Oblation
Les cavaliers survivants du Gondor rapatriaient les cadavres, un à un. Aucun soldat des hommes ne seraient laissés derrière, aussi nombreux étaient-ils à être tombés. Aragorn affranchissait les morts de leur dette et regagnait lui aussi la citadelle blanche : il devait s'entretenir avec Gandalf et Théoden au sujet de l'attaque qu'il prévoyait.
« Attaquer le Mordor ? À six milles contre cinquante milles ? Vous êtes fou !
— Il n'y a pas à s'inquiéter, roi Théoden, le rassura Aragorn.
— Vous projetez d'envoyer nos hommes à la mort, comment pouvez-vous me demander cela ?
— Frodon est quelque part, là-bas, dans la vallée de la montagne du Destin, il porte l'Unique à sa destruction et ne demande que du temps. Nous ne pouvons gagner cette bataille, mais nous pouvons offrir à Frodon le temps qui lui est nécessaire.
— Aragorn, c'est du suicide.
— Je sais, Gandalf, mais Frodon a besoin de notre aide pour réussir. Il n'y a pas mieux que l'on puisse faire. Alors, me suivrez-vous une dernière fois, mes amis ?
— Vous êtes un homme fou, Aragorn, une armée de six milles hommes contre les forces de Sauron ! Ha ! Bien évidemment que je vous suis ! » S'enjoua Gimli.
Et tous hochèrent tour à tour la tête. Ils suivront l'homme aux portes du Mordor. Hommes du Gondor ou du Rohan, elfes, hobbits ou encore nains combattront pour que le jeune Sacquet puisse accomplir sa tâche.
Alors que Théoden et Haldir partirent rassembler leurs soldats encore en état, le magicien aperçut Aragorn s'éclipser lentement. Il le suivit, aussi discrètement qu'il le pouvait, sans faire de bruit, il prit les mêmes couloirs pâles de la cité blanche, franchit les mêmes portes, pour finalement trouver le roi devant le Palantir. Celui-ci marqua une pause, d'un air grave, il demanda :
« Quand comptiez-vous sortir de l'ombre, mithrandir ? »
Gandalf, à ses mots se révéla à la lumière, comment avait-il pu penser suivre Grand-Pas, le meilleur pisteur des hommes sans être vu ? C'était peine perdue. Mais maintenant ce n'était plus vraiment sa préoccupation : pourquoi Aragorn voulait-il utiliser le Palantir ?
« Vous n'êtes pas bien discret, mon ami, ajouta l’ancien rodeur.
— Et vous n'êtes pas bien prudent. Le Palantir est un objet dangereux dont il ne faut user à la légère. Mais ce n'est pas à vous que je l'apprendrai, hériter de ce qui fut bâtit par les rois de Numénor. »
Il y avait de la provocation dans la voix du mage blanc. Il avait peur de ce que pourrait faire Aragorn. Mais était-il inquiet de la connexion qu'il établirait avec l'Ennemi ou craignait-il pour l'homme lui-même ? Nul ne sait, sans doute les deux motifs étaient acceptables. Mais le seigneur du Gondor ne se résigna pas, il avait son plan, il l'appliquerait.
« Je sais ce que je fais. Affirma-t-il.
— Et c'est ce qui m'inquiète. Vous connaissez les conséquences de vos actes. Si vous prenez en main le Palantir, il saura que vous êtes là. Vous serez révélé à l'Ennemi comme l'héritier de celui qui l'a défait. »
Aragorn se retourna face à lui et dignement, inclina légèrement la tête. Oui, il savait cela.
« C'est que vous voulez. N'est-ce pas ? Comprit le mage.
— Nous devons détourner l'œil de la montagne, il lui faut un point d'intérêt. Je ne vois meilleure cible que ma personne.
— Théoden avait raison, vous êtes un fou, Aragorn fils d'Arathorn. Mais un fou courageux. Peu d'hommes oseraient ainsi défier Sauron.
— Je ferais mieux que le défier.
— Qu'entendez-vous par là ? demanda Gandalf.
— Pipin est ici, au Gondor, et l'Ennemi pense qu'il détient l'Unique. Si je me montre, si je le défi, il pensera que j'en ai les moyens : il pensera que je suis celui qui a l'Unique.
— Oui. Alors peut être détournera-t-il son regard vers nous... son œil sera pointé sur vous. Mais soyez prudent, Aragorn, vos propos auront de lourdes répercussions et pas que sur vous. Sauron pourrait vouloir anéantir les Hommes, ou quiconque se trouve parmi vos rangs, pour un tel affront.
— Je ne laisserai aucun homme, elfe ou nain être blessé par mes actes. Vous pouvez en être certain. »
Le mage blanc soupira et baissa la tête, avec un sourire timide. Il se détendit et se épaules retombèrent, légèrement vouté, sa voix changea :
« C'est ce qui me fait peur. » Avoua-t-il avec compassion. Aragorn, fils d’Arathorn, héritier du Gondor était un homme de bien. Le mage avait vécu beaucoup d’aventures, au cours desquels il avait souvent vu de bonnes personnes perdre la vie ou la raison. Même si tout en lui criait que Frodon était vivant, dans les terres désolées du Mordor, au fond, Gandalf avait le sentiment d’avoir abandonné le semi-homme. Il ne souhaitait pas risquer de voir d’autres lueurs de la Terre du Milieu s’éteindre à ses côtés.
« Ne craignez pas pour ma vie, mon ami. Craignez plutôt pour ce qu'engendrerait notre défaite. »
Sur ces lourds mots, Aragorn se dirigea vers le Palantir, laissant Gandalf, le cœur noyé par l’inquiétude, repartir de son côté. Il savait exactement quel serait son message à Sauron, ce qu'il ne pouvait prévoir, était sa réponse. Comment le seigneur noir réagirait il ? Cela resterait un mystère jusqu'à l'instant fatidique, mais le roi protégerait les siens, il l'avait promis à Gandalf. Une promesse que le magicien n'aurait jamais tolérée, s'il avait connu le plan de secours du roi.
Aragorn prit le Palantir et regarda fixement son centre. Sauron était juste là, de l'autre côté, lui envoyant milles images provoquant bien des peines dans l'âme de l'humain. La fin de la tour blanche, les grandes contrées du Rohan au milieu des flammes, les semi-hommes, Elfes, Nains, tous mourraient sous le courroux du Mordor pour défendre leurs terres.
À cet instant, l'Ennemi était fort, il dominait complètement la connexion. Mais Aragorn vu l'occasion de faire croître sa haine. Lui rappelant sa défaite de la veille, lui remémorant la faiblesse de ses rois maudis, de son armée face à la sienne. Oui, Sauron avait été défait ce jour-là, par la volonté d'un peuple, guidé par l'espoir que lui apportait un seul homme. « Désires-tu anéantir les Hommes ? Souhaites-tu vaincre, cette fois ? Il va d'abord falloir me tuer pour cela. » Voilà ce que pensait le roi et il le pensait si fort que Sauron lui-même pouvait l'entendre. Il bouillonnait de rage. Oh oui, sa réponse serait violente, elle serait même des plus sanglantes.
L'œil brûla une dernière fois, la vision de l'armée des neufs rois arriva aux yeux du roi et le lien du Palantir rompu. Le message qui avait été transmis avec cette dernière vision ne pouvait être plus clair.
Les neuf étaient en approche, prêt à quérir l'anneau, dans la nuit. Ils attaqueraient, tuant tout sur le passage, assassinant ceux qui résisteront, ceux qui voudraient protéger le roi. Mais Aragorn était sa cible. Il était celui qui devait mourir aux yeux de l’Ennemi. Et il serait aussi le seul. Le roi n'avait pas l'intention de laisser un seul homme périr. Gandalf l'avait prévenu de la portée de ses propos, il payerait pour ces quelques mots, mais il payerait seul.
S'il venait à disparaître, certes, ils perdraient espoir. Mais Legolas, Théoden ou Gandalf sauraient leur montrer le chemin, ils leur apporteront le courage. Peu importe où se déroulerait le combat, tant que l'œil serait détourné de Frodon et de Sam.
La nuit venue, Aragorn sella son cheval : il devait partir au plus vite, les Nazguls arrivaient, ils n'avaient qu'une cible, c'était maintenant au roi de faire en sorte qu'il n'y ait pas de victime supplémentaire. Il monta en selle et sur son sombre destrier il se dirigea vers les portes de la ville en silence. Mais c'était sans compter sur la vision d'elfe de Legolas : plus discret que le mage, il était entré dans la pièce peu de temps après que le seigneur du Gondor ne l’ait quitté. Il y trouva le Palantir sur le sol et par la maigre fenêtre de la pièce perçut le feu de la tour Cirith Ungol croître de colère.
Il déplaça son regard un plus à droite et aperçut le cavalier préparant sa fuite, avec agilité et grâce à la vitesse de son pas léger, il devança l’ancien rodeur aux portes de la citée. Attendant son passage, il se posta, accroupi sur l’un des toits blancs. Les minutes passèrent puis l'homme arriva, silencieux.
« Aragorn ! Tu ne peux partir. »
Le roi se tourna, surprit, il ne s'attendait pas à ce qu'on l'ait vu. Mais lorsqu'il reconnut Legolas, il s'apaisa et parla sans crainte:
« Pourtant je le dois, mellon-nîn. Ces hommes n'ont à payer pour moi. Sauron ne veut que ma mort. Avec les Nazguls à ma poursuite, je n'ai d'autre choix que de les éloigner de la cité.
— Je viens avec vous, affirma l’elfe.
— Non, les hommes auront besoin d'espoir, ils auront besoin de guerriers, de meneurs aux portes du Mordor. Vous ne pouvez pas les abandonner.
— C'est pourtant ce que vous faîtes. » Répliqua sèchement Legolas.
Aragorn savait parfaitement ce que Legolas avait en tête. Mais il ne le laisserait pas l’accompagner. Pas cette fois. Les paroles de son ami étaient blessantes, mais justes. Vouté sur sa monture, il inclina la tête dans la direction de l’elfe, le regard triste, il soupira :
« Legolas...
— Vous êtes leur espoir, Aragorn. Sans vous, ces hommes ne sont plus rien. »
Cette conversation portait les échos de leur échange au Gouffre de Helm. Aragorn sentit tout son être bouillir, il ne permettrait à personne de douter des Hommes.
« Ils restent des soldats ! gronda-t-il d’une voix forte.
— Des soldats sans désir de vaincre. »
L’elfe avait à nouveau raison. Beaucoup de soldats parmi le Rohan et le Gondor avaient retrouvé force et courage grâce à Aragorn, que beaucoup considéraient comme leur capitaine. Ils suivaient sans hésitation l’homme dans chaque bataille, mais que feraient-ils une fois la flamme de leur torche éteinte ? Sauraient-ils trouver dans Théoden, Gimli et Legolas cette même lueur qui les inspire et les pousse à avancer ?
« Avec moi, ils sont condamnés, affirma alors Aragorn. Il nous faut une armée pour vaincre Sauron, la vie d'un seul homme n'a pas d'importance. Même s'il s'agit de la mienne.
— Aragorn...
— Partez Legolas... Maintenant. Partez ! »
Jamais il n'avait été aussi froid avec Legolas. Mais l'elfe savait que le choix était difficile pour le roi, un choix qu'il respectait. Il ne pourrait pas l'en dissuader, cet homme avait l’entêtement des Nains, alors il le laisserait faire... Non sans avertir au plus vite Gandalf de cette conversation qu'il venait d'avoir.
Le roi s'éloignait sur sa monture, chevauchant toujours plus loin des murs de Minas Tirith, tout comme Legolas parcourrait à grande allure les ruelles pavées de la tour blanche jusqu'à atteindre la porte de la chambre du mage.
« Gandalf ! Aragorn est parti ! »
Le mage relâcha un nuage de fumée et abaissa sa pipe.
« Il est parti. » Répéta-t-il. Oui, le roi était parti, il s'en doutait, lui aussi avait perçu la colère de la tour noire et connaissait parfaitement la promesse que lui avait fait Aragorn. Le seigneur du Gondor avait abandonné ses terres pour les sauver, pouvaient-ils le lui reprocher ? Non... Auraient-ils pu l'en dissuader ? Non... Mais pouvaient-ils encore lui venir en aide, lui éviter une mort terrible ? Hélas, la réponse ne semblait pas différente des précédentes...
Ils ne pouvaient revenir sur le passé, ils ne leur restaient maintenant qu'à se tourner vers demain, le jour où tout se jouerait, où le destin de la Terre du milieu libre serait écrit. Perdront-ils ? Vaincront-ils ? Cela ne dépendrait que de la bravoure dont ils feront preuve à l'aube.
« Nous ne pouvons rien pour Aragorn. » Annonça le mage en se redressant. Une nouvelle énergie l’habitait alors qu’il rassemblait ses effets, il fallait agir vite.
« Il a fait ce qui lui semblait juste, ajouta-t-il, si les serviteurs de Sauron le cherchent, si l'Ennemi est persuadé qu'Aragorn détient l'Unique, alors notre ami a accompli sa tâche et Frodon n'est que plus prêt d'accomplir la sienne.
— Vous ne pensez pas à le laisser à son sort ? » demanda Legolas abasourdi. À quel moment cela pouvait-il devenir une option ? En cherchant le mage, l’elfe s’était persuadé que celui-ci ferait ce qu’il n’avait lui-même réussi à faire : ramener Aragorn.
« Il n'y a rien que nous puissions faire que nous avons déjà tenté. Prions pour qu'il éloigne ses poursuivants aussi longtemps que possible. Prévenez Haldir et Théoden, les plans ont changé, nous ne partirons pas à l'aube. À l'aube, quand le soleil se lèvera, nous serons au pied de la porte noire, prêt à combattre. Il nous faut user convenablement du temps que nous offre Aragorn. »
Le choix du mage était alors le même que Legolas avait pris quelques instants auparavant. Une voix ne cessait de lui murmurer que c’était la meilleure décision à prendre, celle qui respectait Aragorn. Vaincu par ses convictions, il n'insista pas plus. Il s'inclina et partit aussi discrètement qu'il le pouvait sans faire le moindre bruit.
À contre cœur, il fit ce que Gandalf lui avait ordonné, et bientôt tous les guerriers présents à Minas Tirith furent prêts au départ. Seuls peu d'entre eux restèrent à la défense des murs blancs. Si jamais l'Ennemi déployait de nouvelles troupes pour prendre la citée, lâchement, durant la bataille.
Les hommes du Gondor chevauchèrent au côté de ceux du Rohan et des elfes, ainsi que de deux hobbits et un nain en direction du Mordor.
Le chemin ne serait pas long, le royaume de la citée blanche faisait face à celui de l'Ennemi, mais Legolas n'avait pas le cœur à la bataille, lui et Gimli avait l'esprit tourné vers le sud, cela faisait quelques heures déjà qu'Aragorn avait pris la fuite… Mais il avait de l'avance, pensait le nain « Oui, clamait ses pensées, il était parti avant même le départ des Nazguls ».
Et aucun combattant de la liberté n'avait vu passer une créature du mal depuis leur départ. Mais les Nazguls avaient des montures ailées telles, qu'ils auraient très bien pu survoler l'armée sans que nul ne s'en rende compte. Tout ce qui restait à Gimli et Legolas c'était de l'espoir, mais pour beaucoup cette nuit-là, l'espoir était parti, chevauchant loin de la grande flèche pour sauver sa vie et la leur.
Les Hommes, les elfes et leurs guides atteignirent la porte noire peu avant l'aube. Ils n'avaient vu aucun Nazgul durant la nuit, mais au milieu du grand vide noir, Legolas aurait juré avoir entendu l'un de leurs cris perçants. Un seul cri, mais assez pour lui faire craindre le pire.
Gandalf se fit porte-parole de l'armée. Avec Théoden, meneur des Hommes, Haldir et Legolas, représentants des Elfes, Gimli, guerriers des ains et les deux hobbits de la Comté, le magicien se sentait suffisamment en sécurité pour défier l'Ennemi au nom des peuples libres de la Terre du milieu. Il ne cessa de parler jusqu'à ce que s'ouvre la grande porte. Mais nul guerrier n'en sortit, seulement un être coiffé d'un imposant heaume ne laissant entrevoir que deux lèvres pales. Il se présenta comme la « bouche de Sauron ». Et Gandalf su qu'il serait leur unique interlocuteur.
Il commença à leur parler d'une guerre qu'ils ne pouvaient gagner car ils l'avaient déjà perdu, Théoden sentit la peur gagner ses hommes. Les soldats ne tenaient plus leurs lances aussi fièrement vers le ciel, les rangs des chevaux se déformaient. La bouche de Sauron démotivait leurs troupes, mais le pire restait à venir.
« Comment pensez-vous combattre sans roi ? Cracha l'être pâle. Comment pouvez-vous espérer la victoire quand votre seigneur est déjà tombé ? Il n'y a plus d'espoir, mais nous accepterons votre reddition.
— Il n'y aura aucune capitulation ! L'espoir ne quittera aucun de nous et vous serez ceux qui seront défaits, déclara le mage.
— En êtes-vous bien sûr ? »
Sur cette question prononcée d'une voix lugubre. La bouche de Sauron hissa les bras, tenant fermement dans ses mains un fourreau enveloppé d'une sombre cape verte. Legolas fut pris de panique à la vue de ces objets. Son pouls s’accéléra et ses pensées devinrent troubles et sombre. IL regarda Gimli, inquiet, il reconnaîtrait ce fourreau parmi bien des autres, il fut offert à Aragorn en Lothlorien par Galadriel afin d'accueillir Andruil, l'épée reforgée. L'homme ne s'en serait séparé, sauf sous la contrainte. Quelque chose lui était arrivé.
Mais Gandalf ne pouvait laisser son sombre interlocuteur décourager de la sorte son armée. Il s'avança de quelques mètres, mettant Gripoil à hauteur de bras et d'un coup ferme il tua la bouche de Sauron : la tête tranchée, elle chuta sur le sable. Le mage se retourna alors vers les siens.
« Ce ne sont que mensonges. Croyez-vous qu'ils puissent l'avoir attrapé ? Pensez-vous que votre roi aurait pu fléchir de la sorte ? Non sans se battre ! Ce n'est qu'un fourreau et une cape, il n'y a là aucune preuve de la défaite d'Aragorn, fils d'Arathorn, ce n'est là que la peur de notre ennemi que vous pouvez voir. Il veut vous terroriser, vous faire fuir et je sais que beaucoup d'entre vous le souhaitent en ce moment, mais vous devez être forts, ne vous laissez pas déstabiliser par une telle duperie. Il y a une armée derrière ces portes, ils sont sans aucun doute plus nombreux que nous, mais ils nous craignent et ce sera là notre force ! Maintenant à vos lames ! Et qu'aucun ne défaille sans se battre ! Ils seront ceux qui seront défaits ! »
Gandalf n'était pas Estel, non. Il n'était pas non plus un elfe et encore moins un nain. Il n'était guère proche des hobbits ou des hommes du Gondor et du Rohan. Et pourtant, les mots qu'il venait de prononcer faisait naître de l'espoir dans les yeux de ceux qui ne demandaient qu'à rebrousser chemin. Lorsque les portes sombres s'ouvrirent, aucun soldat ne trembla. Ils n'avaient pas peur et chacun d'entre eux étaient aussi fiers qu'ils pouvaient l'être. La tête haute, le dos droit et les lames dressées vers les cieux, ils étaient prêts à se battre pour la paix, pour tout ce qui était bon en Terre du Milieu.
Des milliers d'orques se présentaient à eux, éclairés par la vision du grand œil qui ne se détourna pas de la porte. Legolas fut le premier à donner l'assaut : décochant la première flèche qui fut suivit de celle des elfes d'Haldir : les orques tombaient, un à un, chaque pointe d'acier atteignant sa cible en zone mortelle. Puis Théoden guida les cavaliers vers le front. « À mort ! » crièrent-ils en cœur, épées en main, lances pointées vers l'ennemi. À travers la lumière rouge du regard de Sauron, ils firent une percée dans les armées du Mordor. Gimli suivit avec le reste des guerriers : la bataille avait commencé, les dernières pièces de l'échiquier étaient posées.
Du moins... c'est ce que croyait Gandalf : alors que les alliés de la Communauté semblaient avoir le dessus devant des orques désorganisés et trop confiants, des portes du Mordor surgirent les cavaliers noirs. Aussi sombres que la nuit ils avaient revêtu leur cape d'ombres et montaient leurs sinistres destriers ailés.
Un, il se plaça dans l'alignement des tours de la porte. Deux, trois, ils se placèrent à ses côtés, sans bouger plus que nécessaire. Enfin arrivèrent le quatrième et le cinquième des rois déchus, suivit du sixième et du septième, qui à leur tour gagnèrent leurs compagnons spectres. Et lorsque les armées libres se sentaient faiblir par l’effroi que leur inspirait les cavaliers, le roi sorcier d'Angmar et Khamul firent aussi leur apparition.
Les neuf étaient là, pensa Gandalf, ils étaient perdus, nul homme pouvait tuer ces créatures, qu'attendaient-elles ? Elles ne semblaient pas vouloir attaquer. Les Nazguls restaient seulement là, à contempler la peur qu'ils inspiraient, et l'œil de Sauron semblait se délecter de cela, ne lâchant pas une seule fois la bataille de son regard de feu. Voilà au moins un aspect positif, Sauron ne détournait pas son œil, peut être allaient-ils tous mourir ce jour-là, mais c'était maintenant une certitude pour le mage blanc, l'Ennemi mourrait avec eux.
À l’unisson, les Nazguls prirent leur envol guidé par le cri sinistre de leurs montures. Ils passèrent au-dessus de la bataille mais n'y prirent pas part. Ils tournoyaient au dessus des guerriers, qu'ils soient alliés ou ennemis, morts ou vivants, tels des rapaces en l'attente d'une proie, mais jamais ils ne plongèrent. À quoi bon ? Les Hommes étaient déjà terrifiés et les orques reprenaient peu à peu du terrain.
Puis autre chose se présenta aux portes du Mordor, chevauchant un sombre destrier. C'était un cavalier Nazgul, vêtu de sa longue cape et armé de son épée. Gandalf ne pouvait y croire, il prit le risque, le temps d'un instant, de lever les yeux vers le ciel et Legolas fit de même. Le mage n'avait pas la vision des Elfes, mais il en venait au même compte que l'archer : Il y avait neuf Nazguls au-dessus d’eux. C'était impossible, il ne pouvait y avoir dix rois déchus.
Les yeux de Legolas s'élargir, le dixième Nazgul, car s'en était un, il n'y avait pas de doute, semblait désireux de prendre part à la bataille quant à lui. Plus il l'observait plus cela se confirmait, sa cape était la même, son armure était identique et son visage se cachait derrière un voile d'ombre. Son cheval n'était plus qu’une créature des ténèbres. Legolas s’alarmait de plus en plus lorsqu'il sentit Gandalf prêt de lui.
Il lui murmura quelques mots dont l'elfe ne saisit pas le sens :
« N'ayez aucune pitié, ils l'ont détruit. Ce n'est qu'un spectre parmi d'autres. »
Puis il comprit, malgré le voile d'ombre, le spectre n'était pas méconnaissable. Il tenait dans sa main une épée dont une lueur blanche semblait briser la lame, non, ... Legolas ne voulait pas voir cela. Cette épée... il la connaissait aussi bien que le fourreau dont elle était issue, même si à cet instant, Andruil ressemblait plus à Narsil, dans l'ancien temps. L'elfe était pétrifié, il n'était pas le seul à avoir reconnu l'épée, Théoden, Gandalf, Haldir, Gimli, les deux hobbits et un grand nombre d'Hommes et d'elfes avaient aussi reconnu l'épée d'Elendil, l'épée d'Aragorn. Voilà un ennemi qu'il ne pourrait tuer. Un ami qu'il n'oserait attaquer. Peu importe ce qu'avait dit Gandalf, il ne pourrait l’affronter...
Sud du Gondor, quelques heures auparavant, dans la nuit noire.
Aragorn chevauchait, poussant sa monture à bout, plus il serait éloigné du Gondor et du Mordor mieux cela serait pour ceux qui y sont restés, ceux qu'il tenait à protéger. Ils se retourna, une fois, puis deux, toujours aucun signe des Nazguls, mais ils finiront par arriver. Il n'avait aucun regret quant à son choix. C'était pour lui la meilleure option. Il foula encore un instant le désert du Sud avant d'entendre le premier cri : les bêtes ailés n'étaient pas loin. Elles ne tarderaient pas à le saisir.
Encore un mètre, puis deux et au troisième il tomba de sa monture : un Nazgul venait de le survoler. Il se redressa aussi vite qu'il le put et brandit son épée. Il n'avait pas de feu pour les faire fuir comme il l'avait fait au mont venteux. Seul lui restait sa lame et il savait bien que cela ne serait pas suffisant, mais il lutterait aussi longtemps qu'il le pourrait. Le temps était quelque chose de précieux qu'il se devait de gagner pour Frodon.
Le roi sorcier arriva bien vite, il descendit de sa monture ailée et lui fit face, il était réellement imposant et terrifiant, mais Aragorn ne fléchit pas et se tenu ferme devant lui.
« Tu veux me tuer ? Alors viens, approche ! »
La provocation fit son effet, d'autres Nazguls atterrirent mais aucun ne l'attaqua. Et s'ils le pouvaient, il n'y avait aucun doute, à ce moment-là, que les Nazguls seraient en train de rire. Le seigneur du Gondor ne comprenait plus rien. Un Nazgul tenta de le saisir mais il ne se laissa pas faire et riposta de la lame d'Elendil. Il était nombreux mais Aragorn résista aussi longtemps qu'il le put, jusqu'à ce que, perdant patience, le roi sorcier d'Angmar fit venir l'un de ses cavaliers spectres dont la monture attaqua Aragorn, le faisant violemment chuter sur une dizaine de mètres.
Il voulut se relever mais cela fut plus dur que la première fois, un spectre approchait, il tenta vainement d'attraper son épée mais le roi sorcier vint poser le pied sur la lame et d'un coup sec, la brisa. C'était la fin, le seigneur du Gondor n'avait plus aucun espoir de résistance, il ne verrait pas l'aube se lever et il ne serait certainement plus là pour voir la tour de l'œil s'effondrer. Il n'avait plus en lui l'envie de se battre, il laissa les Nazguls saisir ses bras et le redresser devant le roi sorcier. Qu’attendait-il ?
« Tue-moi. Vas-y. » Pensa le roi.
Mais non, le sorcier d'Angmar avança lentement vers lui et tira une lame de sa ceinture. Ce n'était pas une épée, ni un couteau, cela ressemblait plutôt à... Non ! C'était avec cela qu'il avait attaqué Frodon, avec cela qu'il l'avait attiré parmi les spectres. Aragorn regagna soudain l'envie de combattre, la mort était acceptable, mais tourner à l'ennemi, il ne saurait le supporter.
Malheureusement, il était trop tard. Les spectres le tenaient fermement et le roi sorcier plongea sa lame empoisonnée dans son torse, non loin de son cœur. Suffisamment prêt pour que le poison agisse efficacement, suffisamment loin pour ne pas le tuer. Aragorn se trompait, il verrait l'aube. Seulement, il ne sera plus qu'un spectre au service du mal, un roi déchu parmi les autres. Pendant qu'il s’enfonçait dans les abîmes, l'héritier d'Isildur aperçut l'œil de Sauron regardant à travers lui. Il avait prévu cela, Aragorn avait voulu le duper et c'était lui qui avait été piégé, maintenant il venait d'offrir une arme redoutable à l'Ennemi. Car il savait que nul soldat de la communauté ne pourrait le tuer. Du moins, il espérait que l'un d'eux en ait le courage... au moins pour le libérer.
« Legolas reprenez vos esprits ! Hurla le mage.
— C'est...
— Oui, mais je vous l'ai dit. Il n'y a plus rien de l'homme que nous connaissions dans ce spectre ! Ils l'ont détruit. Ne les laissez pas vous tuer, vous aussi. »
Legolas savait que les paroles du magicien étaient sages et fondées, mais il avait beaucoup de peine à se résoudre à l'idée de brandir ses lames contre son ami, presque frère. Mais il n'eut guère plus de temps pour réfléchir, Aragorn avait déjà tué grand nombre de cavaliers parmi les hommes et était maintenant au sol, son cheval ayant était abattu par un tir de précision des elfes.
Mais il était d'autant plus dangereux à terre, son habilité à la lame lui permettait de régner en maître sur le champ de bataille et cela décuplait les forces des soldats du Mordor, l'espoir qui rayonnait dans les rangs des Hommes guidait à présent l'ennemi. Et l'œil de Sauron pas une seule fois ne dévia de son nouveau guerrier. Au bout du compte, peut-être Aragorn avait-il réussi dans sa quête ?
Gimli et Gandalf se trouvait face à un géant orque des plus menaçant. Théoden et ses soldats faisaient face à Aragorn et son armée d'orques. Ils appelaient à l'aide. Legolas hésita, le point serré sur la poignée de sa lame. Il ne savait s'il pourrait leur apporter cette aide. Puis il se souvint, Aragorn lui avait demandé de ne pas les abandonner. Alors, oui, l'elfe les aiderait, il ne les laisserait pas seul. Même s'il devait pour cela affronter son ami.
Animé d’une nouvelle force, il se déplaça habilement vers le groupe de Théoden et prit place au front devant les Hommes qui à sa venue gagnèrent en courage. Legolas engagea le combat avec plusieurs orques, ne laissant aucun survivant aux coups de ses dagues elfiques. Et alors qu'il s'apprêtait à tuer un nouvel orque, une lame plus grande, mieux aiguisée que celle d'un soldat du Mordor vint percuter la sienne, une lame qui était brisée par une lueur pâle. Ce que craignait l'elfe était arrivé. Aragorn l'avait pris pour cible. Mais il n'était plus Aragorn, il n'était plus le seigneur du Gondor. Gandalf avait raison, maintenant Legolas pouvait le voir : ce n'était plus qu'un spectre noir.
Il n'eut alors aucun remord à engager le combat, le dixième des Nazguls maniait son épée avec précision et avec grâce, la grâce d'un homme élevé parmi les elfes de Fondcombe, un maniement que Legolas maîtrisait lui aussi à la perfection. Le duel n'en était que plus spectaculaire et l'œil de Sauron n'en était que plus captivé. Et d'un coup fort la lame corrompue de Narsil contraint Legolas à se courber, d'un coup de bottes, il partit à la renverse.
Le spectre sombre avançait vers lui mais il ne put l'atteindre, Haldir avait abandonné ses archers pour venir en aide au prince. Il s'opposa avec une grande vigueur et son épée porta maints coups à son adversaire, mais tous furent parés, ou esquivés. Haldir était en position de domination, mais pourtant il ne menait guère la danse dans ce combat, son ennemi ayant attendu assez longtemps, lui porta un coup brutal dans les jambes et Haldir chuta. Cette fois le dixième n'hésita pas, il prit de ses mains fermes le manche et avec toute sa force abattit verticalement sa lame qui vint transpercer le corps de celui qu'il appelait par le passé « Mellon-nîn ».
Il tira sa lame aussi vite qu'il l'avait planté, aucune émotion ne parcourait son corps d'ombre, il abandonna le corps du capitaine elfe et se dirigea vers son précédent adversaire de duel. Legolas s'était relevé certes, mais il venait de voir Haldir rendre son dernier souffle par-là main d'un des siens. Il n'était pas en état de choc, non, il n'y avait que la rage en lui, la rage envers Sauron qui avait retourné Estel contre eux. Aragorn n'était plus qu'un représentant du grand Œil, alors il périrait pour ce crime.
Dans sa colère nouvelle Legolas était plus fort, il parvint à faire reculer le spectre noir, celui-ci n'arrivait plus à attaquer, il se défendait. Mais bientôt les orques vinrent prendre la défense de leur capitaine de guerre. Legolas se trouva bientôt au milieu d'une foule d'orques et de ce fait, bien loin de son adversaire. Gimli qui en avait fini avec son géant voulu venir en aide à Legolas, mais il ne remarqua pas le spectre dans son dos.
« Gimli ! Attention ! »
À peine eut il entendu la voix de l'elfe, le nain se retourna, juste attend pour dévier la lame qui se dirigeait sur lui, celle-ci lui entailla l'épaule, mais Gimli répondit de sa hache, à son tour il fit face à dixième des Nazguls, qui bientôt se trouva dos aux archers encore vivants des elfes. Une flèche tirée avec précision atteignit la jambe du cavalier noir. Celui-ci fléchit.
Gandalf fut alors troublé. Cette flèche n'aurait jamais dû le blesser, une ombre n'est qu'une ombre, il n'y avait rien de vivant. Il perçut alors, un filet de sang noir couler sur le sable au pied de son propriétaire, et il comprit.
« Ne le tuez pas, maître Gimli ! Ne le tuez pas ! »
Le nain fut surpris et détourna son attention de sa cible l'espace d'un instant, que voulez dire Gandalf ? Il leur avait demandé de n'accorder aucune pitié et maintenant il devait l'épargner ? Il recula sa hache qui était prête à donner un coup fatal. Mais c'était trop tard, son inattention avait permis à son adversaire de bouger : c'était lui qui était prêt à donner un coup mortel. Mais il fléchit une nouvelle fois, un poignard elfe dans l'épaule.
« Désolé, mellon-nîn. » Murmura Legolas.
Le spectre avait lâché son épée et était maintenant tout à fait maîtrisable, les armées du Mordor avait à nouveau cette crainte dans leur regard. L'œil de l'Ennemi parcourrait le champ de bataille à la recherche de ce qui devait être un espoir de victoire. Puis il se calma, pointant sa lueur sur Legolas, Gimli et Gandalf. Tous entendirent alors le hurlement des Nazguls, les neuf commençaient leur descente. Mais ils n'arrivèrent pas au bout. Une explosion retentit, un nuage de fumée fit son apparition et le faisceau de lumière s'estompa.
Legolas et Gimli tournèrent leur regard vers Gandalf.
« Oui. C'est là l'œuvre de Frodon. Il a réussi.
— Les Nazguls. Notifia Théoden. Ils disparaissent.
— Oui, seigneur du Rohan. Ils n'ont plus de maître à servir, ils retournent parmi les ombres. »
Alarmé Legolas se tourna vers l'endroit où les elfes maintenaient Aragorn. Il était toujours là. Pourquoi était-il encore là ? Incrédule, l'elfe se tourna à nouveau vers le mage.
« C'est pour cela que je vous ai demandé de l'épargner, maître nain. Notre ami n'a pas achevé son voyage vers les ombres, il y a encore un corps de chair sous la nuée. Il y a encore un espoir de, le sauver. »
Gandalf fit ensuite signe aux aigles, il demanda à deux d'entre eux de partir quérir des survivants à la montagne du Destin puis il demanda un l'un d'entre eux d'aller trouver le seigneur Elrond, de Fondcombe. Il aurait besoin de lui pour ramener le seigneur Aragorn dans la lumière.