Au revoir Tonie Mason
Vassili descend de l’hélicoptère et s’agenouille près d’un rocher, son AK-47 à l’épaule. Alors qu’il se trouvait en vol, le fantassin soviétique est certain d’avoir repéré une silhouette étendue sur le sol. Vêtue d’un manteau bleu. Au fond d’une petite gorge là-bas. Sous un buisson aux branches dégarnies. Un partisan sans doute.
Il tourne la tête en direction du colonel Bratchenko qui discute avec Sterlinov, le chef des commandos Russes. D’après les bouts de phrases qu’il arrive à capter de la conversation, ils débattent des pertes qu’ont subies les Wolverienes durant l’attaque. Bratchenko, avec son visage osseux et ses yeux sombres, avance le chiffre d’une dizaine de morts. Strelinov, vêtu de son uniforme des commandos de la marine, semble en douter. Peu importe. Vassili désire se couvrir de gloire en capturant le partisan blessé. Il sait qu’il se trouve caché dans cette gorge un peu plus loin là-bas. Une cinquantaine de mètres à peine. On va lui donner une médaille si jamais il le ramène vivant et qu’on peut en tirer des informations. Le jeune soldat doit faire vite.
Il tourne la tête vers le vieux sergent Radoulov. Ce dernier ne semble pas trop désireux de s’éloigner de la protection relative qu’offrent les hélicos. En présence des deux colonels, il se contente de bomber le torse. Leurs regards se croisent. Radoulov devine, et lui fait un « oui » d’un signe de la tête. Vassili lui retourne un sourire. Il se lève de sa position et s’avance vers l’entrée de la gorge.
Le jeune russe s’engage entre les deux murs de pierre lisse. Son arme braquée devant lui. À l’affut du moindre mouvement. Le souffle court. Il marmonne un juron. Le sol couvert de rocaille lui a presque fait perdre pied. Le couloir descend en pente douce. Il aperçoit sous un buisson une silhouette immobile, drapée dans un manteau bleu. Une perforation béante dans la doublure. Du sang pourpre éclabousse le tissu clair. Il s’avance encore. Une première surprise. C’est une fille aux cheveux bouclés. Plutôt jolie même. Elle est morte. Les yeux ouverts. Une main crispée sur le cœur. L’autre tombe sur le côté. Aucune arme à sa portée.
Vassili baisse le canon afin de mieux considérer la scène. Elle n’a même pas vingt ans. Dans son esprit, il hésite entre compassion et indifférence. Elle est jeune oui. Jolie, peut-être. Mais c’est avant tout une partisane. Il baisse son canon encore, inconscient qu’il vient de commettre une erreur qui lui sera fatale.
Soudain, la fille au manteau bleu s’anime brusquement. Elle lui balance un objet qu’elle serrait contre sa poitrine. D’un geste vif, il pointe son AK-47 et presse la gâchette. Une rafale frappe la doudoune bleue qui crache des plumes de duvet. Sous l’impact, la jeune fille se cambre, grimace puis s’immobilise d’un coup.
Vassili n’a pas le temps de savourer sa victoire. Il regarde à ses pieds, là où est tombé l’objet. Ses yeux s’écarquillent d’horreur lorsqu’il reconnait une grenade à fragmentation RGD-5. Il n’a pas le temps de réagir. L’explosion résonne entre les parois, jusqu’aux hélicoptères.
Le calme revient. L’odeur âcre de la poudre brûlée masque celle du sang. Deux silhouettes sans vie se côtoient dans la mort exhaussant de dernier désire de Tonie Mason.