Elanor

Chapitre 9 : Chapitre 8 – Tomber pour mieux se relever

7292 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 15:33

–Tauriel –

Plusieurs mois venaient de s’écouler depuis notre arrivée dans ce monde. Le soleil avait quitté le ciel bleu laissant place à l’automne. J’étais revêtue de mon éternelle tenue de garde sylvestre aux couleurs de la Taur-e-Ndaedelos*, ainsi que d’un châle en soie brun que m’avait offert Serra. Etant une elfe, le froid me laissait indifférente, contrairement à Margaux que j’entendais grelotter sous son manteau, agrippant aussi fort que possible un grand sac contre sa poitrine. Néanmoins, être trempé de la tête aux pieds n’avait rien de très agréable, même pour les elfes !

Après plusieurs minutes de marche sous la pluie, nous entrâmes enfin dans la droguerie où travaillait Serra et nous fûmes aussitôt emmenées par l’humaine en blouse blanche vers le fond du magasin.

Mais comment pouvait-elle accepter de travailler dans de telles conditions ?

Il était impossible pour quiconque de circuler aisément. J’avais dû pousser plusieurs cartons avec le bout de mon pied pour pouvoir la suivre, et Margaux n’arrangeait pas les choses en me pressant le pas de la sorte !

Le sol ainsi que les étagères étaient recouverts de poussière. Ma vue d’elfe me permettait par ailleurs de distinguer plusieurs insectes morts pris au piège dans d’épaisses toiles d’araignée qui occupaient tous les coins et recoins du magasin.

Serra nous emmenait dans la salle de pause pour pouvoir quitter son lieu de travail discrètement, car celle-ci s’était accordée quelques jours de congés sympathiques pour pouvoir se détendre. La connaissant, il valait mieux pour elle qu’elle évite Elrohir ! Ce dernier ne souhaitait qu’une chose : poursuivre l’apprentissage du sindarin à la jeune femme. Depuis son premier cours, elle l’évitait, prétextant un millier de bonnes raisons. J’avais bien compris qu’elle ne souhaitait pas s’embêter à apprendre une nouvelle langue… Mais pour Elrohir, ce n’était pas si évident que ça !

Je n’aimais pas son monde, mais je l’enviais pour ses "vacances" comme elle les appelait… Je n’arrivais pas à comprendre comment son supérieur pouvait accepter de la payer à ne rien faire ! Je tentais d’imaginer toutes ces choses que je n’avais jamais pu faire et qui auraient été possibles durant ce temps libre… Mais aucun elfe sylvestre n’aurait osé proposer une telle chose à son roi !

M’interdisant d’imaginer la possibilité d’en parler à Thranduil, je me concentrai de nouveau sur l’endroit qui était toujours aussi surchargé. Je pouvais deviner aisément que les murs n’étaient plus aussi blancs que par le passé, et étaient agrémentés par plusieurs affiches jaunies. Sur l’une d’elle, je pouvais lire : Non aux benzodiazépines !

Mais quel désordre invraisemblable ! Si ce lieu m’avait appartenu j’aurais déjà jeté toutes ces choses inutiles ! C’était une honte ! Car même les gobelins vivaient plus proprement dans leurs cavernes.

Sur une grande table étaient disposées plusieurs assiettes remplies de gâteaux en tous genres ainsi que quelques tasses à moitié vides de ces boissons à base de caféine que les humains de ce monde aimaient tant… Je ne connaissais pas Elrond même si j’avais pu le croiser une ou deux fois à notre résidence, mais j’étais persuadée que le semi-elfe n’aurait jamais fabriqué ses potions médicinales dans un lieu aussi encombré et sale.

L’humaine monta quelques marches pour atteindre un carton et la tête la première, elle se mit à le fouiller, retournant son contenu dans tous les sens.

—Qu’est-ce que tu cherches ? avait demandé Margaux en s’asseyant sur la table après y avoir fait de la place.

—Des médicaments pour Kili, il est malade… Il croit que ça pourra le guérir à temps pour la fête de ce soir.

—Cherche de la codéine pour moi, chuchota Margaux.

Elle avait aussitôt plaqué sa main contre la bouche de celle-ci pour la faire taire. C’était quoi la codéine ? Pourquoi ne voulait-elle pas que ses collègues l’entendent ?

Mais elle reprit rapidement sa fouille approfondie… À l’heure actuelle, Serra ressemblait à un chien qui creusait un trou pour déterrer son os. Je ne pouvais penser à autre chose qu’à cette fête !

Depuis le soir où elle avait menti à mon roi, Thranduil s’était douté de quelque chose. Il avait donc considérablement augmenté mes tâches au quotidien ne me laissant plus un seul moment de répit ! Je ne voyais même plus Legolas, voire quiconque.

Elle avait eu la bonne idée d’organiser cette petite fête la nuit, pour qu’on soit tous réuni durant un soir. Mais je me serais bien passée des autres nains… Quelle idée de les avoir tous invités !

Ce n’était pas si grave après tout, j’endurerais leur présence en silence pour pouvoir la voir une dernière fois, ainsi que Margaux. Etonnamment, j’avais fini par m’attacher à elle !

En effet, les Istaris venaient de trouver une solution à notre problème et nous allions pouvoir d’ici peu regagner notre monde. Les grands mages n’en avaient pas encore parlé à la presse des humains pour que cela puisse rester secret pendant un certain temps… En réalité, ils craignaient surtout qu’un ou deux énergumènes de ce monde n’essaient par tous les moyens de nous suivre.

C’était peut-être malheureux de penser cela, mais tout comme eux nous n’avions aucune envie de les avoir chez nous ! L’idée qu’ils puissent polluer nos terres et exterminer certaines espèces vivantes ne nous enchantait guère …

Nous autres, races intelligentes et plus ou moins évoluées avions bien été traitées en arrivant à l’improviste chez ces gens, mais nous ne pouvions pas en dire autant pour toutes ces créatures maléfiques qui peuplaient la Terre du Milieu.

La première révolte conduite par les orcs avait suscité un grand intérêt parmi les humains. Plusieurs associations avaient été créées afin de lutter contre les mauvais traitements qu’ils avaient dû subir. Mais quelle perte de temps ! Comme si ces créatures auraient été miséricordieuses dans le cas contraire !

L’espèce humaine de ce monde était bien compliquée à cerner. Alors que certains éprouvaient un malin plaisir à torturer des êtres soumis, d’autres luttaient contre cette injustice… Et ce n’était pas tout, il y avait eu de nombreuses rumeurs disant que la fusillade ne s’était jamais produite, qu’aucun être vivant n’avait été tué, mais au contraire, que tous avaient été transférés dans des laboratoires militaires où ils subissaient toutes de sortes d’expériences médicales...

Ces humains n’avaient aucun respect pour autrui, tout leur était dû !

Malgré nos différences, ce n’était pas la seule raison de notre refus à leur présence dans notre monde, car avant de nous retrouver piégés ici, une menace obscure était en train de se répandre aux quatre coins de la Terre du Milieu. La forêt où j’avais jadis grandi souffrait d’un mal dont nous n’arrivions pas à identifier la cause. Les arbres mourraient, les eaux étaient empoisonnées et de gigantesques araignées se multipliaient à proximité du royaume des elfes sylvestres.

Mais la Forêt Noire n’était pas la seule cible de ces créatures maléfiques, toute la Terre du Milieu en était désormais infestée depuis quelques…

—Bon alors, tu trouves ?

En m’égarant dans mes pensées, j’avais complètement oublié Kili !

—Il ne m’en a pas parlé… Qu’a-t-il au juste ? lui demandai-je.

Mais elle ne me répondit pas et sortit plusieurs petites boîtes qu’elle rangea aussitôt dans son sac.

—Oh la la ! Ne reste pas trop près de lui ce soir, Tauriel ! conseilla Margaux. Il a une bonne gastro !

—C’est grave ?

—Tais-toi Margaux ! T’étais obligée de regarder les médocs que je venais de prendre ?... Ne t’en fais pas, il n’a rien de grave. Et ça va le remettre sur pied en un rien de temps ! m’avait répondu Serra en souriant.

—Attends, tu les prends comme ça sans les acheter ? Ce n’est pas du vol ?

— Non, ce sont des médicaments que les gens nous rapportent pour qu’on les jette. Un vrai gâchis !  La plupart sont encore bons à utiliser, alors on se sert !

Il était temps de partir. Ses partenaires vinrent nous rejoindre en retirant machinalement leurs blouses blanches. Il y eut de longs adieux, un peu trop hypocrites à mon goût… Mais tête haute, elle gardait toujours son sourire éternel.

Nous quittâmes les lieux et partîmes rejoindre Margaux qui était déjà dehors et nous attendait impatiemment.

Ça commençait déjà… Un petit attroupement de nains venait de se rassembler tout autour de sa voiture.

*Taur-e-Ndaedelos : Nom en sindarin de la Foret Noire / Forêt de Mirkwood

- Serra -

Non, c’était impossible… J’étais probablement en train de rêver.

Un. Deux. Trois…  Six nains nous attendaient assis sur le capot de ma voiture !

—Descendez tout de suite avant de rayer la carrosserie ! m’écriai-je folle de rage. Mais qu’est-ce que vous faites là ?

—Margaux a dit qu’on pouvait monter ! Alors pourquoi marcher sous la pluie ?

—Non mais c’est une plaisanterie ?

Si mes yeux avaient pu lancer des éclairs à la jeune femme, ils l’auraient fait ! Depuis quelques temps la miss me tapait sur les nerfs, à un tel point que je ne lui parlais quasiment plus ! Il fallait croire qu’elle voulait donner une mauvaise image d’elle.

Margaux se contenta de reculer tout en ajoutant :  

—Non mais attends ! Je t’assure… Je ne pensais pas qu’il serait aussi nombreux ! Et qu’il y aurait Bombur…

—La ferme ! Tu parles vraiment pour ne rien dire !... Mais où avais-tu la tête ? C’est une Twingo, pas un autocar ! Comment veux-tu qu’ils rentrent tous ?

—T’as qu’à baisser les sièges…

Plus elle parlait et plus je perdais patience. Tout en faisant le tour de mon véhicule, je réfléchissais à la possibilité de tous les faire rentrer dans mon coffre ! En baissant les sièges arrière, oui, c’était possible…

Je tentai alors de faire de la place sous cette pluie glaciale pour caser tout le petit monde. Pendant ce temps là, Margaux s’était confortablement assise côté passager à l’abri du mauvais temps, profitant du chauffage après avoir mis le contact avec ma clef que j’avais laissée traîner sur le tableau de bord. Mais c’est qu’elle ne s’embêtait pas celle-là !

Tauriel, quant à elle, était soudainement devenue bien pâle à l’idée de devoir partager le coffre avec les autres nains.  Il fallait voir le regard que Thorin lui lançait pour le croire… Si noir. Il me parut soudainement méprisable, lui qui avait pourtant de beaux yeux bleus.

—Ok. Toi tu gicles ! Tauriel passe devant avec moi. Tu vas derrière avec les autres…

—Non mais…

—Rien à faire. Si tu n’es pas contente, tu n’as qu’à courir derrière la voiture.

Tête basse, elle partit se joindre aux autres. Un rictus se forma sur mon visage à la simple vue des nains qui n’étaient autres que Fili, Kili, Dwalin, Balin et Bombur grimpant difficilement dans mon coffre tout en se poussant pour se frayer une petite place. Elle n’était pourtant pas bien haute… Certes, c’était des nains, mais tout même ! Et puis ce temps… Je ne préférais même pas imaginer la boue qu’ils allaient répandre dans tout le compartiment arrière avec leurs grosses bottes !

Ils allaient être bien plus serrés que je ne l’avais imaginé. On pouvait déjà les entendre crier et protester de mécontentement. Quelle bande de bougres ! Ils ne se rendaient pas compte que je prenais de gros risques en les transportant tout ainsi. Il ne me restait plus qu’à croiser les doigts durant tout le voyage pour espérer ne croiser aucun flic, et qu’un de mes pneus ne déciderait pas à me lâcher sous leur poids !

—Tu nous entasses comme des bêtes qui partent à l'abattoir ! pesta Thorin d’un ton sec avant de rejoindre les autres.

Ce nain était vraiment lunatique. Mais dans le fond cela ne me déplaisait pas plus que ça, car si je venais à faire quelque chose qu’il n’apprécierait pas, je pouvais être sûre qu’il ne le garderait pas pour lui-même, comme le faisait si bien Fili… Thorin était plus du genre à me le lancer dans la figure sans prendre de gants !

Comme son tatouage que j’avais décidé de cacher sous un épais bandage. Cela ne lui avait pas plu mais son avis m’importait peu car je faisais ce que je voulais de mon corps.

Il  était très réussi et j’aimais beaucoup le motif qui était assez symétrique, mais je ne voulais le montrer à personne, excepté Tauriel et Margaux, en espérant que cette dernière sache tenir sa langue.

Ce tatouage faisait très… nain ! Si je l’avais montré aux autres ils auraient voulu connaître la personne qui l’avait fait, et d’après ce que j’avais pu comprendre, les deux seuls nains faisant partis de mon répertoire d’amis (et qui étaient capables de tatouer) n’étaient autres que Dwalin et Thorin. La liste était donc très courte !

J’avais maudit Thorin par le passé lorsque j’avais chopé une belle infection à mon poignet quelques jours après m’être fait tatouée. Par la suite, ces grosses cloques de pus avaient fini par disparaître après une ou deux incisions faites par mon médecin, et j’étais maintenant avec ce beau tatouage… Qui me démangeait !

Depuis, je passais le plus clair de mon temps à gratter la cicatrice, ce qui m’obligeait à me badigeonner de cortisone pour ne pas avoir à y toucher.

Je fus la dernière à monter dans la voiture. Nous avions fait à peine dix mètres que les premières plaintes fusèrent…

Margaux ouvrit le bal en faisant remarquer l’odeur de pieds qui régnait parmi nous. Les nains ne gardèrent pas le silence, bien entendu !

J’entrouvris donc ma fenêtre de façon à avoir un peu d’air frais, car même si Margaux s’y était très mal, prise elle n’avait pas tort.

—Ferme donc ! Tu ne vois pas que j’ai le vent dans les yeux !? s’écria Bombur en me secouant par l’épaule.

—Mais ça ne va pas la tête ? Je conduis ! Laisse-moi tranquille 

—Mais c’est toi ! s’écria Margaux en commençant à pousser un des nains.

Je n’avais pas besoin de regarder dans mon rétro pour savoir de qui il s’agissait ! N’appréciant pas d’être plaqué contre la vitre arrière à cause des coups répétés de l’humaine, Dwalin l’avait menacée de la jeter avec son pied aux fesses si elle n’arrêtait pas très rapidement cette comédie !

—Ça suffit ! Vous voulez qu’on tombe dans le ravin ?... Ils sont vraiment atroces ! chuchotai-je à Tauriel. Je vais nous mettre de la bonne musique pour qu’on ne puisse plus les entendre !

Avec un clin d’œil lancé à son intention, je pianotai sur mon lecteur USB le nom d’une musique que j’aimais particulièrement… Mais je me ravisai ! Car il fallait quelque chose de doux pour l’elfe mais de suffisamment fort pour couvrir les jérémiades des nains... Drôle de mélange.  J’optai donc pour Evanescence.

“I can't run anymoreI fall before youHere I amI have nothing leftThough I've tried to forgetYou're all that I amTake me homeI'm through fighting it” *

—Tu appelles ça de la musique ? Entendre cette chanteuse gémir de la sorte est bien plus insupportable pour mes oreilles que les pleurnichements répétitifs des nains… Coupe tout de suite le son !

—Je ne pensais pas dire ça un jour, mais l’elfe a raison ! s’emporta Thorin. Je n’avais encore jamais rien entendu d’aussi dépressif. Même les chants des elfes sont plus animés…

—Oh ! Ne t’y mets pas toi aussi ! Kili, file-lui donc tes microbes qu’on ait enfin la paix.

—Attends, on va te montrer ce que c’est que de la bonne musique !

Fili avait à peine commencé à chanter en compagnie de Dwalin que je l’interrompis. Ok, j’avais compris la leçon… Ne pas imposer ses goûts aux autres.

—Vous n’êtes pas sympas tout de même ! Je prends des risques à tous vous laisser monter dans ma voiture et tout que vous trouvez à faire c’est de…

—Roule moins vite…  Ou je vais vomir !

—Oh non ! Kili ! Non mais ce n’est pas possible ? Vous le faites tous exprès ? Vite Tauriel, ouvre ta fenêtre pour lui faire de l’air… Toi, je t’interdis de tapisser l’intérieur de ma voiture !

       - Tauriel -

—Mais c’est que tu conduis comme un pied, ma parole ! Il était temps… Mon neveu a presque failli en vomir ! Où as-tu appris à conduire ?

—Toi, tu peux être sûre que le retour, tu le feras à pieds !

Tout comme Kili, je m’éloignai de ces deux-là pour avoir un peu de calme et de tranquillité après un voyage aussi éprouvant.

L’air était frais et doux. Il faisait nuit, ce n’était pas évident de pouvoir distinguer la beauté des lieux que Serra m’avait tant vendue. Je ne pouvais affirmer que l’endroit était bien sauvage, mais j’étais néanmoins heureuse d’y être car pour la toute première fois de ma vie, je me retrouvais en face d’un océan. La simple vue de cette vaste étendue d’eau me donnait des frissons… Fermant les yeux, je pouvais entendre le bruit des vagues frappant les rochers au bord des falaises et sentir cette odeur de sel qui émanait de l’eau… Ainsi que le bruit et l’odeur âcre d’un feu de bois !

 Les deux humaines m’attrapèrent par le bras et m’emmenèrent vers les falaises en sautillant, elles m’entraînaient toutes deux vers des galeries souterraines qui étaient très bien éclairées par un grand feu qu’avaient préparé les nains avant notre arrivée. Nous étions si en retard qu’ils avaient déjà commencé à manger sans nous attendre !  

Au loin, je pouvais apercevoir Fili en train de saluer son grand-oncle Daín en s’inclinant, accompagné de Thorin qui se contenta de poser sa main sur l’épaule de celui-ci. Margaux, quant à elle, s’était assise en tailleur au côté de Bombur, attendant patiemment qu’il la serve de viande épicée. Et Serra… Mais où pouvait-elle bien être ?   

Me tirant doucement par la main, Kili m’invita à venir m’asseoir auprès de lui, ce que je fis, tout en l’observant attentivement. Tout comme les autres, il faisait griller sa viande au bout de son épée. Il n’y avait donc que de la chair morte au dîner de ce soir ?  

Un silence de mort régnait parmi nous, c’est alors que je vis Serra qui venait de frapper une des femmes naines avec sa tête ! Elle n’avait pas l’air de lui en vouloir, au contraire, elle avait apprécié son geste.

—Pourquoi l’as-tu frappée ?

—Quoi ? Non ! Je lui ai juste dit bonjour, plaisanta-t-elle. Thorin m’a appris à saluer correctement les naines !

Puis elle accourut vers Bifur et ensemble, ils préparèrent l’herbe à pipe de ces messieurs… Et de ces dames ! Elles avaient un appétit bien plus féroce que leurs nains ! En un rien de temps, leurs réserves furent épuisées, le petit monde commença alors à s’agiter.

—Où est la bière ? demandèrent les premiers arrivés.

—Oui, où est-elle ? Vous deviez l’amener ! renchérit le second groupe.

—Non ! C’était à vous de l’apporter ! On s’est chargé de la viande !

—Y’a pas de bière ? demanda subitement Margaux après quelques instants de réflexion.

—Comment ça, il n’y a pas de bière ? s’inquiéta Ori en relevant son nez de son livre.

—Oh ça suffit ! On ne va pas y passer la soirée ! Est-ce que tout le monde a bien entendu ? Il n’y a pas de bière ! hurla Serra dans le cornet d’Oín pour s’assurer que le vieillard avait, lui aussi, bien compris.

Mais son intervention n’avait strictement servi à rien. Ils se chamaillèrent tous faisant voler les plats épicés dans les airs ! Elle revint vers moi en les évitant et me tendit une pipe comme si j’allais accepter de la fumer.

Refusant plusieurs fois ces propositions, je dus supporter de la tenter de copier Fili en essayant de faire des ronds de fumée… Etait-elle obligée de les expérimenter sur moi en me soufflant de la sorte à la figure ? Son haleine sentait un mélange de viande cuite et de Symbelmynë.

Cela ne lui réussissait pas de côtoyer autant les nains, car dorénavant elle se conduisait comme eux : si excentriques et animés. Mais ce n’était pas la seule…

—J’ai fait des muffins ! s’écria Margaux en se dandinant sur elle-même avec son plat.

—C’est le même gâteau que celui de la petite fête de Bastien ?

—Oui, mais en puissance dix ! Tu peux en manger Tauriel… Ça va te plaire, c’est aux herbes !

—Sans façon.

—Oh la la ! Tu n’es vraiment pas marante comme fille… Qui en veut ?

–Son gâteau va sans problème remplacer la bière… MOI ! s’écria Serra en bougeant énergiquement ses bras.  

Margaux revint vers elle et lui en tendit deux qu’elle grignota rapidement avant de se re concentrer sur l’art des ronds de fumée.

Kili se servit aussi, mais il en avait pris le double qu’il cacha aussitôt dans ses poches avant de ressortir une belle pomme rouge de l’une d’elle. Décidément, elles lui servaient de réserve !  Il l’astiqua avec le revers de sa manche et me la tendit. En voilà un qui avait pensé à mon régime draconien !

–Qu’est-ce qu’elle a mis, dedans ?… demanda Kili.

—De la beu ! Chut ! J’en avais pris une fois de son gâteau… Il paraît que j’avais voulu faire Mary Poppins par la fenêtre de Bastien !

—Mouais… En tout cas, tu t’y prends vraiment mal. Tu ferais mieux d’aller voir mon frère avant que ça ne te monte au cerveau !

Elle fit signe au blond de venir et porta de nouveau la pipe à sa bouche et fuma. Je ne rêvais pas, il s’agissait bien de la pipe de Thorin et cela me surprenait qu’il ne lui dise rien. Pendant que je continuais à croquer à pleines dents dans ma pomme, elle souffla de nouveau la fumée de cette herbe en plein dans ma figure !

Mais qu’est-ce qui lui prenait ? Ne pouvait-elle donc pas viser quelqu’un d’autre ? Je n’avais qu’une pomme à manger… Etait-elle obligée de casser mon plaisir ?

—Tu devrais éviter ! Je te rappelle que la dernière fois tu avais perdu connaissance, intervint Fili en tentant de lui arracher.

—C’est bon, je suis en vacances ! J’ai bien le droit de me détendre un peu. Prends donc la tienne !

C’est ce qu’il fit et Thorin les rejoignit. Ils tentèrent tous les deux de lui apprendre à fumer correctement à la pipe.

                Je n’aimais pas cette activité et les petits gâteaux de Margaux me répugnaient rien qu’à l’odeur ! Je me levai pour quitter les lieux en la compagnie du seul nain que j’arrivais à supporter… Mais il avait disparu ! J’essayai de m’intéresser à chacun d’entre eux, mais l’envie n’y était pas. Je n’allais tout de même pas passer ma soirée à tourner en rond ?

Non, il ne me suffisait que de la dégoûter…

—Dis voir, Serra… À l’odeur je peux te dire de quelle plante il s’agit. Nous l’appelons Symbelmynë, ce qui veut dire « perpétuelle » en sindarin. Ce sont de magnifiques fleurs blanches qui étincellent la nuit sous la lumière des étoiles. Nous les appelons ainsi parce qu’elles poussent sur les tombes ! Allez, fume bien !

Je ne pensais pas que l’information aurait pu monter aussi vite à son cerveau avec toute cette herbe qu’elle venait de consommer. Elle me regarda avec dégoût en rendant l’objet au roi, son teint était devenu aussi blafard que celui de Kili.

—Tu ne pouvais pas me le dire avant ?

—Allez, viens !

C’était à mon tour de l’emmener ailleurs. De l’air frais nous ferait le plus grand bien à toutes les deux ! Nous nous allongeâmes sur le sable froid et mouillé.

J’avais oublié à quel point cela pouvait être plaisant d’observer un ciel étoilé. Les étoiles étaient aussi magnifiques que dans notre monde. A Mirkwood, je m’aventurais seule, les soirs, grimpant en haut des arbres afin de pouvoir les contempler.

—Tu vois les trois qui sont alignées ? me demanda-t-elle en pointant du doigt le ciel. C’est la ceinture de la constellation d’Orion. Un peu plus en bas, tu as un amas d’étoiles qui forment le glaive… Il s’agit de la nébuleuse d’Orion, l’une des plus belles que j’ai pu observer au télescope ! D’où le nom de mon cobaye…

—Tu ne voulais pas me parler d’étoiles… n’est-ce pas ?

—Tauriel… T’es-tu déjà remise en question ? Je fais des choses insensées depuis quelques temps. Cela ne me ressemble pas. Pourtant, je me sens bien. Mais j’ai peur que tout redevienne comme avant.

—Tu pourras toujours fumer et te faire d’horribles tatouages !

Elle jura plusieurs fois après avoir deviné que Margaux avait vendu la mèche ! Puis elle retira quelques bandages à son poignet droit pour me le montrer. Ça c’était du tatouage de nain ! Du bout des doigts, je pouvais sentir les fines cicatrices.

—As-tu déjà… éprouvé des sentiments ? Pour quelqu’un de beaucoup plus âgé que toi ?...

—Agé comment ?

—Euh… Je dirais… Quelques cheveux blancs !

Quelques cheveux blancs ? Qu’est-ce qu’elle essayait de me dire ? Je me remémorai en quelques secondes les milliers de choses que Margaux avait pu me révéler à son sujet, mais rien ne me venait à l’esprit.

—Mais tu sais, en y réfléchissant bien ce n’est pas gênant… Je ne vivrai pas plus d’un siècle, alors je me dis qu’au niveau des rides et des cheveux blancs, je vais très vite le rattraper. 

Cette différence d’âge était-elle si grande ?

Sans quitter les étoiles des yeux, je pouvais toujours sentir les fines cicatrices qui se trouvaient sur son poignet. Il ne s’agissait déjà pas d’un elfe… Un nain peut-être ?

Nous allions tous partir d’ici peu, chacun (en dehors des captifs en prison) était au courant de notre départ imminent.

—Je ne peux que te conseiller d’arrêter ce que tu fais… Un jour ou l’autre, nous partirons et tu resteras seule alors autant que tu…

—C’est bon, arrête j’en ai assez entendu !

Elle se leva d’un bond, frottant ses habits pour faire tomber le sable. J’essayai de la retenir, mais elle était si entêtée qu’elle refusait même que je la touche.

—Reste, je ne te dis pas ces choses là pour te blesser.

—Je préfère rejoindre les autres ! Tu me déçois beaucoup… Je pensais que tu serais bien placée pour me comprendre, toi qui aimes un nain !

—Ne dis pas n’importe quoi ! Je ne suis pas avec Kili !

Mais qu’est-ce qui lui prenait ? Ce n’était pas parce que je m’entendais bien avec lui que cela faisait de nous un couple !

—Tu ne t’en rends peut-être pas compte, Tauriel… Mais tu es probablement la seule elfe à t’intéresser à un nain ! Alors si pour toi ce n’est pas une évidence, tu ferais mieux de te poser des questions…

Et elle tourna les talons pour regagner les galeries souterraines.

Ce fut la dernière fois que je la vis. 

* October - Evanescence

- Serra -

Même si le froid avait complètement endolori mon corps, je me sentais bien et en sécurité. Une petite brise venait jusqu’à moi, faisant virevolter quelques mèches brunes qui avaient réussi à s’échapper de mon imposant chouchou. Je pouvais entendre au loin le bruit des vagues, et tout près un goutte à goutte…

 

Où étais-je ? De tout évidence, pas dans mon lit.

Cette sensation de bien-être me quitta aussitôt pour laisser place à la panique. J’ouvris précipitamment les yeux, essayant de comprendre ce qui m’arrivait. Impossible, je voyais flou. Un épais voile m’empêchait de discerner quoi que ce soit. Néanmoins, je pouvais apercevoir une masse verte juste sous mes yeux. Je tendis la main pour l’attraper…

 

Mon pull. Pourquoi n’était-il plus sur moi ? Le voile commençait à se dissiper, et progressivement ma vue revint à la normale. Plus loin encore, je pouvais distinguer mon jean.

Je dirigeai ma main tremblante vers ma cuisse et plantai mes ongles dans la peau… J’étais nue ! Mais qu’est-ce que j’avais bien pu faire hier ?  Je n’aurais tout de même pas osé jouer au strip poker ?! Je me souvins de Tauriel à la plage… Elle m’avait contrariée ce soir là, et comme à mon habitude, j’avais eu une furieuse envie de me goinfrer, comme je l’avais toujours fait par le passé… Mais il ne restait plus que des muffins. Des muffins « aux herbes », comme le disait si bien Margaux !

Mes souvenirs restaient incomplets, mais si j’étais belle et bien nue, j’allais devoir me rhabiller, et vite ! Avant que quelqu’un n’arrive.

Je tentai de me relever, mais en vain car quelque chose de dur m’en empêchait. Avec beaucoup de difficulté, je me débattis aussi bien que je le pus pour quitter cet étau qui me retenait prisonnière…  

En réalité, il s’agissait d’un bras. Pas possible ! Le bras de Thorin…

Qu’est-ce que j’ai bien pu faire comme connerie ?

M’allongeant de nouveau sur le dos, je me mis subitement à pleurer, à ne plus m’arrêter. Cette même question résonnait dans ma tête, en boucle. J’étais devenue bien lamentable, comme tous ceux qui avaient touché à la drogue. Je n’avais pourtant rien pris d’excessif, enfin, d’après mes souvenirs.

En fait, si ! Je me souvins de Margaux avec une boîte bleue. Une boîte bleue… Oui ! J’avais pris des anxiolytiques. Cela me revenait, mais impossible de me rappeler combien.

Tout n’était que trou noir… Mais s’il y avait bien quelque chose dont j’étais sûre, c’était que la veille, j’avais été persuadée d’être capable de garder le contrôle… Bah, c’était raté !

J’étais complètement nue et j’essayais avec beaucoup de mal de ne pas penser (ou me rappeler) de ce que j’avais bien pu faire de stupide.

Thorin ronflait paisiblement pendant que je tremblais comme une feuille… Avait-il été conscient, contrairement à moi, lorsque nous… ?

Oh non, arrête !

Je me levai d’un bond pour me rhabiller. Je fis le tour de l’endroit plusieurs fois, évitant de le regarder. Mais impossible de retrouver mes sous-vêtements ou mes chaussures… Et mon sac à main avec mes clefs de voiture ?

Je refis encore le tour, allant même dans l’eau pour voir si elles n’avaient pas été jetées dedans… mais rien.

De plus, l’endroit m’était inconnu. Peut-être une autre galerie souterraine ? J’avais cherché à regagner la sortie, laissant Thorin où il était, mais impossible ! C’était comme si je me trouvais dans un labyrinthe.

Ce ne fut qu’après plusieurs dizaines de minutes que je pus regagner le lieu de rassemblement de la veille. Ils étaient tous partis, emportant leurs effets personnels et les éventuels déchets…

Dans un coin, je vis mon sac à main. Et tout y était ! Mes clefs, mon permis, carte grise, bancaire, etc…  Par contre, pas de chaussures ! Ce fut donc pieds nus et sans blouson que je regagnai ma voiture, laissant Thorin dormir.

Avec un peu de chance, il ne se souviendrait pas de la veille.

L’air vivifiant de la Bretagne en bord de mer eut sur moi l’effet d’une douche froide. Après cette soirée de folie, mes cheveux avaient perdu leurs boucles et j’exhalais dorénavant une odeur d’herbe et d’eau salée.

Le sable était si froid et mouillé que j’eus la sensation de marcher dans de la neige. Très vite, mes pieds furent engourdis par le froid et j’adoptai sans le vouloir une démarche boiteuse.

 

Vous avez déjà essayé, vous, de conduire sans chaussures, un pied nu sur la pédale d’accélération ? Les yeux tout bouffis d’avoir consommé des substances illicites ?

Lorsque cela vous arrive, vous avez l’impression que le voyage dure une éternité… Mais le comble dans tout ça, c’était que ma mère m’attendait à la maison !

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