Sienna

Chapitre 1

2265 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 01/01/2020 19:16

Je n’aimais pas consoler les gens. C’est quelque chose que je ne savais pas faire. J’avais toujours l’impression d’être maladroite ou que mes mots sonnaient creux. Alors quand le petit Julian – un jeune garçon d’une douzaine d’année - était venu me voir avec sa tête des mauvais jours, je m’étais retenue de partir en courant. Je l’avais fait asseoir sur le tronc d’arbre qui nous servait de banc. Et cela faisait maintenant dix minutes que je tentai de lui rendre le sourire.

- On sortira d’ici un jour, Julian. Je continuerai à chercher. 

Julian hocha la tête mais ne sembla pas convaincu. 

- Mais même si on sort d’ici, je ne sais même pas à quoi ressemble mes parents. Je ne sais même pas si j’en ai… 

Ses yeux bleus se remplirent de larmes.

- Il y a forcement des gens qui t’aiment et qui t’attendent. Peu importe qu’il s’agisse de tes parents. Et peu importe que tu saches ou non à quoi ils ressemblent. L’important, c’est qu’ils existent. C’est à ça que tu dois penser. A rien d’autre. 

Le petit garçon secoua la tête, faisant rebondir ses boucles blondes. 

- Allez, viens m’aider à chercher du bois, le motivai-je en me levant. 

Julian me suivit et nous fîmes quelques pas dans la forêt environnante. Plus les semaines passaient, plus il fallait aller loin pour trouver de quoi faire un feu. Nous marchâmes quelques minutes avant de dénicher ce dont nous avions besoin. En silence, nous chargeâmes branches et brindilles dans l’espèce de brouette que nous avions fabriqué afin de faciliter ce genre de taches ingrates. Bien que chercher du bois était probablement l’activité la plus agréable ici. Et surtout la moins dangereuse. 

Nous revînmes sur le camp. Julian se chargea de disposer le bois tandis que je vérifiai que le contour du brasero était toujours sécurisé. En percevant leurs voix, je levai la tête vers Camille et Benjamin qui s’approchaient. Ce dernier me fit un clin d’œil, une lueur taquine dans les yeux.

- Alors, Sienna, tu donnes des cours de survie maintenant ? Plaisanta t-il.

- Julian se débrouille très bien tout seul, assurai-je en échangeant un regard complice avec le jeune garçon.

Camille, une grande blonde athlétique aux yeux noisettes, se laissa choir à mes côtés. Ben l’imita.

- Alors, vous avez réussi à transformer des bouts de bois en arme de destruction massive ? Demandai-je en désignant l’objet que Camille tenait dans sa main. 

- Tu parles, c’est à peine si j’ai réussi à obtenir un coupe enveloppe, soupira t-elle.

- Fais voir.

Elle me tendit le manche en bois qu’elle avait aiguisé du mieux qu’elle pouvait. Je trouvai qu’elle avait plus de mérite qu’elle ne semblait le penser.

- C’est pas si mal, dis-je. Avec un peu de persévérance, ça pourrait donner quelque chose.

- Persévérance, c’est mon deuxième prénom, affirma Camille en recommençant à tailler le bois à l’aide d’un silex. 

- On en reparle dans une heure, lâcha Ben avec un sourire moqueur. 

Camille lui tira la langue et reporta les yeux sur son travail.

- Kart a prévu une sortie, aujourd’hui ? M’interrogea Ben.

- Je ne crois pas. Ca fera bientôt un mois. Je crois qu’il attend le prochain colis.

Ben leva les yeux au ciel.

- Sérieux, qu’est-ce qu’il croit ? Qu’ils vont nous envoyer des armes et une carte pour sortir de ce trou à rat ? S’agaça t-il. 

- Ils nous donnent à peine de quoi nous nourrir, renchérit Camille.

Je haussai les épaules. J’avais l’impression d’avoir entendu ces paroles des dizaines de fois. On finissait par tourner en rond à force de vivre dans quelques centaines de mètres carrés ou rien ne changeait jamais. Mais cette discussion était vaine ; nous savions tous qu’il n’y avait rien à attendre du prochain colis. Ni de quoi que ce soit d’autre qui viendrait d’eux d’ailleurs. Nous ne pouvions compter que sur nous-même pour sortir de ce cauchemar. 


Cela faisait maintenant plus de deux ans que j’étais coincée ici. Je ne parvenais à suivre le compte que grâce aux bâtonnets gravés sur le mur du labyrinthe. Ce labyrinthe qui nous gardait prisonniers, infranchissable et impitoyable. 

Je me souvenais de mon arrivée ici comme si c’était hier. Je m’étais réveillée un jour, enfermée dans une grande cage, haute de quelques mètres. J’étais dans le noir complet et l’endroit sentait la poussière et le renfermé. Je me souvenais avoir entendu un grincement métallique. Le sol avait oscillé. Déséquilibrée, j’étais tombée et j’avais reculé à quatre pattes, le front ruisselant de sueur malgré la fraicheur environnante. Mes pieds avaient heurté une paroi de fer et je l’avais longé jusqu’à un coin. Je m’étais assise et j’avais ramené mes genoux contre moi en espérant que mes yeux s’habitueraient bientôt à l’obscurité. 

Soudainement, le sol s’était ébranlé et s’était mis à monter, comme un vieil élévateur dans un puit de mine. Un fracas de chaines et de poulies avait retenti, résonnant contre les murs. L’ascenseur obscur se balançait et j’avais été prise de nausées ; l’odeur d’huile chaude n’avait rien arrangé. 

La montée avait duré un long moment jusqu’à ce que la cabine ralentisse dans un dernier chuintement et en émettant un clic sourd avant de s’immobiliser. Tout était devenu silencieux. J’avais tâtonné dans le noir à la recherche d’une issue ; je n’avais senti que le métal froid. Un claquement sonore avait alors retentit au dessus de moi. J’avais levé la tête avec surprise. Une ligne mince était apparut dans le plafond et s’était élargie sous mes yeux. Quelqu’un ouvrait de force des volets coulissants. La lumière m’avait fait mal aux yeux ; j’avais détourné la tête et m’étais couverte le visage des mains. J’avais alors entendu des voix. Plissant les paupières, j'avais tourné les yeux vers le plafond. Je n’avais d’abord distingué que des ombres et ensuite des silhouettes : perchées au-dessus de l’ouverture, elles m’avaient observé et montré du doigt. Les visages s’étaient ensuite précisés. On m’avait descendu une corde terminée par une boucle. Apres une hésitation, j’avais glissé le pied dans la boucle et m’étais laissée hisser dans les airs. Une voix s’était élevée : « Salut. Bienvenue au bloc ». Je n’avais jamais oublié ces mots.

Depuis, la cage remontait chaque mois avec à son bord un nouvel arrivant et un colis. La plupart du temps, nous y trouvions des vêtements, des graines à planter, de la nourriture déshydratée…mais rien qui pourrait nous permettre de nous échapper de ce maudit Bloc.

Il était composé de plusieurs parties : au centre, il y avait la boite, entourée d’une grande esplanade, faite de gigantesques dalles. Elles étaient zébrées de fissures envahies par les mauvaises herbes. La prairie, une vaste étendue de pelouse jaunie par le soleil, entourait l’esplanade. Puis venait la forêt, grande comme une dizaine de terrains de foot. Et au loin, les hauts murs du labyrinthe. Ils encerclaient le Bloc en formant un carré parfait. Au centre de chacun des quatre murs se trouvaient d’énormes ouvertures, que nous appelions « les portes » : Nord, Sud, Est et Ouest. Les pierres grises qui composaient les murs étaient craquelées, couvertes de lierre et plus vieilles que tout ce que j’aurais pu imaginer. Les parois étaient tellement hautes que quand on se dévissait le cou pour observer le sommet, on éprouvait la sensation étrange de regarder en bas plutôt qu’en haut. La masse de la structure était écrasante. Au-delà des portes, on apercevait d’immenses couloirs. 

Le labyrinthe était un vrai dédale. Il était si vaste que, plus de trois ans plus tard, je n’étais toujours pas certaine que nous en ayons fait le tour. Il était notre seule chance de sortir d’ici. Si réellement il existait une sortie. Ce dont je commençai à douter…

Lorsque j’étais arrivée ici, nous n’étions qu’une quinzaine. Kart, un grand brun au teint mat, était le premier arrivé, un an avant moi. Puis il y avait eu Gary, Carrie, Ben, Ethan et tant d’autre. Maintenant, nous étions quarante trois. Filles et garçons, âgés de douze à vingt ans environ. Quarante huit étaient arrivés ; cinq n’étaient plus parmi nous. Et pas parce qu’ils étaient parvenus à s’enfuir. 

En presque quatre ans, nous avions eu le temps de nous organiser comme une vraie petite nation. Kart était le chef – étant arrivé le premier, ce rôle lui avait naturellement été attribué. Et il remplissait ses fonctions avec brio ; il savait être ferme mais compréhensif. C’était des qualités indispensables pour mener un groupe tel que le notre ; composé pour l’essentiel d’ados complètement paumés. Ben était l’adjoint ; sa bonne humeur et son enthousiasme étaient indispensables. Tous les autres étaient mis à contribution selon leurs compétences.

Il y avait les cuisiniers ; Ethan en était le leader. Ils s’arrachaient les cheveux pour nous mijoter des plats comestibles, ce qui n’était pas une mince affaire au vu du peu de ressources que nous possédions. Les vivres que nous recevions chaque mois étaient loin d’être suffisantes pour nourrir le groupe. Les cuisiniers se chargeaient donc d’entretenir le potager qu’ils avaient créé grâce aux graines fournies par les colis. Ils géraient l’eau aussi. Elle venait de la seule et unique petite rivière qui traversait le bloc. Et les cuisiniers parvenaient à la rendre potable grâce à une petite et simpliste station d’épuration envoyée par colis l’uns des premiers mois. 

Il y avait les bâtisseurs, qui passaient leurs journées à essayer d’améliorer notre quotidien en fabriquant cabane, paillote, meubles… Le camp n’avait plus rien à voir avec ce qu’il était à mon arrivée. Maintenant, une dizaine de petites cabanes étaient sorties du sol : elles servaient de dortoirs. Il y avait aussi le garde manger, exclusivement utilisé par les cuisiniers. L’armurerie, dans laquelle nous rangions les quelques armes artisanales que nous étions parvenus à fabriquer. L’infirmerie aussi, qui avait malheureusement déjà servie de chambre mortuaire. Des bancs, des chaises et des tables – dont aucun n’étaient parfaitement droit – terminaient de meubler le camp.

Et puis il y avait les sprinteurs, dont je faisais partie. Kart en était aussi le chef. Nous n’étions que cinq ; peu étaient suffisamment rapides pour faire partie de ce groupe. Il était composé de Kart, Ben, Stan, Bastien et moi. Nous étions chargés de parcourir le labyrinthe pour tenter de trouver une sortie. Nous en connaissions presque chaque recoin maintenant. La rapidité était une qualité indispensable, mais elle n’était pas la seule. Pour survire, il fallait être astucieux et fort. Il fallait savoir prendre des décisions en un clin d’œil, peser les risques. Il n’y avait pas de place pour les casses cous ou les timides. La difficulté première était d’en être ressortis à temps. Chaque soir, au coucher du soleil, les grandes portes se refermaient avec un grand « boum », suivi par un horrible grondement. Le sol se mettait à trembler. Les murs gigantesques glissaient en soulevant des étincelles et des nuages de poussière. Ne pas avoir franchi ces murs avant leur fermeture était la hantise des sprinteurs. Ceux qui avait eu la malchance de s’y retrouver piégés la nuit n’étaient plus là pour en parler. C’est ce qui était arrivé à Simon et Chris, deux anciens blocards.

Nous en avions étudié chaque couloir, chaque mouvement. La dispositions des parois intérieures du labyrinthe changeait tous les jours. Le labyrinthe se modifiait tout le temps, il suffisait d’une erreur pour s’y retrouver enfermé. Des sections s’ouvraient et se fermaient selon un schéma bien particulier qui se répétait sans cesse. Mieux valait ne pas se trouver dans les parages quand il prenait l’envie à ces énormes murs de se dégourdir les racines. Lors de notre dernière « sortie », nous avions découvert une nouvelle section – la section 8. Alors que nous courrions le long d’un couloir, Stan avait dérapé et avait littéralement traversé le mur d’en face. Ce que nous avions toujours pris pour un simple mur recouvert de végétation été en fait un passage dissimulé. Notre prochaine excursion aurait pour but d’explorer cette partie de manière plus approfondie. J’espérais que nous trouverions enfin une piste. Même si je doutais que ceux qui nous avaient enfermé ici, quels qu’ils soient, aient l’intention de nous en faire sortir un jour.


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