[LGDC] fanfiction "Le Temps des Brumes"

Chapitre 7 : Chapitre 1

4023 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/08/2020 18:43

La nuit touchait à sa fin. La fraîcheur de l'automne enserrait la forêt dans un brouillard éthéré, glissant sur toute chose et s'égrainant entre les herbes et les ronces. Pelage de Brume aimait cette heure plus que nulle autre. Ce moment gris et frais, où la pâleur nocturne qui précède la venue de l'aube baigne le monde dans une unique et même teinte. Ce moment de calme infini où le monde semble passer d'entre les mains bleues de la nuit vers celles embrasées du jour. Ce moment furtif où le temps semble suspendu et prend des saveurs d'éternités. Tandis que les petites bêtes à poils se hâtent pour regagner la sécurité de leurs terriers, les oiseaux forestiers s'éveillent pour s'en aller chercher la nourriture qui sauvera leurs petits corps palpitants du froid et du sommeil. Pendant les prochaines heures, les bois seront les témoins de leur lutte agitée et piaillante pour survivre, jusqu'au moment où, pour accompagner le lever du soleil, ils s'empresseront de faire retentir leurs chants victorieux, célébrant le retour de la lumière et de la chaleur. Pelage de Brume cligna ses yeux envahis de fatigue. Tout autour d'elle le camp était désert et parfaitement silencieux. Bientôt les chasseurs rentreront après une longue nuit de traque et de mise à mort, rapportant leur précieux butin qui permettra la subsistance du Clan, jusqu'à la nuit prochaine.

 

Une silhouette familière fit son entrée entre les roches de la combe qui formait le camp du Feu. A sa vue, Pelage de Brume se dressa sur ses pattes et amorça la descente de l'imposant Rocher recouvert de mousse, de feuilles mortes et de lierre, qui se dressait au centre du camp . Le chat qui venait d'apparaître, dont le pelage tout de gris se fondait telle une ombre dans la clarté cendrée de l'aube imminente, alla déposer les proies qu'il tenait fermement dans sa gueule sur la pierre plate où le gibier est mit à la disposition du Clan. Pelage de Brume arriva à sa hauteur. Il s'ébroua énergiquement et étira son corps visiblement las, tout en baillant à gueule déployée. En s'approchant de lui, son odeur musquée de fougère séchée, de terre et d'écorce vint lui chatouiller familièrement les narines et jeta sur son cœur une sensation de paix et d'apaisement. Du poil dense et gris du jeune guerrier émanait les effluves fraîches et végétales de la forêt qu'il avait arpenté toute la nuit ; ainsi que les relents de peur et de mort, qui mirent Pelage de Brume en appétit, provenant des souris qu'il avait assommé d'un coup de patte et tué d'un coup de croc. Elle sut qu'il avait lui aussi deviné sa présence rien qu'à son odeur, car la bouille ronde de son ami se mit à lui sourire avant même que ses yeux cuivrés ne se rouvrent sur elle.

 

« Bon retour. » Dit-elle simplement.

 

Cœur de Cendre vint frotter son museau contre elle en ronronnant pour lui rendre son salut.

 

« La chasse a été bonne ?

 

- Plutôt, répondit-il le visage rieur. En arrivant j'ai croisé Boule de Feuilles, je lui ai demandé d'aller récupérer le reste du gibier que j'ai enterré sous le vieux frêne et que je ne pouvais rapporter en une seule fois. J'échappe à un aller-retour de plus pour cette nuit ! »

 

Elle lui répondit par un sourire.

 

« Et toi, ta patrouille ? Enchaîna t-il.

 

- Comme d'habitude, longue et fatigante. »

 

La queue de Cœur de Cendre se mit à frétiller en son extrémité, comme à chaque fois qu'il avait une idée malicieuse en tête. Et il annonça d'un air de confidence :

- Justement, je t'ai réservé un loir bien gras tout juste attrapé, je sais que tu les adores ! »

 

Les prunelles dorées de Pelage de Brume battirent deux fois d'étonnement, avant qu'elle ne prenne pleinement conscience de l'information.

 

- Cœur... je... je ne peux pas me permettre de m'accaparer les meilleures prises, se résigna t-elle à voix basse, gênée. Un tel morceau ne peut me revenir...

 

- Personne ne te reprochera de le faire, tu sais. Tous seraient d'accord sur le fait que tu le mérites. Au yeux du Clan, tu es une de nos meilleures guerrières ! » Voulu t-il déclarer sur un ton de complicité.

 

Mais le cœur de Pelage de Brume s'était serré à ces mots, et tout son corps s'était tendu. Elle baissa la tête sous le poids de son malaise. Le chat gris le perçut sans mal et, s'en sentant responsable, eut une voix chargée de remords pour s'en excuser :

« Je... pardon, Pelage... Je ne voulais pas...

 

- Ce n'est rien. Le rassura-t-elle en levant vers lui un visage dont le sourire maladroit ne parvint à dissimuler ni la détresse ni la honte. Tu sais... parfois j'ai si peur de leur réaction s'ils apprenaient la vérité. S'ils venaient à savoir qui je suis vraiment... » Ses prunelles luisant d'angoisse dans l'obscurité, s'agitaient nerveusement de droite à gauche pour s'assurer que personne d'autre ne puisse entendre ces mots si lourds sur sa langue.

 

- Ne dis pas ça, le Clan ne va pas se mettre à te haïr sous prétexte que...

 

- Mais si tu savais comme j'ai honte... » Ajouta-t-elle dans un murmure presque inaudible.

 

Tous qui la voyaient comme cette incroyable guerrière, vantant sans cesse ses soi-disant talents de combattante. Si seulement ils savaient... que l'exploit sanglant qui a fait la fierté du Clan du Feu, ne fut qu'un accident. Et que cette noble et féroce apprentie qui les a impressionnée au-delà de toutes leurs espérances... cette apprentie ce n'est certainement pas elle...

 

Cœur de Cendre la regarda avec sollicitude et tristesse.

- Ne t'inquiète pas, lui dit-il doucement. Quoi que tu en penses, tu as autant ta place que n'importe lequel d'entre nous. Et personne ne remettra jamais ta légitimité de guerrière en doute ! »

 

Elle lui sourit avec affection. Et, chassant d'un mouvement de tête les déplaisantes pensées qui affluaient déjà dans son esprit, décréta simplement :

- Allons manger. »

 

Emportant chacun un modeste mulot entre leurs babines, les deux chats contournèrent l'immense Rocher de grès et pénètrent dans une petite alcôve formée dans un renfoncement de la roche. Là, ils s'installèrent aux côtés de deux autres chats du même âge qu'eux.

 

- Vous voilà ! Déclara d'une voix douce Plume Ardente, une belle chatte tricolore au poil aussi soyeux que le duvet du moineau qu'elle était en train de plumer.

 

Quant à Œil Perçant, le chat menu au pelage blanc tacheté de noir qui était couché près d'elle tel un sphinx, il accueillit Pelage de Brume et Cœur de Cendre par son visage jovial aux traits fins, dont les yeux pétillaient. Les quatre guerriers entreprirent de discuter joyeusement, se racontant leur journée respectives et échangeant sur les derniers potins animant le Clan.

 

Soudain, une chatte déboula dans l'alcôve, faisant rouler les muscles de ses épaules sous sa fourrure écaille, se donnant une démarche virile et peu gracieuse malgré sa silhouette fine. Elle s'ébroua vigoureusement dans un claquement d'oreilles, pour débarrasser son pelage de la rosée récoltée tout au long de ses crapahutages dans les bosquets brumeux de la forêt, aspergeant ainsi Pelage de Brume et ses amis. Les quatre chats l'a laissèrent faire sans rien dire, blasés. La guerrière plongea son regard vif et plein de défiance dans le leur, et constatant qu'aucun d'entre eux n'était d'humeur pour répondre à sa provocation, elle vautra son corps élastique et nerveux avec lourdeur et ostentation, contraignant Œil Perçant à se décaler.

 

« Bon retour à toi, Pomme de Pin. » Salua patiemment Plume Ardente.

 

Sa sœur ne prit pas la peine de lui répondre, et entreprit de se lécher l'intérieur de la patte. Rien d'inhabituel, en somme. Plume Ardente ne s'en vexa pas et reprit, à l'intention de Pelage de Brume et Cœur de Cendre :

« Je suis allée rendre visite à Nuage de Silex aujourd'hui. Fougère Dorée m'a confirmé qu'il va bientôt pouvoir reprendre son apprentissage, quelle bonne nouvelle !

 

- Oui, c'est une bonne chose qu'il ait pu se remettre de ses blessures, approuva Cœur de Cendre.

 

- Depuis combien de temps reçoit-il des soins chez la Guérisseuse ? Demanda Pelage de Brume avant de croquer dans son mulot.

 

- Cela va bientôt faire trois lunes qu'il est en convalescence. C'est vrai que pour une guerrière comme toi cela doit paraître beaucoup, mais il faut dire que la morsure était vraiment impressionnante. Répondit Plume Ardente.

 

- Oh oui ! Renchérit Œil Perçant. Je me souviens encore des miaulements de panique de votre mère, pire encore que si elle s'était faite mordre elle même !

 

- Nuage de Silex a eut de la chance, cela aurait pu se finir bien plus mal... » Murmura Plume Ardente avec peine.

Pomme de Pin émit alors un miaulement méprisant.

 

« Cet empoté n'a eut que ce qu'il mérite. S'il n'est pas capable de se défendre par lui-même alors, convalescence ou pas, il restera un poids mort pour le Clan !

 

- Il fallait s'y attendre....Miaula Œil Perçant plein de dépit. Incapable d'éprouver de la compassion, même envers son propre petit frère ! »

 

Pomme de Pin lui feula au visage pour toute réponse.

 

« Et puis j'en ai marre de ta mauvaise foi ! S'agaça t-il. Reconnais-le : un apprenti, seule face un blaireau de cette taille ? Même Pelage de Brume n'en serait pas sortit indemne à cet âge ! »

 

Pelage de Brume eut le regard fuyant et enfonça ses griffes dans la terre sableuse, de nervosité et d'embarras. Pomme de Pin prit une voix moqueuse à souhait quand elle répondit :

- Oui, j'imagine que tu en fait encore des cauchemars, Œil Perçant. Car on sait bien que face à ce fameux blaireau, tu ne t'en serais pas mieux sorti que ce pauvre Nuage de Silex, avec ta frêle et délicate condition. C'est bien pour cela qu'on t'a assigné bien au chaud, dans ton arbre de Sentinelle, plutôt que de te confier de vraies missions digne d'un Guerrier du Feu, n'est-ce pas ?

 

- Pomme de Pin, ça suffit ! Ordonna Plume Ardente, d'un ton autoritaire mais calme.

 

- C'est ça, poursuivit Pomme de Pin avec un sourire narquois. Protèges ta belette émaciée de compagnon, puisqu'il n'est capable de rien sans toi ! »

 

Œil Perçant semblait bouillonner de l'intérieur. Mais il se contenta de contenir sa colère, le visage baissé et renfrogné, sa queue noire battant d'irritation contre la paroi de la roche. A l'instar de Cœur de Cendre, Pelage de Brume poursuivait son repas en silence, ne prenant pas part au conflit. Les soirées qui se déroulaient sans les traditionnelles prises de bec de ces trois là, étaient trop rares pour êtres comptés. Cœur de Cendre se pourlécha les babines et adressa un regard complice à Pelage de Brume, tandis que les échauffourées entre leurs amis de toujours se poursuivaient. Les premiers rayons de l'aube nimbaient désormais la pâleur du ciel d'un éclat doré.

 

« ...de toute façon, acheva Plume Ardente, Nuage de Silex n'aurait jamais dû se retrouver dans une telle situation. Et si Museau Cendré n'était pas intervenue à temps...les Étoiles savent dans quel état on l'aurait retrouvé...

 

- Si cela prouve bien quelque chose, décréta sa sœur en se grattant sans grâce l'arrière de l'oreille de sa patte postérieure, c'est que la vieille Museau Cendré commence à prendre les crottes de rats pour des mouches et que lui coller ce pataud de Nuage de Silex dans les pattes ne doit pas l'aider à retomber sur les siennes. C'est sûr, ils forment une équipe bien assortie ! »

 

Pelage de Brume sentit soudain Cœur de Cendre se tendre et se hérisser d'irritation.

 

- Museau Cendré est une guerrière vénérable qui a toujours servi le Clan ! Et il ne t'est pas permis de l'insulter de la sorte ! » Protesta t-il alors, presque avec agressivité.

 

Cette réaction soudainement virulente qu'on ne lui connaissait pas, lui qui d'ordinaire était si amical et conciliant, fit sursauter ses amis qui le dévisagèrent, entre étonnement et inquiétude.

 

Depuis l'attaque de blaireau dont a été victime Nuage de Silex par sa négligence, Museau Cendré est au cœur de polémiques et de toutes sortes de commérages. La question étant de trancher si la guerrière, qui fut pourtant à son époque le plus talentueux des chasseurs, est aujourd'hui encore apte à servir le Clan et si le fait de lui confier la responsabilité d'un nouvel apprenti ne fut pas une erreur. Depuis ce fameux jour, la vieille guerrière faisant profil bas, doit faire mine d'ignorer ce qui se raconte dans son dos. Et Cœur de Cendre s'en voyait toujours plus peiné, sachant quelles médisances certains membres n'hésitent pas à émettre à l'encontre de son ancienne mentor, pour qui il a tant de respect et d'affection. Médisances pour la plupart alimentées par Vive Aurore, la mère de Nuage de Silex.

 

- Allons Cœur de Cendre, railla Pomme de Pin, elle aussi un peu surprise. Elle a beau avoir été ta mentor, et avec toute la loyauté que tu lui dois, il faut bien admettre qu'il est plus que temps pour Museau Cendré de se retirer dans la tanière des Anciens. Tout le Clan le pense !

 

- Et bien pas moi. Rétorqua t-il, cette fois-ci avec plus de chagrin que de colère. Museau Cendré est une guerrière exemplaire. Elle a servit et sert encore le Clan comme nul d'entre nous cinq ne le fait. Elle mérite le respect de chacun d'entre nous, elle n'a plus rien à prouver ! Et quand vous la dénigrez, c'est tout ce pourquoi elle donne sa vie que vous rabaissez. Vous humiliez le Clan, vous humiliez les lois de nos Ancêtres... »

 

Il y eut un silence embarrassé, ponctué par les pépiements lointains des oiseaux.

 

- La gloire et le talent ne protègent pas des méfaits du temps. Ajouta alors Pomme de Pin, tout en lançant pour la première fois depuis le début de cette conversation, un regard à Pelage de Brume. Regard équivoque d'amertume et de jalousie. Regard qui eut le don de très fortement agacer cette dernière.

 

Elle aurait d'ailleurs bien voulu la remettre à sa place, mais Plume Ardente avait décidé qu'il était temps d'apaiser les esprits et de changer de sujet. Alors, comme à son habitude elle déclara de sa voix claire, un peu maternante, mais néanmoins ferme et ne suggérant pas d'alternative :

- En parlant d'apprentis, c'est bien demain le grand jour du baptême pour les petits de Flamme Blanche et Pelage de Nuit ?

 

- O...oui, poursuivit Œil Perçant, désireux d'aller dans le sens de sa compagne. La cérémonie est prévue demain. Petite Craie et Petite Fumée vont débuter leur apprentissage de guerriers. Je me demande qui Étoile Farouche leur a choisit pour mentor.

 

- Sûrement pas Museau Cendré ! » Cracha Pomme de Pin, tentant de raviver les tensions.

 

Mais en vain, Cœur de Cendre avait retrouvé son calme. Pelage de Brume vint frotter son front contre son poitrail pour le réconforter. Il ronronna, et ne pensa plus aux mesquineries de Pomme de Pin.

 

- Si je dois émettre une hypothèse, je pencherai pour vous deux, déclara calmement Pelage de Brume en désignant le jeune couple.

 

- C'est vrai ! Conclu Cœur de Cendre. Œil Perçant et toi, Plume Ardente, vous arrivez en âge de former des novices. Vous avez le sens du devoir et vous avez de l'expérience ! Ce serait dans l'ordre des choses que l'on vous confie cet honneur. »

 

Ils lui répondirent par un sourire commun.

 

Pomme de Pin eut alors un ricanement sarcastique.

 

- Œil Perçant mentor ? Et qu'est ce que tu vas lui apprendre, à ton novice ? Comment rester planqué tout en haut d'un arbre ? Comment survivre si longtemps avec un physique de sauterelle ? »

 

Cette fois-ci le chat de blanc et de noir ne prit pas la mouche, et rétorqua sourire en coin :

- Quoi qu'il en soit, s'il y a bien quelqu'un qui a encore moins de chance que moi de devenir mentor, c'est toi, ma chère Pomme de Pin. Et pour preuve, que ton immaturité et ton horrible caractère insupporte le Clan tout entier, c'est que notre Lieutenant ait préféré un petit chat sentant encore le lait maternel plutôt que toi, sa demi-sœur, pour se choisir un apprenti lieutenant de confiance ! »

 

Pomme de Pin, à ces mots, écarquilla des yeux ronds d'effarement et, touchée à vif, cracha de toute la hargne dont elle été capable avant de quitter l'alcôve à pas lourd, oreilles rabattues et queue fouettant farouchement l'air matinal. Œil Perçant l'observa s'en aller avec satisfaction, fier d'avoir pour une fois réussi à inverser la tendance. Mais son sentiment d'auto-congratulation disparu en un instant, quand il croisa le regard sévère que lui lançaient les beaux yeux verts de Plume Ardente. Œil Perçant, penaud, rentra la tête dans ses épaules et se mit à regarder ses pattes, coupable.

 

Sa sœur de lait avait beau être aussi agréable qu'une puce vous courant sur la nuque, Plume Ardente tenait à ce qu'elle participe à leur repas entre amis d'enfance, sans quoi, elle craignait que Pomme de Pin n'ait vraiment aucune interaction sociale saine et régulière.

 

L'ambiance demeura pesante un instant. Puis, Plume Ardente consentit à reprendre la conversation :

- Vous deux aussi, vous auriez les qualités pour devenir de bons mentor. Assura-t-elle alors, ayant repris sa douceur naturelle. Surtout toi, Cœur de Cendre, tu es un si bon chasseur. »

 

Celui-ci eut un rire un peu gêné.

 

- Non, moi... chasser, c'est tout ce que je sais faire. Il en faut bien plus pour être mentor. Mais, dans quelques dizaines de lunes... éventuellement oui, je serai prêt ! »

 

Pelage de Brume ressentit toute la douceur de l'attendrissement qu'il provoquait chez elle. Parfois, il avait une façon si naïve de s'exprimer. Elle aurait voulu pouvoir continuellement voir le monde à travers les yeux et l'optimisme sans faille de Cœur de Cendre. Ainsi, elle n'aurait plus eu à vivre avec ses doutes et ses peurs perpétuelles.

 

« N'empêche, comme j'ai hâte que ce jour arrive ! Continua t-il. Vous vous rendez compte de la chance que vous allez avoir, de pouvoir rendre la pareille au Clan qui vous a élevé en contribuant à votre tour à former un guerrier ? Il n'y a rien de plus beau, je trouve... »

 

Les rayons du ciel, ceignant les nuages et la cime des arbres de lueurs incandescentes, venaient à présent illuminer le poil cendré du jeune guerrier, le baignait dans un halo de lumière chatoyante. Et tandis que le soleil clair et neuf de l'aurore réchauffait son corps rond et pelucheux, ses yeux candides brillaient de ferveur et de sincérité.

 

- Ha ha, nous ne sommes pas encore sûrs d'être choisi, rappela gentiment Plume Ardente dont l'épaisse fourrure se paraît elle aussi de reflets solaires.

 

- Demain s'annonce être une journée pleine de surprises. S'autorisa à ajouter Œil Perçant, avant de s'étirer de tout son long. Bien, il est l'heure que je regagne mon poste, je m'en vais monter dans mon arbre.

 

- Je t'y rejoindrai après ma chasse. » Annonça Plume Ardente, posant sur lui des yeux remplies d'affection pour le regarder se diriger vers le grand épicéa en haut duquel l'observatoire des Sentinelles se trouvait.

 

De toute évidence, l'altercation avec Pomme de Pin venait d'être pardonnée. Et l'amour débordant qui était celui de Plume Ardente refaisait surface.

 

« Bon sommeil, vous deux. » Leur souhaita-t-elle avant de les quitter à son tour.

 

Pelage de Brume et Cœur de Cendre se retrouvèrent ainsi seuls. Ils échangèrent un regard amusé. Ils pouvaient toujours compter sur ces trois-là pour animer leur journée, ceci depuis leurs chamailleries dans la pouponnière. Et qui sait, peut être encore quand ils auront tous rejoint la tanière des Anciens et que les joutes verbales de Pomme de Pin et Œil Perçant auront pour sujet leurs rhumatismes et le partage du meilleur couchage. Ils finirent de manger dans la complicité de leur tête à tête, puis gagnèrent la faille dans le Rocher encadrée de jeunes fougères, à l'intérieure de laquelle se trouvait la petite grotte abritant la tanière des Guerriers. Dans l'espace cloisonné et rassurant de la cavité, s'effectuait le va et vient silencieux des chats qui quittaient leur lit de mousse pour s'en aller remplir leurs devoirs et missions de la journée, et de ceux qui rejoignaient avec bonheur la quiétude de ce dortoir pour prendre un repos bien mérité. Pelage de Brume se faufila d'une patte de velours entre les couchages occupés par les corps endormis, ceux qui profitaient du calme pour faire méthodologiquement leur toilette, ou ceux qui conversaient avec leur voisin à voix basse, toujours dans le respect du repos du guerrier. Elle atteignit enfin, Cœur de Cendre sur ses talons, leur couchage habituel, qu'ils partageaient. Elle s'installa dans le creux moelleux formé de sphaigne, de duvet d'oiseau et de leurs poils respectifs accumulés au fur et à mesure de leurs nuits. Il prit place contre elle et, adaptant leurs corps familiers l'un à l'autre et à l'espace restreint, se calèrent en boule pelage contre pelage. Elle bailla et posa son menton sur son flanc rebondi. Il lui sourit et donna quelques coups de langue sur sa patte avant de s'en frotter le visage.

 

« J'ai hâte d'être à demain. Murmura-t-il. Voir nos amis accéder à de nouvelles responsabilités, pour nous c'est un peu comme devenir mentor avant l'heure, tu ne trouves pas ? »

 

Elle se mit à lui ronronner, les yeux à demi-fermés de fatigue et de sérénité.

 

« Je n'avais jamais vraiment réfléchi au fait de devenir mentor un jour, avant cela... Maintenant que j'y pense, il me tarde de pouvoir faire mes preuves et de me montrer redevable envers le Clan en accomplissant mon devoir de guerrier sous cette nouvelle forme. J'espère qu'un jour je serai jugé digne de pouvoir former un apprenti et j'ai hâte que ce jour arrive... du moins si ce jour existe... »

 

Elle le regarda, entre les fentes de ses paupières presque jointes. Lui dont le visage tendre et toujours sincère accompagnait son avancée dans la vie depuis que ses prunelles s'étaient ouvertes sur le monde.


- Quoi qu'il arrive, prononça t-elle dans un souffle sommeilleux, tout ce qui importe c'est que nous le vivions ensemble. »

Il vint blottir son front contre celui de Pelage de Brume. Et tous les deux se laissèrent emporter par un sommeil tiède et bienheureux.


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