Oblation

Chapitre 2 : Lueur d'espoir

Chapitre final

5913 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 19/11/2020 00:41

Tous s'en retournèrent vers la cité blanche. Les survivants rapatrièrent les corps de ceux qui étaient tombés, encore une fois, ils étaient bien nombreux. Un aigle au plumage ambré, se posa avec grâce aux côtés du magicien : il était le roi. Ce dernier inclina respectueusement la tête et Gandalf lui rendit son salut.

Suivant les ordres précédents, deux aigles prirent leur envol vers la montagne enflammée et les autres portèrent leur aide aux guerriers du Rohan et du Gondor, prenant les blessés les plus grave. Le roi saisit dans ses serres le dixième des Nazguls et laissa Gandalf se hisser sur son dos. Ensemble, ils quittèrent les décombres de la porte Noire pour regagner les murs blancs du Gondor : le temps était compté.


Bientôt ils perçurent la flèche de la cité, libérée des ombres du Mordor, elle semblait encore plus pure, son blanc étincelait : magnifiée par les rayons du soleil. L’aigle déposa Gandalf sur la place de l’arbre du roi. Le magicien y trouva le seigneur Elrond, il était déjà là, aucun aigle n'avait pas eu besoin de le quérir. Lui et quelques elfes de Fondcombe étaient déjà en chemin pour le Gondor depuis plusieurs jours.


« J'ai pressenti un mal, avoua Elrond. Mais ce n'était pas la victoire de l'Ennemi. Qu'est-il donc arrivé, Gandalf ? »


Le seigneur Elfe ne pouvait cacher son inquiétude. Son visage crispé et ses sourcils désaxés incarnaient le trouble qui l’habitait. Malgré son don de voyance, il n’arrivait pas à voir au-delà du voile d’ombre qui cachait la réponse à sa question. Durant le voyage entier, il avait questionné ses visions, mais elles étaient restées plus floues que jamais.


« C'est Aragorn, répondit tristement le mage en désignant les serres de l'aigle. L'Ennemi l'a entraîné sur le chemin des spectres.

— Depuis combien de temps ? Demanda Elrond, masquant la tristesse que lui donnait la vue de son fils adoptif.

— Nous ne savons pas, sans doute quelques heures avant l'aube. Mais il est encore temps, seigneur Elrond. »


Elrond inclina sa tête, puisant dans ses forces, il mit toutes émotions de côté et laissa le guérisseur en lui s’exprimer. Aragorn eut les mains liées et fut conduit dans une des chambres du Gondor.


Elrond et Gandalf avaient peur de ce qu'ils trouveraient sous la cape froissée des spectres, mais ils la retirèrent. Leur apparu alors Aragorn comme ils l'avaient toujours connu, seulement sa peau était blanche, pâle comme les murs de la cité, et dans ses veines coulait un sang des plus sombres. Ses yeux étaient bleus comme jamais, mais ils étaient entourés d'une aura grise, fissurée par le sang noir qui coulait en lui. Tout autour de son corps flottait une nuée noire, un épais voile de ténèbres qui l'embaumait. L’Ennemi était défait, mais les ombres n’étaient pas prêtes à restituer l’homme à la lumière.


« Vous pensez pouvoir faire quelque chose ? »


Gandalf ne demandait pas cette information en tant que mage blanc, il ne cherchait pas à sauver le futur roi du royaume des Hommes. Il était tourmenté en tant qu’ami, le compagnon de longue date d’Aragorn. Il l’avait connu rôdeur, jeune parmi les Elfes. Il n’était pas prêt à le voir succomber aux ombres alors qu’il avait enfin vaincu son passé.


« Oui, annonça Elrond d’une voix rassurante. Si comme vous le dîtes le voyage n'est pas achevé, alors je pourrais le ramener. Mais ce sera dur. Pour lui. »


Puis il prononça quelques mots en Sandarin et bientôt des elfes revinrent à ses côtés avec des herbes. Avant de commencer son travail, il se retourna vers le mage. Gandalf n’arrivait pas à lire l’émotion que dégageait son expression et sa posture : était-ce de la crainte ? ou peut-être de la tristesse ? Sans doute un mélange de ses émotions fortement liées, cette réponse apparût au mage comme évidence lorsque Elrond s’exprima :


« Un cortège a quitté Fondcombe, quelques journées à peine après notre départ. »


Il marqua une courte pause, serrant les dents.


« Arwen en fait partie. Persuadée au fond d’elle de la victoire de la communauté sur l’Ennemi, elle a usé de ses dernières forces pour entamer le voyage. Avec la destruction de l’anneau, elle arrivera bientôt au Gondor, parfaitement rétablie. Ne la laisser pas le voir ainsi. »


Ses derniers mots étaient proches d’une supplication. Le seigneur Elrond aimait sa fille plus que tout. Il avait jugé bon de la séparer d’Aragorn au début de la quête de la communauté, et s’il devait à nouveau mettre de la distance entre eux pour la protéger, il le ferait sans hésitation. Arwen serait rétablie physiquement à son arrivée, mais il ne la laisserait pas souffrir de voir son amour sur la route des ombres. Sans attendre de réponse du mage, il se retourna vers le lit où était allongé Aragorn.

Lorsqu’il commença à prononcer bien d'autres incantations elfiques, Gandalf jugea bon de le laisser à son ouvrage. À contre cœur, il accepta la requête du seigneur Elfe, comprenant parfaitement la crainte qui était en lui. Que se passerait-il si Aragorn n’en revenait pas ? Si rien de lui ne subsistait au voyage retour ? Arwen pourrait-elle y survivre ? Ces questions hantaient l’esprit des deux êtres sages. Gandalf garda ses pensées et les emmena à l’extérieur, il ne pouvait plus longtemps voir son ami dans un tel état : poings liés comme un prisonnier. Il ferma la délicatement la porte derrière lui et se dirigea vers le camp où étaient regroupés les blessés et les morts.


Il y trouva Gimli, des femmes du Gondor et du Rohan aidaient les blessés et bandaient son entaille à l'épaule. De nombreux soldats s'y trouvait également, beaucoup présentaient de graves blessures, mais tous avaient la tête haute. Fiers de leur force et de leur victoire sur un Ennemi qu’ils avaient craint depuis si longtemps. Parmi eux, grand nombre d'elfes étaient aussi présents, l’alliance d’autrefois était ressoudée par le chagrin créé par cette guerre... Puis il croisa Merry et Pipin qui étaient avec Sam. Ils semblaient heureux d'avoir retrouvé leur compagnon et attendaient fermement devant une porte de chêne massif, impatients comme à leur habitude : Frodon devait être derrière. Mais bientôt Pipin se détourna de leur centre d’intérêt et approcha le mage.


« Vous devriez aller quérir le seigneur Legolas. Il est là-bas. » Dit-il doucement et pointant de son doigt le fond de la pièce.


Gandalf fut bien intrigué et trouva l'elfe, assis sur un tabouret de bois, devant un corps, recouvert d’un fin drap blanc, là où l'avait dit Pipin. Il était empli d'une profonde tristesse et murmurait en elfique, malgré l’ancienneté de sa pratique du Sandarin, Gandalf discerna quelques mots. C’étaient sans aucun doute des paroles en l'honneur d’Haldir, qui reposait désormais sous le lin pâle. Mais les elfes avaient bien d'autres manières que la tristesse lorsqu'ils perdaient l'un des leurs. Qu'est ce qui accablait donc à ce point le prince ?


« Seigneur Legolas.

— Mithrandir. »


Le jeune elfe voulut se relever pour saluer le mage, mais il fut interrompu par ce dernier. Une main levée, Gandalf lui fit signe de rester à sa place. Perdu dans ses pensées, Legolas resta sur le tabouret, la tête baissée. Désignant une assise voisine, le mage attendait la permission de partager sa peine :

 

« Puis-je ? demanda-t-il.

— Oui, je vous en prie, prenez place. »

 

La réponse était respectueuse mais automatique, l’elfe n’avait regardé ni la place vide à ses côtés, ni le mage qui s’asseyait près de lui.

 

« Qu'est-ce qui vous tourmente, mon ami ? Ce n'est pas la nature d'un elfe de pleurer de la sorte un mort, s’inquiéta le magicien.

— Ce n'est pas pour la mort que je suis dans la tristesse. Mais pour la vie, avoua l’elfe les sourcils froncés. Le seigneur Elrond ramène parmi nous Aragorn. Mais je ne sais si cela est une bonne chose.

— Que voulez-vous dire ? » demanda Gandalf perplexe à ces mots.

 

Les poings de Legolas se serraient peu à peu, il se mordait les lèvres, hésitant à partager ses troubles. Son regard croisait difficilement celui du mage blanc. Mais ce dernier lui inspirait confiance, il les avait épaulés tout au long de leur pénible aventure.

 

« Aragorn a tué Haldir de sang-froid…

— Ce n'était pas lui, le coupa Gandalf, voyant le fond de ses pensées.

— Je le sais ! Vous le savez, mais pour Aragorn il n'y aura aucune différence ! »

 

Legolas s’était levé abruptement de son assise. Crispés, il faisait de grands gestes de ses bras, désignant le voile blanc devant eux. Un comportement peu habituel chez les Elfes, et encore plus rare chez Legolas Vertefeuille. Cette attitude reflétait la peine qui étaient en lui. En haussant le ton, il continua de déverser ses craintes :

 

« Les Hommes comptent encore leurs pertes, mais parmi les cavaliers du Rohan, grand nombre d'entre eux sont morts sous la lame corrompue de Narsil. Eomer est quant à lui gravement blessé, son rétablissement sera difficile. »

 

Legolas fit une pause, pesant chacun de ses mots, qui le blessaient à chaque fois qu'il les libérait.

 

« Aragorn... a tué bien plus de soldat qu'aucun autre de nos ennemis aujourd'hui. Haldir était presque un frère pour lui et je n'oserai parler des Hommes. De son peuple pour lequel il était prêt à se sacrifier ! Cette nuit-là, c'est un roi que nous avons perdu. Mais ce que le seigneur Elrond ramènera parmi nous sera autre chose. Il se détruira de lui-même, rongé par la culpabilité ! »


Gandalf ne répondit rien à cela, il n'y avait rien qu'il puisse ajouter. Legolas était dans le vrai, tous deux le savaient. Ne pouvant se calmer, l’elfe s’inclina respectueusement devant le magicien et disparut prestement dans les couloirs de la cité.

 

Deux jours passèrent. Son rétablissement achevé, Frodon découvrait la cité qui faisait la fierté ses Hommes. Au détour des places et des allées, ses compagnons Hobbits avaient eu la lourde tâche de lui conter l’autre versant de leur aventure. Depuis leur séparation, en passant par leur voyage en Isengard, jusqu’aux grandes batailles et à la marche sur la porte Noire.

Après quoi Frodon ne tarda pas à se poser à son tour devant la porte où guérissait Aragorn. Plusieurs personnes s'y arrêtaient : des Hommes en quête de nouvelles de leur roi, des Elfes, apportant de nouvelles herbes au seigneur Elrond, quelques fois Gandalf et Gimli, inquiets. Mais jamais Legolas n’était apparu au seuil de la porte de chêne massif.


Bientôt Frodon abandonna son poste, comme tous ceux qui l'avait occupé avant lui : il avait entendu un cri de souffrance, un hurlement qui appartenait à Aragorn, illustrant le voyage qu’il effectuait. Tous savaient que le retour du chemin des spectres serait douloureux, mais l'entendre était autre chose.


Le soleil du troisième jour se levait pour annoncer l’arrivée des Elfes de Fondcombe. Guidés par Arwen, ils retrouvèrent leurs frères et furent informés des évènements récents.


Il ne fallut que quelques instants à Arwen pour se précipiter à travers les longs couloirs en direction de la pièce ou demeurait l’homme pour qui elle rejetait l’immortalité. La première fois qu’elle approcha de la porte, Gandalf l’intercepta. Il voulait « lui montrer quelque chose ». Ne lui laissant ni le temps, ni l’occasion de protester, il la traîna jusqu’à la grande place, en haut de la flèche blanche. Devant les grandes portes du hall, l’arbre avait recommencé à prospérer au centre de la cour pavée.


Il n’y avait ni fleur, ni bourgeon au bout des branches, mais elles demeuraient vivaces. Certaines se hissaient encore plus haut, bien au-dessus de leurs sœurs. L’Arbre blanc sentait le retour du roi, lentement, il préparait sa venue.


La seconde fois qu’Arwen se présenta à la porte de bois, elle rencontra Gimli, le maître nain, et Frodon Sacquet, le jeune Hobbit qui avait porté l’anneau. Lorsque les deux compagnons demandèrent à la connaître, à lui compter en retour leurs péripéties, sa politesse l’obligea à accepter. Ainsi, ils l’éloignèrent de la pièce où guérissait Aragorn, jusqu’à ce qu’Elrond, lui-même, ne vienne détourner l’attention de sa fille.


À l'aube du cinquième jour, le seigneur Elrond sortit de la pièce en cours de matinée et autorisa Gandalf, Gimli et Arwen à y entrer. Le voile noir dissipé, Aragorn avait repris des couleurs, seulement il restait toujours très pâle et son sang n'avait guère perdu sa noirceur. Mais le seigneur Elrond l'affirmait. Il était plus près de la lumière que des ténèbres. Le reste du voyage serait bien moins douloureux.


Dès lors, Arwen demeura aux côtés d’Aragorn, assise près de lui, les mains tenant les siennes, elle ne cessait de chanter le récit de la dame de Luthien. Jour et nuit, elle plaidait les étoiles de prêter leur force à Aragorn. Elle souhaitait son réveil, plus que tout.


Encore deux jours passèrent, les visites autorisées, tous vinrent, excepté Legolas qui ne pouvait toujours pas s'y résoudre. Et au crépuscule du sixième jour, Aragorn ouvrit les yeux, ses yeux d'homme dans la lumière. Son sang était rouge vif, sa peau un peu pâle, mais avait retrouvé son teint de chair. Son épaule et sa jambe étaient bandées et douloureuses, mais il était revenu.


Il ne dit aucun mot, il regarda seulement autour de lui et aperçut le seigneur Elrond, parlant avec Gandalf et Frodon. Tous le saluèrent, ils semblaient si heureux de le voir. Tournant la tête, Aragorn aperçut Arwen à son chevet. Il souhaitait parler, prouver qu’il était présent, mais il plus il croisait le regard d’Arwen et plus il désirait le silence. Incapable de la regarder plus longtemps, il préféra laisser la fatigue l’emporter. Ses yeux se fermèrent et lentement il glissa dans l’obscurité.


Le jour suivant, il émergea à nouveau. C’était en soirée, le ciel, couvert, promettait une nuit calme et silencieuse. Cette fois, personne n’était présent à son chevet, seul Elrond veillait sur son patient. Arwen absente, Aragorn lutta pour rester éveiller. Malgré ses membres douloureux, il trouva la force de parler. Le seigneur Elrond en fut ravi, c’était le signe que son voyage était achevé. Après plusieurs inspections, de son état, Aragorn demanda à faire une rapide marche dans la cité.


L’homme avait montré son désir de quitter le lit dans lequel il était cloué depuis trop longtemps. Entêté comme il pouvait l’être, mieux valait lui permettre de se déplacer. À quelques occasions, Elrond évoqua la bataille à la porte Noire, sans donner aucun détail. Il annonça la victoire de la communauté et la destruction de l’Ennemi. Aragorn semblait soulagé et heureux à cette nouvelle, il donnait l’impression de découvrir tout ce l’elfe lui contait. Le seigneur Elrond accéda donc à sa requête : il le laissa quitter la pièce.

Aragorn se releva seul, il marchait faiblement, mais prouvait très bien qu’il n’avait besoin d’aucune aide.

Après avoir franchi le seuil, il s’éloigna dans les couloirs, quittant la vision quelque peu inquiète d’Elrond. Mais il ne fit pas le tour, non, il se dirigea seulement vers la pièce où résidait encore quelques blessés graves. Il y vit Eomer, assis sur un lit, le corps enveloppé par des bandes blanches, dame Eowyn à ses côtés.


Il ne le clamait à personne, mais son retour dans la lumière n'avait en rien détruit ses souvenirs. Depuis plusieurs jours déjà, des images défilées devant lui, il se voyait encore, l'épée à la main, chevauchant contre les cavaliers du Rohan, affrontant les soldats du Gondor. Il percevait distinctement sa lame les transpercer les uns après les autres, puis il vit à nouveau, l’épée brisée, se dirigeant sur le torse d'Eomer.


Les larmes vinrent à ses yeux, mais il n'y céda pas. Il lui fallait avancer, marchant toujours plus profond dans la cité. Il se retrouva bientôt dans une petite salle blanche, sans fenêtres, où furent placer les corps des elfes, qui ne seraient enterrés que dans leur pays.


Ils étaient tous couverts d'une pièce de lin pâle, mais il y en avait un qu'il reconnut malgré cela : Haldir, dont les cheveux d’or perçaient sous la fine protection. Sans aucune hésitation, Aragorn souleva le drap. Ses jambes se mirent à trembler, son cœur s’arrêta une seconde à peine, il chuta à genoux : poussant un cri de douleur nouveau. Différent, ce n'était pas physique. C'était de la haine, du dégoût envers lui-même.


Alerté par le cri Gandalf accourut et il trouva Aragorn, genoux à terre, la tête baissée, les bras ballant le long du corps. Legolas avait raison, le roi serait brisé par lui-même. Il tenta d'approcher discrètement, mais comme lors d’un évènement passé, ce fut vain.


« Combien ? »


La voix était faible mais le mage discerna clairement le mot, seulement, il ne répondit pas à la question. Il resta de marbre derrière Aragorn, hésitant, cherchant la meilleure réaction à adopter. Et bientôt d'autres personnes se présentèrent dans la pièce, également alertées par le hurlement précédent.


« Combien ! »


Cette fois tous l'entendirent. Les poings serrés sur le sol, Aragorn était en ce moment même l'incarnation de la colère. Même Legolas était venu, il se cachait, dans la pièce voisine, assis derrière l’épais mur de pierre. Ses oreilles d'elfes lui suffisaient pour entendre parfaitement la conversation. Si l'on pouvait appeler cela une conversation.


Aragorn se releva brusquement et faisait maintenant face à Gandalf, ignorant le reste de ses amis qui se trouvaient plus loin derrière.


« Dites-moi combien ! Combien des miens ai-je abattu ! »


Il criait, chaque parole résonnaient dans la cité comme le cor annonçant la guerre. Gandalf tenta à nouveau de s’approcher, les épaules tombantes, il secoua légèrement la tête.


« Ne vous infligez pas cela, seigneur Aragorn, supplia-t-il.

— Je me souviens de tout. Je les vois mourir par ma main. Je les ai tués... tous... »


L’homme avait le regard vide, il perdait toute attache avec la réalité, tel un fou entamant son délire.


« Seigneur Aragorn... appela le mage, pour le ramener.

— Ne m'appelez pas comme cela ! Je ne suis pas roi et je ne le serais jamais. »


Gandalf ne savait si à cet instant Aragorn était suffisamment lucide pour juger de la portée de ses propos. Lorsque l’homme se retourna à nouveau vers le corps inerte d’Haldir, son corps se détendit entièrement. Il replaça le drap de lin avec beaucoup de délicatesse, une main sur le cœur, il salua son ami disparu puis fit à nouveau face au magicien.


« Je ne suis plus rien Gandalf. Je ne gouvernerai, ni vivrait parmi les Hommes. Je ne le puis après mes méfaits. Et je ne peux m'en retourner parmi les elfes, après avoir tué ce qui, jusque-là, était comme un frère. Vous n'auriez pas dû me sauver, avoua-t-il. J'étais un spectre, c'est tout ce que je méritais.

- Ce n'était pas vous, ce... Aragorn. Ce n'était pas vous. » tenta de raisonner le mage.


Mais les mots se heurtèrent à un mur de roche, Aragorn avait remué ces pensées depuis plusieurs jours, chaque fois, la même conclusion s’était présentée à lui. Chaque fois, le même dégoût l’avait envahi. Emporté par sa colère, il s’exclama : 


« Alors qui était-ce ? Dîtes moi ! Si ce n'est moi qui a tué ces hommes, privant leur femme d'un mari, leur fils d'un père ! Si ce n'est moi, dîtes moi qui a assassiné Haldir de la sorte ! »


Criant si fort, il effrayait les quatre jeunes Hobbits qui s'étaient glissés dans la foule, ces derniers ne reconnaissaient plus « Grand-pas ». Il y avait tant de haine dans sa voix, et elle n'était destinée qu'à lui-même.


« Il n'y a qu'un seul coupable, mithrandir. C'est moi. Je ne me voudrais pas en roi et je ne demanderai pas cela aux hommes de ce royaume. »


C'est alors qu'il vit le seigneur Elrond, avec Arwen, à ses côtés. Les larmes gagnaient les yeux des deux amants, ensemble, ils secouaient la tête : elle savait parfaitement ce qu'il s'apprêtait à dire.


« Et je ne me voudrais guère entant qu'époux. »


Il y avait une peine que l'on ne pouvait qualifier dans cette phrase, mais la preuve en était qu'Arwen quitta la pièce en courant, en fondant en pleurs. Aragorn quant à lui se faufila à travers la foule, ignorant les regards et les murmures qui se posaient sur lui.

Il gagna la grande place et se posa sous l'Arbre blanc. « L'arbre du roi ». Il y vit une seule fleur, pâle et vivace. Il tendit la main et l'arracha, non. Il n'y aurait plus de roi légitime au Gondor. À sa grande surprise, Legolas apparut devant lui.


« Vous ne pouvez faire ça ! criait-il.

— J'en ai le droit, peu importe ce que vous mentionnez Legolas. » annonça l’ancien rôdeur d’une voix calme, presque réfléchie.

— Vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre ! Vous êtes l'héritier d'Isildur ! Le seul à qui est destiné le royaume des rois de Numénor ! »


L’elfe avait vu venir le départ de son ami, mais il était resté dans le déni, refusant d’affronter cette vérité. Depuis son entrevue avec le mage, il avait tout fait pour éviter cette conversation qu’il était en train d’avoir, car il en connaissait déjà l’issue.


« Je ne mérite pas ce royaume ! lâcha Aragorn.

— Vous n'avez pas le choix ! Que comptez-vous faire ? Fuir ?

— J'ai déjà tenté l'exil une fois et je dois dire que cela m'a fort bien réussi. »


L’homme s’était étonnamment détendu avec cette réponse, l’exil lui rappelait de nombreux souvenirs, tous agréables. Des voyages à travers les contrées méconnues de la Terre du Milieu, des aventures et découvertes surprenantes. Le début de belles amitiés, sa rencontre même avec l’elfe était née de cet exil, ainsi que celle avec Gandalf.


« Cela ne vous ressemble pas, Aragorn. Vous n'êtes pas comme ça.

— C'est là que vous avez tort mon ami, vous et tous les autres. J’ai le sentiment d’être un monstre, j'ai commis des crimes dont nul ne peut se racheter. Et j'aurais dû payer pour cela ! »


Aragorn parlait sous le poids de la colère et de la peine, mais il restait honnête. Chaque fois qu’il répondait à l’elfe, il se confortait dans son choix.


« Vous auriez préféré la mort ? demanda Legolas

— J'avais choisi la mort ! »


Il y eut une pause entre les deux hommes. Legolas n’était plus sûr de connaître aussi bien son ami. Depuis toujours les situations périlleuses les suivaient, peu importe où leur voyage les portait. Mais jamais Aragorn n’avait abandonné une bataille, il était l’espoir. Estel, celui qui voyait toujours une solution lorsque tout semblait perdu. Les paroles de l’ancien rôdeur sonnaient fausses au milieu des souvenirs de l’elfe.


« Cette nuit-là, où je suis parti. Je pensais ne jamais revenir et j'étais prêt à mourir. C'est ce à quoi je me destinais, reprit Aragorn.

— Et Arwen ? s’inquiéta Legolas. Avez-vous un seul instant pensé à elle ?

— Je n'ai pas arrêté. Et cela m'encourage d'autant plus à partir, répondit tristement l’homme, mais avec conviction.

— Elle vous aime. »


Legolas tentait par tous les moyens de rappeler à Aragorn qu’il y avait encore du bon pour lui au sein du Gondor. Il cherchait sans relâche une variante qu’il n’avait pas déjà observé dans ses pensées.


« Elle aime l'homme que j'étais, un homme bon, annonça t-il en réponse. Je suis un meurtrier, Legolas, ma place n'est plus parmi les Elfes. Osez dire qu'aucun d’entre eux n'a changé son regard sur moi, osez me dire que nul me voit encore comme le spectre qui a tué les leurs. »


Legolas ne répondit rien. Des hommes craignaient Aragorn, cde peur qu'il n’ait gardé une part de ténèbres en lui. De l’autre côté, des Elfes avaient bien des difficultés à le regarder en face, tant ils revoyaient en lui l'homme qui a assassiné leurs frères et leur capitaine, Haldir.


« Votre silence n'énonce que la réponse à laquelle je m'attendais, Legolas. Je vous suis reconnaissant de ne pas me fuir ou me haïr. Mais cela ne changera rien aux actes que j’ai commis et aux pensées de nos compagnons. Qu'Arwen gagne les terres immortelles, avec son père et le reste des Elfes, là où ils seront en paix. Qu'elle emporte l'amour que j'éprouve pour elle, là où il sera éternel.

— C'est aussi votre père, Aragorn ». Souleva Legolas avec un faible sourire.


Il savait sa défaite proche, il ne pourrait pas convaincre l’homme de rester. Il lui fallait accepter le déroulement des choses, alors il tentait de rester le plus proche de la relation qu’ils avaient toujours entretenue. Si Aragorn désirait partir, alors il devait garder avec lui leur amitié, dans sa splendeur d'origine, afin qu’elle perdure.


« Non, Legolas, non, rit alors Aragorn en réponse, se rappelant ses débuts parmi les Elfes après avoir été recueilli par le Seigneur Elrond.

— Vous abandonneriez le Gondor ? »


Si Aragorn ne l’avait jamais évoqué ouvertement, la cité blanche représentait beaucoup pour lui. Ses murs, sa splendeur tout dans cette cité l’avait rendu fier d’être un descendant des Numénors.

 

« Théoden est un roi bon et sage. Il saura gouverner ces deux royaumes que sont le Rohan et le Gondor. Il le fera dignement je n'en doute pas. Et les Hommes lui seront loyaux, il a durement gagné leur confiance à la bataille. »

 

Même s’il s’y était résigné, Aragorn avait du mal à prononcer ces mots. Trahissant tout ce en quoi il avait toujours cru. Il repoussait Arwen, la seule femme qu’il avait aimée. Les promesses faites aux heures sombres de la communauté, se brisaient également. Il n’entretiendrait pas la lignée des Rois. Boromir serait-il en paix de l’autre côté, sachant que le Gondor ne trouverait nul capitaine, nul roi en Aragorn ?

 

« C'est de la folie Aragorn. Vous n'êtes pas en état de prendre de telles décisions ! tenta de le raisonner l’elfe, une dernière fois.

— Ce n'est pas plus fou que de partir seul lorsque l'on est poursuivi par les Nazguls. »


Sur ces mots Aragorn jeta la fleur du roi et regagna sa chambre de repos sans adresser un seul regard à Legolas, ignorant les nouvelles paroles de ce dernier.

La nuit passa sans un bruit, le cœur de chacun était lourd. Et lorsqu’au matin Legolas passa devant la porte qu'il n'avait jamais franchi, il s’arrêta et pour une fois y entra. Seulement elle était vide. Il partit en courant, gagnant la chambre de Gandalf.


Celui-ci était à la fenêtre, fumant sa pipe. À l’approche de l’elfe, dont il sentit la présence, il l'abaissa dans un nuage de fumée, le regard vide vers l’ancien royaume du Mordor, il prononça deux mots :


« Je sais. »


Legolas sentit son cœur se serrer, ses sens se troublèrent, lui donnant l’impression de chuter.


« Il est parti et vous n'aviez rien fait ? demanda-t-il.

— Oui, il est parti. Non, je n'ai rien fait » répondit le magicien.


Il n’ajouta rien à ces paroles. Il ne donna que des faits car il n’était pas encore capable de juger ses propres émotions. Ce qu’il avait craint était arrivé : le royaume des Hommes avait perdu son capitaine, lui avait perdu un ami.


« Pourquoi ? s’exclama Legolas dans l’incompréhension. Lui avait pourtant tenté de le raisonner.

— Il a besoin de se reconstruire, seigneur Legolas, vous aviez raison, sa propre conscience le ronge, annonça d’une voix grave et lourde de tristesse le mage. Laissons-le aller là où jugera bon d'être. Laissons-le se bâtir une nouvelle fois, devenir quelqu'un qu'il acceptera d'être. »


En tant que mage blanc, il s’était convaincu que c’était, sans doute, la meilleure solution. À quoi bon affliger plus de souffrance à un homme dont les pensées étaient déjà une torture ? Il n’y avait visiblement rien qu’une aide extérieure puisse apaiser. Seul Aragorn lui-même pourrait se pardonner ou se condamner.


« Et pour les terres du Gondor ? s’inquiéta Legolas.

— Il n'y a rien que nous puissions faire. L'Arbre blanc plus jamais ne fleurira mais Théoden saura diriger ce royaume comme il le faut. »


Legolas soupira, la tête baissée et tourna les talons sans faire preuve de la légendaire délicatesse des elfes.


« Seigneur Legolas, où partez-vous ? »


À l’intonation, on pouvait aisément deviner que cette question venait de Gandalf le magicien, ami des Hobbits et de Legolas, et non du mage blanc, gardien de la Terre du Milieu.


« Dans ma forêt rejoindre mon père et les miens, avoua l’elfe. Je n'ai pas le cœur à rester ici, ou parmi vous. Mais si un jour l'arbre fleurit à nouveau, venait donc me quérir. »


Sur ces mots gorgés d’espoir et de peine, il s’éclipsa et nul ne put le trouver par la suite.

Pas même Gimli, dont pas un, mais deux frères venaient de disparaître sans laisser la moindre trace. Affligé, il comprit les évènements lorsqu’il entrevu à son tour le mage. Il décida de s’en retourner dans les montagnes, le cœur lourd : il avait noué des liens que même les meilleurs forges Naines ne pourraient briser de leur masse. À chaque pas qui l’éloignait de la grande cité blanche, il regardait derrière lui, cherchant des signes, de petites marques dans les herbes ou bien les paroles d’un rocher au bord du chemin. Simplement quelque chose qui lui permettrait d’entrevoir l’extrémité d’une corde, tissée par leur amitié, qui le conduirait vers ceux qu’il avait perdus.


Le lendemain les elfes de Fondcombe en firent de même, Arwen déposa l'étendard blanc, qu'elle avait confectionné pour Aragorn au pied de l'arbre, accompagnée de son père et avec les siens elle embarqua à bord des navires de bois qui les mèneraient aux terres éternelles. Avec elle, elle emporta la fleur arrachée par Aragorn, jamais elle n’abandonnait l’espoir. Au fond de son cœur, elle savait que l’Arbre blanc fleurirait un jour, un espoir que partageait le seigneur Elrond. Il plaçait sa confiance en Aragorn depuis de nombreuses années, alors il continuerait de croire, guidés par ses seuls sentiments. À moins que son don de voyance ne lui ait permis d’entrevoir un nouveau futur ? Il demeurait silencieux à ce sujet.


Pipin, Sam, Merry et Frodon regagnèrent la Comté, chargés d'histoires et de souvenirs à raconter, ou à écrire. Le Rohan et le Gondor quant à eux se rassemblèrent sous une bannière commune, celle des Hommes, mais il n'y eu aucune fête, Théoden refusa le titre de roi du Gondor malgré une lettre d'Aragorn disant clairement qu'il lui donnait sa place à la tête du royaume.

Il accepta cependant le poste d'intendant. Et lorsqu'il voulut déposer la couronne du roi avec l'épée d'Elendil, il ne la trouva pas. Aragorn l'avait emportée, alors peut-être y avait-il encore de l'espoir d’assister au retour du roi. L'homme ne semblait pas résigné à abandonner son héritage, l'espoir subsistait. Ou l’avait-il gardée comme un souvenir de ses actes ? Un totem lui rappelant pourquoi il ne devrait revenir ? Nul ne savait.


Gandalf quant à lui recommença à parcourir la Terre du milieu, en quête d'âmes à aider. Mais les landes étaient calmes et il n'y avait point de mal à tuer ou de héros à épauler.


Trois années passèrent, alors seulement, il entendit quelque chose de valable. Dans un village perdu dans les collines du nord un groupe de jeunes gens craignaient un homme dangereux qui parcourrait leurs terres. Gandalf, bien décidé à aider ces hommes, se mit à la recherche de l'individu. Sans le trouver.

Alors qu'il peinait dans sa quête, Gandalf fit une halte des plus instructives dans une taverne locale, éclairée par de nombreuses bougies. Prenant place au comptoir, un homme le prévint que la recherche de l'individu n'était plus nécessaire car un rôdeur avait déjà permis aux autorités de le retrouver. Le magicien rit de bon cœur, les hommes n'avaient décidément plus besoin de lui et savaient aujourd'hui se défendre, seuls.

Il sortit de la rustique gargote, non sans manquer de bousculer un homme, sous une rustre capuche de cuir noire, dont la pipe était au moins aussi longue que les jambes. Le magicien blanc esquissa un nouveau sourire. Oh oui, ces hommes n'avaient pas besoin de lui, ils étaient bien gardés. Dans le village tous vantaient les louanges de ce rôdeur.


Gandalf espérait, ou plutôt, il savait, oui, il en était certain. Un jour, il irait quérir l'elfe, un jour. L'arbre du roi fleurirait à nouveau. Le temps guérirait les maux du passé et permettrait à l'avenir de se forger. Le rôdeur portait le nom de « Pieds-ailés ».

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