Une autre reine
Les quatre frères et sœurs et le nain accostèrent à une plage de graviers pour continuer leur chemin à pied.
Tandis que le nain plantait l’amarre, qu’Edmund et Susan tiraient la barque pendant que Peter la vidait, Lucy s’éloigna, observant les environs.
Son regard tomba sur un ours brun qui se désaltérait dans la rivière.
- Eh oh, ça va ? lança joyeusement Lucy, faisant redresser la tête à ses frères et sœurs.
L’ours se dresse sur ses pattes arrière en grognant.
- Tu n’as pas à t’inquiéter, nous sommes des amis, continua Lucy en s’avançant vers lui.
L’ours retomba sur ses pattes, hésitant apparemment quant à l’attitude à adopter.
- Ne bougez pas votre majesté ! cria le nain.
Lucy se retourna vers lui, surprise, avant de revenir sur l’ours qui s’était décidé à foncer sur elle.
Elle fit demi-tour et partit en courant l’ours sur les talons.
Susan banda son arc :
- Ne t’approche pas d’elle !
Lucy trébucha et tomba en avant.
L’ours arriva sur elle et se redressa en grognant, les babines retroussées, ses crocs immenses prêts à fondre sur Lucy qui poussa un cri d’effroi.
- Tire, Susan ! Tire ! hurla Edmund.
Une flèche en plein cœur arrêta soudain le plantigrade qui s’écroula sur le flanc.
Lucy se retourna vers sa sœur qui avait toujours sa flèche encochée. Son regard passa au nain, suivant celui de Susan, mais il n’avait même pas pris son arc.
- D’où sort cette flèche ? s’interrogea Susan.
Edmund et Peter se précipitèrent vers Lucy pour la relever, la serrant contre eux.
- Pourquoi ne s’est-il pas arrêté ? demanda Susan.
- Il devait simplement être affamé, répondit le nain.
- Il ne parlait pas, remarqua Edmund.
- Il était sauvage, dit Peter.
- Il a tellement été pris comme un animal sans cervelle, qu’il est redevenu sauvage, expliqua le nain en arrachant la flèche à l’empennage bleu de la fourrure de l’ours. Vous allez vite remarquer que la barbarie règne à Narnia.
Il tendit la flèche à Susan qui l’examina de plus près.
- Elle ressemble beaucoup aux miennes, dit-elle. On voit que c’est de fabrication narnienne.
- Ça serait donc un Narnien ?
- Pourquoi se cache-t-il dans ce cas ? fit Peter. Nous sommes là pour leur venir en aide.
- Pour l’instant c’est lui qui nous aide, remarqua Lucy. Il m’a sauvé la vie.
- Je vais faire un tour de reconnaissance, décida Peter, je n’aime pas qu’on m’espionne.
Mais le mystérieux tireur était déjà loin…
Il courait dans une forêt de fougères pour être exact.
Forêt où le prince Caspian, le blaireau Chasseur-de-Truffes et le nain Nikabrik se trouvaient pour aller retrouver les Narniens.
Il n’eut que le temps de reculer précipitamment derrière un arbre pour se dissimuler, mais c’était trop tard.
- J’ai cru apercevoir une silhouette derrière cet arbre, fit Caspian en fronçant les sourcils.
- Une silhouette ? s’étonna Chasseur-de-Truffes.
- Oui, répondit Caspian en se dirigeant vers l’arbre en question, tirant son épée par la même occasion. Une silhouette pressée de se cacher…
L’ombre derrière l’arbre jura silencieusement.
Elle ne s’attendait pas à tomber sur ces trois-là. Et n’avait aucunement l’intention de se laisser débusquer. Elle leva la tête, et d’un geste souple, crocheta la branche la plus basse pour s’y hisser à la force des bras. Elle se plaqua contre le tronc, masqué par le feuillage, invisible.
Caspian bondit à ce moment devant l’endroit où elle se cachait quelques secondes plus tôt. Il baissa son épée, désappointé.
Le blaireau renifla alors l’air.
- Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Nikabrik.
- Humain.
- Lui ? fit-il en désignant Caspian.
- Non. Eux, là-bas !
A travers les arbres, les trois compagnons aperçurent des soldats de Miraz qui approchaient, arbalètes à la main.
- Les voilà ! cria l’un d’eux.
Aussitôt, Caspian et les Narniens prirent leurs jambes à leur cou.
Ils commencèrent à se faire cribler de carreaux d’arbalète et n’avaient aucune possibilité de se défendre ou se cacher. Chasseur-de-Truffes reçut un carreau dans la cuisse et s’écroula, roulant dans les fougères. Caspian revint rapidement sur ses pas pour lui venir en aide. Les soldats n’étaient plus qu’à quelques mètres et le mirent en joue. Caspian se dit qu’il était perdu.
Soudain, un des soldats poussa un cri de douleur et s’effondra en avant, une longue flèche bleue plantée dans le dos.
Caspian aperçut de loin une silhouette tenant un arc. A cette distance, impossible de savoir de qui ou de quoi il s’agissait, surtout qu’il ne voyait pas son visage. On aurait presque dit un fantôme.
Celui-ci abattit encore trois soldats avant que ceux-ci réalisent que le danger était plus derrière eux que devant. Ils se retournèrent pour mettre l’inconnu en joue, mais il eut le temps de faire un bond derrière un arbre et les carreaux se plantèrent dans l’écorce avec un bruit mat.
Caspian en profita pour jeter Chasseur-de-Truffes en travers de son épaule et de déguerpir sans demander son reste. Cette intervention providentielle, bien que particulièrement étrange était la bienvenue.
Les quelques rescapés qui avaient échappés au fantôme se lancèrent à sa poursuite… avant d’être de nouveau confronté à un mystérieux phénomène. Les fougères s’agitèrent et les soldats tombèrent les uns après les autres avec des cris d’effroi et des râles d’agonie.
La… chose, se déplaça ensuite à une vitesse hallucinante pour se jeter sur Caspian, qui découvrit qu’il s’agissait… d’une souris ! Une souris beaucoup plus grande que la moyenne, avec un anneau doré orné d’une plume sur l’oreille. Elle le menaçait d’une épée fine comme une aiguille et n’avait pas l’air commode.
- En garde, Telmarin ! lança-t-elle. Prépare-toi à vendre chèrement ta vie !
Laissant Caspian à ses problèmes, l’ombre n’avait pas attendu que les soldats ou les narniens se remettent de cette altercation pour leur donner l’occasion de la prendre en chasse. Elle courait à travers bois, s’éloignant le plus possible d’eux sans vraiment savoir où elle allait véritablement.
C’est comme ça qu’elle surgit en plein milieu d’un groupe de gardes Telmarins qui faisaient boire leurs chevaux. Ils se redressèrent surpris de cette intrusion, prêts à tirer leurs épées. En jurant intérieurement, elle commença à reculer quand elle heurta un garde qu’elle n’avait pas vu approcher par derrière.
- Eh bien, tu ne vas partir sans t’être présenté ! lanca-t-il en l’attrapant par le bras. Montre un peu ce que tu caches sous ta capuche !
Il tendit le bras vers la capuche pour la lui retirer, mais l’ombre ne se laissa pas faire. Lui attrapant le bras avec sa main libre, elle le lui tordit dans le dos avant de lui envoyer un coup de genou dans le menton. Le garde la lâcha en s’écroulant par terre. A une vitesse effarante, elle se recula pour bander son arc, tira une flèche, tuant un soldat qui avait sorti son épée.
Mais elle n’eut pas le temps de prendre une autre flèche dans son carquois, un carreau d’arbalète érafla son épaule lui tirant un cri de douleur. Les soldats profitèrent de son inattention momentanée pour la maîtriser.
Le soldat qui avait reçu un coup de genou au visage, s’approcha de l’ombre.
- Et maintenant, voyons à quoi tu ressembles, fit-il avant de lui arracher la capuche d’un coup sec.
Les Telmarins eurent un sursaut de surprise.
- Par la barbe de mon ancêtre ! jura-t-il.
L’ombre se dit que ça s’annonçait très mal pour elle.