !

– Mais comment, ô Lumière de notre tribu ?

L’Oncle soupira. Son neveu était un homme droit mais simple. Il ne pouvait l’aider qu’en respectant les convictions profondes du malheureux. Le vieux malade souffla d’une voix de basse, élevant bien haut son doigt humecté d’eau lustrale :

– En faisant le plus grand sacrifice dont tu sois capable !

Hadhar, soulagé, redressa le buste et lança d’un air naïf, presque joyeux :

– Je vais immédiatement préparer mon pèlerinage au Tell de la Déesse !

L’Oncle tonna de ses coussins comme la prophétesse du haut de sa montagne :

– Ne dis pas de sottise, mon neveu ! C’est là un acte de piété admirable, mais c’est aussi ton vœu le plus cher ! Alors où est le sacrifice ? Penses-tu ainsi berner la Déesse – Grande est Sa miséricorde, mais tout de même ! Réfléchis mieux que cela !

Évidemment, l’Oncle avait raison… Une lutte se déroulait dans l’âme meurtrie du cadir. Après une longue hésitation, Hadhar trouva le sacrifice ultime. Il murmura d’un air vaincu :

– … je ne sacrifierai pas mes enfants…

Avec une petite larme à l’œil, l’Oncle répondit, de sa voix grave et rassurante :

– … et tu fais bien, car leurs vies n’appartiennent qu’à la Déesse ! Tu viens de gravir la première marche de l’escalier sans fin de la sagesse ! L’on ne sacrifie pas la vie, pas même la sienne ! À présent il te faut rentrer en toi-même et trouver ce qui te tient le plus à cœur…

– … Éclaire-moi de ta sagesse, ô mon Oncle ! Que me suggères-tu ?

L’Oncle fit semblant de réfléchir longuement. Bien qu'il fût presque aveugle, il était certaines choses qu’il voyait très clairement. Enfin, il énonça d’une voix forte, au ton définitif :

– Gloire à Sa clairvoyance ! La Déesse m’a éclairé et t’ordonne par ma bouche, d’entreprendre un pèlerinage auprès du Roi de Gondor et d’obtenir de lui la grâce de ton fils ! Tu devras faire preuve de courage, d’intégrité et de mesure, tu observeras scrupuleusement la loi du Roi et, si tu en es digne, tu obtiendras le retour de Khandar ! C’est ainsi que te sera accordé le pardon de la Déesse, car notre tribu a besoin de ton fils et des hommes retenus au Gondor !

L’oracle était prononcé.

Il n’y avait pas à y revenir.

Pourtant, Hadhar ne comprenait pas bien en quoi mêler les Gondoriens aux devoirs envers la Déesse…

L’Oncle rétorqua, d’un ton sec et sans appel :

– « Tu ne comprends pas ? Eh bien voilà le véritable sacrifice ! Il te faut renoncer à certaines de tes convictions ! »

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A suivre...

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