Parmi mon peuple
Des années plus tôt…
La forge rougeoyait d’une chaleur cuisante tandis que Daraïn Forgefer s’attelait durement à la tâche. Ses muscles de nain roulaient sous sa peau en sueur. Martelant durement le métal qui résonnait de clic et de clac, il faisait également chauffer l’acier avant de le plonger dans l’eau, laissant alors s’échapper de bruyantes vapeurs. Amerys avait vingt et un an à cette époque et avait pour habitude de se réfugier auprès de son père, aimant le regarder travailler et tentant parfois de l’aider dans de basses besognes.
Daraïn avait spécialement coupé court sa barbe cuivrée grisonnante pour ne pas être gêné dans son travail mais avait soigneusement gardé ses cheveux longs et épais, ornés de tresses ici et là dans une sauvagerie malgré tout bien rangée et agrémentées de perles d’acier brut. Les flammes dansaient dans ses yeux noisette qui eux-mêmes reflétaient une concentration extrême ainsi qu’une passion dévorante pour l’art des métaux. Son père était fier de son métier qui se transmettait de génération en génération. Son plus cher souhait aurait été de le transmettre à un éventuel fils mais il n’avait eu qu’une fille après la mort de son premier bébé. Ainsi il avait été clair, une femme n’était pas capable de manier la matière et devenir forgeronne. C’est pourquoi Amerys avait suivi les pas de sa mère et était devenue guérisseuse et apothicaire. Cela ne l’empêchait pas de rêver de mode de vie nain, de cités dans la montagne et d’amis qui lui ressemblaient un peu plus.
- Raconte-moi encore comment était la forge d’Erebor papa ! s’égosilla Amerys.
La jeune demi-naine qui était assise sur un tonneau à admirer son père travailler ne put s’empêcher de reposer encore cette question. Elle rêvait d’Erebor depuis toute petite grâce aux récits de son paternel et s’était cent fois imaginé la Montagne Solitaire comme une merveille de vie et d’architecture naine. Daraïn tout en continuant sa tâche pris néanmoins le soin de répondre à la requête de sa fille unique.
- Je te l’ai déjà décrite au moins dix fois déjà… Tout comme le royaume perdu en lui-même et ce qui se trouvait aux alentours, Dale et Esgaroth.
- Cela me fait tant rêver ! J’aimerais y aller un jour ! s’extasia-t-elle.
- Cela n’est pas possible et tu le sais bien ma chérie.
- Pourquoi personne n’a jamais tenté de déloger ce satané dragon de là-bas ? Cela ne doit pas être si difficile. Je croyais que notre peuple était fort et courageux. Il doit bien y avoir un moyen de récupérer ce bien et tuer ce maudit cracheur de feu !"
Son père rit alors aux éclats devant les dires de sa fille.
- Pas face à un dragon de la taille et la force de Smaug… malheureusement. Seul un miracle pourrait nous permettre de récupérer la cité mais j’ai de minces espoirs. Je crois qu’elle restera sans vie, inanimée et terne à tout jamais...
Amerys baissa la tête devant le pessimisme de son père. Elle posa pied pour descendre de son perchoir et marcha lentement au sein de la forge tandis que le maître du fer et du feu continuait son œuvre. Elle saisit un panier couvert et le posa près du travailleur.
- Il est temps de manger papa. Maman t’as préparé un bon déjeuner.
Daraïn qui était tiraillé par la faim reposa ses outils, prêt à engloutir son repas avant de retourner très vite manier le métal. Il croqua goulûment dans son casse-croûte avant d’adresser à sa fille un sourire paternaliste.
- Qu'en-est-t-il de ce roi ? reprit alors la demoiselle insistante. Thorïn Ecu-de Chêne si je me souviens bien, n’aimerait-il pas reconquérir ce qui lui appartient ? Ne souhaite-t-il pas se battre pour son bien ?
- Amerys… souffla le forgeron. Nous en avons déjà parlé. Pourquoi fais-tu une obsession sur Erebor et ses habitants ?
La jeune femme peinée par la réaction de son père fronça les sourcils avant de répondre dans un murmure :
- Car mes ancêtres ont vécu là-bas, marché dans ce royaume. Tu as grandi dans cette cité. Papa, je suis à moitié naine, le sang des montagnes et des cavernes coule dans mes veines. Il y a cette part en moi qui ne rêve que de mettre un pied dans un de ces lieux de vie, de rencontrer d’autres de nos congénères… J’aime ce que tu m’as transmis et j’en rêve chaque nuit.
Amerys fit une pause tandis que son père l’écoutait d’une oreille attentive.
- Je fais souvent le même rêve…
- Quel rêve ma chérie ?
Elle se frotta le visage, laissant apparaître une sourire rêveur.
- Je rêve d’une montagne, haute et splendide. Mais autour de moi la cité naine est délabrée, vide et froide. Je ne suis pas seule cependant, je vois d’autres gens mais ils apparaissent de manière systématiquement floue, j’ignore qui ils sont et ce que je fais avec eux mais je semble malgré tout heureuse. Ensuite une autre scène fait son apparition. Etrange. Je suis apprêtée et je porte un diadème resplendissant sur la tête et tandis que je me regarde dans le miroir je vois une ombre lugubre passer derrière moi, furtive et dangereuse. Ce passage disparait alors et je ne ressens que douleur et vertiges. Je pleure de tristesse mais une fois encore j’ignore ce que cela signifie. Et puis c’est le réveil, je reprends toujours mes esprits à cet instant précis sans comprendre ce que tout cela signifie.
Le forgeron posa une main chaude et calleuse sur les petites mains légèrement potelées de sa fille. Un signe de réconfort non dissimulé que la jeune femme aimait tout particulièrement et qui pouvait rendre une journée morose plus agréable. Il était la personne la plus chère à ses yeux avec sa mère, elle n’avait qu’eux, ils étaient sa famille, son sang, sa culture. Ses amis comptaient eux aussi mais c’était différent, ce n’était pas le même lien qui les unissait. Même s'ils l'avaient acceptée comme une humaine ils ne pourraient jamais comprendre ce qu'elle ressentait, il ne pourrait jamais être à sa place pour comprendre sa différence.
- Ce n’est qu’un rêve Amerys, il ne signifie rien. Je crois simplement que ton grand désir de découvrir le peuple nain te pousse à en rêver régulièrement.
- Tu dois avoir raison, se résigna-t-elle penaude car elle savait qu’il était inutile d’en discuter plus avec son père. Ce sont simplement mes rêves les plus fous qui s’immiscent dans mon inconscient la nuit.
- Tu n’es pas seulement naine ma fille, tu es aussi humaine, ne l’oublie pas.
- Je ne l’oublie pas… Bon papa, je vais te laisser travailler tranquillement, je vais rentrer à la maison me préparer pour le bal de ce soir !
- Aaah oui le bal… Je suis sûr que tu seras resplendissante Amerys. Tu es aussi belle que ta tante jadis. Ma jeune sœur Lerï était d’une beauté à couper le souffle, tu lui ressembles plus qu’à ta mère même ! J’en suis heureux car cela signifie que tu tiens de ton vieux père.
Le forgeron caressa alors tendrement la joue de sa fille qui lui répondit par un sourire sincère et aimant. Elle était ce qu’il avait de plus précieux au monde, plus précieux que n’importe quel métaux ou pierre onéreuse réunis en ce monde et l’importance de prendre soin d’elle et de la chérir aussi longtemps que le temps le lui permettrait était grande. Amerys était si belle et si gentille il n’en était pas peu fier. D’ailleurs, Daraïn ne laisserait personne lui faire le moindre mal, parole de nain ! Même dans la mort il la protègera s’il le peut…
Amerys s’était ainsi joliment apprêtée pour le bal du solstice d’été. C’était un moment très attendu car il était signe de joie et d’allégresse. C’était un partage chaleureux où se retrouvaient les gens du village. Cela chantait, dansait et jouait gaiement de la musique. De même, les jeunes hommes invitaient les demoiselles à danser et bien souvent des relations naissaient, s’en suivant une célébration de mariage pour l’été suivant. Amerys était selon les mœurs en âge de se marier, enfin selon les mœurs humains, les mœurs nains étaient bien différents selon ce que lui avait conté son père. Cependant aucun homme n’avait trouvé grâce dans le cœur de la jeune femme. Elle avait été rejetée il y a de cela deux ans par un garçon qui lui plaisait et à qui elle s’était attachée. Rejetée pour la simple et bonne raison qu’elle n’était pas assez jolie. Ses parents l’avaient réconfortée aussi bien qu’ils l’avaient pu et elle avait réussi à oublier cet énergumène avec le temps.
Comme la coutume le voulait la fille du forgeron avait serti sa longue chevelure d’une couronne de fleurs aux couleurs chatoyantes. Les bleuets faisaient ainsi ressortir à merveille la cascade châtaigne tombant dans son dos. En plus de cela sa mère avait spécialement cousu pour elle une robe légère et fluide dans un ton rose pastel.
- Et voilà, radieuse comme le jour Amerys, avait alors souri Aenor après lui avoir brossé les cheveux. Comment ne ferais-tu pas chavirer le cœur d’Adran comme cela.
- Je crois que je lui plais, gloussa la naine en rougissant. J’espère qu’il va m’inviter à danser ce soir, j’en serais vraiment heureuse maman.
- Je suis fière de t’avoir comme fille Amerys, tu es belle et intelligente, je te souhaite d’être heureuse, avoua Aenor tandis qu’elle prenait sa protégée dans ses bras.
La soirée vint très vite et c’est avec ses parents qu’Amerys se rendit à la fête du solstice d’été. De grandes tables furent dressées sur la place du village et des poteaux hissés et drapés de toutes les couleurs les juchaient en toute hauteur. Le soleil illuminait encore les façades des maisons alentours tandis que les villageois s’amusaient à boire et danser. Une divine odeur de rôti vint titiller ses narines, tandis que les couronnes des gentes dames et demoiselles embaumaient l’air de notes fleuries et délicates. C’était un mélange qu’elle connaissait par cœur et qu’elle appréciait tout particulièrement bien que l’accord ne soit pas harmonieux.
Amerys y retrouva ainsi en toute gaieté ses deux meilleures amies avec qui elle alla partager un verre et une bouchée de viande grillée. Inia et Myriel étaient ses amies d’enfance, toutes trois avaient grandi ensembles, avaient partagé joie et peine et aujourd’hui encore elles étaient d’une complicité sans faille. Inia, au tempérament bien trempé et à la chevelure blonde comme les blés s’était mariée il y a peu avec un garçon du village d’un charme fou et d’une gentillesse à toute épreuve. C’est avec un ventre arrondi qu’elle pointa le bout de son joli minois de future maman. Quant à la petite brune Myriel, aussi douce qu’une caresse de soie, timide et réservée, elle n’avait pas encore trouvé de prétendant.
- Je crois que c’est un garçon, avoua Inia tandis qu’elle caressait tendrement son ventre devant les yeux attendris du futur papa.
- Cela ne devrait plus tarder maintenant non ? estima Amerys calculant la date d’accouchement de tête.
- Encore deux lunes si tout va bien, affirma son amie. Je suis épuisée mine de rien alors j’ai hâte qu’il sorte de là une bonne fois pour toute. Nous avons hâte de le voir !
La conversation continua sur le sujet de ce futur bébé pendant un long moment, si cela était amusant au début cela ennuya vite Amerys dont l’esprit commençait à vagabonder. Le soleil se couchait doucement quand elle aperçut enfin Adran. Bien apprêté comme jamais, il était d’une élégance hors du commun de par sa grande taille et son allure élancée. Sa chevelure rousse flamboyait tel le feu, lui rappelant la douce chaleur de la forge ; et ses yeux marron auraient transpercé n’importe quelle femme en ce monde. C’était indéniable, Amerys était sous son charme et elle avait bon espoir que cela soit réciproque car c’était un vrai gentleman avec elle. Le jeune homme en question avança le pas d’une démarche assurée, le port altier, vers elle et ses amies. Saisissant une chope de bière au passage il salua joyeusement le groupe de la main devant une Amerys rougissante, avant de passer son chemin et rejoindre d’autres villageois.
- J’en connais une qui est amoureuse, fit remarquer malicieusement Inia à l’adresse de la concernée.
Amerys qui sortit alors de sa torpeur balbutia d’incompréhensibles mots.
- Non, pas amoureuse… Gentil avec moi... C’est tout.
- Elle ne sait même plus parler, ricana Myriel. Preuve qu’elle est folle amoureuse d’Adran. On regardez ! Il regarde dans notre direction ! Peut-être veut-il t’inviter à danser Amerys.
La jeune naine perdue dans ses pensées et ne voyant plus qu’Adran devant ses yeux n’entendit pas le reste de ce que ses amis purent dire. Le seul souhait qu’elle avait en ce moment même était que cet homme l’invite à danser, même lui déclare un possible amour.
Le temps passait en cette soirée du premier jour d’été, le soleil maintenant couché, c’est un grand feu qui fut dressé au cœur de la place, flamboyant, torche de lumière sous le ciel étoilé. La musique se fit plus intense, plus entrainante, les airs s’élevèrent dans les cieux, laissant flotter les notes au clair de lune. Les premiers danseurs se mêlèrent au rythme de la musique, voltigeant et tournant avec plus ou moins de grâce. Amerys et ses amies se jetèrent dans la danse de groupe aux pas relativement simples. Il suffisait simplement de bien coordonner ses pieds et avancer et tourner dans un sens bien défini. Ce n’était pas le domaine où la jeune naine était la plus douée mais elle aimait se laisser entrainer par les joyeux villageois.
- Maintenant Mesdames et Messieurs choisissez votre partenaire la danse en duo va commencer ! scanda un musicien hystérique et enjoué.
Voilà le moment qu’Amerys attendait tant, allait-elle être invitée par Adran ? Elle se mit à s’impatienter tandis que Myriel près d’elle regardait alentour d’un air rêveur. Soudain elle le vit, voguant dans sa direction le sourire charmeur. Instantanément son cœur palpita plus que de raison et elle sembla vaciller. Il se rapprochait de plus en plus tandis que ses mains serrées devenaient moites et que son espoir s’agrandissait à l’éventuelle annonce d’une invitation.
- Amerys, Myriel, bonsoir, vous êtes ravissantes ! s’exclama-t-il guilleret. Quelle belle soirée n’est-ce pas ?!
- Splendide ! approuva Myriel. Cette fête est remarquable chaque année.
- Oui… t-très belle... balbutia la jeune demi-naine.
Elle avait beau avoir parlé à Adran des dizaines de fois elle était toujours intimidée face à lui, en particulier ce soir où elle paraissait simplement stupide avec ses balbutiements. Que devait-il penser d’elle ? Allait-il l’inviter à danser finalement ?
Soudain il tendit poliment la main, tel le gentleman qu’il était.
- Myriel, m’accorderais-tu cette danse ? proposa-t-il alors tout sourire en regardant la concernée avec des yeux pétillants d’impatience et une retenue néanmoins timide.
Que… Myriel… Il voulait finalement danser avec Myriel… ? Mais… Pourquoi ? Elle regarda effarée mais aussi peinée son amie qui ne comprit pas non plus les avances du jeune homme. Pourtant une lueur brilla dans ses petits yeux et tirant un sourire un coin, passa une main dans ses cheveux. Elle sembla hésiter, regarda Amerys dont l’âme se décomposait de secondes en secondes.
- Désolée Amerys… chuchota-t-elle pendant qu’elle posait sa délicate et fine main dans celle d’Adran.
La naine resta pantoise devant la scène et regarda de ses yeux embués sa meilleure amie partir le sourire aux lèvres avec l’homme de sa convoitise. Son cœur se fissura devant leur joie de danser ensemble pendant qu’elle restait sur le carreau. Ce n’était pas par elle qu’il était intéressé, c’est par Myriel, elle aurait dû s’en rendre compte. Elle avait été naïve et aveuglée par son charme…
La chanson avait commencé depuis un moment déjà mais Amerys restait paralysée par la tristesse, elle ne sentait plus ses membres, son cœur battait fort tandis qu’elle tentait de contenir un sanglot, jusqu’à ce qu’une main chaude se pose sur ses basses épaules. Elle n’avait nul besoin de tourner la tête pour comprendre que c’était son père. Ce dernier vint se poster à ses côtés et n’ajouta aucun mot, comme si le silence était le seul réconfort à la peine de sa fille.
Trop affectée par le déroulement confus de la soirée et noyée par le chagrin elle rentra avec ses parents sans même avoir vraiment dansé. Comment avait-elle pu penser qu’elle lui plaisait ? C’était que pure tromperie envers elle-même et avoir de l’espoir lui avait fait plus de mal que de bien. Elle était naine et les hommes du village ne jetaient pas leur dévolu sur elle. Il y avait bien assez de jolies femmes, grandes et élancées pour pouvoir s’amouracher d’une demi-naine telle qu’elle. A cause de sa différence, à cause du sang qui coulait dans ses veines et de son physique atypique elle savait qu’aucun homme humain ne voudrait d’elle.
Sans un mot elle regagna sa chambre furtivement, défit sa couronne de bleuets, enleva délicatement la robe cousue par sa chère maman avant d’enfiler sa longue chemise de nuit. Alors qu’elle s’apprêtait à gagner son lit on toqua à sa porte. Un seul coup, dur et brut. C’était son père, qu’elle autorisa à entrer, puis celui-ci vint s’asseoir à ses côtés.- Mauvaise soirée hein… déclara-t-il d’une voix basse.
Mais sur ces simples paroles Amerys qui avait tenté de retenir son chagrin fondit en larmes face au forgeron. Ce dernier serra alors sa fille unique contre lui pour la réconforter et apaiser sa peine.
- Je suis si désolé pour toi ma chère fille…
- Oh papa… articula-t-elle entre deux sanglots. Cela fait si mal… J-J’ai cru qu’il m’aimait bien m-mais il la préfère elle… Je suis si stupide.
- Non Amerys ne dit pas ça. Tu es jeune, jolie et intelligente, tu trouveras l’amour un jour j’en suis persuadé.
- Je ressemble trop à une naine pour trouver un mari humain.
- Tu ne ressembles pas trop à une naine voyons. Tu es ce que tu es et ces garçons sont stupides. Tu es ma fille, mon Amerys…
- Allons-nous-en dans les montagnes ! Je ne veux plus vivre ici, je veux rencontrer et vivre avec les nains.
Le forgeron fronça durement les sourcils mais Amerys lut néanmoins dans ses yeux de la nostalgie et de la peine.
- C’est impossible, souffla-t-il. Ma vie est ici auprès de ta mère. Nous avons tout construit dans ce village.
- Alors laisse-moi y aller seule !
- Je ne veux pas te voir partir loin de moi… avoua alors le forgeron, affichant une mine triste.
- Oh papa…, dit alors la jeune naine en posant sa tête sur l’épaule de son cher père.
Il était évident que son père souffrirait de la voir partir alors elle remit cette idée de rejoindre son peuple à plus tard, peut-être qu’après quelques années il changerait d’avis…
Le lendemain matin, Amerys tenta de fuir son chagrin de la veille. Ne voulant pas se mêler à la gent du village elle alla se réfugier dans la forge de son père où elle l’aida d’arrache-pied pour oublier les déboires de la fête. L’après-midi venant, elle se rendit dans les bois accompagnée par son arc et ses flèches, puis tira un long moment pour évacuer le mal de son esprit. Une goutte de mal libérée à chaque flèche plantée dans cette botte de paille. Mais alors qu’elle allait décocher sa flèche sur sa cible elle entendit un craquement de branche derrière elle. Alerté, elle se retourna furtivement et pointa de manière menaçante son arc sur l’élément perturbateur. Ce n’était que Myriel. Que faisait-elle ici ? Elle était bien la dernière personne qu’elle avait envie de voir… Elle aurait préféré tirer ses flèches en silence avec pour seule conversation celle de son esprit à son cœur. Tirer et tirer encore jusqu’à transformer la douleur en colère et la colère en apaisement… Myriel eu un mouvement de recul face à une Amerys armée et menaçante, levant les mains en signe de défense et tentant d’apaiser son amie.
- Amerys… souffla-t-elle.
- Que viens-tu faire ici ? demanda froidement la jeune naine qui se retourna et arc toujours bandé tira en plein cœur de la botte de paille, ayant pour effet de raidir encore plus son amie peu habituée aux armes.
- Je crois qu’il faut qu’on parle toutes les deux… commença Myriel tandis qu’Amerys encochait une nouvelle flèche.
- Et moi je crois que non. Veux-tu bien me laisser, j’essaie de me concentrer.
Son amie ne répondit pas tout de suite, s’approchant à pas feutré vers la naine revêche qui planta derechef sa flèche dans le mille.
- Je suis sincèrement désolée Amerys… Pour tout.
- Désolée hein… ! S’exclama la jeune naine qui baissant son arc s’avança enfin vers sa visiteuse.
- Je suis amoureuse d’Adran depuis aussi longtemps que toi à vrai dire mais je ne pensais pas que je lui plaisais, commença Myriel. Je ne te l’ai jamais dit car tu comptes beaucoup pour moi et je ne voulais pas me mettre entre toi et lui. Jamais je n’aurais pensé que mes sentiments pour lui étaient réciproques. Et hier… hier était une formidable soirée… Je me suis sentie heureuse.
- Formidable pour toi… cracha Amerys dont la colère avait remplacé la tristesse. Son comportement égoïste l’amena à ne tirer aucune satisfaction du bonheur naissant de son amie. Mais à l’instant même elle se complaisait dans cet égoïsme et cette colère.
- Tu mérites de trouver l’amour mais je crois qu’Adran n’était pas celui fait pour toi.
- Haha ! Te voilà conseillère de l’amour maintenant ! Garde tes excuses et tes jugements, je n’en ai pas besoin. Pourquoi ne serait-il pas fait pour moi ? Serait-ce déplaisant pour lui de s’afficher au bras d’une naine ?
Myriel ne lui répondit pas mais la fille du forgeron le pris alors comme une affirmation.
- Je ne veux que ton bien Amerys, tu es ma meilleure amie, avoua-t-elle avec une déconcertante sincérité.
- Moi aussi mais je suis fatiguée de courir après une cause perdue. Sois heureuse avec lui, moi une autre vie m’attend et elle commence aujourd’hui même. Fini l’amour, fini les sentiments et la recherche d’un mari, ce n’est indéniablement pas pour moi, ce n’est pas pour une demi-naine.
- Ne dis pas ça, ce n’est pas vrai… réfuta Myriel qui posa une main réconfortante sur l’épaule de son amie d’enfance.
Malgré les dires de la jeune femme, Amerys avait pris cette décision après une réflexion nocturne interminable. Il était évident qu’elle ne trouverait pas l’amour dans ce petit village d’humains. Quand bien même, depuis quand l’amour était obligatoire dans la vie ? On pouvait très bien vivre seul sans attache autre que sa famille et ses amis. Elle n’aurait probablement jamais de mari, ni même d’enfants mais était-ce si dramatique en soit ? Elle en avait conclu que non. Et c’était très bien comme cela.
Myriel esquissa un léger sourire saupoudré de peine. Mais soudain un bruit sourd retentit. Amerys, les sens en alerte, balaya d’un regard la zone alentour à la recherche d’un éventuel ennemi ou simple intrus un peu trop curieux. Peu de temps après un rugissement résonna à travers les fourrés, inquiétant la fille du forgeron plus que de raison.
- Qu’est ce que c’est ? demanda Myriel toute tremblotante.
- Je l’ignore… murmura Amerys, mais ça n'augure rien de bon…
Soudain, un massif ours brun pointa le bout de son nez à plusieurs pas de là. Furetant de droite à gauche d’un air furieux il grogna de plus belle. Levant une patte il cassa violement une grosse branche feuillue. Amerys avala un douloureux pan de salive tant la bête était immense et effrayante. Elle était peu commune, bien trop grande pour un ours brun banal… La jeune naine regarda doucement son amie qui tremblait comme une feuille devant le monstre mais elle se rendit compte qu’elle-même aussi tremblait de peur car la main qui tenait son arc n’avait plus l’assurance perçue quelques minutes plus tôt. Il fallait absolument prendre la poudre d’escampette avant que la bête ne les remarque car elle ne savait quel danger elle pouvait perpétrer. Elle fit alors comprendre discrètement à Myriel qu’elles devaient s’en aller, ce que fit cette dernière qui ne se fit pas prier deux fois avant de tourner les talons. C’est ainsi qu’elles partirent à petit pas, fuyant l’ours anormalement grand. Malheureusement quelques secondes après Myriel percuta un gros caillou et trébucha bruyamment contre le sol sec pour le plus grand dam d’Amerys qui jura en son fort intérieur. Leur brouhaha eut le don d’attirer l’attention de l’ours qui au loin resta les scruter de ses petits yeux en colère. Ils se fixèrent un instant avant que ce dernier charge comme une furie malgré sa colossale masse.
- Cours ! cria Amerys à son amie qui se relevait tout juste de sa chute.
Ni une ni moins elles prirent leurs jambes à leur cou en direction du village où elles seraient en sécurité. Myriel grimaçait d’effroi mais tenait le coup dans la fuite, et Amerys n’avait qu’une peur, celle qu’elle ne tombe encore une fois… Les jeunes femmes tinrent le coup mais la distance qui les séparait se réduisait petit à petit. La naine l’entendait grogner tandis que ses lourdes pattes martelaient durement le sol. D’où venait-il ? On n’avait pas vu d’ours dans la région depuis des années… De plus ces animaux étaient censés devenir furieux que s’ils se sentaient en danger. Celui-là était anormal et avait un comportement différent. L’archère tourna la tête et comprit que la bête se rapprochait dangereusement, babines salivantes et souffle rauque. Le cœur d’Amerys battait la chamade mais poussée par l’adrénaline et l’envie de survivre à l’ours elle continua de mettre un pied devant l’autre, évitant les arbres et leurs branches parfois basses. Mais tandis qu’elle serpentait agilement ce qui devait arriver arriva car Myriel, qui la devançait de peu accrocha sa robe dans un roncier massif. Paniquée la jeune femme cria à s’en crever les poumons. Amerys tenta de défaire l’emprise de la plante sur la soyeuse robe de son amie mais rien n’y faisait, d’autant plus que l’ours était maintenant tout près. Prenant son courage à deux main Amerys banda son arc, visa et tira sur la bête menaçante. Celle-ci reçut la flèche au niveau du thorax et roula de douleur dans un rugissement plaintif. La jeune femme reporta rapidement son attention sur Myriel et d’un coup sec déchira sa robe. Un coup d’œil en arrière sur la bête lui fit comprendre que cette dernière s’était relevée et encore plus en furie reprit les jeunes femmes en chasse malgré sa sanglante blessure. Elles étaient aux portes du village maintenant et l’espoir de s’en sortir vivantes vint titiller l’esprit de la naine.
- Ne t’arrête pas ! scanda Amerys à son amie, continue quoi qu’il arrive !
Et alors que Myriel continua de courir, la fille du forgeron banda une fois de plus son arc et tira une deuxième flèche. Raté ! Il fallait absolument abattre cet ours avant qu’il ne s’attaque au village et tue des innocents. Une troisième flèche fut tirée et elle vint se planter dans son flanc. Mais tandis que la jeune naine épuisait ses flèches l’ours fut à sa hauteur en quelques pas, ignorant ses blessures coulantes. Amerys se jeta sur le côté et roula violement sur le sol pour éviter l’assaut de la bête. Reprenant ses esprits elle le vit à deux pas, près à la lacérer de ses longues griffes. Alors qu’elle croyait son heure venue son agresseur tourna furtivement la tête, attiré par quelques mouvements lointains. Amerys vit alors Myriel lancer de ridicules cailloux sur l’ours. Cependant, le succès escompté fut au rendez-vous car la bête délaissa la naine pour trotter vers son amie.
- Myriel fuis ! Il va te déchiqueter, cours ! cria à gorge déployée l’archère.
Mais son amie qui tenta une esquive n’eut pas autant de chance qu’elle. L’ours lui donna un coup de patte et elle tomba au sol comme un vulgaire pantin.
- Noooon ! cria Amerys.
Mais alors qu’elle se relevait pour secourir Myriel le rugissement de nain de son père retentit dans le bois et elle le vit voler dans leur direction abattant une hache dans les flancs de la bête. Puis de l’autre côté il porta un fort coup et assomma le monstre qui, étourdit, tomba à la renverse sur le sol, faisant trembler la terre. Amerys essoufflée courut rejoindre son père et se jeta dans ses bras.
- Ma fille, tu es entière… souffla-t-il.
- Oh papa… J’ai eu si peur…
- J’ai entendu son rugissement de loin, je savais que tu étais dans les abois alors je suis accouru.
Amerys jeta un regard vers l’ours qui ne bougeait plus d’un poil, puis se baissa auprès de son amie inconsciente. Myriel avait de sérieuses griffures sur le visage. Les griffes avaient pénétré et lacéré la chair profondément et les plaies saignaient abondamment. Ce n’était pas joli à voir. Son œil avait été touché et était perdu à jamais, sa lèvre était fendue en deux et sa joue creusée dévoilait une chair rosée. Elle s’agenouilla près de son amie et prit son pauvre visage dans ses mains tandis que des larmes perlaient sur ses joues rougies par la folle poursuite. Mais malgré ses profondes blessures, aucun point vital n’avait été touché et la jeune femme respirait encore. Amerys souffla de soulagement. Myriel lui avait sauvé la vie… elle avait risqué la sienne, était revenue sur ses pas uniquement pour sauver la naine. Quel courage elle avait eu… mais quelle folie également.
- Papa, elle est vivante ! Il faut l’amener auprès de maman immédiatement !
Daraïn s’approcha, une mine grave et sévère se reflétant sur son visage. Il posa une main réconfortante sur son épaule, comme il savait si bien le faire mais alors qu’il allait s’abaisser pour porter l’amie de sa fille un mouvement et un grognement attirèrent leur attention. Amerys pointa une flèche en direction de l’ours mort mais ce qu’elle vit alla au-delà de son imagination. L’ours se métamorphosa en homme. Un homme grand, fort et sauvage… et nu. Elle écarquilla les yeux et baissa son arme. L’homme ouvrit ses yeux de miel et respira douloureusement tandis que les flèches gisaient toujours dans son flanc et son thorax. Il grimaça en constatant ses blessures et jeta à Daraïn et Amerys un regard interloqué. Comment était-ce possible… ? Cet homme un ours ? Ou cet ours un homme ? Quelle tragique magie se cachait derrière tout cela ?
- Que s’est-il passé ? articula-t-il de sa voix profonde et rauque. Ai-je blessé quelqu’un ?
- Vous… vous… êtes quoi ? bégaya Amerys peu sûre de savoir si l’homme était aussi impulsif que la bête.
- Je m’appelle Beorn. Je suis un change-peau, expliqua-t-il en se relevant. J’ai été pris en chasse par des ennemis et j’ai perdu le contrôle de moi-même. La bête a pris le dessus et j’ignorais ce que je faisais, j’ai du grandement m’éloigner de chez moi. Je vous prie de m’excuser demoiselle. Mais je vois que vous avez su vous défendre.
- Vous avez failli tuer ma fille ! s’exclama Daraïn furieux.
Amerys tenta d’éviter de le regarder entièrement et était quelque peu gênée devant sa nudité. Il semblait aller plutôt bien malgré les flèches qu’elle avait tirées. Mais Beorn sembla soudain attiré par Myriel.
- Oh non, j’ai blessé une pauvre jeune fille. Il faut la soigner au plus vite !
Il cassa alors les flèches plantées dans son corps et saisit délicatement Myriel qui était toujours inconsciente. Amerys qui voulait à tout prix sauver son amie guida le change-peau jusqu’à chez elle où sa mère la soignerait. En plus d’être un ours il était d’une résistance remarquable et ne semblait pas souffrir de ses blessures.
Aenor fit de son mieux pour soigner et panser les plaies de Myriel mais la jeune femme garderait des séquelles physiques à jamais. De grandes cicatrices sur son beau et doux visage… Ainsi qu’un seul œil valide. Tout cela car elle avait risqué sa vie pour elle. La demi-naine aurait du mal à se le pardonner…
Une fois que la guérisseuse se fut occupée de Myriel, elle retira les flèches de l’homme-ours et pansa également ses plaies. Mais le plus dur était à venir car les parents de son amie prévenus par Daraïn virent au chevet de leur fille chérie, suivit par Adran tremblotant. Ce dernier lança un regard noir à la naine avant de se poster près de sa récente conquête. Quand il vit le visage de sa bien-aimée il porta sa main à sa bouche, tandis que ses parents à elle pleuraient devant la défiguration de leur enfant. Amerys n’osa leur dire quoique ce soit. Il n’y avait rien à dire de toute manière. Le mal était fait. Son amie ne retrouverait plus jamais son visage d’antan.
Soudain Adran s’approcha de l’archère d’un pas menaçant et les yeux furibonds.
- Tout ça c’est ta faute sale naine ! Tu étais armée tu aurais dû tuer cette bête ! Tu es une bonne à rien en plus d’être une bâtarde ! Maudite sois-tu Amerys !
Amerys dont le sang ne fit qu’un tour dans ses veines saisit une de ses flèches à la main et la pointa sur la gorge de son agresseur qui recula terrorisé contre le mur. Oubliant qu’un jour avant elle avait aimé cet être, elle le menaça violemment en enfonçant la pointe dans sa fine peau blanche qui saigna.
- Répète ce que tu as dit ?! je n’ai pas bien entendu…
- Amerys ! s’exclama Daraïn. As-tu perdu la raison ?!
- Tu as entendu la même chose que moi papa. Cet homme m’a traitée de sale naine et de bâtarde…
Son père rugit alors quelques mots en kuzhdul, la langue de son peuple et Amerys su immédiatement qu’elle était allée trop loin. Il la força alors à reculer et elle fut obligée d’abdiquer devant la colère et l’autorité de son père.
Adran, apeuré comme un chien battu porta une main sur son cou dont un fin filet de sang coulait.
- Cela ne te suffit pas d’avoir mis la vie de Myriel en danger, il faut aussi que tu me menaces ! Est-ce un trait spécial de ton satané peuple de nain ?! Vous n’êtes que des sauvages, retournez dans votre montagne sombre et moisie !
Mais cette fois-ci c’est Daraïn qui perdit patience et lui envoya un coup de poing qui l’assomma et fit taire ses jérémiades insultantes. Il perdit connaissance dès l’instant sous les yeux ébahis des parents de la rescapée et tomba comme une poupée de chiffons sur le parquet. Personne ne sembla vouloir s’occuper de lui et c’est ainsi qu’il resta inconscient. Amerys sourit alors à son père dans un regard complice.
- Je vais ramener cet énergumène chez ses parents… murmura le forgeron.
Puis soufflant au passage à l’oreille de sa fille :
- Réaction impulsive de naine, tu es bien ma fille, tu sais te défendre… Je suis fier de toi, pour ce qui vient de se passer et ce que tu as fait face à cet ours. Jamais le sang nain n’avait été aussi présent dans tes veines que ce jour. Tu as le courage de ton peuple.
- Merci papa, sourit alors la jeune demi-naine qui venait de recevoir le plus beau compliment de toute sa vie.
Malgré l’agitation, les parents de Myriel remercièrent Amerys et Daraïn, ainsi qu’Aenor pour les soins prodigués à leur fille. La blessée n’avait toujours pas repris connaissance mais c’était mieux ainsi car à son réveil elle souffrirait. La pauvre n’avait pas mérité ça. Elle était si douce et si gentille… Si Amerys avait réussi à tuer l’ours rien de tout cela ne serait arrivé et Myriel serait intacte… Mais elle aurait au final également tué un homme. Jamais encore une situation aussi complexe ne l’avait taraudé. Quoi qu’il en soit tout serait différent dorénavant.
A côté de cela, personne ne fit le lien entre Beorn et l’ours car seuls Amerys et son père savaient que l’homme était la bête. Personne ne l’avait vu arriver dans leur maison et la famille l’avait caché à l’étage. Les villageois crurent à une véritable attaque d’ours et tentèrent de se lancer à la chasse pour le tuer et rendre justice. En effet Daraïn avait affirmé avoir laissé la bête gisante mais un chasseur voulant récupérer ce qui pouvait être récupéré sur le cadavre n’avait retrouvé sa trace. Ils gardèrent ce secret pour eux et firent attention à ce que le change-peau ne soit vu de personne le temps qu’il se rétablisse.
Le soir vint rapidement et Aenor chargea Amerys de s’occuper de leur invité. Elle pansa les plaies de Beorn et refit ses pansements. Il était impressionnant et jamais elle n’avait vu pareil être. Il devait bien faire le double de sa taille et était poilu comme… un ours ? Mais ses yeux de miel étaient doux ce qui tranchait étrangement avec sa carrure et ce qu’il dégageait. Son visage était encadré par des cheveux et une barbe hirsute, ainsi que de protubérants sourcils, lui donnant un air sévère et sauvage.
Il engagea alors la conversation pendant ses soins.
- Vous n’êtes pas entièrement humaine je me trompe ?
- Vous n’êtes pas entièrement humain je me trompe ? répliqua-t-elle amusée.
Mais Beorn ne sembla pas amusé et grogna tandis que la fille du forgeron désinfectait la plaie sur son flanc. Il ne grimaça même pas à la douleur.
- Vous avez raison, je suis à moitié humaine et à moitié naine.
- J’ai remarqué cette particularité. Votre père est nain et votre mère est humaine. A vrai dire je n’aime pas beaucoup les nains… Mais vous et votre famille je vous aime bien. Vous auriez pu me tuer mais vous ne l’avez pas fait.
- Je n’ai surtout pas réussi quand vous étiez un ours. Mais je ne regrette pas de ne pas vous avoir tué. Sinon j’aurais tué un homme aujourd’hui.
- Vous ne pouviez pas savoir jeune naine. Vous avez eu du courage pour m’affronter. Je suis vraiment désolé d’avoir blessé votre chère amie et je ne saurais me faire pardonner pour ce que j’ai fait. Néanmoins elle a réussi à esquiver, sans ça je l’aurais tuée sur le coup car ma patte aurait fait bien plus de dégâts…
- Ce ne sont que des évènements fortuits malheureusement, souffla la guérisseuse.
Un silence s’installa le temps qu’Amerys termine les soins mais Beorn, qui la remercia, ne sembla pas vouloir s’en aller par la suite.
- Vous semblez tourmentée Amerys, devina l’homme-ours.
- Vous pouvez lire dans mes pensées aussi ? ricana la jeune soigneuse.
- Bien sûr que non, mais je peux lire les expressions qui se succèdent sur votre doux et jeune visage depuis que vous me prodiguez vos soins. Pourquoi vous tourmenter comme cela ? Vous êtes jeune et avez la vie devant vous, votre voyage dans ce monde ne fait que commencer. Ne vous laissez pas atteindre, soyez forte. Vous êtes une naine.
- Mais vous ignorez tout de moi Beorn le change-peau, murmura-t-elle alors.
- Vous êtes déchirée par vos racines… Mais sachez que vous n’avez pas à choisir. Vous devez vivre avec votre métissage et accepter ce que vous êtes. Je vous dit ça en connaissance de cause mon amie. J’ai vécu la même chose que vous de mon jeune temps. Il n’y a pas de choix à faire, soyez ce que vous êtes et soyez-en fière.
La jeune femme se sentit moins seule grâce au réconfort et à l’encouragement de Beorn. Il était comme elle, il la comprenait. Même s’il était évident qu’être un demi-ours était plus difficile à vive qu’être une demi-naine. Personne ne l’avait jamais autant comprise et elle ne regretta pas de l’avoir rencontré en ce jour si particulier.
- Merci pour vos sages conseils Beorn, sourit alors Amerys qui sentit une vague de chaleur l’envahir.
Deux jours plus tard, Beorn partit à l’aurore pour n’être vu de personne. Lui et Amerys avaient beaucoup échangé pendant son séjour et après son passage elle se sentit grandie et regrettait presque le départ de leur étrange invité.
- Merci de votre hospitalité Daraïn Forgefer, merci à vous Aenor pour vos merveilleux soins, et merci à vous Amerys. Je n’oublierai jamais ce que vous avez fait pour moi.
La jeune naine eut un petit pincement au cœur à voir partir l’homme-ours qui lui avait tant apporté ces deux derniers jours. Elle non plus elle ne l’oublierait pas.
- Amerys, j’espère que nos routes de croiseront de nouveau un jour. Je peux sentir que nous nous reverrons un de ces jours.
- Je l’espère aussi Beorn le change-peau. Je l’espère sincèrement…
C’est ainsi qu’elle regarda cet homme lui tourner le dos et marcher à grand pas d’ours, non sans une nostalgie. Cette rencontre n’était pas un hasard elle en était persuadée et savait au fond d’elle qu’ils se reverraient.