The last meaningful thing [Livaï x Mikasa]
Eren se précipita dans les bras de ses amis, une expression chaleureuse sur le visage.
- Vous allez bien? J'ai l'impression que ça fait une éternité, s'exclama-t-il avec son entrain habituel.
Armin et Mikasa lui rendirent son sourire, soulagé de revoir enfin leur titan préféré.
- Tu as l'air fatiguée, Mikasa, remarqua Eren en détectant des cernes sous les yeux de son amie.
- Je vais bien. Et toi? Hansi ne t'a pas trop épuisé j'espère.
Le garçon se mit à expliquer le plus gros de ses entraînements tout en faisant des gestes bizarres, sous les regards attentifs des deux autres. Mikasa se sentit apaisée, comme elle s'y attendait. C'était presque comme si ses méninges se remettaient à fonctionner normalement. Elle pu se détendre un peu, avant l'exercice prévu pour la journée. Il s'agissait simplement de réviser les manœuvres et formations nécessaires en cas d'auto-pétrification d'Eren en présence de l'ennemi. Rien de sorcier, et ils avaient toutes les bases requises pour y arriver ; grâce aux membres d'exception du bataillon les nouveaux soldats étaient motivés plus que jamais. Mikasa et Livaï excellaient à un point tel que c'était bluffant de les voir en action, même si c'était principalement en situation réelle qu'ils donnaient le meilleur d'eux-même. Mais aujourd'hui le caporal n'était pas de la partie ; il s'agissait simplement de répéter les opérations autour d'Eren, pour que les derniers arrivés s'y retrouvent plus aisément. Mikasa quant à elle se trouvait sur une falaise non loin de son ami titan déjà transformé ; ils étaient maintenant chargés de s'entraîner sur le nouveau matériel proposé par Hansi. Il s'agissait d'une sorte de lance explosive, propulsée par le gaz de leur équipement. Elle était donc compatible avec leur harnais, et ils devaient tous s'habituer à se mouvoir avec ce poids supplémentaire. Ils faisaient comme si Eren étaient un titan ennemi ; sans évidemment déclencher l'arme ils répétaient les gestes jusqu'à atteindre sa nuque tout en se déplaçant autour de lui. La soldate s'exécutait docilement, il ne leur restait plus que deux ou trois enchaînements à répéter. Mais tout en travaillant elle ne pouvait s'empêcher d'être absorbée par toute sorte de pensées. A nouveau elle sentait ce vide en elle, et ça lui était insupportable. Il semblait que même la présence de ses amis d'enfance ne suffisait plus. C'était comme si son esprit tentait de lui dire quelque chose, et qu'elle se refusait à écouter. Mikasa s'élança de la butte de terre sur laquelle elle était accroupie jusque-là, virevoltant vers Eren et le mur. Elle était en colère contre elle-même, encore une fois. Qu'est-ce qu'elle devait faire pour que ça s'arrête pour de bon? C'était son tour de se déplacer autour du corps du titan, et elle s'exécuta, répétant le mouvement qui était sensé propulser les lances. Tout se passa comme prévu, et elle fit aussitôt demi-tour pour regagner sa falaise, plongeant ses grappins dans la terre humide à quelques mètres de là. C'est alors qu'elle ressentit une douleur fulgurante au niveau de son côté droit, juste entre ses côtes et sa hanche. Mikasa eut le réflexe de s'écarter du point d'impact, et se contenta de tracer sa route jusqu'à son objectif. Ses chevilles atterrirent plus sèchement que d'habitude dans l'herbe, et elle porta aussitôt la main vers la douleur. Elle chercha du regard ce qui l'avait touché, et elle réalisa qu'il ne pouvait s'agir que de cette espèce de structure en fer forgé, installée sur le coin du bâtiment à proximité d'Eren. L'asiatique s'était rarement sentie aussi idiote, elle n'avait simplement pas vu l'obstacle et elle en était sidérée. Elle tâta son flanc de plus belle, tout en grimaçant un peu. Heureusement rien ne semblait cassé, mais elle avait pris un sacré coup. La jeune femme se redressa alors vivement, ignorant la sensation désagréable. Elle avait honte d'avoir fait une erreur pareille, et c'était hors de question que quelqu'un s'en aperçoive.
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Hansi se tenait avachie sur sa chaise, le regard collé sur le feu qui se consumait dans la cheminée. Seuls les petits crépitements brisaient le silence, car Livaï lui aussi semblait songeur aujourd'hui. Ils avaient enfin choisi le jour pour l'expédition vers Shiganshina, et même s'ils étaient préparés au maximum de leurs moyens l'ambiance demeurait un peu tendue. Ils étaient tous conscients que la riposte ennemie risquait d'être virulente, au vu des enjeux de l'opération.
- Tu as remarqué que Mikasa s'est blessée aujourd'hui?, lança Hansi, subitement.
Elle tripotait un petit objet dans sa main, distraitement.
- ... Oui, acquiesça le caporal d'un mouvement de tête.
Bien sûr qu'il l'avait vu. Il avait observé l'ensemble de la formation de là où il se trouvait, et quand cela avait été le tour de la jeune femme il l'avait suivie de ses yeux perçants jusqu'à ce qu'elle regagne sa position initiale, une expression de douleur sur le visage.
- Ce produit est très efficace pour les contusions, mais elle m'a répondu qu'elle ne voyait pas de quoi je parlais, poursuivit la capitaine d'un air songeur, le petit flacon roulant entre ses doigts. Tu ne trouve pas qu'elle est bizarre ces temps-ci?
- C'est seulement maintenant que tu t'en rends compte? Je vais vraiment finir par la buter cette gamine, grogna le jeune homme en s'emparant de l'onguent. Comme si Eren à lui tout seul n'était pas assez casse-couille à vivre.
Livaï s'était redressé en un instant, visiblement irrité. Hansi n'eut pas le temps d'ajouter quoi que ce soit qu'il avait déjà quitté la pièce, sous les yeux intrigués de sa collègue. Elle espéra seulement qu'il ne serait pas trop dur avec leur cadette, parce que le but était qu'elle prenne la pommade, pas qu'elle se fasse briser les os. Le caporal se déplaçait dans le couloir en de grandes enjambées, le poing crispé sur le petit flacon. Il avait presque cru pendant deux jours que la jeune femme s'était apaisée, mais visiblement elle avait décidé de lui casser les pieds. Il n'eut aucune difficulté à trouver le bon endroit, car tous les soldats sans grade logeaient dans les dortoirs ; excepté Eren, Mikasa et Armin, qui étaient répartis dans deux chambres non loin de là. Ce n'était pas voulu comme un traitement de faveur, mais plutôt parce que les supérieurs se devaient d'avoir facilement Eren sous la main en cas d'urgence, et que les deux autres refusaient catégoriquement de rester loin de lui. Ils ne se séparaient que pour se battre et s'entraîner, à peu d'exceptions près. Livaï stoppa devant la porte qu'il pensait être celle de la jeune soldate, et pendant un instant ses doigts effleurèrent le bois de la surface. Mais il décida rapidement qu'il n'était pas tenu de demander l'autorisation d'entrer, et il ouvrit la porte d'un geste brusque. Mikasa sursauta vivement, installée sur le lit qui trônait au milieu de la pièce. Elle venait d'ôter la veste de son uniforme, et se demanda pourquoi son supérieur débarquait dans sa chambre de la sorte. En posant ses yeux sur lui elle comprit rapidement que c'était loin d'être une visite de courtoisie. Le jeune homme referma rapidement la porte derrière lui, et un instant plus tard il se dressait face à sa cadette, toujours silencieuse.
- Je pensais que tu avais compris le message, Mikasa.
Sa voix profonde et glaciale brisa le calme apparent de la petite pièce, alors que la jeune femme aux cheveux ébènes levait un visage inquiet vers lui. Elle devinait plus ou moins ce qui amenait Livaï jusqu'ici, et ne savait que penser.
- Refuser de te soigner alors qu'on a une grosse mission en approche c'est considéré comme un refus d'accomplir ton devoir. Il me semble que t'es pas attardée, mais je me vois obligé de te rappeler que ça fait partie des fautes liées à l'insubordination. Je dois te rappeler tout le règlement du bataillon ou ça va aller? J'en ai marre de me répéter, tu le sais qu'on a besoin de toi sur le terrain.
Mikasa baissa les yeux sur le torse du caporal, à nouveau incapable d'affronter son regard. Comme bien souvent il avait raison.
- Si t'as rien à me dire je m'en fiche, mais tu vas utiliser ce truc, il continua d'un ton sec en présentant le petit flacon sous le nez de la soldate.
- ... D'accord.
Elle leva une main pour s'emparer de la bouteille, mais Livaï recula ses doigts aussitôt. Elle fronça les sourcils.
- Maintenant.
- ... Quoi?
- Tu vas le faire devant moi, je veux m'en assurer. Retourne-toi et retire ta chemise.
Le visage de la jeune femme se décomposa, et l'instant d'après elle comprit ce que cherchait à faire son supérieur. Il voulait l'humilier. Pour être certain qu'elle se souvienne de ce moment et qu'elle y réfléchisse à deux fois avant de le faire chier à nouveau.
- C'est un ordre, Mikasa.
L'asiatique leva à nouveau les yeux vers ceux du caporal et comme elle s'y attendait elle n'y trouva pas l'ombre d'une émotion. Livaï était tout sauf un sadique ; elle savait qu'il n'était pas là pour prendre du plaisir à la punir. Résignée elle décida de s'exécuter ; elle se leva doucement du matelas rebondi, pour finalement tourner le dos au jeune homme. Ses doigts fins se mirent à la tâche, elle défit les boutons de son vêtement, les uns après les autres. C'était plus que étrange comme scène. Pour elle, et peut-être pour lui également. Mais elle supposa que ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Sa chemise glissa doucement dans son dos, avant de se laisser tomber à ses pieds, ne lui laissant que sa brassière sur la peau.
- Tiens.
Elle vit le bras de Livaï brandir le petit onguent sur sa droite, et pendant une seconde elle avait senti son souffle sur sa nuque. La sensation lui arracha un frisson, tout le long de sa colonne vertébrale. Jamais elle ne s'était retrouvé dans pareille situation avec un homme, et même s'il ne s'agissait que d'un châtiment c'était très perturbant pour Mikasa. Parce que ça faisait un moment qu'elle avait réalisé qu'elle ne voyait plus le caporal comme avant, sans être capable de comprendre ce que ça signifiait exactement. Elle avait mis ça sur le compte des nombreuses remontrances qu'il lui avait adressé récemment, mais elle se doutait qu'il y avait autre chose. L'asiatique récupéra l'objet depuis la main froide du soldat, toujours tendue. Elle entreprit de défaire le capuchon du bocal, mais le morceau en liège ne voulait pas bouger. Elle se mit à tourner le petit objet dans tous les sens tandis qu'elle pouvait sentir le jeune homme s'impatienter dans son dos, sans même le voir.
- J'ai pas toute la nuit devant moi, grinça-t-il entre ses dents.
Comme elle s'y attendait il lui arracha la crème des mains, avant de la forcer à pivoter vers lui, sur son côté où une large zone de peau violacée s'étendait. Il ouvrit le récipient d'un geste sec avec ses dents ; il devait avoir l'habitude de la pharmacie de Hansi. Il récupéra la moitié du produit dans sa main, avant de balancer le flacon au sol. Ignorant le visage interdit de Mikasa il se mit à appliquer la crème sur son flanc d'une main rude, provoquant encore plus de frissons à la pauvre jeune fille par sa peau froide. C'était horriblement gênant pour elle, paralysée tandis que Livaï poursuivait sa tâche en silence en attrapant un de ses bras pour prendre appui. Il avait presque terminé, mais ces secondes semblaient interminables pour la soldate. Le caporal était si proche qu'elle avait presque le nez dans ses cheveux. Elle entrevu alors sa mâchoire crispée, au moment où elle n'en pouvait plus. Il fallait qu'elle dise quelque chose, n'importe quoi. Sinon elle allait exploser.
- ... Ça me gêne... que vous me touchiez, finit par dire Mikasa, dans un souffle.
- Je te demande pardon?
A cet instant, sa main posée sur son corps frêle, après s'être demandé si elle se moquait de lui, Livaï réalisa encore un peu plus le contraste qu'était Mikasa Ackerman. Si forte et meurtrière en combat quand les événements l'exigeaient, et si fragile et pleine de doute dans sa vie privée. Le caporal qui était lui aussi crispé et voulait en finir au plus vite sonda les pupilles de sa cadette. Après quelques secondes pendant lesquelles il avait suspendu son geste, la raison des comportements étranges de la jeune femme à son égard lui paru tout à coup un peu plus claire.
- ... Ah, t'es vraiment sérieuse en fait.
Il resta interdit un court instant, le bras à la peau pâle toujours dans sa main. Elle était parvenue à le déstabiliser pendant une seconde, et ce n'était pas chose facile.
- Tu viens d'atteindre ta puberté c'est ça?, il lui lança finalement en serrant plus fort sa prise. Je sais pas à quoi tu joue mais ça suffit. J'ai pas le temps pour ce genre de conneries. Si tu le souhaite tu vas t'amuser avec qui tu veux, mais tu te recentre sur tes tâches, c'est clair?
- ... Allez vous faire foutre, murmura la jeune femme, tendue à son tour.
Elle était parfaitement consciente qu'elle risquait très gros à lui parler comme ça, mais elle ne supportait pas ses paroles. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, alors bien sûr que lui non plus. Mais la réaction de son supérieur ne se fit pas attendre ; il la plaqua violemment contre le mur glacé de la chambre, le visage de Mikasa pressé entre ses doigts nerveux.
- ... Je vais faire comme si j'avais rien entendu. C'est mon dernier avertissement.
Et sans permettre à la soldate d'en rajouter une couche il tourna les talons, quittant la pièce à vive allure. Il ne voulait pas laisser à Mikasa l'occasion de se mettre plus en tord qu'elle ne l'était déjà, car autrement il serait réellement obligé de la punir. Et il ne le souhaitait pas ; la prochaine expédition était trop importante pour qu'il l'épuise avec une punition stupide. Tout en regagnant l'autre côté du bâtiment il se passa une main sur le visage, songeur. Il devait admettre qu'il ne s'attendait pas vraiment à ça, venant d'elle. Même s'il ne pouvait prétendre comprendre ce qu'il se passait dans la tête de la jeune femme. Dans un contexte différent il aurait trouvé ça presque amusant, le fait qu'elle avait visiblement certaines pensées envers lui. Il réalisa que dans son cas ça faisait bien longtemps, qu'il avait fait une croix sur ce genre de chose. A l'époque de sa vie dans les bas-fonds de la cité royale il lui était arrivé d'assouvir ces désirs-là. Ça lui était apparu comme un besoin à satisfaire de temps à autre, tout comme le fait de voler pour se nourrir était instinctif. Mais dès son entrée au bataillon tout ça avait changé. Il n'y avait ni hommes, ni femmes, juste des êtres humains prêts à donner leur vie pour le devoir. Et voir les choses autrement c'était probablement risquer de s'exposer encore plus à la souffrance de perdre quelqu'un. La plus grande partie des gens qui avaient compté pour Livaï étaient déjà morts. Et il ne se passait pas une journée sans qu'il ne voie leurs visages, dans des moments de cogitation ou au détour d'un mauvais rêve. Et c'était pour cette raison que Mikasa devait rester à sa place.
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Mikasa se déplaça souplement sur le toit d'une maison avec son équipement, après s'être assurée de ne pas utiliser trop de gaz. Hansi venait de lui ordonner d'évaluer la situation auprès d'Eren et Armin, et c'était sans se faire prier qu'elle s'exécutait. L'opération pour reprendre Shiganshina était loin d'être un échec pour l'instant, même s'ils avaient déjà essuyé de lourdes pertes et qu'ils ne connaissaient pas la situation de l'autre côté du mur. Le souffle de l'apparition du titan colossal avait tué beaucoup de leur camarades. Mais ils étaient parvenus à capturer Reiner grâce à l'intervention de Hansi, et c'était une petite victoire. Elle aperçu la silhouette de ses camarades au loin, et ne perdit pas de temps pour les rejoindre. Elle fut soulagée de voir Eren et Livaï en un seul morceau, même si ce dernier baignait dans le sang de titan, accroupis au milieu de la toiture. Ils semblaient tous deux à bout de force. Bertolt gisait là également, bras et jambes coupés. Mais elle se figea aussitôt en voyant son ami d'enfance penché sur une masse sombre. Elle comprit qu'il s'agissait d'un cadavre gravement brûlé, et son cœur sembla louper un battement quand elle réalisa qu'elle ne voyait pas Armin.
- ... Armin a recommencé à respirer !, hurla Eren, dans une frénésie paniquée.
Les yeux de Mikasa s'embuèrent, tandis qu'elle ne parvenait pas à comprendre la scène irréelle qui avait lieu sous son nez.
- Accroche-toi Armin, tiens bon ! Caporal, l'injection, vite !
La soldate baissa les yeux sur Livaï qui serrait le précieux étui dans sa main, et malgré le brouillard qui s'était emparé de son cerveau elle sentit l'espoir renaître dans ses entrailles.
- On va le transformer en titan et lui faire bouffer Bertolt ! Dépêchez-vous !
Le regard fixé sur l'objet entre les doigts de leur supérieur Mikasa eut un éclair de conscience ; elle sortit le pistolet de détresse de sa poche et tira un projectile de fumée vers le ciel, pour signifier à Hansi et Jean que l'injection ne serait pas pour eux. Elle vit avec soulagement le caporal tendre le bras vers Eren, pour lui donner l'injection.
- ... Caporal... enfin je vous retrouve !
Ils se tournèrent tous vers la voix faible de Frock, accroché au rebord du toit qu'il venait visiblement d'escalader. Livaï arrêta son geste quand il aperçu la tête qui dépassait de celle du soldat.
- Le major Erwin est très mal en point, continua la recrue en se hissant vers eux. Il a un trou béant dans l'abdomen, ses organes vitaux sont touchés. Il perd énormément de sang... J'ai pensé qu'on pourrait le sauver grâce à l'injection, non?
Sous les yeux effarés d'Eren le caporal recula doucement sa main, jusqu'à presser le petit boîtier contre lui. Il aida Frock à installer le commandant sur le dos, et approcha ses doigts vers ses narines.
- ... Il respire encore... il est encore en vie.
Mikasa et Eren échangèrent alors des regards terrifiés. Ils savaient ce que cela impliquait.
- C'est à Erwin que nous ferons cette piqûre, continua-t-il.
Mikasa serra les poings à s'en blesser la chair de ses paumes. Elle était hors d'elle, des larmes coulant toujours le long de ses joues. Pourquoi est-ce que cette situation était en train d'arriver? Eren eut une réaction plus rapide ; il se planta en face du caporal, les yeux humides de rage et de tristesse.
- ... Et Armin, qu'est-ce qu'il devient?
- L'intérêt de l'humanité prime avant toute chose, répondit Livaï du tac au tac, d'une voix impassible.
Encore une fois, il avait mis ses émotions de côté. Pour accomplir son devoir. Parce qu'il n'avait pas le choix, et les deux autres devaient le comprendre. Mais c'est alors qu'un bruit de lame attira son attention, et il se tourna lentement en arrière. Mikasa avait fait un pas vers lui, un air sombre sur le visage. Ses yeux étaient vides, et il savait que ça ne présageait rien de bon.
- Attendez, est-ce qu'au moins vous réalisez ce que vous êtes en train de faire? Erwin est le chef de notre bataillon... et alors qu'on peut le sauver, vous voudriez le laisser mourir ?, s’offusqua Frock.
- Le temps presse, dégagez, siffla le caporal entre ses dents.
Mais Eren tenta de s'emparer de l'injection, ignorant son supérieur.
- Eren... ne laisse pas tes sentiments interférer.
- Mes sentiments, hein? Pourquoi vous m'avez pas passé la seringue tout de suite?, répliqua le garçon alors que la colère déformait sa voix.
- ... Parce que dans un coin de ma tête je songeais qu'Erwin pouvait encore être en vie, avoua Livaï.
- Ben voyons ! Sauf qu'on aurait jamais imaginé qu'il aurait survécu... jusqu'à ce que Frock le ramène agonisant !
- Quoi qu'il en soit, reprit-il en haussant la voix, maintenant qu'il est là la priorité lui revient.
Constatant qu'Eren ne lâchait toujours pas prise, Livaï le fit valser en envoyant son poing dans sa figure avec le peu d'énergie qui lui restait. Mais sans le savoir il avait déclenché une bonne fois pour toute la fureur de Mikasa, et il eut à peine le temps de la voir se déplacer qu'elle lui sauta littéralement dessus, tel un démon déchaîné hors des enfers. Il tomba lourdement sur le dos, n'ayant plus les ressources nécessaires pour éjecter la jeune femme. Il était littéralement épuisé de son combat contre le titan bestial. Elle colla aussitôt sa lame contre sa gorge, installée à califourchon sur son corps meurtri. Elle s'empara du poignet qui tenait toujours solidement l'étui dans sa main, sous les yeux effarés de Frock à plusieurs mètres de là. Mikasa serra l'avant-bras de Livaï à s'en blanchir les jointures, complètement aveuglée par la rage. Elle savait qu'il était à bout de force, et elle n'avait qu'à lui arracher la seringue de la main, et elle serait en mesure de sauver Armin. Mais son supérieur lui adressa un regard glaçant, sa surprise passée, et elle détourna ses yeux du précieux objet, pendant une seconde.
- ... Vous savez aussi bien que moi... qu'on ne vaincra jamais les titans sans Erwin, murmura-t-il.
- Il a raison Mikasa. Calme-toi, voyons. Tout ce cirque ne mène à rien, tenta Frock.
Mais il se garda d'intervenir quand il intercepta le regard meurtrier de la soldate. Il n'avait pas vraiment envie d'être à la place du caporal, pour l'instant.
- ... Ce... c'est plutôt sans Armin qu'on est foutu, ajouta Eren d'une voix douloureuse, le visage écrasé contre les tuiles orangées, à quelques mètres de là. Sans lui c'est fini, on a aucune chance, c'est clair et net. Vous avez oublié? C'est lui qui a eu l'idée de combler la faille de Trost à l'aide d'une pierre, c'est lui qui a imaginé le stratagème pour démasquer Annie... c'est lui qui a eu l'idée de progresser de nuit pour venir jusqu'ici !, il cria en se redressant sur les coudes. C'est encore lui qui a su dénicher Reiner, et c'est grâce à lui qu'on a pu venir à bout de Bertolt ! Ce n'est ni le major ni moi qui pourrons sauver l'humanité ! Pas sans Armin, pas vrai Mikasa ?
Eren avait hurlé ses derniers mots, et la jeune femme serra les dents. Elle pressa plus fort son épée sur la trachée de Livaï tandis que ses doigts se crispèrent sur le boîtier, toujours maintenu en partie par sa victime. A cet instant il su qu'il n'y avait rien d'autre en son pouvoir pour s'opposer à Mikasa.
- Donnez-moi ça !, cria-t-elle à son attention.
- Vous vous trompez complètement ! On a besoin du major !, s'écria finalement Frock, qui s'était rapproché d'eux.
- La ferme !, le coupa la jeune femme.
- Non, je ne me tairai pas ! Vous imaginez peut-être que vous êtes les seuls à avoir morflé ? Dans le cas laissez-moi vous apprendre que de l'autre côté de ce mur il n'y a plus un seul soldat vivant, s'indigna-t-il en pointant la muraille du doigt. Tous se sont fait déchiquetés par le titan bestial ! Ils ont tous péri haché menu sous ses jets de pierre ! On savait qu'on en réchapperait pas, mais le major a estimé que compte tenu de la situation c'était peut-être le seul moyen de neutraliser ce foutu monstre... Alors on s'est élancés. On a tous donné nos vies pour servir de leurre et permettre au caporal Livaï de prendre l'ennemi par surprise !
Frock continua en décrivant la boucherie qui s'en était suivie, et comment il avait retrouvé et ramené le commandant jusqu'ici, tandis que les trois autres l'écoutaient malgré eux, figés sur place.
- ... J'ai compris que seul un démon parviendra à anéantir les titans ! Et mon rôle à moi était d'aider à le ramener à la vie ! Voilà pourquoi je m'en suis miraculeusement sorti indemne ! Sinon pour quelle raison aurai-je survécu ? Alors assez ! Ne faites pas obstacles !, conclu-t-il en s'élançant vers Mikasa.
Cette dernière eut alors le réflexe de lever son arme vers son collègue, tandis que Livaï lui hurla d'arrêter. Mais Frock n'eut pas le temps de la toucher qu'elle fut attrapée et tirée par derrière, Hansi venant d'atteindre le toit. Et elle avait rapidement évalué la situation. Elle retint ensuite Mikasa de toutes ses forces, l'entraînant avec elle, libérant enfin le caporal. Et à partir de là tout devint flou pour la soldate, elle vit Livaï ouvrir le boîtier et ne pu que se mettre à hurler à s'en arracher les poumons.
- Du calme Mikasa !, ordonna Hansi en retenant toujours sa cadette qui ne faisait que se débattre. Nous avons besoin d'Erwin ! Le bataillon est quasiment anéanti, on ne peut pas perdre le major en plus ! Ce serait pour l'humanité entière la disparition d'un symbole !, s'expliqua-t-elle. On ne peut pas laisser s'éteindre la faible lueur d'espoir qui anime la population !
- Mais Armin a prouvé qu'il était tout aussi capable !, intervint la captive, de nouvelles larmes mouillant son visage.
- ... Armin est un élément exceptionnel, je le reconnais. Mais pour mener sur le long terme ce combat qui est promis à durer nous avons besoin de l'expérience d'Erwin et de son charisme fédérateur !
Hansi eut alors un cri de douleur, parce que Mikasa venait de lui agripper le poignet, dans une tentative de lui faire lâcher prise.
- ... Moi aussi tu sais, il y a des gens que j'aimerais ressusciter, murmura alors la capitaine. Des centaines. Depuis le temps que je suis dans ce bataillon, j'ai vécu tant de séparations tragiques. Mais que veux-tu... c'est l'inexorable fatalité des événements.
Mikasa finit par se calmer, desserrant sa prise sur sa supérieure. Elle se savait vaincue, et blesser sa capitaine ne la mènerait à rien.
- Ce n'est pas évident de l'accepter. La douleur du deuil est souvent intolérable, c'est dur, insoutenable. Je comprends. Et pourtant, il faut continuer à aller de l'avant.
C'est à cet instant que l'esprit de la cadette se ferma définitivement. Elle avait compris qu'il n'y avait plus rien à faire pour sauver son ami. Elle ne parvint pas entendre les phrases qu'Eren se mit à prononcer ; parce que tout ce qu'elle voyait devant ses yeux c'était Armin, et tout le reste n'était qu'obscurité. Elle sentit à peine Hansi l'emmener hors de ce toit où son ami allait disparaître pour de bon.
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