L'automne d'une vie
Une mèche couleur de blé tomba par terre, refletant la douce lumière du soleil qui se levait paresseusement, projetant ses rayons à travers la fenêtre au-dessus du bureau du brun.
Une autre l’accompagna, puis bientôt la serviette posée à même le sol était jonchée de cheveux miel.
-Ça fait une sacrée différence avec ta longueur d’avant, dis doucement le brun en égalisant les quelques mèches qui n’étaient pas à la même hauteur.
La jeune fille lui sourit faiblement dans le miroir.
-Vous avez rattrapé la catastrophe, Levi, merci.
Le vouvoiement le frappa de plein fouet, et il se demanda combien de pas en arrière ils feraient avant d’en faire en avant. Elle avait d’autres choses plus importantes sur lesquelles se concentrer en ce moment, et il le savait, mais c’était presque comme s’ils régressaient et il craignait que bientôt, elle ne tressaille à chacun de ses touchers.
-Ça te va bien, en fait. Ça devait être putain de lourd cette grosse masse de cheveux.
-Un peu de changement ne fait pas de mal, admit Aki.
-Ouais. Comment va ta main?, demanda l’homme aux cheveux de jais en effleurant son poignet.
-Ça va.
-Ton pied?
Il passa tendrement sa main dans sa nuque, faisant tomber les quelques cheveux qui s’y trouvaient encore
-Ça va aussi.
-Ta joue?
-Bien également.
Ils échangèrent un regard dans le miroir, les yeux gris d’orage de Levi se verrouillant sur ceux bleu d’océan d’Aki.
-La tache bleu marine dans ton oeil, c’est…
-Hétérochromie.
-Tu l’as eu où, cette cicatrice sur ta lèvre?
-Je suis tombée sur un morceau de verre.
-Hm.
Il était fatigué de l’entendre lui répondre avec des phrases quasi mono-syllabiques, il aurait voulu lui hurler de lui parler, de faire sortir tout ce qu’elle contenait, de frapper, de ne pas laisser cette colère et cette tristesse la consumer entièrement, d’arrêter d’essayer de le protéger, lui, de sa tristesse à elle, et parle-moi Aki putain, parle-moi parle-moi parle-moi.
-Gamine… J’ai un truc pour toi.
Elle l’interrogea du regard, et il remarqua à quel point elle avait l’air exténuée. Elle n’avait certainement pas dormi de la nuit, il doutait qu’elle se soit rendormie comme il l’avait fait après leur minuscule discussion.
-Mais d’abord, j’crois que ce serait pas mal que t’essaies de pioncer. Au moins un peu.
-Caporal, je pense que ce n’est même pas la peine d’essayer.
-Alors on sort. On va en ville, ou se promener, ou je sais pas, mais pas question de te laisser à ressasser tes pensées. C’est la pire option.
Elle savait qu’il faisait cela pour elle, pour son bien-être, parce qu’il ne voulait pas la laisser à se morfondre sur son sort. Mais elle n’avait tout simplement pas la force de bouger aujourd'hui, de se traîner en dehors de cette chambre où elle avait l’impression de les revoir, d’aller poser ses fesses sur une chaise au réfectoire et promener ses yeux en les cherchant puis finalement réaliser que non, ils n’étaient pas là, et ils ne le seraient jamais plus parce qu’ils ne reviendraient pas parce qu’ils étaient morts et elle n’entendrait plus leur voix.
Elle n’avait pas la volonté de se sortir de cette abîme dans laquelle elle sombrait déjà ; et elle savait pertinemment que si elle commençait d’ores et déjà à abandonner elle aurait toutes les peines du monde à s’en sortir, mais c’était tellement tellement dur.
Et pourtant sa porte de sortie était juste devant elle, comme un chemin bien tracé au bord du gouffre, bordé de jolies lumières qui lui éclaireraient sa route et balayeraient ses doutes, comme une échelle qui lui épargnerait la peine d’escalader la falaise à mains nues.
Et cet échappatoire, c’était Levi. Et elle le savait, elle le savait très bien, mais parfois même la route la plus facile paraît insurmontable.
-On pourrait… Peut-être qu’on pourrait simplement faire un tour autour du terrain, pour aujourd'hui., suggéra la blonde, hésitante.
Levi fut soulagé de voir qu’elle était d’accord. Il devinait l’effort surhumain qu’elle avait fait et la tourmente que cette décision avait dû engendrer dans sa tête, mais elle était forte et il le savait.
-Ok. Comme tu veux.
La jeune blonde jeta un coup d’oeil à la fenêtre et il la vit sourire pour la première fois depuis l’expédition. Un minuscule semblant de sourire, d’une tristesse presque palpable, c’est vrai, mais ça restait un sourire.
-Il neige, Caporal.
Et ils étaient de retour à Caporal.
Un pas en arrière, un.
-Ouais. Va falloir bien se saper.
L’adolescente soupira doucement.
-J’ai quelque chose pour vous, moi aussi.
Le noiraud eut un sourire en coin.
-Attends-moi là, je reviens.
Elle n’eut pas le temps de lui demander ce qu’il allait faire qu’il avait déjà disparu, claquant la porte derrière lui.
Il était rarement aussi impulsif, et Aki avait presque l’impression qu’il redoublait d’énergie pour remplacer celle qu’elle avait perdue. C’était étrange. D’habitude, elle était celle pleine d’entrain, d’enthousiasme, prête à sourire à n’importe qui et surtout aux inconnus seuls dans la rue. Mais elle n’en avait simplement pas la force mentale. Ni physique, d’ailleurs. Elle se sentait tellement exténuée, et pourtant elle n’avait pas tant de retard que ça sur ses horaires de sommeil habituels.
Elle respira un long coup, essaya de sentir tout son corps, de sa cage thoracique qui montait et descendait au rythme de sa respiration jusqu'à ses orteils qu’elle remua vaguement dans ses chaussettes blanchâtres. Elle relâcha ses épaules, débloqua sa mâchoire, desserra ses poings et bougea chacun de ses doigts pour être sûre qu’ils étaient toujours là.
Elle était vivante, et ça faisait mal de le savoir. Mais c’était comme ça, c’était peut-être injuste qu’elle ait survécu et pas eux, pourtant elle ne pouvait pas se permettre de ne pas en profiter pleinement car elle avait encore et toujours cette chance de pouvoir marcher, sentir le sol si froid sous ses pieds, s’étirer après une longue nuit de sommeil, user de ses mains pour ce qu’elle voulait, chanter, parler, toucher, entendre, embrasser Levi, et dans ce monde qui était le sien, c’était une chance inestimable.
Et pourtant, pourtant. Elle avait tellement mal.
Vivre était peut-être un cadeau, mais il était empoisonné.
Elle se leva prudemment de la chaise en bois, souleva la serviette bleu ciel en s’assurant qu’aucun cheveux ne tombait et les mit dans un sac prévu à cet effet.
-Hey, gamine.
Elle n’avait pas entendu le brun revenir, mais le voir appuyé dans la chambranle de la porte lui arracha un sourire. Il s’avança lentement et posa sa main droite sur son épaule, l’autre restant cachée dans son dos.
-Ferme les yeux?
La jeune fille obéit, docile, et ne broncha pas quand elle sentit un matériau d’une douceur agréable s’enrouler autour de son cou.
-C’est bon.
Elle souleva ses paupières, baissa les yeux vers son cou et, sans un mot, attira Levi à elle.
-Joyeux anniversaire, Aki. Elle a plein de défauts mais j’ai dû apprendre à tricoter pour la faire, ce qui explique des choses.
L’écharpe bleu ciel qu’il lui avait faite réchauffait agréablement son cou et elle se dit que désormais, elle ne la quitterait plus.
-Merci, merci, merci Caporal…
-Hé mais tu pleures?! Aki sérieux, c’est juste une écharpe! Elle est si moche que ça?
Il lui releva le menton et passa délicatement son pouce sur ses joues pour effacer ses larmes.
-Je sais, c’est bête, mais… Je l’adore. Vraiment.
Le soldat soupira.
-Ouf.
-J’ai quelque chose pour vous, moi aussi, souligna la blonde.
Elle alla fouiller dans les bacs sous son lit et en sortit une chaîne en or, toute simple, sur laquelle pendait un petit pendentif représentant un oiseau aux plumes blanches.
Une colombe.
-Il m’a plu dès que je l’ai vu, et comme vous ne portez pas de collier, je me suis dit que… Enfin, voilà. Vous n’êtes pas obligé de le porter.
Levi fut abasourdi par la délicatesse et la beauté de l’objet : les gravures étaient si précises qu’elle auraient pû être faite par une fée.
-Attache-le moi, s’il te plaît.
Aki obéit et le ferma autour du cou du brun, qui se retourna et alla l’embrasser dans le cou.
Il ne sentit pas la blonde se reculer, et c’était un grand pas en avant.
-Merci, Aki. Je l’adore.
Elle rougit et se mordit la lèvre.
-Je suis contente, alors.
Un petit silence passa avant que Levi ne le brise :
-Le soleil est levé maintenant, tu veux qu’on aille faire un tour ?
-Allons-y, acquiesça la blonde, et elle alla ouvrir la porte, Levi à sa suite.