[LGDC] fanfiction Le Temps des Brumes

Chapitre 24 : Chapitre 15

7320 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/12/2021 11:32

"Pelage de Brume ? Tu es avec nous ?"

Les oreilles de Pelage de Brume tressaillirent à l'entente de son nom prononcé. Émergeant de ses pensées, elle redressa son visage absent pour constater que ses amis étaient tous en train de la dévisager avec circonspection.

- Je... euh... Oui... je... 

- Ha ha ! Notre Pelage de Brume est bien plus perturbée par cette histoire de renards qu'elle ne voudrait le laisser croire !" s'amusa gentiment Plume Ardente de sa voix douce, lui adressant un sourire bienveillant et légèrement attendri.

Puis, la belle chatte tricolore se tourna vers Oeil Perçant et Cœur de Cendre pour reprendre le fil de la conversation momentanément interrompu.

Pelage de Brume s'ébroua doucement. N'écoutant que d'une oreille les échanges que ses amis étaient en train d'avoir, elle laissa de nouveau sa conscience glisser le long des paroies sombres et accidentées de ses propres préoccupations. 

Il faisait beau, le temps était clair et ensoleillé. Une de ces journées d'automne faisant oublier que la brume fraîche et le soleil pâle laisseront bientôt place à la froidure et au givre. Pour profiter de ce qui apparaissait comme l'un des derniers jours de beau temps, le moindre recoin lumineux de la combe du camp du Feu avait été investi par ses membres, s'adonnant pour la plupart à des bains de soleil matinaux en compagnie de leurs proches. 

Pelage de Brume et ses trois amis d'enfance s'étaient, pour leur part, installés à proximité de l'ancienne arène de combat, là où perçait d'entre les cimes dégarnies du couvert végétal une flèche de lumière tiède et dorée. Juste à côté, depuis le creux de sable lumineux et rempli de monde de l'arène, résonnaient les conversations animées et autres grands débats, ayant pour la majorité le même sujet qui ne cessait d'animer les babies des uns et des autres. 

La traque aux renards.

Étoile Farouche avait quitté le camp à la tombée de la nuit, pour se rendre, accompagnée de son Lieutenant et de ses trois guerriers de confiance, au rendez-vous donné par Étoile Silencieuse, à la frontière des Trois-Épines. 

Les Trois-Épines désignait un bosquet légèrement surélevé s'érigeant entre le territoire du Feu et celui du Lac, au sommet duquel s'épanouissaient une aubépine aux baies rouges, un ajonc plus doré que tous les soleils du ciel, ainsi qu'un prunellier dont l'orgueil se gonflait de mille fleurs blanches le printemps venu. Cette zone frontalière, de par son relief en hauteur permettant d'avoir une vue dégagée sur les alentours proches, rendant ainsi impossible d'éventuelles tentatives d'embuscades, était régulièrement choisie comme lieu de rencontre entre les deux Clans. Ses trois buissons ayant ainsi été les témoins, génération après génération, des tentatives d'échanges diplomatiques entre Lac et Feu. Autant de pourparlers dont les multiples tenants et aboutissants avaient été protégés des oreilles indiscrètes par leurs larges ramures armées d'innombrables piquants. 

Depuis leur départ, le camp du Feu étant privé de la présence de ses guerriers de tête, l'ordre avait été donné aux membres du Clan de ne pas s'en éloigner outre mesure, jusqu'à leur retour. En attendant, la personne subordonnée à donner d'éventuelles directives d'importances n'était autre que Pelage de Brume, sous décision directe d'Étoile Farouche.

Voir son Clan tout entier se retrouver sous sa responsabilité avait grandement angoissé la guerrière couleur de brume. Mais, comme le Chef le lui avait signifié, leur absence ne durerait qu'une courte nuit et, maintenant que les rayons de l'aurore embrassaient le ciel de la forêt, le Clan ne tarderait plus à voir revenir son élite. Et, comme l'avait anticipé leur Meneur, la nuit s'était déroulée sans encombre, rien n'était venue troubler la paix des guerriers du Feu.

Pelage de Brume soupira dans ses moustaches. Elle cligna ses yeux d'ambre alourdis de fatigue. Elle n'avait pas fermé l'œil de la nuit. Elle en avait été incapable. 

Postée sur le sommet du Rocher, elle n'avait eu de cesse de surveiller le va et vient des membres du Clan, mémorisant depuis combien de temps chacun s'était absenté. Et c'est la boule au ventre qu'elle avait nerveusement attendu le moment où chacune de leur silhouette familière réapparaissait enfin entre la sécurité des roches de la combe. 

Malgré les nombreuses patrouilles que le Lieutenant Griffe Noire avait mené à la recherche d'une intrusion de Sans-Clans sur le territoire, Pelage de Brume n'était pas parvenu à se rassurer pour autant. Non pas qu'elle remettait en cause la minutie de son Lieutenant. Elle savait mieux que quiconque pour faire régulièrement partie de ses escouades, que Griffe Noire était très certainement le membre le plus rigoureux à sa tâche de tout le Clan réunit. 

Le museau de Pelage de Brume s'assombrit davantage lorsqu'elle se remémora la panique qu'avait provoqué le souvenir des Sans-Clans chez le pauvre Griffe Noire. Elle lança un regard distant à son groupe d'amis qui poursuivaient leurs effervescents bavardages dans la lumière réchauffante du jour nouveau.

Ils ne savaient rien. Il ne savait rien... 

Cœur de Cendre, au même titre que les autres, pensait toujours que sa longue et éprouvante journée de tantôt n'avait été remplie que d'une simple patrouille sur le territoire. Elle était pourtant résolue à tout lui dire, tout lui confier. 

Malencontreusement, les yeux de Plume Ardente étaient tombés sur sa blessure à l'épaule, avant qu'elle ne réussisse à se retrouver seule avec Cœur de Cendre. La guerrière tricolore avait alors immédiatement réclamé une explication, obligeant Pelage de Brume à justifier de son état devant tous. Et Pelage de Brume, sachant trop bien qu'elle n'aurait pu échapper aux questionnements inquiets de sa maternante amie, n'avait eu d'autre choix que d'inventer de toute pièce un mensonge sans gravité. A savoir, qu'il s'agissait là du forfait d'une martre aux dents longues. 

Pourtant... elle avait tellement besoin de lui parler de ce qu'il s'était passé... 

Imaginer Cœur de Cendre, seul, loin du camp, loin d'elle, quelque part dans la forêt en train de chasser pour le Clan, sans savoir qu'il pourrait lui-même être en train d'être pris en chasse... Cette pensée était sans aucun doute la pire de toutes. 

Malheureusement, l'opportunité de se retrouver tous les deux seuls pour rétablir la vérité ne s'était pas encore présentée à eux. 

Depuis le retour d'Assemblée, où Étoile Farouche avait fait connaître son pacte d'alliance avec les Neiges, l'agitation du Clan avait redoublé. En prévision des prochaines activités de traque auxquelles les guerriers du Feu allaient devoir s'adonner, l'intensité des besognes quotidiennes avait dû être augmentée. Les temps de repos avaient été réduits au minimum, chacun devait donner de sa personne pour que le Clan demeure solide sur ses appuis tandis que ses guerriers seraient occupés au loin, autrement dit, vulnérable. Tous s'affairaient donc, Pisteurs, Patrouilleurs, Traqueurs et surtout, Chasseurs qui devaient s'assurer de fournir réserves et sécurité au camp qui verrait prochainement un bon nombre de son effectif lui manquer. 

Pelage de Brume ne s'étonnait plus d'avoir trouvé le camp pratiquement désert à son retour de mission. Exceptée la précédente nuit où tout le monde avait pu souffler, ce rythme infernal allait très certainement reprendre d'ici peu, et ceci jusqu'au jour de la Grande Traque. Autant dire que le tête-à-tête à cœur ouvert avec son meilleur ami n'était pas près de se profiler à l'horizon. 


L'écho bruyant d'éclats de voix perça tout à coup au-dessus du brouhaha diffus animant le creux de la combe, sortant une nouvelle fois la guerrière de sa bulle introspective. A l'instar de Plume Ardente, Oeil Perçant et Cœur de Cendre qui avaient stoppé leur conversation, Pelage de Brume tourna la tête en direction de la source des clameurs. 

A quelques longueurs de queue de là, deux membres du Clan étaient en proie à une discussion indéniablement douloureuse, à l'entente du ton qui était employé. Il s'agissait des guerriers Pelage de Nuit et Flamme Blanche, les heureux parents de Nuage de Fumée et Nuage de Craie.

Flamme Blanche, dont la fourrure de neige se parait des reflets chamarrés de l'aube, faisait retentir sa voix empli de colère, appuyée par un timbre d'une insistance ulcérée. Pelage de Nuit, l'écoutant en silence, acquiesçait résolument aux paroles fulminantes de sa compagne, la mine sombre du grand mâle visiblement affligée de contrariété. 

"Pauvre Nuage de Craie..., murmura Plume Ardente en couvant de ses beaux yeux émeraudes et compatissants les deux parents atterrés, Flamme Blanche est hors d'elle... Mais comment ne pas l'être à sa place... 

- Je ne comprend vraiment pas ce qu'il a pu passer par la tête de Nuage d'Ombre, poursuivit Oeil Perçant, s'en prendre au propre fils de son mentor..."

Pelage de Brume porta son regard sur Cœur de Cendre. Celui-ci avait fait tomber ses prunelles cuivrées sur le sol, son visage rond se marquant d'une vibrante affliction. 

La veille, quand il s'en était allé chercher son apprenti comme à son habitude, Cœur de Cendre avait trouvé Nuage de Craie dans un état anormal. Prostré, l'échine basse, ses petites babines blanches piquetées de croûtes rouges, là où ses moustaches avaient été violemment arrachées. Ne le lâchant plus d'une semelle, le guerrier cendré avait finalement réussi à lui faire avouer qu'il s'agissait là de l'œuvre de Nuage d'Ombre. Avec beaucoup de trouble, Cœur de Cendre était allé rapporté les faits à Étoile Farouche, qui n'avait pour sa part pas eu le temps de s'occuper de cette histoire de brimades physique avant son départ pour les Trois-Epines. A la suite de quoi, Cœur de Cendre, avec grande peine, avait finalement lui-même informé les parents de Nuage de Craie des brutalités dont leur fils avait été victime. Il avait fallu le recours de trois autres membres du Clan pour empêcher Flamme Blanche de fondre sur la tanière des apprentis réclamer des comptes à Nuage d'Ombre. 

"Nuage d'Ombre est ta petite sœur, prononça avec hésitation Oeil Perçant à l'adresse de Plume Ardente, tu... tu devrais peut-être aller lui parler à propos de tout ça... 

- Effectivement, il serait nécessaire que j'ai une vraie discussion avec elle..., approuva-t-elle pensivement, mais... je veux attendre que Pelage de Nuit s'entretienne d'abord avec elle. C'est son droit le plus strict, en tant que père de Nuage de Craie, mais surtout, en tant que mentor de Nuage d'Ombre. En tant que tel, le comportement de ma sœur demeure davantage sous sa responsabilité que sous la mienne. Mon droit fraternel ne prévaut pas sur le sien." 

Plume Ardente avait pudiquement consulté Cœur de Cendre du regard pour prononcer ses paroles, comme pour solliciter son avis sur la question. En tant qu'ainée de Nuage d'Ombre, il était certain que Plume Ardente se sentait honteuse et coupable à l'encontre du mentor de l'apprenti que sa sœur cadette avait cruellement molesté. Mentor qui, de surcroît, semblait souffrir à l'âme de la même douleur qu'avait éprouvé le pauvre Nuage de Craie. 

Cœur de Cendre redressa tout de même la tête pour adresser à la chatte tricolore un sourire conciliant, malgré sa réelle affliction, venant de la sorte évincer la tension qui s'était installée entre les quatre amis d'enfance.

Plume Ardente avait à son tour sourit de toute la douceur de son beau visage roux, blanc et noir, avant de le tourner vers Oeil Perçant assis à son côté.

"En tout cas, tout comme Flamme Blanche, jamais nous ne tolérerons qu'une telle chose ne soit fait subir à nos futurs enfants, décréta-elle de sa voix fleurie en caressant tendrement le flanc l'Oeil Perçant du panache fauve de sa queue, n'est-ce pas, mon amour?" 

Le mince mâle blanc tacheté de noir eut un impersptible trésautement à l'entente de ces mots. Il baissa avec gêne ses prunelles grisâtres cernées de noir sur ses pattes tout en approuvant d'un signe de tête docile les paroles de sa compagne. 

Après quoi, Plume Ardente enchaîna sans plus attendre sur les récentes leçons qu'elle avait donné à Nuage de Fumée et le retard dans son apprentissage que cette Grande Traque aux renards allait engendrer sur son programme de mentor. La conversation reprit de plus belle, principalement menée, pour ne pas dire exclusivement, par Coeur de Cendre et sa comparse mentor. Pelage de Brume se surprit à soupirer de nouveau. Mentors, apprentis, traque aux renards, elle avait l'impression de ne dresser ses oreilles que pour entendre ces mots, encore et encore. 

Ne se sentant pas l'aplomb de tenir davantage la chandelle dans cet échange d'opinions et de conseils où elle n'avait de toute façon pas sa place, elle s'excusa auprès de ses amis, prétextant une visite que la Guérisseuse lui avait réclamé à dessein de surveiller sa blessure à l'épaule, pour pouvoir s'éclipser. Mais, les trois guerriers s'étant lancés dans un nouveau débat passionné, elle constata que son départ aurait de toute façon à peine été remarqué. 

La queue basse, Pelage de Brume se faufilla entre les membres occupant la combe en direction de la large façade du Rocher, prenant soin de passer le plus loin possible du couple de parents atterrés. Pour ne pas réussir à gérer ses propres angoisses, elle avait toujours détesté se confronter à celles des autres. 

Son museau gris et blanc fendit les fougères fanées qui habillaient la faille donnant accès à l'antre de la Guérisseuse. Faisant machinalement irruption sans penser à s'annoncer, Pelage de Brume déboula dans la grande cavité de roche pour surprendre la Guérisseuse en plein échange, apparement houleux, avec une autre chatte.

"Tu dois le lui dire, tu n'as pas le choix ! assurait vivement Fougère Dorée à son interlocutrice, tout ira bien, crois moi !

- Non ! Non je ne peux pas ! Je n'y arriverai pas ! Je n'y arriverai pas ! sanglotait l'autre en niant de la tête avec une telle détresse dans la voix que le cœur de Pelage de Brume s'en contracta de peine. 

- Tu ne seras pas seule, nous serons tous là pour t'aider, renchérit la Guérisseuse avec une gravité donnant une intonation trop dure à ses mots pour que ceux-ci soient réellement bénéfiques, nous t'aiderons tous ! Griffe Noire aussi sera là pour t'aider, mais pour ça tu dois le lui dire ! "

C'est à cet instant que la Guérisseuse décela enfin la présence de Pelage de Brume, détachant ses prunelles aux reflets dorés de la petite femelle bouleversée pour venir les poser sur l'intruse, lui adressant un regard perçant d'irritation avant même d'avoir identifié l'importune visiteuse. 

La guerrière couleur de brume, prise de court d'être témoin d'une conversation privée qu'elle n'aurait visiblement pas dut entendre, resta interdite, incapable de faire demi-tour, ni même de prononcer un quelconque mot d'excuse. 

L'autre femelle, qui malgré sa taille ne dépassant pas celle d'un chaton de huit mois était plus âgé que Pelage de Brume de plusieurs années, finit elle aussi par se rendre compte de la présence d'une tierce personne et fit volte-face vers cette dernière, avec la crainte d'une proie acculée. 

Pelage de Brume l'avait reconnu sans mal. Avec sa silhouette aussi menue que chétive, ses yeux roux d'animal traqué, sa fourrure crème zébrée de gris-brun sur ses courtes pattes et sa queue agitée de stress. Elle s'appelait Pas Feutré. 

Cela faisait bien des lunes que Pelage de Brume ne l'avait pas croisé. Il était si rare de la voir se montrer. Parfois, Pelage de Brume en venait presque à oublier son existence au sein du Clan. 

D'ailleurs, Pelage de Brume eut à peine le temps d'amorcer une phrase de salut, que la petite femelle avait déjà entrepris de fuir la caverne, rasant la paroi humide et froide de la roche comme un mulot jusqu'à la sortie, sans un mot ni même un regard en arrière pour les deux autres femelles. 

La Guérisseuse, en la voyant faire, ne tenta pas de la retenir, se contentant d'émettre un soupir fracassant de lassitude et de résignation. 

Pelage de Brume, s'en voulant d'avoir bêtement fait avorter son entrevu visiblement d'importance avec la si craintive Pas Feutré, bafouilla avec maladresse quelques formules de politesse. 

- Que... que se passe-t-il ? Pas Feutré ne va pas bien ? s'hazarda-t-elle à demander tout en se rendant compte en la prononçant de l'absurdité de sa question.

- Non, rien de grave. Simplement une bonne nouvelle, pour changer...", souffla Fougère Dorée entre ses babines.

Pelage de Brume tourna ses prunelles vers la faille de la grotte où la chatte crême venait de disparaître. 

Pas Feutré... 

Elle était la fille unique d'Étincelle et de Flambée Nocturne. Devenue orpheline de père et mère du jour au lendemain alors qu'elle n'avait pas encore quitté la pouponnière, le jeune chaton qu'elle était à l'époque s'était vu entaillé d'une blessure à vie. Une blessure de celle dont on ne peut pas guérir. Devenu adulte et malgré son apprentissage, Pas Feutré n'était pas parvenu à s'affranchir de ses peurs dévorantes. 

Seulement, au sein du Clan du Feu, la peur n'est pas quelque chose d'envisageable. Alors, plus on avait forcé Pas Feutré, plus on l'avait poussé à accomplir son devoir, plus sa peur avait grandi. Jusqu'au jour où elle ne fut tout bonnement plus capable de poser ne serait-ce qu'une patte à l'extérieur du camp. Cet extérieur qui lui avait pris sa famille et qui la terrorisait plus que tout. Poids mort pour le Clan, incapable de porter le titre de Guerrière, Pas Feutré s'était recluse dans le seul endoit qui lui était encore un peu vivable : la pouponnière, où elle devint Nourrice, à défaut d'autre chose. 

Pelage de Brume l'avait toujours connu ainsi, fuyante, exclue, brisée. Pas Feutré lui avait toujours fait cette impression : d'une souris sur de la terre gelée. Brûlée par le froid. 

Quant à ses yeux oranges, ces yeux avaient cet espèce de poignant regard, intense et absent, comme semblant blâmer et supplier à la fois. Des yeux qui semblaient déchirer l'invisible devant eux. 

Pelage de Brume ignorait l'enjeu de son entretien avec la Guérisseuse du Clan, mais elle espérait sincèrement que le sort est la clémence de lui épargner les sombres jours. 

Fougère Dorée, de son côté, était demeurée assise, immobile. Son regard terne était allé se perdre quelques instants dans le vide. Puis, revenant finalement à elle, elle fit mollement claquer ses oreilles pour se redonner de l'aplomb. 

"Oui ! Voyons voir cette morsure !" décréta-t-elle alors à l'adresse de sa nouvelle visiteuse, d'une voix dont la morosité s'était maquillée d'une fausse énergie.

Sans une consultation de plus pour l'épaule de Pelage de Brume, la Guérisseuse se dirigea vers un petit tas de plantes fraiches entreposées au sol, qu'elle se mit à trier du bout de la patte. 

"La plaie a l'air de cicatriser correctement, affirma-t-elle avec le ton bref et certain de la compétence tout en sélectionnant quelques feuilles que Pelage de Brume aurait été incapable de diférencier, en repoussant les poils recouvriront la cicatrice. Cela ne se verra même pas, que demander de plus ?"

La chatte tigrée de brun revint vers sa patiente, machonnant entre ses crocs les herbes sélectionnées pour en faire une pâte à appliquer sur la plaie. Il s'ensuivit un instant d'attente plutôt pesant, où dans le silence de la caverne ne résonnait que les bruits humides de mastication de Fougère Dorée.

Pelage de Brume, elle, retenait un peu son souffle. Elle ne savait trop où poser ses yeux, sur tout le bric-à-brac incongru et étranger de l'antre, ou sur Fougère Dorée elle-même. Elle n'avait jamais été très à l'aise avec la caustique et faussement désinvolte Guérisseuse du Clan. Elle avait toujours eu du mal à bien la cerner.

Il était coutume de dire, parmi les Guerriers, que les Guérisseurs constituaient souvent des chats un peu étranges, et qu'il ne fallait pas s'étonner de leur excentricité. Passer sa vie dans une grotte, la truffe dans les plantes et la tête dans les Étoiles, pas étonnant qu'il en résulte des individus un peu désaxés... 

Du moins, Pelage de Brume savait que ses congénères aimaient justement ce trait de caractère chez leur soignante et que beaucoup d'entre eux venaient lui rendre visite simplement pour l'appréciation distrayante de ses conversations. L'humour et la sagacité de la chatte brune, allié à son statut de Guérisseuse des maux, en faisait également une oreille attentive à qui l'on venait préférentiellement se confier. La caverne médicinale devenait ainsi une bulle en dehors du Clan, en dehors des conventions habituelles où, l'instant d'une accalmie sociale, les membres du Feu pouvaient venir se libérer de leurs tourments intimes à l'abri de tout jugement. 

Peut-être était-ce pour cela que Pelage de Brume ne s'était jamais trouvé d'alchimie particulière avec sa Guérisseuse. Lorsque l'on use son énergie à enfouir sa véritable nature, se retrouver face à quelqu'un de si doué pour lire les autres et leurs démons, n'a rien de confortable. 

Pelage de Brume jeta un regard furtif à Fougère Dorée, tandis qu'avec application celle-ci déposait minutieusement de la mixture tiède de salive sur la plaie de son épaule. La nuit de son retour de mission, c'est bien elle qui avait pris soin de masquer l'odeur des Sans-Clans avec de l'herbe-aux-abeilles... Pelage de Brume ne pouvait s'empêcher de se demander si la soignante avait reconnu cette odeur... L'avait-on mis au courant de la situation ? Elle avait dû lui prodiguer des soins à son retour paniqué au camp, la sagace femelle tigrée n'avait-elle pas posé de questions ? Ou bien, avait-elle tiré des conclusions d'elle-même ? Elle devait bien se douter de quelque chose... 

C'est aussi cela qui était déstabilisant avec les Guérisseurs, on ne pouvait jamais savoir à quel point ils savaient... 

Pelage de Brume, prit une inspiration et se racla la gorge, cherchant l'angle d'approche le plus judicieux :

- Fougère Dorée, est-ce que tu..."

Tout à coup, il y eut un déchirement de l'air. 

Les fourrures de Fougère Dorée et de Pelage de Brume doublèrent de volume en un instant. Un cri terrible venait de retentir jusque dans la tanière, en provenance de l'extérieur. Un cri si douloureux, qu'il retourna le sang de Pelage de Brume d'horreur. Laissant choir le reste d'herbes mâchées au sol, les yeux glacés d'effroi de Fougère Dorée croisèrent ceux de la guerrière tandis que son échine se ratatina sur elle-même. Alors qu'un second hurlement à leur écorcher l'âme retentit, Pelage de Brume, elle, se précipita de toutes ses forces vers la faille de la grotte, ses griffes déjà sorties crissant sur la roche à en faire des étincelles. 

Elle bondit d'entre les fougères de l'ouverture du Rocher, écarquillant ses yeux palpitants de panique, se préparant à découvrir la combe maculée des corps gisant dans leur sang des Guerriers du Feu. 

Mais, alors que tous ses muscles s'étaient tendus, l'élan de son corps prêt à se jeter dans la bataille pour défendre les siens se stoppa tout seul. Car dehors, nul cataclysme n'était venu s'abattre sur le camp du Feu, nul horde de Sans-Clans affamés n'était en train de déferler dans la combe sableuse. Non, la seule agitation qui régnait était celle de l'attroupement qui s'était formé au pied du Rocher. 

L'affreux beuglement retentit une fois de plus depuis le centre du cercle des membres du Clan, que les cris, aussi terribles soient-ils, ne semblaient pourtant pas affoler outre-mesure. Pelage de Brume eut une seconde de désarçonnement devant le calme froid de ses congénères. Puis, reprenant ses idées, elle s'avança à pas lourds et pressés pour fendre la foule. 

C'est derrière ce mur de chats, qui commençaient d'or et déjà à se disperser d'eux-même, qu'elle découvrit, avec grande surprise, ce qui provoquait de tels cris de souffrance et surtout, compris pourquoi personne n'y réagissait. 

Là, sous les yeux ébahis de tous, ce tenait le grand corps sombre et gauchement décontenancé de Pelage de Nuit, au pied duquel son apprentie Nuage d'Ombre était pitoyablement effondrée, larmoyante et hurlant à la mort. 

"Mais que se passe-t-il ? s'écria tout haut la guerrière couleur de brume.

- Oh ça ? lui répondit avec un sourire railleur la voix veloutée de Volute de Suie qui se tenait juste à sa gauche, Pelage de Nuit s'est enfin décidé à réprimander Nuage d'Ombre pour ses actes envers son pauvre petit, et voilà le résultat... Mon grand idiot de frère a à peine commencé à élever la voix qu'elle s'est mise à hurler comme une corneille sur des chardons..."

Les yeux médusés, Pelage de Brume dévisagea de nouveau, incrédule, la scène qui se déroulait devant elle. 

On pouvait distinguer, au milieu de ses éclats de voix stridente, déformée par les hurlements et les pleurs, la jeune chatte noire et feu supplier son mentor de lui pardonner.

Et, tandis que l'apprentie sermonnée se roulait dans la poussière, comme à l'agonie, tout son corps avachie secoué de sanglots, l'imposant Pelage de Nuit, lui, ne semblait plus savoir où se mettre ni que faire de la situation. Ses yeux jaunes pâles agités d'embarra semblaient chercher une solution qu'ils ne trouvaient pas. Derrière, sa compagne Flamme Blanche observait avec consternation, au même titre que le reste de l'assemblé encore présente, le pathétique spectacle auquel Nuage d'Ombre s'adonnait, désapprouvant d'un mouvement de tête indigné. 

Vidée de toute énergie, Pelage de Brume tomba sans forces sur son arrière train et, fermant les yeux, soupira sans retenue. 

Alors que la tension dans ses veines et ses muscles redescendait lentement et qu'autour les uns et les autres reprennaient peu à peu leurs occupations suspendues, une voix l'interpella. 

Rouvrant ses paupières, elle vit alors la guerrière Museau Cendré trotter dans sa direction depuis l'entrée du camp, suivie de son apprenti Nuage de Silex. Elle les accueillit par une ombre de sourire poli crispant ses traits épuisés. 

- Pelage de Brume, je peux te parler ? s'enquit la chatte âgée à la fourrure blanche tachetée de gris, je reviens d'un petit pistage avec Nuage de Silex. Je sais qu'on devait garder le camp jusqu'au retour du Chef, mais nous ne sommes pas allés bien loin : je voulais prendre de l'avance et repérer les traces de la martre qui t'a attaqué tantôt pour pouvoir y envoyer les Traqueurs... "

Pelage de Brume cligna mollement des yeux d'approbation, attendant de savoir ce qu'y nécessitait son recours. La vieille guerrière fit alors un pas en avant pour rapprocher son visage cendré de la femelle plus jeune : 

"Nous sommes allés jusqu'au nord-est, derrière les Arbres aux Chouettes et... c'est en cherchant le nid de la fameuse martre que... j'ai trouvé... quelque chose..."

Pelage de Brume eut un tressaillement d'oreille. 

- Quelque chose ? demanda-elle en se mettant à fixer la Pisteuse avec intensité.

- Oui, affirma l'autre très sérieusement, j'ai trouvé... des traces... 

- Des traces ? Des traces de quoi ? la pressa-t-elle d'un ton plus bas tout en l'entraînant un peu plus à l'écart.

- Je crois que le mieux serait que tu constates par toi-même..." 



*



D'un pas rapide, Pelage de Brume se laissait entraîner, glissant au travers des futaies humides et froides, derrière la vieille Museau Cendré qui ouvrait la voie. Son apprenti, Nuage de Silex, avait été laissé au camp. Le jeune chat ayant de toute façon bien vite détaché de son esprit cette histoire de traces, en découvrant à quel navrant caprice sa sœur de lait s'était prêtée devant tout le Clan réunit. 

"Nous ne sommes plus très loin", informa devant elle la voix légèrement enrouée de Museau Cendré. 

Pelage de Brume avait le cœur qui battait froidement. Elle avait comme un mauvais pressentiment. Et le Chef qui n'était toujours pas revenu de son entrevue stratégique...

Ses prunelles dorées s'agitaient nerveusement sur les reliefs brumeux de la forêt. Des traces... Pourquoi avait-elle la quasi certitude que cela n'annonçait rien de bon ?

- Cette zone du territoire ne fait pas partie de mon secteur de patrouille, je ne le connais pas bien... informa-t-elle à l'adresse de la chatte tachetée.

- Il s'agit d'une petite ravine au nord-est des Arbres-aux-Chouettes, pas très loin de la frontière, l'informa-t-elle, d'ailleurs, ça y est ! Nous arrivons."

Museau Cendré s'immobilisa devant un bosquet de noisetiers dégarnis et de fusains commençant à revêtir leurs feuillages vermeilles de l'hiver. Tournant la tête dans sa direction, la vieille chatte adressa alors un petit regard comme malicieux à Pelage de Brume qui s'approchait à son tour. 

Cette dernière allait interroger la Pisteuse sur la présence des dites traces quand tout à coup, il entra dans sa truffe une puanteur telle, qu'elle ne put réprimer un rictus d'écoeurement. 

"Nous autres Pisteurs, nous l'appelons la Fosse-Charogne", décréta Museau Cendré en lançant un regard compatissant et légèrement amusé à sa jeune comparse Patrouilleuse. 

Après quoi, elle s'engagea sans plus attendre entre les ramures de deux noisetiers chargés de noisettes, malgré le parfum nauséabond qui devait, bien plus encore qu'à Pelage de Brume, violenter ses sensibles narines. Et la jeune guerrière n'eut d'autre choix que de la suivre, retenant ses hauts-le-cœur nauséeux. 

Derrière la ceinture d'arbustes, le terrain descendait en un dénivelé de plusieurs mètres, formant une cuvette rocheuse d'où s'érigeaient quelques érables étroits, poussant à même les pentes pierreuses intégralement tapissées de mousses et de plantes de sous bois. Les premiers mètres de la ravine était notamment investi d'un véritable tapis d'hellébores aux sombres feuillages effilés comme le plumage d'un oiseau. 

"Comme tu peux le voir, ici pousse de la fleur-aux-rats, informa Museau Cendré en désignant l'un des pieds touffus d'hellébore, c'est à cette plante que l'on doit cette odeur de putois crevé. On dit que sa sève pu tellement que même les rats la fuit ! Et c'est encore pire quand on marche sur ses feuilles... Malheureusement la plante semble se plaire ici et la pente de la ravine en est couverte, voilà pourquoi personne n'y descend jamais d'habitude..." 

Pelage de Brume osa s'approcher d'un pas de l'un des sombres végétaux, ayant encore un peu de mal à croire qu'une simple plante puisse produire un tel parfum de pestilence, avant de vite en éloigner sa truffe.  

"D'ordinaire, tu penses bien que je ne m'amuse pas à venir traîner mes pattes là-dedans, poursuivi la chatte tachetée de gris, d'ailleurs, quand nous y sommes passés tout à l'heure, le ravin puait comme jamais il n'avait pué auparavant. C'était comme si ces satanées plantes s'étaient donné le défi d'empoisonner tout l'air de la forêt ! J'allais m'en éloigner en courant, quand Nuage de Silex m'a fait remarquer que si elles sentaient autant, c'est que leurs feuilles avaient peut être été piétiné, ajouta la vieille guerrière non sans un petit éclat de fierté venant faire briller son vieil oeil, alors nous avons pensé que ta fameuse martre, ou quelque chose de plus gros, était peut être allé se cacher au fond du ravin. Et c'est comme ça que nous avons pu découvrir... ce qu'on a découvert..."

A la fin de son récit explicatif, la voix un peu rauque de l'expérimentée guerrière s'était durcie, venant jeter son regard soucieux vers le bas de la ravine. 

"Fais attention ou tu mets les pattes, il suffit de frôler cette maudite plante pour que l'odeur se colle aux poils !" avertit la Pisteuse en se mettant à dévaler le talus rocheux de ses pattes solides et trapues, zigzaguant entre les hauts pieds d'hellébores. 

Pelage de Brume, retenant son souffle, entreprit à son tour de descendre le flanc de colline, prenant bien soin de marcher sur les pas de son accompagnatrice. 

Enfin elles arrivèrent en bas de la cuvette, là où l'ombre des arbres ne permettait plus aux hellébores de trouver suffisamment de lumière pour s'épanouir, laissant de nouveau place aux inoffensives mousses recouvertes de feuilles mortes, rendant le fond de la ravine plus respirable.

"C'est ici..." , désigna grièvement d'un coup de museau la vieille Pisteuse. 

Pelage de Brume s'avança prudemment, inspectant de ses yeux tendu le dit endroit. Au premier coup d'œil, le fond du ravin ne présentait rien de particulier. Et, c'est alors qu'elle la sentit...

La mort. 

L'odeur froide et visqueuse de la mort. 

Cette odeur, pas besoin d'être un Pisteur aguerri pour la reconnaître. Quelqu'un était mort dans cet endroit, dans le fond de cette fosse fétide. La truffe rose de Pelage de Brume se contracta d'inconfort. Elle s'avança davantage, furetant au sol. Et constata enfin les fameuses traces. La brise avait dû déplacer les éléments du sol, mais on pouvait encore les distinguer. La mousse, les débits forestiers et les feuilles brunes des érables étaient maculés de giclées de sang séché. Sous l'humus retourné, dispersés ça et là, des morceaux de peau arrachées, des touffes éparses de poils de différentes couleurs... 

Des chats s'étaient affrontés ici, nul doute possible. 

L'air du lieu lui-même était encore chargé de la violence de l'altercation qui s'y était déroulée. Les nuées rances de colère, de mort et de peur, étaient restées prisonnières dans l'air de ce bosquet creux. Surtout, la peur terrible qui avait frappé les acteurs de cette scène était saisissante, même encore maintenant. Pelage de brume, malgré les lacunes de son odorat, en ressentait les effets avec une glaçante clarté. 

Après avoir fait le tour du lugubre ravin, faisant aller et venir ses prunelles troublées d'un bout à l'autre des pentes rocheuses, Pelage de Brume finit par faire la sinistre conclusion : 

- Où est le cadavre ?"

Museau Cendré lui adressa alors un regard équivoque et, désapprouvant légèrement de la tête, corrigea :

- Où sont les cadavres..."

Pelage de Brume la dévisagea, mais Museau Cendré confirma avec gravité d'un lourd acquiescement :

"Cela date de quelques jours, mais plusieurs chats ont rencontré la mort ici même... Tout ce que je peux affirmer, c'est qu'il ne s'agit pas des nôtres..." affirma-t-elle en plissant sa truffe grise, laissant tomber son regard terni par les années sur le sol jonché de macabres évidences.

Pelage de Brume déglutit péniblement, imitant son aînée. 

- Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ici..." souffla-t-elle d'une voix blanchie par l'angoisse de l'incompréhension.

Museau Cendré, qui n'avait pas plus de réponse, ajouta alors : 

- De ce côté du ravin il y a des traînées de sang le long de la pente, qui se poursuivent derrière les fourrés en direction de l'est, comme si les corps avaient été... emportés... J'ai déjà vu des charognards faire ça : partir avec leur proie pour les cacher et manger en paix dans leur terrier, mais... je ne décèle aucune odeur de renard, ni de blaireau... Cependant, il m'est sûrement encore possible de remonter la piste des traînées de sang, si tu m'en donne l'ordre..."

Pelage de Brume cligna plusieurs fois des paupières sous l'effet de toutes les idées qui se bousculaient dans son esprit chamboulé.

- Je... je ne sais pas... C'est grave ce qu'il ce passe, le Chef doit être mis au courant de tout ça... 

- Je suis entièrement d'accord, décréta avec le plus grand sérieux la guerrière plus âgée, mais sache que la piste n'est pas éternelle, et que les odeurs s'estompent un peu plus à chaque seconde. On peut très bien attendre le retour du Chef, mais plus on attendra et plus la piste aura refroidi... Étoile Farouche t'a désigné comme référente en son absence, c'est donc à toi que la décision revient."

Pelage de Brume demeura interdite, ses traits tendus sous l'effet d'une vive réflexion. Depuis que Museau Cendré était venu la trouver pour lui parler des traces, il n'y avait plus qu'un mot qui résonnait en boucle dans sa tête... Les Sans-Clans. C'était bien leur odeur qu'elle avait reconnu sur les lambeaux de chair arrachés... 

Que devait-elle faire ? Attendre le retour de l'escouade pour être certaine d'avoir l'aval de son père et avoir l'assurance de prendre la bonne décision ? Prendre le risque de perdre la piste ? 

Museau Cendré était une Pisteuse expérimentée, son jugement était fiable. Seulement, au travers de son zèle à accomplir cette mission, Pelage de Brume y décelait également le désir de la vieille chatte de se racheter une image auprès du Clan, convoitant ainsi de pouvoir pallier à sa mise en défaut depuis l'accident qu'avait subit Nuage de Silex sous sa responsabilité. 

Après un temps de dilemme et d'évaluation des différents enjeux, la guerrière couleur de brume finit par trancher : 

- Retournons au camp... 

- Mais, et si la piste..., voulu renchérir Museau Cendré. 

- Tu iras chercher Pomme de Pin et Courte Oreille, poursuivit sa cadette avec résolution, c'est bien Courte Oreille ton Traqueur habituel ?

- Euh... oui, c'est bien lui, confirma la guerrière tachetée de gris avec une pointe d'incompréhension, mais... Pourquoi emmener un second Traqueur ? Tu sais, ce genre de pistage s'accomplit très bien en duo, il me paraît suffisant de... 

- Vous irez tous les trois, insista Pelage de Brume, tu les amèneras jusqu'ici et ensemble vous remonterez la piste. Ensemble, c'est compris ? Vous ne devez pas vous séparer !

- Très bien, approuva la vieille Pisteuse en lui adressant tout de même un regard un peu dérisoire qui semblait vouloir signifier à la jeunette qu'elle pistait déjà cette forêt avant qu'elle ne sache faire sa toilette toute seule. 

- Pendant ce temps, je resterai au camp pour pouvoir informer Étoile Farouche le plus vite possible de la situation. Bien, ne perdons pas plus de temps !" 

Les deux chattes, sur ces paroles, repartirent à l'assaut des pentes de la ravine et prirent la direction du camp au pas de course. 

Pelage de Brume, alors qu'elle courait avec résolution, jeta une dernière œillade à la bien nommée Fosse-Charogne. Cette histoire puait, dans tous les sens du terme. Elle puait le Sans-Clan. 

Certains des poils abandonnés au fond du trou étaient noirs, d'autres plus clairs... cela pouvait correspondre aux Sans-Clans qui l'avaient attaqué à son retour du camp du Lac. 

Ayant échoué à l'attraper pour se nourrir et pressé par la faim ils se seraient tout bonnement entretués ? Mais dans ce cas, où étaient les restes des corps ? Surtout, quel individu serait assez enragé de faim et de folie pour tuer et manger un autre chat, mais aurait suffisamment de bon sens et de lucidité pour cacher ses restes ? Ou bien, peut-être s'agissait-il d'un autre groupe de chats errants, n'ayant rien à voir avec ceux s'en étant pris à elle ? 

Mais alors quoi ? Subitement quatre Sans-Clans aliénés passent de l'état de légende à faire peur aux chatons à celui de bande organisée pour tendre une embuscade à deux Guerriers de Clans et, moins de trois jours plus tard, toujours plus de ces foutus Sans-Clans s'affrontent et se massacrent en territoire ennemi ? Par les Étoiles qu'est-ce que tout cela signifiait ?!

Non, Museau Cendré, en dépit de ces réticences, n'aurait pas trop de deux Traqueurs aguerris pour l'escorter durant ce sordide pistage. De plus, Pomme de Pin avait beau avoir ses défauts, elle avait le mérite d'être extrêmement disciplinée et réfléchie quand il s'agissait de mission. Pelage de Brume savait que la jeune guerrière prendrait la chose très au sérieux. Bien que cela soit loin d'être suffisant pour la rassurer. Car Pelage de Brume ne pouvait ignorer qu'elle s'apprêtait peut-être à envoyer trois des membres de son Clan entre les griffes de chats errants cannibales et tueurs de Guerriers. 

Le risque était grand. Mais c'était en elle que son père avait placé sa confiance. Elle devait s'en montrer digne. Elle n'en avait pas le choix.

Et, quoi qu'il se trouve au bout de ces traînées ensanglantées, il y subsistera forcément une part de réponse. Si ce n'est, peut-être, la clé de ses nuits de sommeil retrouvées.



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Le saviez-vous ?


La fleur-aux-rats, qui selon la légende émet une odeur que même ces rongeurs ne supportent pas, est une hellébore qui existe aussi dans notre monde.

Nous l'appelons l'hellébore fétide (Helleborus foetidus), pas besoin de vous faire un dessin, je penses que vous avez comprit le principe XD

La sève de cette plante sent extrêmement mauvais, il est donc fortement déconseillé de froisser ses feuilles. De plus, la plante est toxique. C'est toujours bon à savoir, bien que l'odeur est une mise en garde largement suffisante. En tant qu'hellébore qui se respecte, la plante fleurit en hiver et conserve son feuillage même durant la saison froide. C'est une plante très commune en France et en Europe. Bien que, pour pousser, cette hellébore a impérativement besoin d'un sol calcaire. Voilà pourquoi il n'est pas rare de la voir s'épanouir sur des zones restreintes et délimitées par la nature du sol. Comme c'est le cas de la Fosse-Charogne dans l'histoire (Et oui, l'envers du décor ^^).


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