La maraude du Vieux Touque
Chapitre 50 : Ors et flammes - Créatures
4452 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 14/03/2020 11:01
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Le magicien voulait partir ?!
Thráin se sentit trahi au moment où l’aide de ses alliés s’annonçait la plus nécessaire. Mais Gandalf ne se laissa pas fléchir, malgré les supplications du grand nain.
- Vous imaginez-vous qu’un magicien n’a rien d’autre à faire que surveiller les arrières d’une clique de rêveurs ? Des affaires importantes réclament mon attention !
- Mais allez-vous revenir ?
- Soyez rassurés ! La reconquête d’une place forte est une chose trop grave pour être confiée à quelques gros bras médaillés de longues barbes !1 Je ne crois pas sage de vous laisser livrés à vous-mêmes pendant trop longtemps…
Thráin ravala son dépit :
- Mais nous nous trouvons loin de tout ! Vous allez mettre une éternité à aller et venir, où que vous souhaitiez vous rendre !
- Si c’est là un moyen détourné de me demander où je me rends, vous en serez pour vos frais ! Un magicien n’est jamais à court de ressources, surtout lorsqu’on s’y attend le moins ! Ne cherchez pas à percer nos tours et mystères, mon cher Thráin !
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Comme convenu, le lendemain matin Gandalf les quitta sur le perron, lançant au-devant de lui une petite grive pépiant, apparemment ravie que le magicien reprît ses pérégrinations.
- Puissiez-vous vous entendre avant, pendant et après les ennuis, sans trop les provoquer vous-même ! Et veillez à ne pas trop abîmer monsieur Touque ! lança-t-il à l’adresse des deux capitaines.
Peut-être le sage devinait-il que le hobbit, aimé et respecté de tous, pouvait jouer malgré lui un rôle conciliateur dans cette entreprise périlleuse. Gandalf s’éloigna de son pas régulier, faisant tinter son bâton sur les pavés du pont. Gerry le salua de la main tandis que se serrait son petit cœur et que le magicien disparaissait sans se retourner.
Thráin se résigna donc à lancer son expédition sans le magicien. Arathorn profita de la présence de la compagnie au grand complet pour mener une des manœuvres de manipulation dont il avait le secret. Il se présenta à Thráin, flanqué de Bera et Gerry, lui proposant leur aide dans l’aventure. Il argumenta que leur trio serait un atout décisif pour l’expédition, les trois autres dúnedain étant certes nécessaires pour assurer la garde de leur base arrière. La fureur guerrière de la femme, l’escrime impeccable du rôdeur et les étranges talents de cambrioleur de Monsieur Touque étaient bien présents à l’esprit du grand nain.
Les Khazad, réunis autour de leur chef, attendaient sa décision. Arathorn ajouta, avec un petit salut courtois, qu’il serait honoré de servir sous les ordres du Roi sous la Montagne. Thráin fit la grimace : il n’avait plus guère le choix. Ne pouvant décemment pas refuser l’offre présentée de façon réfléchie et généreuse, et donna son accord du bout de la barbe.
Aussi la compagnie s’arma-t-elle pour la guerre souterraine. Les arcs furent remisés au profit des haches lourdes et de boucliers aux neuf peaux du peuple de Durin. Des torches, quelques pics, ciseaux à pierre et poudre à mortier complétèrent l’attirail, outre les vivres et l’eau pour une journée de marche.
Gerry reçut sa part d’attirail, mais Arathorn ne lui laissa que sa nourriture à porter :
- Les nains se moquent des fardeaux, mais le hobbit furète le pied léger et l’oreille aux aguets !
La compagnie s’ébranla, saluée par les dúnedain aux visages graves. Ils cheminèrent en silence jusqu’à la porte que Thráin avait fait lever. « En silence » signifie simplement qu’ils ne prononcèrent aucune parole, mais une douzaine de nains bardés de fer ne peut s’empêcher de produire divers cliquetis, grincements, frôlements, et autres crissements à chaque pas. Enfin ils se trouvèrent face à la porte qui donnait vers les galeries nord, et qu’ils avaient eux-mêmes érigée.
Thráin sortit cérémonieusement une grande clé ouvragée et brillante. Il la glissa dans la serrure et s’escrima. Le mécanisme résistait. Lorsque Nár ajouta sa puissante poigne à celle de Thráin, la serrure céda brusquement. Mais la porte resta fermée.
Pour ouvrir le battant de chêne recouvert d’acier, les nains durent alors imprimer une poussée comme seule une escouade naine soudée par les liens du sang peut le faire. Soudain un grand fracas retentit, et sept nains se retrouvèrent pêle-mêle entassés à quelques pieds au-delà du battant qui baillait.
Quelques rires fusèrent de la mêlée de fer écroulée, mais s’étranglèrent lorsque les torches révélèrent des traces étranges. La roche semblait avoir brûlé, et par endroits fondu en larges coulées visqueuses. L’épaisseur d’acier martelé qui recouvrait la porte côté nord était striée de boursouflures fumantes qui avaient soudé la porte à son montant forgé. La force réunie d’une escouade de Khazad avait été nécessaire pour la faire céder. Les nains contemplèrent les dégâts en silence, l’étonnement cédant le pas à l’anxiété. Thráin lança d’un air de défi, qui se voulait optimiste :
- Quoi que puisse être cette créature, elle ne sait pas déverrouiller nos portes !
Le grand nain ordonna cependant de la renforcer. La face sud de la paroi fut doublée d’une épaisseur de pierre et d’un système d’isolation dont Nὸrin détenait le secret. Cette opération prit quelques heures durant lesquelles Bera, Gerry et Arathorn, aidés des nains désœuvrés, explorèrent un peu les environs.
La galerie semblait s’être effondrée à l’endroit où elle traversait une cavité plus importante. Des pans entiers de plafond écroulés bloquaient le passage en formant un dangereux labyrinthe. Gràr s’en aperçut ; il s’y fit hisser par une Bera complaisante pour examiner longuement les arrêtes de cassure de la roche. Lorsque Thráin revint, l’esprit dégagé d’avoir renforcé et sécurisé la porte, Gràr lui révéla son étrange découverte :
- Le plafond de cette salle a été volontairement détruit par des feux de mine ! Je dois dire qu’ils n’ont pas été placés très judicieusement. Cela me parait du travail bâclé… de la besogne d’orque, si je devais deviner.
La révélation pesa sur la compagnie. Pourquoi les gobelins avaient-ils miné un passage ? Pour occire les occupants ? Les gobelins craignaient donc ce que dissimulaient les profondeurs de Barum-Nahal…
Thráin avait le cœur lourd, mais il n’en laissa rien paraître :
- Quelqu’un, probablement des gobelins, a ressenti le besoin d’isoler ce qui se cache dans ces tunnels. C’est bon signe ! L’esprit de la montagne aura chassé nos ennemis !
L’enthousiasme et la foi de Thráin eurent plus d’effet sur ses compagnons que la pertinence de ses arguments. Les nains se réfugièrent à nouveau dans le travail, dégageant un passage à travers les décombres et consolidant le faîte de la salle. Les heures passèrent, laborieuses, tandis que Bera, Arathorn et Gerry montaient la garde pour protéger les nains qui se relayaient. Màr eut l’idée d’installer une sorte de herse, un piège qui ferait s’abattre un lourd panneau pour bloquer le passage, en poussant simplement une cale. Thráin approuva gravement. Enfin le passage fut sécurisé. Les nains bouillaient d’aller de l’avant. Arathorn avait anticipé cette impatience, mais il était tard. Il avait donc chargé Gerry d’une tâche que le candide hobbit mena à bien avec son aplomb habituel : suggérer aux nains de reporter l’expédition au lendemain matin.
Thráin ne se laissa convaincre qu’à la condition que Gerry effectuât immédiatement une petite reconnaissance. Arathorn, pris à son propre piège, ne put refuser et proposa à Gerry de l’accompagner. Mais le semi-homme, vexé de s’être fait manipuler et peu désireux de partager la compagnie d’une grande gens, lourd et bruyant, dans des circonstances où finesse et discrétion étaient requis, déclina l’offre sans ménagement.
Notre hobbit se retrouva donc une fois de plus contraint au dur et solitaire métier de héros. Il puisa un peu de courage dans la présence réconfortante de son anneau et dans l’espoir que cette fois rachèterait toutes les autres, s’il pouvait découvrir un trésor... Il partit en avant du pas feutré de la belette, sans lumière et mains nues pour tâter les obstacles devant lui. Au bout de quelques pas, il sortit son anneau et constata que les petites pierres irradiaient bien peu de lumière.
Descendant constamment dans le froid tunnel, Gerry avança pendant une durée qu’il ne sut évaluer, mais ses compagnons, bien après que tout l’épisode fut terminé, lui dirent qu’il était revenu au bout de deux heures. Ce long délai laisse à penser dans quel état d’irritation pouvaient se trouver Thráin et Arathorn, se disputant sur la conduite à tenir pour secourir le hobbit.
Sur le moment, notre éclaireur n’eut pas l’impression de rencontrer des croisements. En réalité il s’aperçut au retour qu’il en avait manqué deux, et sa chance – ou peut-être son anneau ? - lui permit de choisir son chemin sans se tromper.
Voici donc ce qui arriva. Lorsqu’il aperçut une lueur orangée au loin, émanant manifestement d’une salle assez grande, il sut tout de suite qu’il touchait au but. Il se fit aussi fluide et coulant qu’un courant d’air et s’approcha pour jeter un coup d’œil. N’était-il pas l’éclaireur en titre de sa Dame ?
Il découvrit une cave, jonchée de pièces d’or, de coupes d’argents, de toutes sortes d’ornements rutilants et d’armes aux lames brillantes. Des tas de lingots et quelques coffres débordant de pierres précieuses gisaient à la périphérie. On devinait plusieurs couloirs accédant à l’endroit mais ils semblaient encombrés par des éboulements. Une odeur âpre et acide planait dans la salle et lui picotait le nez. Au fond de la pièce, une fissure laissait dégoutter une sorte de magma orange, qui avait formé en s’amoncelant une petite mare de liquide visqueux, aux reflets d’opaline. Un gros œuf, de la taille d’un hobbit, trempait dans cette mare qui dégageait des vapeurs brûlantes. La partie supérieure en était déchiquetée, et l’on entendait des sortes de coassements s’en échapper.
Soudain une forme que Gerry avait prise pour un tas d’or souillé par le magma, sortit de la mare. La créature ressemblait à un énorme volatile, mais sans plume et couvert d’écailles. Les pattes arrière, longues et musculeuses, supportaient un corps agile se terminant par une queue semblable à celle d’un gigantesque lézard. Les pattes avant, atrophiées et ridicules, ne pouvaient faire oublier la gueule énorme garnie de crocs acérés. L’animal, de la taille d’un nain, marchait sur ses pattes arrière d’un équilibre mal assuré, sortant de la boue phosphorescente. Lorsque la créature se pencha sur l’œuf pour surveiller le remue-ménage, le hobbit s’esquiva, sans même essayer d’emporter la moindre petite pièce.
Bien lui en prit. Il n’avait pas parcouru six perches qu’il perçut un feulement dans son dos. L’animal l’avait repéré et le suivait, que ce fût à l’ouïe ou à l’odorat. Gerry accéléra autant que le lui permettaient ses courtes jambes, mais toujours dans le plus grand silence. Son anneau projetait maintenant une lumière orangée, suffisante pour éclairer sa course à vive allure. Avec horreur, il vit un embranchement devant lui. Il choisit en un éclair l’un des deux passages qui s’offraient à lui.
Pendant un temps il crut que son poursuivant avait renoncé. Mais bientôt il entendit deux coassements rauques se répondre à quelques perches derrière lui. Lorsqu’il en perçut un troisième, il sut que l’hallali était lancé. La terreur lui donnait des ailes – ou peut-être était-ce son anneau ? Abandonnant toute velléité de passer inaperçu, il accéléra au maximum, presque exactement au moment où il aperçut la lumière vacillante de torches. Il glapit en bondissant :
– Au secours, je suis poursuivi !
Il entendit derrière lui une bousculade confuse qui le rattrapait. Mais la chance du hobbit ne l’abandonna pas - un des prédateurs avait mal pris le dernier virage et sa chute gêna ses congénères. C’est ainsi que Gerry échappa de très peu à une gerbe de flammes qui l’aurait instantanément transformé en lapin à la broche. Il s’écroula aux pieds d’Arathorn qui s’était avancé à l’extrémité de la salle. Le dúnadan le saisit par le col et, sans ménagement, le souleva pour le lancer au-dessus d’un bloc de granit, à l’abri des assaillants. Le rôdeur, lui aussi visé par un jet d’acide enflammé, fut contraint à un roulé-boulé in extremis et s’abrita derrière une roche.
Les prédateurs s’approchèrent, prêt à roussir et déchiqueter toute cette viande sur patte !
Mais Thráin n’était pas resté inactif. Animé de l’autorité du Roi sous la montagne, il brandissait sa masse d’arme dans son poing ganté de fer et qui irradiait d’un éclat de soleil et de sang, comme si ses doigts eussent été bardés d’or et de rubis. Inspirés par son exemple flamboyant, ses nains avaient revêtu leurs masques de guerre et saisi leurs boucliers. La formation s’avança en bloc en hurlant :
- Khazad i dúnadan2
Les trois créatures apparurent clairement dans la lumière des torches. Elles se ressemblaient mais présentaient des différences importantes : la tête de l’une, la plus vive, était plus fine et munie de deux éventails latéraux, l’autre arborait une orgueilleuse crête qui se terminait par une puissante masse hérissée de piquants, à l’extrémité de la queue. La troisième, puissante sur ses quatre pattes, donnait des coups de boutoir meurtriers de sa tète hérissée de cornes.
Les monstres s’acharnèrent sur l’escouade en formation serrée, tâchant d’entamer sa cohésion et s’escrimant en vain sur cette carapace d’acier et de cuir, mue par une cohésion parfaite. À cette heure Thráin se révéla vraiment comme l’héritier de Durin, porteur du trésor de sa maison. Il agissait comme le cœur d’un organisme parfaitement solidaire, la phalange carapaçonnée de ses guerriers maintenant l’attention des monstres et frappant partout où l’occasion se présentait.
Bera s’était dissimulée dès le début de l’assaut. Elle sut contourner l’attaque frontale et bondir des ombres dans le dos d’une créature, écrasant sa hache sur l’échine du monstre, qui flageola quelques instants. Arathorn lui aussi saisit l’occasion et jaillit de sa cache – son épée, bordée d’un liseré de feu rouge, s’abattit sur un long cou reptilien, tendu pour lancer sa flamme. Cou et tête tombèrent lourdement à terre, prenant feu. La rapidité de l’attaque surprit le plus gros monstre, qui se tourna lourdement vers Bera puis Arathorn. Ce fut sa perte – la phalange naine se porta sur lui d’un seul bond - lacérant son flanc ainsi découvert - et le réduisit en miettes, ainsi que son congénère ébranlé par Bera.
Le corps décapité par Arathorn continuait de se trainer, se dirigeant au hasard vers le couloir. Les nains le rattrapèrent et l’abattirent également, tandis que retentissaient les cris de victoire concluant la bataille de Barum-Nahal. La cohésion de l’escouade naine avait fait merveille sous la houlette du Roi sous la montagne, porteur de l’anneau de la maison de Durin.
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La compagnie, auréolée de gloire, revint dans ses quartiers au pas cadencé. Arathorn, le visage fermé, ramenait Gerry étourdi dans ses bras. Aucun blessé sérieux n’était à déplorer, mais tous souffraient de brûlures aux jointures de leurs armures. L’allégresse à son comble, les nains entonnèrent des chansons à boire. Gràr, plus enjoué que les autres, décida de briser son œuf elfique pour fêter l’événement. Il y découvrit une flasque rebondie, qu’il huma avec suspicion avant d’en goûter le contenu. Son visage s’éclaira :
- Mes amis, nous aurons tous droit à une goutte de cet excellentissime cru de Dorwinion !
Un concert d’approbation accueillit la nouvelle. Après avoir dégusté sa lampée, Gràr passa la flasque à son frère, puis à Thráin, qui la fit circuler. Les dúnedain présents y prélevèrent leur part avec reconnaissance et parcimonie. Bera ayant humé le breuvage et reconnu des arômes de fruit rouge, y goûta timidement. Monsieur Touque, en fin connaisseur, fit glouglouter le liquide et claquer sa langue. Même Bárin le gourmand fut autorisé à en boire, mais en dernier. On prétendait qu’il était tombé dedans lorsqu’il était petit, et tous furent surpris qu’il restât du vin après sa copieuse rasade !
Après un tour de plus, que les dúnedain déclinèrent et que Gerry ne vit pas passer car il ronflait déjà, la bouteille ronde n’était toujours pas vide. Sans doute chaque nain s’avérait-il plus altruiste et économe que ce qu’il pensait du plus sage de ses pairs !
Après le tour suivant, on commença à soupçonner que la majorité des nains se sacrifiait pour les autres. Pourtant leur assemblée gagnait progressivement en gaîté et leurs visages, particulièrement les proéminents nez de nains, se nuançaient graduellement de pourpre. Il fallait se rendre à l’évidence : la gourde elfique recélait un prodige !
Entre deux vapeurs, Thráin aperçut l’expression goguenarde d’Arathorn. Il fit interrompre la tournée et rendre sa flasque à Gràr qui lui en sut gré. Il va sans dire que cette nuit-là, seuls les dúnedain et Bera assurèrent la garde. Du reste, aucun n’aurait pu dormir dans le vacarme assourdissant d’une escouade de nains ronflant d’aussi bon cœur !
Le lendemain matin, la compagnie fut levée en fanfare par Thráin, qui entendait ne pas laisser le moindre doute quant à la capacité de ses gens à supporter quelques libations. La même équipe reprit le chemin des galeries Nord. Cette fois la porte s’ouvrit sans difficulté. La compagnie s’avança prudemment et investit la première salle sans rencontrer de résistance. Mais ils remarquèrent tout de suite que quelque chose n’allait pas.
Les corps des créatures reptiliennes avaient disparu ! Il ne restait qu’un peu de liquide visqueux et phosphorescent répandu au sol aux endroits où ils s’étaient trouvés. Seule la tête à laquelle Arathorn avait mis le feu, maintenant consumée, avait laissé une trace durable au sol. Perplexe, Thráin se promit de passer dorénavant par le feu les cadavres des monstres qui seraient abattus.
Ils reprirent leur avancée. La troupe explora les deux voies de la fourche que Gerry avait signalée. Mais il s’avéra que les deux voies se rejoignaient un peu plus loin. En approchant de la salle suivante, la compagnie se prépara à l’affrontement final, s’attendant à être attaquée par des créatures de même acabit que le jour précédant. Les nains bardés de cuir et de fer adoptèrent leur formation d’assaut. Une fois au centre de la pièce, ils s’immobilisèrent, n’ayant aucun ennemi à combattre. Thráin ordonna la formation de défense. Les nains s’attendaient à tout instant à être assaillis. Mais Gerry, qui s’était faufilé dans leurs rangs, suggéra à Thráin de regarder dans l’œuf.
Le grand nain s’en approcha, suivi d’Arathorn. Trempant dans une mare de liquide visqueux, il contenait une demi-douzaine de créatures coassantes, semblables, sinon par leur taille beaucoup plus petite, à celles qui les avait attaqués la veille. Arathorn évita un petit jet de flamme de la plus agressive et sans pitié, en fit un grand carnage, tuant chaque créature puis y mettant le feu.
Aussitôt surgit d’un des tunnels latéraux, une créature de grande taille, presque aussi haute qu’Arathorn, qui darda sur lui un déluge de feu. Bera poussa le dúnadan derrière l’escouade des nains et roula par-dessus lui, déjà hirsute et les yeux injectés de sang. Le monstre rugit, assourdissant les combattants. Gerry et Arathorn, qui ne portaient aucun casque, gisaient à présent au sol, incapables de combattre. La créature tenait des trois reptiles abattus le jour précédent, alliant la vivacité du premier, la puissance du second et le souffle enflammé du dernier. Elle bondit en avant pour saisir Bera, hérissée de colère et secouée de spasmes au-dessus du corps inerte d’Arathorn mais l’escouade naine lui barra le passage. Le monstre martela l’alignement de boucliers, tentant de briser la formation qui chancelait sous les puissants coups de boutoir. Par moment un nain roulait au sol, immédiatement remplacé par son camarade du second rang. La créature ne faiblissait pas, assénant bosses et brûlures.
Mais Thráin avait peaufiné sa tactique – la bande des nains, tout en maintenant sa cohésion, changea de forme et rabattit ses ailes autour de la créature. Puis des traits d’arbalète volèrent, désorientant et blessant le monstre. Thráin en profita pour porter un coup magistral aux pattes du monstre, qui rugit de plus belle. Le Roi sous la Montagne fit face à la tête, parant sans relâche les coups de patte et de gueule du monstre. Immobilisé, l’animal était condamné ! Tous les nains chargèrent ensemble, réduisant en charpie les flancs de la créature, avant d’achever la tête.
L’escouade hurla comme un seul nain, ivre de sa victoire.
Mais cette fois la compagnie l’avait payé cher. Krὸrin avait été lourdement blessé car la créature l’avait atteint de plein fouet de son puissant appendice caudal. Arathorn et Bera prirent soin de lui, tandis que les nains établissaient une défense et obstruaient les deux artères qui débouchaient dans la pièce. Gerry se rendit utile en brûlant les restes des animaux, gros et petits. Il fut écœuré de l’aspect gluant de ces reptiles et trouva particulièrement lâche de sa part de s’attaquer aux petits. Mais leur apparence de dragon en miniature le persuada que ce qu’il ressentait comme une indignité n’était qu’une nécessité de la vie sans pitié en pays sauvage.
Après un labeur long et harassant, la compagnie se retrouva saine et sauve dans la salle, désormais sûre. Un grand silence se fit dans des fumerolles étouffantes, comme la compagnie contemplait l’inestimable trésor. Tous eurent alors pleine conscience du cœur de la montagne, qui battait distinctement. De souples pulsations semblaient animer la lave orange et visqueuse au même rythme. Bera, que l’or laissait parfaitement indifférente, remarqua que le fluide épais semblait s’être rétréci ou contracté. La faille qui paraissait l’avoir laissé dégoutter n’était plus qu’une mince fissure.
Alertés par la Bearnide de ce prodige, les compagnons retrouvèrent leurs esprits et décidèrent de remonter immédiatement une partie de l’or. Ils remplirent leurs sacs de cuir et prirent le chemin du retour, transportant le blessé et le métal précieux au milieu de ahanements joyeux. Même le pauvre Krὸrin faisait des efforts pour paraitre satisfait, alors que ses trois côtes cassées le faisaient horriblement souffrir.
Enfin la troupe d’éclopés – car tous étaient couverts d’ecchymoses et de brûlures à divers degrés - atteignit la porte qu’ils verrouillèrent derrière eux. Parvenus dans leurs quartiers, ils s’empressèrent d’alléger les peines des blessés et de panser leurs plaies.
Pendant plusieurs jours, les nains remontèrent l’or de la salle basse, sans plus rencontrer de monstres. La lave avait quant à elle complètement disparu, et les conjectures à son sujet allaient bon train, d’autant plus que l’on ne percevait plus que sporadiquement les pulsations de la montagne. Un vent de victoire flottait au sein de la compagnie, à tel point que Thráin fit hisser son pavillon au sommet du chatelet commandant le dernier pont. Les nains mirent à jour une nouvelle salle donnant sur l’avenue et purent y réparer le mécanisme de fermeture secret. Ainsi fut inaugurée la nouvelle salle du trésor du Roi.
Arathorn ne perdait aucune occasion de participer à son remplissage, autant par goût de l’effort que pour évaluer ce qui reviendrait aux siens.
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NOTES
1 Inspiré de Clémenceau : La guerre est une affaire trop grave pour être confiée à des militaires !
2 Les nains avec le dúnadan !