L'automne d'une vie
Elle garda sa petite main doucement posée sur l’avant-bras du brun durant tout le trajet du retour. Il était pas mal bourré, mais il faisait de son mieux pour le cacher. Sa démarche chancelait quelque peu parfois et il devait s’appuyer -très peu subtilement- contre le corps menu de la blonde qui l’accompagnait. À un moment, Aki crut qu’il allait tomber et eut le réflexe de s’accrocher à son torse pour l’en empêcher, ce qui provoqua une exclamation de surprise à peine audible chez le brun. Ils ne se touchaient pas beaucoup ces derniers temps, et le moindre contact avec la blonde faisait vibrer chaque corde de son coeur comme une guitare qu’on effleurerait à peine.
Ils arrivèrent sans trop de peine au bâtiment du bataillon d’exploration, et fort heureusement ne croisèrent personne jusqu'à la chambre de Levi.
Quand Aki referma la porte derrière eux, Levi s’affala sur le lit double en soupirant d’aise. Il était fatigué, bourré, son esprit était embrouillé mais il gardait ses inhibitions juste assez pour se retenir de sauter sur la blonde, et il avait besoin de sommeil.
La recrue alluma des bougies, jeta un coup d’oeil au brun. Puis elle sortit quelques instants et quand elle reparut, elle tenait des glaçons enveloppés dans un torchon et une petite boîte.
-Caporal? Je peux?, questionna-t-elle doucement en faisant un mouvement de menton vers son poing meurtri.
-Yep, souffla-t-il sans la regarder.
Elle s’assit en tailleur à côté de lui, sur la couverture corail, remonta ses lunettes sur son nez fin et prit précautionneusement la main du brun.
-Ça va être froid et sûrement pas très agréable, le prévint-elle.
Elle n’obtint qu’un grognement de la part du brun, qu’elle prit pour un assentiment, et appliqua délicatement le torchon glacé sur la blessure qui commençait déjà à se refermer.
Levi eut un mouvement de recul qu’elle avait anticipé, gardant la glace fermement appuyé sur ses phalanges. Il s’était soudainement redressé, une expression assez indescriptible sur le visage.
-Putain!, jura-t-il entre ses dents. C’est froid ta merde.
-C’est de la glace, Caporal.
Il se laissa retomber sous les draps blancs et se mit à fixer la blonde qui s’affairait à appliquer une pommade qu’elle devait avoir trouvé avec la glace.
Son esprit embrumé par des volutes d’alcool lui fit la réflexion qu’elle était putain de sexy, dans ce pantalon qui dévoilait ses courbes plus que flatteuses, sa mine concentrée sur le visage, et il pouvait distinguer sa putain de clavicule de là où il était et merde, pourquoi il faisait une fixation sur cet os-là, pourquoi devait-elle être aussi magnifique et lui aussi minable. Il inspira un grand coup et détacha douleureusement ses yeux de la jeune fille devant lui, fermant les paupières et se concentrant sur les quelques onces de raison qu’il lui restait.
Tu es bourré. Quoique tu fasses tu le regretteras.
-Je crois que ça devrait aller comme ça, dit la blonde en brisant le monologue interne de son supérieur.
Il hocha à peine la tête et bougea vaguement la main. Il avait un peu moins mal.
-Merci, murmura-t-il.
-Hum...Caporal?
Elle pouvait bien aller se faire foutre sa raison. Les grand yeux bleus lagon soulignés de cils blonds qui le regardaient suffisaient largement à lui faire perdre la tête.
-Putain Aki, me regarde pas comme ça…
Il détourna la tête pour ne plus l’avoir dans son champ de vision en soupirant. Il avait juste besoin de dormir, et demain tout irait mieux, demain il serait capable de se maîtriser, demain il pourrait la regarder sans avoir une envie folle de lui faire l’amour jusqu'au lever du jour, demain…
-Caporal.
-Caporal...
-Levi.
Il se retourna tellement vite vers elle qu’il entendit sa nuque craquer. Son prénom. Elle l’avait appelé par son prénom. Par son prénom.
Un petit sourire flottait sur ses lèvres quand elle lui tendit un verre d’eau rempli à ras bord.
-Buvez ça.
Il s’assit contre le bois du lit sans protester, et finit le verre en deux gorgées à peine.
Puis il se rallongea, cette fois tourné vers elle. Il n’avait plus aucune envie de dormir. Certes, une jolie migraine commençait à fleurir sous son crâne, mais c’était comme si la jeune fille était un anti-douleur, tant qu’il la regardait plus rien d’autre n’avait d’importance et il ne sentait plus que du désir et un amour bien plus profond que tout ce qu’il avait expérimenté jusque-là.
-Dormez, Caporal, chuchota Aki quand elle le vit la regarder.
Ce maudit Caporal. Putain, il détestait ce mot, surtout quand il sortait de sa jolie petite bouche. Levi sonnait tellement mieux. La façon dont elle le disait était tellement spéciale, tellement bien à elle. Avec une minuscule pause entre les deux syllabes. Avec une inflexion de la voix à la fin. Avec un amour palpable.
Oh et puis merde, il avait besoin de l’avoir contre lui, de la serrer fort, de sentir sa peau nue sur la sienne, ses lèvres sur son front, sur les siennes, et franchement n’importe où, il s’en contenterait.
-Aki…
Il se redressa lentement sur un coude.
-Embrasse-moi.
La jeune fille, qui était occupée à éteindre les chandeliers, releva la tête brusquement et le fixa.
Il y eut quelques instants de flottement avant qu’elle ne parle, et il sentit qu’elle avait soigneusement choisi chacun des mots qu’elle s’apprêtait à prononcer.
-Caporal….
-Levi, putain ! Levi.
Il n’avait pas pu s’empêcher de laisser ces mots amères lui échapper. Ce n’était pas de sa faute si son prénom semblait avoir été créé seulement pour qu’elle le dise de son ton bas et tellement attirant, si ?
Elle le regarda et alla se rasseoir à côté de lui, sans le quitter des yeux. Ses iris exprimaient clairement de l’amusement et Levi était assez interdit. Qu’est-ce qu’il y avait de drôle?
-Vous êtes soul, Cap… Pardon, Levi.
-Et ?
-On sait tous les deux que vous avez du mal à vous contrôler quand c’est le cas.
-Ouais, et ?
-Vous êtes mignon.
Alors là, s’il s’attendait à ce qu’elle lui sorte ça. Il était tellement abasourdi qu’il en oublia de fermer la bouche.
La jeune fille rit doucement.
-Ne faites pas cette tête-là, sourit-elle.
-Ne fais pas cette tête-là, ne put s’empêcher de corriger le brun.
-Ok.
Et elle s’allongea à côté de lui, puis commença à embrasser chaque centimètre de son visage, son front, puis ses tempes en partie cachées par des mèches noir corbeau, le coin de ses yeux, l’arête de son nez, le bout de son nez, ses pommettes saillantes, ses joues qui étaient d’un rouge presque invisible, sa mâchoire bien dessinée, son menton, et quand elle arriva à sa bouche, elle s’en détourna délibérément et alla poser ses lèvres sur son cou, y déposant un baiser aussi léger qu’une aile de papillon.
Elle le fait exprès, réalisa le brun. Elle fait exprès de me faire attendre.
Et là, comment dire? Il n’était pas vraiment en état d’attendre. La patience qu’il avait était déjà amenuisée quand il s’agissait d’elle et de ses touchers, mais les verres qu’il s’était enfilés semblaient avoir fait disparaître toute capacité à attendre qu’il avait jadis possédée.
La jeune fille s’était arrêtée dans le creux de sa nuque et y avait enfoui son nez, respirant la légère odeur de café qu’il émanait et la moins légère d’alcool qui n’était habituellement pas là.
-Vous… tu pues l’alcool, murmura-t-elle, et son souffle qui s’échoua sur la peau nue du brun envoya un frisson jusqu'à ses orteils.
-Ouais plutôt normal, j’ai plus d’alcool dans mes veines que de sang actuellement j’crois, balbutia-t-il.
Elle rit un peu et passa ses bras autour du cou du brun.
-Je suis désolée de t’avoir délaissé dernièrement, Levi. C’est impardonnable.
Et il ne put entendre les trois mots qu’elle prononça après que parce qu’ils étaient douloureusement proches…
-Je t’aime.
Bam. Ça, c’était le bruit de ses limites qui s’effondraient d’un coup. C’était comme si elle lui avait donné le feu vert: d’un coup, il voulut rattraper le temps perdu. Et plus, si possible.
-Merde Aki, merde, merde, merde. Tu me rend dingue.
Il continua à jurer entre ses dents, sans vraiment oser faire le premier pas car il savait qu’après il ne s’arrêterait plus, jusqu’à ce qu’elle dépose ses lèvres sur les siennes avec une chasteté frustrante.
Va te faire foutre chasteté. Va te faire foutre décence. Va te faire foutre putain de peur des contacts physiques.
Tandis que la jeune fille caressait doucement sa nuque, Levi décida qu’il avait été un peu trop passif jusque-là. Il cala ses mains sur les os de ses hanches, et glissa sa langue entre les lèvres de la jeune fille. Et à sa grande surprise, la blonde répondit : elle alla timidement caresser sa langue de la sienne.
S’il restait des limites à Levi, ce geste suffit à les effondrer. Ce n’était peut-être que anodin, après tout ils s’étaient déjà embrassé -roulé une pelle dans ce cas-là, mais Levi trouvait cette expression tellement moche, franchement qui avait décidé de ça ?- mais cette fois la blonde avait fait un pas en avant, elle avait dit oui explicitement, et ça lui faisait du bien de savoir qu’il lui faisait peut-être le même effet qu’elle lui faisait.
Ils se séparèrent pour respirer quelques secondes.
-’tain Aki, tu es magnifique…
Il était allongé sur elle, et se souleva sur ses bras pour avoir une meilleure vue du… paysage.
Les cheveux de blé d’Aki étaient éparpillés autour de sa tête, comme l’auréole d’un ange. Elle avait les joues toutes rougies, les lèvres entrouvertes, brillantes. Elle respirait vite, et bon dieu qu’est-ce qu’elle était belle.
La jeune fille souleva son bras pour poser sa paume sur sa joue, et caressa du pouce la peau presque translucide de son copain.
-Levi… Tu veux prendre un bain ?
Bon, ok. Elle était entreprenante ce soir. Mais à ce point-là ?
-Wow gamine, murmura-t-il en se laissant tomber à sa droite. J’suis bourré, tu t’attends à ce que je puisse me retenir si on prend un bain ensemble ?
Elle rit doucement.
-Juste toi, Levi. Tu as juste l’air… tendu. Fatigué. Un bon bain chaud te ferais du bien.
Il roula pour se coller à elle en soupirant.
-Hmmm flemme de bouger.
Il ramena ses mains sur les hanches de l’adolescente et commença à les passer sous son t-shirt, sentant sa peau délicieusement brûlante sous ses doigts. Comme Aki n’avait pas l’air de le repousser, il souleva le tissu et alla embrasser son ventre.
Le mouvement de recul, à peine perceptible si on n’y prêtait pas attention, qu’eut Aki aussitôt que ses lèvres entrèrent en contact avec la fine peau de son ventre ne trompait pas. Elle avait peur, encore et encore et encore.
Il leva les yeux vers elle, se demandant comment il avait encore la volonté de s’arrêter alors qu’il avait tant bu, et qu’elle était là, allongée devant lui. Il devait juste l’aimer, beaucoup. Beaucoup. Beaucoup.
-Levi, je…
Il la vit lever les yeux dans ce qu’il savait être une tentative de repousser ses larmes.
Il s’assit en tailleur à droite d’elle, puis posa tendrement une main sur son bras.
-Ça va. Je comprends.
Elle esquissa un sourire et se redressa brusquement.
-Je vais te faire couler ce bain, Levi.
-Euh, ok…
-Attends-moi ici, je t’appelle quand il est plein.
-Hmm, acquiesça le brun en se laissant retomber sur le matelas.
***
La blonde était en train de succomber à la fatigue quand le brun ressortit de la salle de bain, suivit par une vapeur épaisse.
Il avait les cheveux mouillés, et des gouttes d’eau s’échouaient sur ses épaules -nues, elle réalisa. Il frottait ses yeux comme un enfant qui n’a pas assez dormi, et Aki fut prise d’un élan d’affection qui lui donna une envie absurde de le materner comme si c’était son fils.
-Tu te sens mieux?, demanda-t-elle en essayant de ne pas le fixer.
Il ne portait qu’un pantalon de coton bleu clair, et même si la serviette qu’il avait négligemment posé autour de son cou cachait en partie son torse, beaucoup de peau était exposé -et la jeune fille ne pouvait nier que ça lui faisait quelque chose.
-Ouais, grogna le brun en se laissant tomber sur le lit à côté d’elle.
-Ok, murmura la blonde, main sur le coeur.
-Il bat?, demanda le brun, les yeux clos. C’était devenu un peu comme une blague entre eux sauf que ce n’en était pas vraiment une, ça voulait juste dire qu’Aki vivait, et ça avait une valeur inestimable. Il le savait, elle le savait.
-Il bat, souffla la blonde.
Un silence suivit son affirmation.
-Bonne nuit, morveuse, baîlla le brun en se tournant dos à elle.
-Bonne nuit, Levi.