La Quatrième Dimension: Voyages inédits

Chapitre 2 : Episode 2: La nuit des masques

5586 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 04/03/2021 01:21

La Quatrième Dimension

Episode 2 : La nuit des masques


« Nous sommes transportés dans une autre dimension, une dimension faite non seulement de paysages et de sons, mais surtout d’esprits. Un voyage dans une contrée sans fin dont les frontières sont notre imagination : un voyage au bout des ténèbres où il n’y a qu’une destination : la quatrième dimension.

La nuit d’Halloween est propice à l’exaltation de l’imaginaire. Mais, combinée à l’imagination déjà débordante d’un enfant de 9 ans, nourrie par la télévision et le cinéma, elle peut se révéler d’une dangerosité insoupçonnée. C’est ce que va découvrir à son grand regret Margaret Truby, 27 ans, une jeune mère résidant dans la banlieue de Boston et qui élève seule son enfant, Arnie.

Alors que tout le quartier se prépare à fêter Halloween comme il se doit, cette jeune femme va faire la rencontre perturbante de diverses entités, qui vont la conduire tout droit… dans la Quatrième Dimension. »


Maggie ajoutait les dernières touches à sa décoration d’Halloween, qui lui avait pris deux semaines à préparer pour remplir entièrement la maison. Après avoir rajouté des fausses toiles d’araignées et quelques bougies sur le porche de la maison en fin d’après-midi, son fils, Arnie, lui avait donné ses observations. Et le verdict était sans appel : ça manquait de citrouilles.

Il avait bien de la chance, car il restait une citrouille, mais surtout car sa mère était d’une gentillesse absolue avec lui. Le seul fils qu’elle n’avait jamais eu, avec un homme qu’elle détestait certes, mais son fils, c’était tout pour elle. Elle qui travaillait comme infirmière et qui ne comptait pas ses heures avait réussi à obtenir un jour de congé pour Halloween, et elle comptait bien en faire profiter son fils. Elle voulait aussi essayer d’en profiter, elle aussi, même si elle en doutait. Après tout, c’était le moment que son fils attendait.

Elle luttait avec une citrouille depuis un quart d’heure, écoutant la radio passer de vieux titres pour Halloween, lorsque son fils descendit les marches quatre à quatre, engoncé dans son costume légèrement trop ample pour lui. Cette année, il avait vu les choses en grand : paré d’une cape noire et d’une tenue gothique et effrayante, complétée par un jabot magnifique, il ne manquait plus qu’une chose à son fils : sa tête.

— Ouah ! s’exclama-t-elle. Alors, ce costume de cavalier sans tête ? Comment il te va ?

Son fils ne répondit pas.

— Ah oui, c’est vrai, tu n’as plus de tête, murmura-t-elle.

Maggie s’essuya les mains pleines de jus de citrouille sur son tablier, et s’approcha d’Arnie. D’un coup sec, elle souleva le jabot et ouvrit la chemise pour découvrir le visage de son ange.

— Je suis là ! dit-il alors, riant comme une petite souris.

— J’ai eu peur, pendant un instant, j’ai cru qu’on t’avait coupé la tête, dis donc !

— Non, c’est mon costume, il est super génial !

Arnie jeta un œil à la citrouille, posée sur le plan de travail, derrière sa mère. Elle avait déjà des yeux, mais il lui manquait un sourire.

— Elle est pas finie, la citrouille ?

Maggie s’approcha de la citrouille et posa son coude dessus.

— Non, mais elle aura bientôt son compte. T’en fais pas.

Arnie lâcha un petit rire. Puis il referma sa chemise et reposa son jabot devant ses yeux, en faisant attention de ne pas déchirer son faux cou décapité posé sur sa tête.

— Bon, je vais chercher mon panier !

— Fais attention dans les escaliers, chéri !

— Oui, maman !

La nuit n’était pas encore tombée, mais le crépuscule était presque terminé et devait laisser place aux monstres et aux sorcières en tous genres. Après avoir entendu les pas d’éléphants que fit son fils dans les escaliers, Maggie repartit à sa tâche, prêtant plus attention à la musique cette fois. Twilight time, des Platters.

Un sourire se dessina sur son visage : cela faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas entendu. Cette chanson lui rappelait ses parents, c’était la chanson que le groupe avait joué pendant leur bal de promo. Elle avait été bercée avec depuis sa plus tendre enfance. La réécouter comme cela lui donnait un pincement au cœur, un relent de nostalgie.

Mais son plaisir fut de courte durée. Quelques minutes après la fin de la chanson, Maggie entendit son fils descendre à nouveau les marches, lorsqu’un bruit assourdissant résonna dans l’entrée et que le cri de son fils déchira le crépuscule, jusque-là baigné par la douceur de la musique.

Elle se précipita hors de la cuisine et découvrit son fils allongé sur la moquette de l’entrée, tordu de douleur, pleurant à chaudes larmes.

— Oh mon Dieu ! cria-t-elle. Qu’est-ce qui s’est passé, mon chéri ?

Il ne répondit pas, bien trop occupé à résister la douleur. En commençant à l’ausculter, Maggie comprit que quelques chose était arrivé à sa cheville.

— Ca va aller ! le rassura-t-elle.

Un peu désemparée, elle tenta de reprendre ses esprits et de poser les choses. Elle prit son fils dans les bras, avec peine, et l’amena jusqu’au salon, où elle le déposa sur le canapé. Elle posa délicatement son pied sur l’accoudoir

— Où est-ce que tu as mal, mon chat ? A la cheville, c’est ça ?

Son fils réussit tant bien que mal à acquiescer.

— Oh, mon pauvre chéri 

Maggie courut jusqu’à la cuisine pour chercher de la glace dans le congélateur. Elle revint à la hâte dans le salon. Au moment où elle enroula la poche de gel autour de son pied, Arnie eut un léger hoquet de surprise avant de se calmer un peu.

Elle en profita pour souffler aussi, essuya les quelques gouttes de sueur qui perlaient le long de son front, prit un fauteuil et s’assit à côte de son fils pour quelques instants.

Maggie sentait que la nuit allait être plus longue que prévue. Elle n’avait même pas idée.


*

*         *

Cela faisait plus d’une demi-heure que son fils s’était tordu la cheville en tombant dans les escaliers. Les sanglots avaient continué pendant quelques minutes. Margaret avait eu le temps de trouver des bandages dans sa trousse de soin, après avoir laissé le froid faire son effet, et de bander son pied avec. Il avait l’air plutôt calme, maintenant, même si le bandage lui avait fait un peu mal. Malgré tout, sa cheville était toujours un peu enflée.

Le plus dur semblait fait. Sauf qu’il fallait désormais lui annoncer qu’il n’allait pas pouvoir célébrer Halloween comme il le voulait, avec ce costume qu’ils avaient acheté des mois plus tôt. C’était un crève-cœur, mais elle ne pouvait pas le laisser se balader comme ça avec une cheville dans cet état.

Evidemment, elle tenta d’y mettre les formes, mais rien ne pouvait le consoler. Sa fête d’Halloween était fichue.

— Ecoute, mon chéri, si tu veux, j’irai t’acheter des bonbons demain, dans le centre-ville. Je…

Mais Arnie se mit dans une colère noire.

— C’était pas pour les bonbons maman ! Je voulais mettre mon costume ! Je voulais le montrer à tout le monde !

Maggie soupira.

— Je sais, mon amour, mais là c’est pas possible.

Maggie voulut continuer, mais Arnie se terra dans le silence, une moue sur le visage et les bras croisés. Elle ne pouvait que compatir. Dans un effort désespéré pour le réconforter, elle attrapa la télécommande à côté de son fils et alluma la télé, elle savait au moins que ça lui ferait plaisir.

Il avait grandi avec la télé : son père lui avait montré des tonnes de films, que ce soient des films de super-héros, des comédies, des films de science-fiction. Mais là où elle avait dû donner son veto, c’était lorsqu’il avait commencé à lui montrer des films d’horreur. Le pauvre enfant en avait eu des cauchemars pendant des nuits.

Elle ne fit pas attention à la chaîne sur laquelle elle venait de tomber et se dirigea rapidement vers la cuisine. Elle se prépara à reprendre le découpage de la citrouille, quand elle se demanda s’il ne fallait pas mieux arrêter pour aujourd’hui. Après tout, Halloween était plus ou moins fichu.

Elle fit pivoter la citrouille pour positionner son visage en face du sien et le regarda les yeux dans les yeux. Avec la bouche en moins, c’était difficile de savoir ce qu’il pensait. Mais après plusieurs secondes, elle grimaça et décida que son air ne lui plaisait pas, pour une raison qu’elle ignorait. Elle le jeta sur l’ilot central devant elle, puis posa ses mains contre le plan de travail derrière elle et reposa son corps contre lui.

Cet accident n’était pas grave, comparé à ce qu’elle avait pu imaginer, mais il allait causer plusieurs problèmes. Elle ne savait même pas combien de temps son fils allait devoir attendre pouvoir aller à l’école à nouveau.

Tandis que ses pensées se bousculaient dans la tête, son fils commença à discuter. Tout seul. Maggie fronça les sourcils. Venait-elle de rêver ? Était-ce juste la télévision ?

Elle avança en direction du salon à pas feutrés. Plus elle se rapprochait, plus elle entendait distinctement son fils.

— …. coincé ici, de toute façon ! Vous venez d’où ?

Pas de doute, c’était lui. Elle passa la tête dans l’entrebâillement de la porte du salon et jeta un œil à la pièce entière. Son fils était toujours allongé dans le canapé.

Mais quelqu’un se tenait juste devant lui, derrière la table basse. Maggie écarquilla les yeux tellement grand qu’ils faillirent sortir de leurs orbites.

C’était une grande silhouette habillée de noir, accoutré d’un jabot tout aussi noir. Dans l’une de ses mains, il portait une épée ensanglantée. Dans l’autre, il tenait une citrouille au visage pétrifié de terreur.

A vrai dire, ce détail avait son importance car c’était le seul visage qu’elle pouvait trouver sur elle, puisque la personne qu’elle avait en face d’elle n’avait pas de tête. Littéralement.


*

*         *

Le sang. Le sang de cette créature coulait encore depuis sa plaie béante, qui lui servait autrefois de tête. Il n’y avait en elle aucune émotion, elle se tenait simplement là, tandis que son fils parlait avec lui de la pluie et du beau temps.

Maggie, parcourue d’un haut-le-cœur, posa sa main sur sa bouche et se reposa contre le mur, le souffle court. Elle se mit à réfléchir en quelques secondes. Était-ce un déguisement ? Ça paraissait improbable, personne ne pouvait faire un déguisement aussi réaliste. Après tout, peut-être que si. Elle n’en savait rien, et cela l’importait peu, le plus important était qu’un homme qu’elle ne connaissait pas était dans son salon, armé et posté devant son fils.

Devait-elle appeler la police ? Ça semblait une évidence. Mais son portable et le téléphone fixe de la maison étaient dans le salon. Le seul moyen qu’elle voyait était de distraire l’homme ou en tout cas d’essayer de le raisonner. Toute seule. Il fallait absolument qu’elle sorte son fils de ce pétrin.

Margaret se risqua à exposer sa tête à nouveau pour observer le salon. C’est alors qu’elle vit que la silhouette n’était plus là. Elle avait beau regarder dans tous les coins, aucun signe d’elle.

Soudain, devant ses yeux, le fil de l’épée se planta dans le bois du bâti de la porte et s’arrêta juste devant son visage, à quelques centimètres. Maggie hurla de terreur et recula brusquement, tandis que la silhouette sans tête se positionna lentement devant elle, la poignée de l’épée toujours bien en main.

Maggie n’eut pas le temps de penser à quoi que ce soit. Elle détalla vers la porte d’entrée et l’ouvrit en un éclair, dans un fracas monumental. A l’extérieur, elle tituba mais réussi à reprendre son équilibre et se retourna en une fraction de seconde après plusieurs mètres. La silhouette n’était plus là, mais son fils se tenait sur le pas de la porte, appuyé sur les béquilles que sa mère avait trouvées pour lui dans un placard.

— Maman ! Revient ! Il voulait juste te faire peur ! clama-t-il tout haut.

Elle fut rassurée de le voir sain et sauf. Elle courut à sa rencontre et jeta un genou par terre pour se mettre à sa hauteur.

— De quoi tu parles, mon chéri ? le questionna-t-elle. C’était quoi cette chose ?

La réplique de son fils sonna comme une évidence.

— Bah, le cavalier sans tête !


*

*         *

Son fils avait beau lui expliquer ce qui s’était passé, elle avait vraiment beaucoup de mal à le croire. Une fois rentrée à l’intérieur, Maggie avait examiné chaque recoin de la maison pour voir par où cette individu avait bien pu pénétrer. Elle ne trouva rien, pas de fenêtre cassée, pas de porte enfoncée. S’il était rentré par la porte d’entrée, elle aurait dû l’entendre de toute manière. Elle n’y comprenait rien.

Elle retourna auprès de son fils, dans le salon.

— Mais maman, puisque je te dis qu’il n’est pas entré dans la maison.

Maggie lâcha un petit rire nerveux, tandis qu’elle jetait un œil à travers les rideaux pour voir si personne ne se trouvait dans son jardin.

— Ah, d’accord. Et comme il a fait pour se trouver ici, dans le salon, avec nous ? Il est apparu par magie ?

— Je crois qu’il vient de là, maman, répondit Arnie, un peu embarrassé.

Maggie se tourna vers Arnie, qui désignait son front avec son doigt.

— Attends, tu veux dire que tu l’as… imaginé ?

Arnie hocha la tête de bas en haut.

— Mais c’est impossible, déclara Maggie, désemparée. Ça n’a pas de sens !

Maggie s’assit lourdement dans le fauteuil et posa ses mains sur son visage. Elle avait l’impression d’être en plein cauchemar. Un cauchemar éveillé.

— Je te jure que c’est vrai ! rétorqua Arnie, plein d’assurance.

Maggie se pencha vers lui.

— Ecoute mon chéri, je suis sûre que tu essaies de m’aider, mais ce n’est pas la peine d’inventer des histoires pour me rassurer.

Elle jeta un œil sur son téléphone, posé sur l’un des guéridons.

— Je vais appeler la police, je vais leur dire qu’on a eu une intrusion et on va les laisser faire leur travail.

Maggie s’empara du téléphone et composa le 911.

— Maman, non ! cria Arnie, enragé. Je peux te montrer.

Le téléphone à la main, posé contre son oreille, elle jeta un œil à son fils. Allongé sur le canapé, il ferma les yeux. Mais rien ne se passa.

C’est à ce moment-là que Maggie commença à entendre un bruit venu de l’extérieur. Au début, elle n’y prêta pas attention, persuadée d’avoir raison tandis qu’elle attendait toujours que quelqu’un réponde à l'autre bout du fil. Puis le son se fit plus imposant, c’était comme si un avion allait s’écraser sur la maison.

Elle leva les yeux au plafond. Le bruit était à son paroxysme désormais. Elle s’attendait à tout moment à ce qu’un avion s’écrase sur la maison. C’est alors que quelque chose déchira littéralement la pauvre maison, atterrissant en plein milieu de la pièce. Maggie pensa que sa dernière heure était venue et s’accroupit dans un coin de la pièce, le téléphone toujours en main.

Elle ouvrit les yeux, encore terrorisée, paralysée par la peur et la stupeur, pour faire face à un nuage de poussière et de débris. Le nuage se dissipa progressivement, laissant apparaître une vague forme humaine. Maggie plissa les yeux et distingua nettement de quoi il s’agissait, alors que l’homme en face d’elle, agenouillé, les deux poings au sol, se leva lentement.

Elle le voyait, mais elle ne pouvait y croire. Le costume bleu, le symbole sur son torse, les cheveux bruns coiffés d’une houppette. Pas de doute, elle avait en face d’elle l’homme d’acier. Superman était dans son salon.

Tout à coup, une voix fluette sortit de son téléphone.

— 911, quelle est votre urgence ?

Maggie raccrocha, la bouche toujours grande ouverte.

— Que puis-je faire pour vous ? demanda Superman, d’un ton théâtral.



*

*         *

Margaret ne savait littéralement plus quoi faire. Elle avait réussi à se relever tant bien que mal, mais elle était toujours tétanisée, traumatisée par ce qui venait de se passer sous ses yeux.

Mais alors que le super-héros à la musculature d’acier s’avança vers son fils, Maggie reprit ses esprits, grâce à ce qu’elle supposa être une sorte d’instinct maternel.

— Ne l’approchez pas ! hurla-t-elle à l’encontre du héros en collant.

— C’est bon maman, répondit Arnie, en tendant la main vers sa mère. Il est avec moi.

— Mais qu’est-ce que tu racontes ? s’emporta sa mère, toujours légèrement en retrait.

L’homme s’approcha et s’agenouilla auprès de son fils.

— On m’a dit que tu avais besoin de moi, c’est vrai ? déclama le héros, avec un sourire avenant et réconfortant.

— Oui.

— Que t’arrive-t-il ?

— Eh bien je… Je me suis tordu la cheville, je ne peux plus faire la tournée des bonbons pour Halloween.

— Ah… dit Superman, pensif. Veux-tu que je te ramène des tonnes de bonbons ?

— Non, rétorqua Arnie, je veux faire la tournée. Comme tous les autres.

— Très bien, répondit Superman, dans un calme absolu.

Il se remit debout et prit Arnie dans ses bras de colosse. Maggie commença à prendre peur et se dirigea vers Superman en l’interpellant. Mais il n’entendit rien et se mit à courir à la vitesse de l’éclair vers la porte. Maggie avait beau courir vite, elle les perdit de vue une fois arrivée dehors.

Affolée, elle hurla son nom, son regard balayant tout le voisinage, en vain. La nuit était noire, et malgré les quelques citrouilles illuminées et les lampes de la rue, elle ne voyait rien. Elle croyait avoir perdu son fils pour de bon. Le pire dans tout cela, c’est qu’elle ne pouvait même pas expliquer ce qui venait de se passer. Personne ne la croirait, elle finirait dans un asile psychiatrique.

Maggie s’assit lourdement dans la pelouse, les yeux dans le vague. Elle tenta de ravaler un sanglot, mais échoua lamentablement. Tout son corps semblait vidé de toute énergie, d’un semblant même de vie. Elle resta comme ça plusieurs minutes, assise, la tête entre les genoux.

Finalement, après une attente qui lui avait semblé interminable, le super-héros arriva en trombe, son fils toujours dans les bras. Il réussit à freiner juste devant elle, et déposa Arnie auprès d’elle.

— Oh, Arnie ! acclama-t-elle. Où étais-tu passé ?

Arnie, le sourire aux lèvres, s’empressa de raconter tout l’histoire à sa mère.

— Superman m’a emmené faire la tournée des bonbons ! Mais comme on commençait à se sentir seul, j’ai invité d’autres gens.

Maggie dévisagea son fils.

— Quels autres gens ?

— Bah pleins de gens, quoi ! Je crois même qu’on est passé à la télé !

Que voulait-il dire par « pleins de gens » ? Maggie avait une vague petite idée, mais elle espérait ne pas voir la situation empirer. Elle se précipita devant la télévision et l’alluma d’une main tremblante, après avoir pris soin de déposer son fils sur le canapé. Elle bascula sur la chaîne locale, qui s’occupait de Boston et de ses environs.

Elle ne fut pas tellement surprise de voir qu’un niveau d’alerte important avait été activé au niveau de la ville. Elle s’était attendue au pire, mais c’est ce qu’elle voyait dépassait ce qu’elle avait imaginé. Les informations faisaient état de dizaines de cas étranges et catastrophiques à travers la ville : des chasseurs de fantômes dans le sud de la ville, une légion de cyborgs tueurs au regard rouge sang armés de fusils à plasma à l’ouest, des dinosaures à l’est, et même un monstre géant dans le centre-ville. Godzilla à Boston !

— Qu’est-ce que tu as fait ? réussit-elle à articuler.

— Bah je me suis dit que…

Elle n’écouta pas la fin de sa phrase et se rua dehors. Des gouttes de sueur perlaient le long de son visage et elle tremblait comme une feuille. Mais il fallait absolument qu’elle trouve comment arrêter ça. A peine sortie, Maggie commença à entendre des cris s’échappant de tout le quartier. Elle jeta un coup d’œil à ses voisins de gauche, qui se précipitèrent hors de leur maison, poursuivis par un saint-bernard enragé. A droite, ses autres voisins étaient sous leur porche, se débattant avec un alien doté une double mâchoire et à la salive remplie d’acide.

Un crissement de pneu au loin vers sa droite lui fit tourner la tête dans sa direction. Horrifiée, elle aperçut un pick-up roulant à une vitesse folle, poursuivi par une Plymouth Fury rouge de 1958. Bouche-bée, elle se réfugia à l’intérieur et claqua la porte derrière, à bout de souffle. C’était trop, il fallait absolument qu’elle arrête son fils.

Elle fonça en direction du salon, dans lequel se trouvait son fils. Mais il n’était pas seul. Cette fois, plus de cavalier sans tête, ou de super-héros, les deux personnages qui se trouvaient là avaient une allure bien particulière. Un vieil homme aux cheveux blancs ébouriffés, vêtu d’une longue veste jaune et d’une chemise rouge à motif accompagnée d’une cravate transparente se tenait là, avec son acolyte, un jeune homme qui portait un t-shirt rouge, une veste rouge et noire, un jean avec les poches à l’envers et une casquette grise aux reflets étranges.

Elle les regarda un instant avec un sentiment de curiosité, en penchant la tête et en fronçant les sourcils, avant de se concentrer sur son fils, allongé sur le canapé.

— Ecoute-moi, Arnie, l’implora-t-elle. Tu dois arrêter tout ça ! Il faut que tous ces personnages quittent la ville et reviennent… dans ton esprit, ou peu importe d’où ils viennent.

— Nous ne venons pas de son esprit, madame Truby, expliqua le jeune homme à la casquette étrange, nous arrivons du futur.

— Tu veux dire du passé, Marty ? rétorqua le vieil homme.

— Vous deux, la ferme ! ordonna Margaret, en les foudroyant du regard.

Arnie tapa du poing sur le canapé.

— Mais maman ! s’énerva-t-il. Tous les gens que j’ai appelé, ils n’ont rien fait de mal !

— Regarde autour de toi ! s’exclama-t-elle, pointant le plafond de la maison, désormais flanquée d’un énorme trou. Regarde dehors, Arnie, pour l’amour du ciel !

Arnie s’exécuta et se contorsionna pour jeter un œil à l’extérieur à travers le hublot de la porte d’entrée. Dehors, c’était véritablement la guerre des mondes. Son visage se décomposa au fur et à mesure qu’il voyait ce qu’il advenait de la ville.

Il se repositionna correctement et se mit à fixer le sol. Il semblait sous le choc. Jusqu’ici, pour lui rien n’avait eu d’importance, mais il semblait comprendre que ce qu’il avait fait allait avoir des conséquences.

— Je t’en prie, Arnie, le supplia sa mère, fais quelques chose !

Arnie leva les yeux vers sa mère avec un air de chien battu. Puis, il prit son courage à deux mains et acquiesça. Il jeta un dernier coup d’œil aux deux compagnons dans la pièce avec nous, et ferma les yeux. Sa mère ne le quittait pas du regard. Au bout de quelques instants, elle sentit comme une sorte de souffle autour d’elle. Elle tendit l’oreille, mais n’entendait plus aucun cri, aucun monstre, aucun robot. Elle se retourna et découvrit avec une certaine joie non dissimulée que le vieil homme et son jeune acolyte avaient disparus, pour de bon. Mais c’est avec encore plus d’émerveillement qu’en regardant au plafond, elle se rendit compte que l’énorme trou en plein milieu de sa maison avait disparu lui aussi.

Elle embrassa son fils et se précipita dehors. Plusieurs personnes étaient dans les rues, éberlués, plantés là comme s’ils venaient de sortir d’un cauchemar. Chacun se regardait, essayant de savoir s’ils étaient revenus à la réalité. Et c’était le cas. Tout était revenu en ordre. Margaret exultait, comme elle ne l’avait jamais fait auparavant. Même quitter son cher mari ne lui avait pas fait autant plaisir. Elle rentra chez elle afin de profiter de son fils pour la soirée. Et le lendemain matin, quoiqu’il arrive, elle lui offrirait des tonnes de bonbons, des bonbons que même Superman ne pouvait pas avoir.


*

*         *

Assise à côté d’Arnie, Margaret et lui se remplissaient le ventre des bonbons qu’Arnie avait réussi à récupérer avec Superman. Maggie avait un peu regardé les informations, qui semblaient aussi perplexes qu’elle sur ce qu’il venait de se passer, ce qui la faisait bien sourire.

Mais, ensemble, ils avaient décidé de regarder un film. Bizarrement, après tout cela, Margaret n’avait pas l’intention de laisser tomber les films. Son fils, en bon connaisseur qu’il était, introduisit à sa mère à Retour vers le futur. Maggie reconnut directement le duo qu’elle avait eu dans son salon et un sourire radieux se dessina sur son visage.

Soudain, quelqu’un frappa à la porte. Maggie et Arnie se regardèrent, interloqués. Qui pouvait bien sonner un soir d’Halloween, à cette heure-ci, après tout ce qui venait de se passer ? Maggie espérait seulement que ce n’était pas la police qui venait lui poser quelques questions.

Elle se leva du canapé et de dirigea vers la porte. Elle essaya de voir quelque chose par le hublot, en vain. Elle ouvrit —une dernière fois, elle l’espérait— la porte d’entrée de la maison. Mais il n’y avait personne. Elle entreprit de sortir sur son perron. C’est alors qu’elle le vit, il sortit de nulle part, venant de sa gauche. Elle ne put retenir un hoquet de surprise. Le croquemitaine. Michael Myers était devant chez elle. Il portait un bleu de travail, un masque au teint blafard et un couteau à la main.

Mais de quoi s’agissait-il ? D’une hallucination ? Encore ? Maggie ne comprenait de quelle manière il avait pu atterrir là, étant donné que son fils avait stoppé tout le chaos qu’il avait engendré, et elle sembla le prendre sur le ton de la rigolade. Elle allait lui dire de dégager, lorsque celui-ci fit ce que l’on pouvait craindre le plus d’un homme masqué armé d’un couteau, un soir d’Halloween. Il attaqua.

Il lui asséna un grand coup de couteau au niveau de son épaule droite. Maggie n’eut même pas le temps de réagir, sauf à la douleur qui brûlait désormais dans son bras. Il continua sa tuerie, en lui portant un autre coup de couteau, mais Margaret plaça sa main face à elle pour se défendre. La douleur se faisait de plus en forte. Il continua encore et encore. Elle hurlait et hurlait mais personne ne semblait l’entendre.

Puis, tout d’un coup, elle entendit un énorme bruit métallique tout s’arrêta net. Elle se résolut à rouvrir les yeux pour découvrir son fils, une poêle en inox à la main et le corps du meurtrier, affalé par terre.


*

*         *

Rester allongée sur un lit d’hôpital, dans son lieu de travail, qui plus est, n’était pas dans ses plans pour la soirée, mais elle devait désormais s’y astreindre. Les médecins qu’elle connaissait bien lui avait assuré qu’elle serait sortie en un rien de temps. Elle avait eu quelques points de suture et elle était désormais gardée en observation. Ses collègues lui avaient aussi annoncé que la police était dans l’hôpital pour l’interroger.

Effectivement, ils ne tardèrent pas à venir dans sa chambre pour voir ce qu’elle savait et pour lui livrer leurs informations. Les deux policiers, une grande brune à l’air sévère et un vieil homme blond près de la retraite, entrèrent dans la chambre et s’assirent à côté d’elle.

Ils lui demandèrent si elle savait quelque chose sur l’homme qui l’avait agressé, Maggie répondit que non. Ils lui posèrent quelques autres questions, auxquelles Maggie sut difficilement répondre. Puis, elle leur demanda ce qu’ils savaient de lui.

Les deux collègues se regardèrent.

— Eh bien, il s’agit d’Andrew Carlson, annonça la femme, un jeune homme originaire de la banlieue de Boston. A vrai dire, il semblerait que ce soit un déséquilibré.

— Sa famille travaille dans le cinéma. Depuis tout petit, il a assisté à beaucoup de tournages de films d’horreur, ou de thriller, sans que ses parents ne fassent quoique ce soit. Il a une enfance et une adolescence assez compliquée en plus de ça.

— Il semblerait, d’après ce qu’il nous a rapporté pour le moment, qu’il s’est inspiré du film Halloween pour tenter de commettre son meurtre.

Une idée horrible vint à l’esprit de Maggie.

— J’étais la première ? demanda-t-elle.

— Pour l’instant, on dirait bien que oui, lui répondit l’homme.

— Et heureusement, vous serez sûrement la dernière.

Maggie, alitée dans l’hôpital qu’elle côtoyait tous les jours, pensait à son fils et espérait sincèrement que ce serait le cas. Pour tout le monde.

« Margaret Truby, 27 ans, infirmière de son état, a expérimenté, par un soir d'Halloween, les méandres de l'imagination humaine. Des hallucinations, sorties tout droit de l’esprit fertile d’un enfant. Un esprit souple et malléable, qui ne demande qu’à s’épanouir.

Les images ont un sens, une réalité, elles transmettent un message pour chacun de nous. Les personnages que nous côtoyons dans la fiction nous marquent et nous suivent, parfois même jusque dans notre monde réel. Ils forment une culture populaire, ancrée en chacun de nous.

Mais le plus important reste de savoir ce que l’on fait des images et des idées, que l’on ingère à longueur de temps. Doit-on les utiliser pour justifier l'accomplissement de nos sombres desseins les plus fous et les plus dangereux ? Ou repousser les limites de notre imagination, afin d’améliorer la compréhension humaine, voire de tenter de mettre le doigt sur l'inexplicable et finalement, d’améliorer le monde ?

Une chose est sûre : pour le comprendre, on ne peut se cantonner aux simples limites du carcan terrestre. Pour le comprendre, il nous faut entrer… dans la Quatrième Dimension. »

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