La mort de Clochette
Eric
Ariel n'était plus sortie de sa chambre depuis la catastrophe. Elle mangeait peu et refusait tout visiteur, même sa propre fille.
Nous avions réussi à sauver environ 300 sirènes, soit qu'un quart de la population initiale. Plusieurs autres espèces maritimes ont pu être récupérées et la pêche est au demeurant interdite. Logeant dans un immense bassin au sein de la cité, le triste peuple se repliait sur lui-même, exilé de leur maison.
"C'est inexplicable. Les marins parlent de malédictions, les sirènes dé génocide et les villageois de colère des dieux", résuma brièvement Grimsby, dont le visage était terni par la fatigue.
J'avais pris Melody sur mes genoux, qui jouait nerveusement avec yoyo, ayant probablement palpé l'ambiance sinistre de la pièce.
"De génocide ?, répétai-je.
- Nous avons eu l'impression que la mer était devenue entièrement de sang, mais il se pourrait que ce soit plutôt l'eau qui s'en soit imprégné. Selon des témoins, cela a commencé dans les tréfonds de l'océan avant de remonter peu à peu jusqu'à la surface, délogeant le peuple marin en passage.
- Mais comment expliquer que cela tue toutes les créatures ?
- Les plus petits poissons ont dû être asphyxié par l'eau malpropre. Des sirènes ont pu remonter jusqu'à la surface mais, comme tu l'as remarqué, pas sans brûlures. Le capitaine du bâteau Amandine s'est penché sur la question et a fait une découverte surprenante. Il a fait d'une sirène son cobaye - avec son consentement - et a testé deux choses. Premièrement, de lui mettre sur la peau du sang d'une autre sirène. Aucune réaction particulière. Mais lorsque qu'il a écoulé du sang humain, sa peau s'est asséchée, est devenue rouge écarlate puis violacée. Brûlée."
J'en restais bouche bée. Jamais je n'aurais imaginé une telle chose.
"Mais ce n'est pas tout. Il s'est par la suite posé du sang de sirène sur le bras.
- Et donc ?
- Il est mort."
Un frisson parcourut tout mon corps.
"Mais comment..
- N'en parlez à personne. Cette découverte pourrait effrayer les habitants, d'un côté comme de l'autre. Elle pourrait devenir un sujet d'expérience."
Je déposais un regard songeur sur Melody, qui me regardait désormais avec des grands yeux. A peine âgée de 3 ans, je l'imaginais déjà traquée pour son sang-mêlé.
"Un truc cloche concernant le prétendu génocide. Selon vos informations, ce serait donc des morts humains. Mais si c'est le cas, d'où viennent-t-ils ? Il n'y a pas eu suffisamment de décès pour générer autant de sang, aucun cité n'est à l'horizon à des kilomètres et aucune guerre autour de nous.
- C'est un véritable mystère. Mais je n'ai pas fini avec mes nouvelles."
Je me relevais, puis déposais Melody sur le canapé, un peu plus loin de nous, loin de ces horreurs.
"Nous avons la confirmation de la mort du roi Triton. Comme de nombreuses autres sirènes, son corps a été retrouvé sur la plage. Mais aucune trace du reste de la population, comme si la mer de sang les avait fait tout simplement disparaître."
Ariel serait dévastée en apprenant la nouvelle ; si elle ne la pressentait pas déjà.
"Des membres de la famille royale ont-ils survécu ?, demandais-je.
- Attina, l'aînée, et Arista, une autre de sœurs. Il y a également Rhode, un frère de Triton très vieux. C'est Attina qui gère actuellement son peuple, mais beaucoup rouspète qu'elle soit une femme et non un homme. Il y a donc des chances que Rhode lui succède temporairement.
- Je vois. J'irai à leur rencontre dans la journée."
Alors que j'allais me relever, Grimsby me stoppa net.
"Ce n'est pas tout. Vous connaissez probablement la seconde princesse d'Arendelle ?
- Anna, oui. Un ange cette fille. Elle s'est mariée récemment me semble-t-il ?
- Justement. Lors de la cérémonie, une sorte de pluie de cadavre et de sang s'est abattue sur le couple, les faisant chuter de leur balcon royal.
- Mon dieu..
- Evidemment, la provenance est également inexplicable ; les habitants affirment que d'étranges nuages menaçaient la ville. Les hypothèses divines se rejoignent alors.
- Vous pensez sincèrement que les dieux seraient en colère contre nous ?, m'inquiétais-je.
- Les dieux s'agacent contre un peuple, pas contre une planète.
- Et si c'était le notre et celui d'Arendel ?
- Énormément d'autres pays sont concernés par des meurtres, disparations et accidents de ce genre fréquemment, m'informa-t-il. Nos voisins d'Ecosse, surtout. Sans oublier que la rage est subitement revenue dans la totalité du Royaume-Unis et ne tardera pas à nous atteindre de nouveau.
- Il nous faudra entrer en communication avec les pays avoisinants, je suppose..
- Je vous suggère de le faire, Eric, bien sûr que je me doute bien que cela ne vous plaise pas.
-t Je saurais mettre de côté ma pusillanimité", affirmai-je, conscient que de nombreuses vies étaient en jeu.
Je me stoppais net.
"Grimsby ? Connaissez-vous l'ascendance d'Ariel ?
- Fille de Triton, lui-même fils de...", il me dévisagea. "Pensez-vous que cela nous permettrait d'en venir jusqu'aux dieux ?
- Je ne sais. Mais il faut tenter."
Rajah
Je me glissais discrètement hors du lit, abandonnant Jasmine dans son sommeil profond. Je me rhabillais en vitesse, soucieux de mon retard. Je descendis l'escalier tapissé de velours et me précipitais jusqu'à mon bureau. Mis à part quelques soldats déjà présents, peu de personne auront remarqués que je n'avais pas été tout à fait à l'heure.
Je m'assis confortablement sur le canapé juxtaposé à la porte et m'allumais un cigare, attendant patiemment mon invité. A l'instant où la fumée passa dans mon œsophage, Razoul débarqua dans la salle, en tas de papier sous le bras gauche. Il paniqua brièvement en ne me voyant pas derrière mon bureau avant de me remarquer sur le côté.
"J'ai amené tous les dossiers que vous m'aviez demandé, m'annonça-t-il.
- Merci Razoul. (il commença à sortir) J'ai une dernière chose à te demander, après laquelle tu pourras disposer.
- Je suis à vos ordres."
Razoul avait la fâcheuse manie de vouvoyer tout son entourage, c'en était obséquieux. Je me demandais s'il en faisait de même avec sa famille.
Je lui fis signe de s'asseoir à côté de moi, il obtempéra avec timidité. Je jouais avec mon cigare, espérant l'intimider face à une telle assurance.
"Durant mon absence, j'aimerai que tu me remplaces."
Son visage se pétrifia ; d'honneur ou d'appréhension, je ne sais.
"Pas dans toutes mes tâches, précisai-je alors que son corps se détendit. Il s'agirait seulement de gérer les diverses paperasses, prendre note de tous les événements importants - je souhaite un compte rendu complet à mon retour - et je vous confie également l'importante tâche de surveiller la princesse. (Il fronça les sourcils). J'aimerai que vous vous assuriez qu'elle aille bien et surtout qu'elle ne se sente nullement espionnée. Elle est souvent victime d'agression, verbale ou physique, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur. Mais bien sûr, ceci doit rester entre toi et moi."
Il hocha la tête, entendu.
"Vous pouvez partir en toute sûreté, je m'en assurerai.
- Parfait, je te remercie."
Razoul sortit de mon bureau d'un air troublé. Je m'emparais des dossiers, concernant les guerriers m'accompagnant. Tout en haut de cette liste de trouvait bien entendu Iabu, le plus préoccupant : "24 ans, non-marié, sans enfants. Trouble du comportement, sujet à des crises violentes. Originaire de la capitale. Dans la garde depuis 2 ans." Toute une liste d'événement auquel il se trouvait lié suivait les informations principales. Je mis bien en évidence les problèmes les plus importants. J'en fis de même avec avec la totalité des autres guerriers. Je voulais être bien certain de tous les connaître.
"Rajah ?"
Une silhouette capuchonnée entrait dans mon bureau.
"Que fais-tu ici ? lançai-je suis un ton plus agressif que je ne l'aurais voulu.
- Tu es parti un peu vite ce matin, je ne t'ai pas dit au revoir", s'expliqua Jasmine
Je soupirais, puis me levais pour la prendre dans mes bras. Elle répondit immédiatement à mon étreinte, déposant son visage au creux de mon cou.
"Tu ferais mieux de partir ma belle, avant que quelqu'un ne te remarque ici.
- Je n'ai croisé personne en venant.
- Quand bien même, j'ai du boulot à faire."
Elle se détacha de moi, le cœur lourd, et je l'embrassais longuement avant de la repousser tout à fait.
"Allez, va, lui ordonnai-je avec douceur.
- Au revoir Rajah.
- Au revoir ma douce."
Sans un mot, elle remit sa capuche. J'espérais alors que mon haleine non-fraîche ne l'avait pas dérangée ; je n'avais pas eu le temps de passer dans mes propres appartements pour me laver.