Aventures loin de son soleil
Epuisée par sa journée d’équitation et le conseil qui fut donné peu avant le souper, Susan s’écroula sur son lit, froissant l’édredon brodé d’or qui le recouvrait. Dans un état second, elle se dévêtit, tâtonnant avec peine pour trouver sa chemise de nuit. C’était comme si le sommeil l’appelait, comme jamais il ne l’avait fait auparavant. Elle avait besoin de dormir. Pire encore, elle devait dormir, elle le sentait. Comme un gouffre sans fond qui l’attirait et la tourmentait. Alors, elle se glissa sous ses couvertures, souffla la chandelle que Florina, sa fidèle femme de chambre avait posée sur la table juste à côté de son lit, et s’endormit, plongeant si vite dans les bras de Morphée, qu’elle n’entendit pas son frère venir lui déposer un tendre baiser sur le front.
Elle se sent tomber. Tourbillonnant dans les ténèbres comme une feuille morte en automne, qui quitte l’abri de son arbre, mourante. Elle rêve, elle le sait. Pourtant, elle sent que c’est si vrai, comme si elle vivait dans son rêve. Une voix perce l’obscurité. Elle est murmure. Une voix douce, mais glaciale. Happée par cette douce mélodie, elle laisse tomber ses dernières défenses, elle entre totalement dans son rêve. Après tout, il ne peut rien lui arriver. Et pourtant …
La femme parle dans une langue qu’elle ne comprend pas. Ce langage sonne bien, il est apaisant. Comme les mélodies Narniennes, joués par les satyres lors de soirées autour du feu.
Le monde a changé … Je le vois dans l’eau … Je le ressens dans la terre … Je le sens dans l’air … Beaucoup de ce qui existait jadis est perdu … Car aucun de ceux qui vivent aujourd’hui ne s’en souvient … Tout commença, lorsque les grands anneaux furent forgés. Trois furent donnés aux elfes, immortels. Les plus sages et les plus respectables de tous les êtres … Sept aux seigneurs nains, grands mineurs et sculpteurs de la montagne … Et neuf, neuf anneaux furent donnés à la race des hommes, qui pardessus tout désiraient le pouvoir … Car à travers ces anneaux furent transmise la force et la volonté de gouverner chaque race … Mais ils furent tous dupés. Car un autre anneau fut forgé … Sur les terres du Mordor, dans les flammes de la montagne du destin, Sauron, le seigneur des ténèbres, forgea en secret un maître anneau pour gouverner tous les autres. Dans cet anneau, il déversa sa cruauté, sa malveillance, et sa volonté de dominer toute vie. Un anneau, pour les gouverner tous … L’une après l’autre, les contrés libres de la terre du milieu tombèrent sous l’emprise de l’anneau ... Mais il en fut certaines qui résistèrent … L’ultime alliance des hommes et des elfes entra en guerre contre les armées du Mordor, et sur les versants de la montagne du destin, ils se battirent pour libérer la terre du milieu … La victoire était proche, mais le pouvoir de l’anneau ne pouvait être vaincu … Ce fut à ce moment précis, alors que tout espoir avait disparu, qu’Isildur, le fils du roi, s’empara de l’épée de son père, et arracha l’anneau unique des mains de son maître … Sauron, l’ennemi des peuples libres de la terre du milieu, fut vaincu. L’anneau alla à Isildur, qui eut la seule opportunité de détruire le mal à jamais … Mais le cœur des hommes est aisément corruptible … Et l’anneau de pouvoir a sa volonté propre … Il trahit Isildur, le menant à la mort … Et certaines choses, qui n’auraient pas du être oubliées, furent perdues … L’histoire devint une légende, la légende devint un mythe … Pendant deux mille cinq cents ans, plus personnes n’entendit parler de l’anneau … Jusqu’à ce que par hasard, il prit au piège un nouveau porteur … L’anneau revint à une créature nommée Gollum qui l’emmena dans les galeries souterraines des Monts Brumeux. C’est là que l’anneau le rongea. L’anneau apporta à Gollum une vie incroyablement longue. Pendant cinq cents ans, il lui dévora l’esprit. Et dans l’obscurité de la caverne de Gollum, il attendait. Les ténèbres s’insinuèrent à nouveau dans les forêts du monde … Une ombre à l’Est engendra une rumeur, murmure d’une peur sans nom … L’anneau de pouvoir comprit que son heure était venue. Il abandonna Gollum … Mais il se passa une chose à laquelle l’anneau ne s’attendait pas. Il fut ramassé par la créature la plus improbable qu’il soit, un hobbit. Bilbon Sacquet de la Comté … En effet, l’heure approche, où les Hobbits détermineront le destin de tous …
Des images accompagnaient ces douces paroles pourtant si étranges aux oreilles de la reine, des images de guerre, de souffrance, des mille maux que la mystérieuse Terre du Milieu vécut, et vit encore. Des peuples brisés, des êtres torturés, des vies détruites … Tant de ravages, de haine et de douleur. Une larme s’échappa de ses paupières closes, roula sur sa joue blanche … Mais à ce moment, la vision changea, et Susan se retrouva devant un paysage familier. Une petite clairière, entourée d’arbres verts, baignée d’un doux soleil de printemps, tellement en contraste avec le désespoir et le mal qui hantaient son précèdent rêve … Un sentiment de paix régnait en maître ici, et seul le chant d’un oiseau troublait le silence environnant. Cependant, un bruit dans la clairière la fit se retourner brusquement. C’est alors qu’elle le vit … Il se tenait là, debout, majestueux comme toujours. Il la couvait d’un regard bienveillant. Alors elle tomba à genoux devant ce grand lion, devant ce grand roi. Elle se tenait, genoux à terre devant Aslan. Elle l’entendit approcher, et osa relever le regard. Il lui sourit, autant que cela était possible pour un lion. Et il lui parla, de sa voix si chaude, si paternelle …
-Relevez-vous, Susan la Douce, Reine de Narnia.
Alors elle se releva, et contempla la crinière dorée du grand fauve qui flottait dans vent. Qu’il était beau, ainsi baigné par le soleil éclatant, son poil brillant illuminait ses doux yeux rieurs. Il avait toujours eu une affection particulière pour les deux sœurs, qui l’avaient accompagné aux portes de la mort, et qui l’avait attendu, jusqu’à ce que les portes s’ouvrent à nouveau. Bien sûr il aimait beaucoup les deux rois, mais ce n’était pas pareil …
-Aslan, je ne comprends pas.
Ce fut tout ce qu’elle fut capable de dire en cet instant. Les larmes aux yeux, prête à pleurer comme jadis elle le faisait, dans les bras de sa mère, lorsque la guerre faisait rage.
-Et c’est tout naturel mon enfant. Mais vois-tu, je crains fort de ne pas venir te visiter par simple courtoisie. Des milliers de personnes requièrent ton aide.
-Que puis-je faire pour les aider Aslan, tous ces peuples massacrés et détruits ! Pourquoi les ténèbres s’acharnent-ils à ce point à anéantir le monde ?
-Il y a de nombreuses questions qui demeurent sans réponse … Seulement il n’est plus temps de se les poser, il est déjà trop tard. Il me faut t’expliquer ce que j’attends de toi. Ce que nous attendons tous de toi. Tout d’abord, as-tu compris tout ce qui t’a été expliqué ?
-Je crois que oui. Oh Aslan, je ferais n’importe quoi pour ces pauvres gens accablés de malheurs ! Jamais je n’ai vu pareille désolation ! Même du temps de la sorcière blanche ! Que puis-je faire Aslan ?
-Ta tâche ne sera pas aisée mon enfant. Et sache que je n’aurais pas mis cette charge sur tes frêles épaules si une autre issue s’était présentée à moi. Souviens-toi d’Isildur, fils d’Elendil, que la soif de pouvoir a tué. Cet homme, qui fut cependant un grand roi, n’est pas mort sans héritier. Il en naquit un, peu de temps avant sa mort. La femme qui mit au monde cet unique enfant mourut en couche, sans jamais voir son fils. L’enfant devint adulte, et l’adulte devint roi. Mais son père mort le hantait, et il construit des tombes plus belles que les vivants, et chérit le nom de son ancêtre plus que celui de l’héritier qui ne venait pas. Ainsi, le peuple du Gondor courut à la ruine, la lignée royale échoua. Les rênes du Gondor furent confiées à de simples mortel lorsque vint son trépas, et les Gondoriens nommèrent un intendant jusqu’à ce qu’a nouveau, un roi puisse régner. Mais jamais il ne vint. Le peuple se révolta contre la reine, qui ne donna aucun descendant à son illustre mari. Le nouvel intendant l’exila, afin de pouvoir régner seul, en toute quiétude, sans qu’aucun membre de la famille royale ne l’en empêche. Elle partit donc se réfugier au royaume d’Anor, voisin du Gondor. Mais elle ne s’y réfugia pas seule. Car elle découvrit en chemin qu’un petit être vivait en son sein. L’Héritier tant attendu du Gondor grandissait en elle. Mais elle ne pouvait retourner à Minas Tirith, et cela elle le savait. L’intendant n’avait que trop goûté au pouvoir pour la laisser s’échapper ainsi. Il l’aurait assassinée, ou pire, il aurait assassiné l’enfant qui grandissait en elle. Alors, pour sa survie et celle du nourrisson, elle s’installa en Arnor, à Annùminas, où le roi, Tarcil le sage, la prit sous sa protection. Mais, à la plus grande surprise de tous, elle donna naissance non pas à un fils, comme toutes les autres femmes de sa maison, mais à une petite fille, qu’elle nomma Amondiel. Lorsqu’elle grandit, elle s’unit avec Tarondor, fils de Tarcil, et la lignée du Gondor perdura. Tarcil promit à la reine déchue, que lorsque le Gondor aurait retrouvé un roi, l’Arnor et ce si grand royaume ne feraient plus qu’un. De leur Union naquit Valandur, qui donna naissance à Elendur. Mais ce dernier mourut, laissant à son fils Eärendur le trône. A sa mort, le royaume fut scindé entre ses trois fils, incapables de s'entendre quant à sa succession. Ainsi naquirent l'Arthedain, le Rhudaur et le Cardolan. Les trois royaumes entretenaient des relations chaotiques, se querellant notamment pour la possession de la colline d'Amon Sûl, qui occupait une position stratégique et où se trouvait l'un des trois palantíri du Nord. Le Roi-Sorcier, serviteur de Sauron, profita de ces dissensions et, à la tête du royaume maléfique d'Angmar, abattit les trois royaumes les uns après les autres. L'Arthedain tomba le dernier, signant la fin de l’Arnor. Les Dúnedains sont les descendants des habitants du royaume d'Arnor, et après la destruction finale de ce royaume, ils errèrent, détruits et peu nombreux. Leur chef, Aranarth, fils d'Arvedui, roi d'Arthedain, et héritier en droite ligne d'Isildur les mena des monts Brumeux aux monts Venteux, de Fangorn à la Forêt Noire, et donna naissance à Arahael, qui donna naissance à Aranuir, qui donna naissance à Aravir, et ainsi de suite, jusqu’à ce que, il y a peu de temps pour ces hommes qui, bénis des valars d’une longue vie peuvent vivre jusqu’à deux cent cinquante ans, Arathorn le second rencontre par hasard dans la forêt de Rivendel Elrohir et Elladan, les fils jumeaux d’un seigneur Elfe nommé Elrond. Il se lia d’amitié avec eux, et ensemble, ils combattirent les créatures de l’ombre qui hantaient de nouveau les belles contrées de la Terre du Milieu. Car l’Anneau avait à cette époque déjà réapparu. Ces créatures Susan, je ne pense pas que tu les ai déjà vues ni que tu en ai entendu parler, il s’agit d’araignées géantes, de gobelins meurtriers, d’insectes répugnants, mais surtout d’orcs, ces créatures à l’intelligence presque humaine qui n’ont aucune pitié et ne vivent que pour servir les forces du mal. Ainsi, lors d’une de leurs nombreuses chasses, Arathorn fut transpercé d’une flèche et mourut, laissant derrière lui sa femme, Gilraen, mais surtout un fils, dernier héritier direct de la lignée de Numenor. Il n’avait que deux ans … Et il se nommait Aragorn. Sache que c’est toujours son nom.
-Vous voulez dire que cet Aragorn serait encore en vie ?
-Il est en vie. Et il est le seul à pouvoir redorer le blason brisé du Gondor et à apporter la paix à ces peuples. Il est ce que l’Ennemi redoute le plus : Il représente l’espoir. Car à la mort de son époux, Gilraen se réfugia à Fondcombe, et, laissant son enfant aux soins d’Elrond, elle rejoignit son peuple. Dans le secret, Aragorn, rebaptisé Estel, « Espoir » en Sidarin grandit, jusqu’à ce que le seigneur qui l’avait recueilli lui révèle sa véritable identité. Il lui remit à vingt ans l’anneau de Barahir, héritage de la famille royale du Gondor, transmis de génération en génération depuis des millénaires. Mais à ma connaissance, il ne souhaite pas devenir roi.
-Comment est-ce possible ? Alors que tant de vies dépendent de son choix ?
-Ce n’est pas aussi simple … L’Ennemi l’empêchera d’accéder au trône, et Denetor, l’actuel intendant du Gondor ne le laissera jamais retrouver la place qui est la sienne. Il n’a pas vraiment le choix. Il craint ce qu’il est et ce qu’il pourrait devenir. Susan, écoute-moi bien, j’aimerais que tu te rendes en Terre du Milieu, et que tu fasses monter sur le trône le roi. Par n’importe quel moyen.
-Jamais Peter n’acceptera Aslan …
-Il n’aura pas le choix. Cependant, si tu acceptes, tu devras t’y rendre seule. Elrond, devant la détresse des peuples de la Terre du Milieu à réuni un conseil réunissant toutes les races afin de décider ensembles du destin de leurs contrées. Le conseil aura lieu dans cent lunes. Et tu devras y être. Acceptes-tu ?
-J’accepte Aslan. Et je ferai ce qui est en mon pouvoir pour permettre à cette terre de prospérer de nouveau.
-C’est bien ce que je pensais, ajouta-t-il dans un sourire.
-Comment m’y rendre ?
-Ton impatience est légitime, mais cependant, tu ne peux y aller comme pour une visite de courtoisie. Tu dois d’abord comprendre l’étendue de la situation. Vois-tu, Elrond, le seigneur Elfe dont je t’ai parlé est un vieil, un très vieil ami. Nous avons vu ensemble naître la puissante magie. Il m’a légué de nombreux livres expliquant l’histoire de la Terre du Milieu, auxquels je tiens énormément.
-J’ai parcouru de nombreuses fois la bibliothèque de Cair Paravel Aslan, et jamais je n’ai vu de livre de la sorte.
Aslan rit doucement, sans méchanceté, comme pour rire de sa propre plaisanterie.
-Non, en effet cela m’aurait étonné. Ils ne sont pas à la bibliothèque principale de Cair Paravel. Personne ne doit connaître leur existence, pas même tes frères et ta sœur. Seule toi le peux.
-Mais il n’y a pas d’autres bibliothèques au palais ! Ou sont-ils cachés ?
-Connais-tu le tableau représentant un océan bordé de lumières ?
-Celui qui est dans l’aile Sud du palais ? Dans le couloir qui mène dans la cour intérieure ?
-Exactement, celui-ci. Lorsque tu seras devant, dit juste « Je veux savoir ». Une porte s’ouvrira à toi. Ici, tu pourras étudier en paix.
-Que devrai-je étudier ?
-Un maximum de choses. Tu as deux semaines, pas un jour de plus. Lorsque ce délai sera écoulé, tu partiras avec comme seul compagnon Hirador. Un bateau sera ancré au port, avec juste l’équipage nécessaire. Il te déposera en Terre du Milieu. Le voyage durera quarante jour, si la mer vous est favorable, et une fois arrivée là-bas, tu seras livrée à toi-même. L’équipage a pour ordre de te laisser seule et de rentrer. Je ne souhaite pas te faire d’illusion : la situation sur ces terres est critique. Si tu accomplis ta mission, le roi te ramènera chez toi. Dans le cas inverse, tu ne pourras revenir.
-Si j’échoue c’est que j’aurais perdu la vie. Jamais je n’abandonnerai Aslan, vous avez ma parole.
-La vie est parfois étrange … Hier je te priais de rester, aujourd’hui je te demande de partir.
-C’était mon choix Aslan. Cela l’est toujours.
-Vas mon enfant …
-Je voudrais savoir une dernière chose, dit Susan. Est-ce que tout cela est réel? Ou bien est-ce dans ma tête que ça se passe ?
Aslan la regarda d’un air radieux et sa voix résonna avec force aux oreilles de Susan, malgré la brume lumineuse qui commençait à descendre sur eux en masquant sa silhouette :
-Bien sûr que ça se passe dans ta tête, Susan, mais pourquoi donc faudrait-il en conclure que ce n’est pas réel ?
Et ce fut tout. La brume le cacha entièrement à la vue de la reine, et le noir revint à nouveau. Alors elle repensa aux paroles pleines de sagesse d’Aslan, et une idée germa dans son esprit : elle pourrait toujours lui parler. Dans ses rêves, ou en réalité ce serait pareil. Il serait toujours là, il la protégerait …
De l’autre côté du monde des rêves, une agitation particulière régnait dans la chambre de la grande reine, et une rumeur parcourait tout Cair Paravel : la reine, Susan la douce ne se réveillait pas.
Toute la famille royale était réunie dans la chambre de leur sœur, priant Aslan pour qu’elle se réveille. Personne ne savait ce qu’elle avait, mais elle semblait dormir. Elle était vivante, puisque sa poitrine se levait et s’affaissait au rythme régulier de sa respiration. Ses yeux clos ne montraient aucune souffrance. Cependant, elle ne réagissait à aucun traitement. Le grand roi Peter commençant à perdre son sang-froid l’avait même giflée, mais rien n’y faisait : la reine semblait dormir trop profondément, comme plongée dans une sorte de transe. Edmund, qui conservait toute sa tête, ordonna à tous de sortir de la chambre. Ainsi, Peter, Edmund et Lucy veillèrent une demi-journée au chevet de leur sœur endormie. Peter interdit l’entrée dans la pièce à toute personne étrangère à la famille royale, ce qui n’étonna pas ses cadets. Ils savaient qu’il existait un lien spécial entre leurs aînés. Peter aimait Susan. Enormément. Elle était sa petite sœur, son trésor, sa conseillère, son amie, sa compagne, son alliée, son joyau. Elle était sa reine. Et Susan aimait Peter aussi fort qu’il l’aimait. Alors, voir sa reine dans un sommeil dont elle ne semblait pas vouloir se sortir avait plongé Peter dans un désespoir qu’il avait rarement ressenti.
Vers le milieu de l’après-midi, alors que Peter et Edmund avait engagés, sans grande conviction une partie d’échec et que Lucy les regardait se disputer la victoire, ils entendirent un murmure venant du lit. Leur sœur appelait Aslan. Ils se retournèrent au moment où Susan ouvrit ses grands yeux bleus. Peter fut le premier à réagir et emprisonna de ses grands bras musclés sa petite sœur bien-aimée, bientôt rejoint par le reste de la fratrie. Susan, d’abord désarçonnée comprit, en voyant à travers les rideaux les rayons du soleil qu’elle avait dormi plus qu’elle n’aurait dû. Elle sourit, repoussant gentiment son grand frère, qui ne semblait pas si disposé que cela à la laisser respirer.
-Peter, dit-elle d’une voix encore un peu endormie, je vais bien.
Alors le Grand Roi s’éloigna, et prit son visage entre ses mains, sous les regards attendris de ses frères et sœurs. A présent elle était là, elle leur souriait doucement, et tout allait pour le mieux. Alors il la lâcha, après avoir déposé un délicat baiser sur son front, laissant aux autres le plaisir de l’enlacer.
Susan resta deux jours alitée, sur ordre de son grand frère, qui commençait vraiment à l’exaspérer. Cependant, elle comprenait qu’elle lui avait fait peur et comprenait son geste. Son petit sommeil n’était pas passé inaperçu, car dans tout le château, on en parlait sans relâche. Un médecin venait la visiter chaque jour, ce qui l’angoissa vite. Lorsque Peter l’autorisa (enfin !) à quitter sa chambre, la première chose qu’elle fit, fut de se rendre à la bibliothèque secrète d’Aslan. Elle se demanda s’il existait beaucoup de pièce dans son palais qu’elle ne connaissait pas, et se promit de demander au principal intéressé.
Lorsqu’elle eut donné le mot de passe, elle pénétra dans une salle de taille plutôt respectable, chaleureusement éclairée par un feu qui crépitait dans la cheminée. D’immenses bibliothèques remplies de livres de toutes sortes et de toutes tailles recouvraient les murs, donnant à la pièce un aspect très serein. Un large bureau se tenait fièrement au centre, des bougies posées dessus, en attente, depuis sûrement des nombreuses décennies, si ce n’était de nombreux siècles. Elle s’avança vers les ouvrages, qu’aucune poussière ne recouvrait. Elle les caressa d’une main, sentant presque leur long passé sous ses doigts. Elle lut les titres, mais aucun ne référaient à la Terre du Milieu. Sur certains était écrit « Histoires de dragons », ou encore « Le langage Oural », d’autres portaient le nom de personnages sûrement célèbres dans leur pays, tels que « La vie de Pilokir l’exilé ». Elle s’approcha alors du dernier rayonnage, le plus en recul et dans l’ombre. Elle en sortit un ouvrage sur lequel elle lut « Histoires et vies en Terre du Milieu ». Elle avait trouvé. Elle s’empressa de prendre quelques livres qui lui semblaient les plus intéressants, et s’installa au bureau. Allumant une petite chandelle recouverte de cuivre, elle entama sa lecture.
Lorsqu’elle commença à sentir son ventre réclamer des vivres, elle regarda la petite pendule accrochée au mur. Il était dix-huit heures trente ! Elle avait perdu toute notion du temps qui s’écoulait, sautant son repas du midi, et son estomac commençait à le lui faire comprendre. Elle abandonna là son travail, et sortit en toute discrétion de la pièce, emportant avec elle le plus petit livre qu’elle avait trouvé, et qui l’intéresserait sûrement beaucoup : « De Fondcombe en Arnor ». Il retraçait l’histoire d’un prince elfique, qui entama pendant mille ans l’exploration de sa terre natale. Ainsi elle pourrait situer les pays et les régions, le livre étant empli de cartes en tout genre. Susan le déposa dans sa chambre, avant de descendre aux écuries, raconter ce qu’elle avait appris à son plus fidèle ami. Elle resta là, assise sur une botte de foin, à parlementer avec Hirador, jusqu’à ce qu’elle entende quelqu’un approcher. Son petit frère sourit à sa vision.
« -J’étais sûr que je te trouverais là, commença-t-il, l’heure du dîner approche, et Peter m’a envoyé te quérir, pour ne pas que tu sautes ce repas également. »
Susan rougit à cette remarque. Bien sûr, ses frères et sœur ne se douteraient de rien, elle ratait tellement souvent le déjeuner, qu’ils s’étonneraient au contraire de la voir.
« -J’arrive Edmund. »
Elle embrassa une dernière fois son cheval, avant de le suivre dans la salle où ils prenaient leu repas, en privé, avec quelques amis la plupart du temps. Aujourd’hui c’était Oreus, centaure général de l’armée narnienne qui les honorait de sa présence. Les discussions allaient bon train à la table, mais Susan n’y prit pas part, ressassant ce qu’elle avait appris dans la journée sur sa destination. Soudain, elle réalisa qu’il faudrait qu’elle parle à sa famille du voyage qu’elle comptait entreprendre, et cela elle le craignait. Peter ne la laisserait jamais partir. Mais Lucy l’aiderait, elle n’en doutait pas, puisque c’était Aslan qui l’avait demandé, et elle avait entièrement confiance en lui pour la protéger.
L’étude des livres rythmaient ses journées, retardant de plus en plus l’explication qu’elle devait aux autres rois et reine. Mais le temps courait, et le délai était presque écoulé. Plus qu’une semaine, une toute petite semaine, et elle devrait partir. Abandonnant sa famille et sa terre, elle devrait traverser la mer, qu’elle n’avait jamais empruntée que pour se rendre dans les Iles Solitaires, mais elle n’en avait pas peur. Susan la courageuse prenait le dessus sur Susan la Douce. Ce qu’elle craignait cependant, ce serait le courroux de Peter, et cela, elle ne pouvait l’éviter. Elle avait tracé son itinéraire jusqu’à Fondcombe sur une carte qu’elle emporterait, son voyage était prêt. Alors un soir, elle prit son courage à deux mains, et demanda à tous les souverains de se réunir dans le bureau du Grand Roi. Lorsqu’ils furent tous installés, elle commença.
« -Bien, euh, j’ai à vous parler. Très sérieusement. Mais promettez-moi de ne pas m’interrompre, s’il vous plait, c’est déjà assez difficile.
Ils acquiescèrent en silence.
-Voilà, continua-t-elle, Je dois partir.
-QUOOI ? S’exclama Peter
-Peter ! Tu avais promis ! S’insurgea-t-elle
-Très bien, continue, Ajouta-t-il d’une voix glaciale.
-Euh, eh bien vous vous souvenez du matin où je ne me suis pas réveillée ? En fait, je ne suis pas sortie de mon sommeil ce jour-là parce que j’étais occupée à parler avec … Aslan.
-Tu as parlé à Aslan ? L’interrompit sa sœur, les yeux brillants.
-Oui Lucy, je lui ai parlé, et il m’a confié une mission que je ne pouvais refuser…
Alors elle leur expliqua tout. Son rêve, les explications d’Aslan, son itinéraire, l’histoire de la Terre du Milieu, passant cependant sous silence la bibliothèque secrète, comme elle l’avait promis à Aslan. Lorsqu’elle eut fini, elle attendit les réactions de sa famille, surtout celle de son frère aîné.
-Alors tu veux partir, pour un pays que tu ne connais pas, sur la base d’un simple rêve ? Commença-t-il, le regard noir, le ton froid.
-Ce n’était pas un simple rêve Peter ! Argumenta Susan. Aslan est venu à moi pour me donner cette tâche ! Je dois l’accomplir Peter ! Je le dois !
Son ton était désespéré, elle implorait presque son frère de ne pas lui en vouloir, de la laisser partir.
-As-tu seulement une preuve qu’Aslan est venu à toi ? Que ce n’est pas seulement un rêve ? Demanda Edmund, d’une voix sage et réfléchie.
-Et bien, en me réveillant, j’ai trouvé ceci sur mon bureau …
Elle sortit délicatement de sa poche un petit mouchoir brodé très élégamment, sur lequel une patte avait été posée, et avait laissé une marque brune.
-C’est tout ? Un mouchoir ? S’énerva Peter.
-PETER ! S’énerva à son tour Susan, c’est la patte d’Aslan, tu le vois bien ! Enfin, pourquoi doutes-tu ainsi, je reviendrai !
-COMMENT PEUX TU EN ETRE SURE ??? S’exclama-t-il, tout rouge, tant la colère le hantait.
-JE NE LE SUIS PAS ! S’écria-t-elle, elle inspira longtemps, et continua, plus calmement. Effectivement Peter, je ne suis sûre de rien, la seule chose dont je sois certaine, c’est qu’il me faut me rendre là-bas, et aider ces peuples qui souffrent. Je le dois, et je le ferai, que tu le veuilles ou non.
Les yeux bleus de Peter se brouillèrent de larmes qu’il refusait de laisser couler.
-Non Susan, je ne veux pas que tu partes loin de moi … Dit-il, d’une voix tremblante.
-Je reviendrai Peter, je t'en fais la promesse. Dit-elle en le prenant dans ses bras.
Le roi la serra fort, très fort contre son cœur qui saignait de la voir s’éloigner. Elle s’éloignerait, il le savait. Il ne pouvait rien contre cela. Alors Lucy prit la parole, pour la première fois depuis le début de l’houleuse conversation :
-Aslan la protègera Peter, je le sens. J’ai toujours senti ces choses-là, tu le sais bien. Elle se tourna vers sa sœur et ajouta, après tout, c’est une vaillante guerrière.
Susan lui sourit, et l’invita à se joindre à son frère et à elle, suivi de peu par Edmund. Et dans cette étreinte fraternelle, tous pleurèrent. Ils discutèrent jusque tard dans la nuit, jusqu’à ce que Peter dût coucher Lucy, qui s’était endormie. Tous s’embrassèrent, se souhaitant une bonne nuit, et partirent rejoindre leur lit respectif.
Cependant, Susan ne trouva pas le sommeil tout de suite. Elle l’avait fait, enfin. Elle se sentait libérée d’un poids, mais elle avait peur. Non pas de ce qui l’attendait par-delà la mer, ni même des combats, et encore moins de la mort, mais elle avait peur d’échouer. Car au fond d’elle, elle avait toujours voulu réussir. Qui ne le veut pas me direz-vous. Mais avec elle, cela prenait une tout autre dimension, une toute autre ampleur. C’était ancré en sa personne au point où la réussite était devenue un besoin, une obsession. A chaque pas qu’elle faisait vers l’avenir, elle ne cessait d’y penser. C’était devenu sa seule préoccupation dans la vie. Petit à petit, elle avait oublié ces petites choses, ces petits détails qui parsèment notre existence, et qui la rendent belle. Parfois, elle se demandait sérieusement pourquoi elle voulait tant réussir. Pour l'indépendance ? Pour la fierté ? Sûrement. Où cela allait-il la mener en fin de compte ? Elle avait peur de se lever dans dix ou vingt ans, et de se dire que le bonheur était là, devant ses yeux, mais que justement, les choix qu’elle avait faits par le passé l'en avait privée. Elle craignait par-dessus tout de sentir cette horrible sensation d'échec lui nouer la gorge et peser sur son cœur, rendant sa vie infernale.
Tu vas échouer. Cette implacable pensée la poursuit, la hante, chassant de ses journées, et de ses nuits toute distraction. Elle est toujours là, alors que Susan, elle, veut la fuir. Et sinistrement, tous les événements qui se passent ces derniers temps dans sa vie, lui font irrémédiablement penser à elle. Tout. Surtout ses relations avec sa famille. Tout semble être voué à l'échec.
Tu vas échouer, tu vas échouer, tu vas échouer. Un refrain horrible qui se répète sans cesse depuis des semaines dans son esprit. Elle ne sait plus quoi faire, elle ne sait plus à qui s'adresser. Elle a peur, affreusement peur. Au fil du temps, des mois et des années, cette infernale pensée s'est transformée en une certitude, une conviction.
Sur ses pensées sombres, elle trouva le sommeil, avec mille questions en tête …