Le destin des Ackerman - Tome 1
Chapitre 40 : Chapitre 39 - Changement de cap
8011 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 09/05/2020 20:22
Thomas pousse la porte avec son épaule et pénètre dans ce petit couloir qui donne sur quelques cellules dont celle d'Annie Leonhart. Pour la énième fois depuis son réveil, il trouve Armin, planté là, fixant la prisonnière.
— Capitaine.
Le ton de l'appel est sec et autoritaire, cette même façon qu'a parfois Mikasa de rappeler à l'ordre Eren lorsqu'il ne mange pas assez ou refuse de se reposer. C'est pourquoi monsieur Arlelt sursaute, surpris et se sentant coupable. Il se rend compte qu'il était encore en train d'épier Annie. C'est étrange... Il a cette impression que quelqu'un de familier, dans sa tête, lui murmure la nécessité de passer du temps près de mademoiselle Leonhart.
Le blond se tourne vers son subordonné qui a un bol de bouillon et une tranche de pain dans les mains.
— Hanji te demande. Ajoute le brun.
— D'accord, j'y vais. Prononce nerveusement le capitaine qui sort rapidement.
Thomas soupire longuement, exaspéré par les comportements étranges qu'adoptent ses camarades depuis que cette meurtrière s'est réveillée. Heureusement que Julia n'en est pas affectée et, si elle l'était, elle sait faire la part des choses avec son esprit infiniment plus logique et analytique que celui du soldat Ralle.
Il s'avance jusqu'à la cellule occupée par cette étrange jeune femme inexpressive et dépose délicatement son repas sur une petite tablette prévue à cet effet, formant une petite ouverture dans les barreaux.
Le membre de l'escouade Arlelt prend deux secondes pour détailler cette petite pièce mais ne remarque rien d'anormal. Annie est assise sur son lit, les jambes repliées contre elle, le regard fixé sur le sol sans aucune émotion lisible sur ses traits. Thomas la fixe pendant un court instant, avec colère et dédain, avant de s'en rendre compte.
Les mots que Livaï avait prononcé, pendant leur cavale alors qu'ils étaient tous les deux en retrait pendant que leurs compagnons s'occupaient d'un groupe de soldats des brigades, lui revient.
— Ils ont choisi de s'engager, ils ont choisi d'intégrer ce corps d'armée dangereux, ils connaissaient bien les risques. Alors chercher des coupables c'est leur enlever cette liberté qu'ils ont prise en s'engageant et cette même liberté qu'ils cherchaient tant à trouver en se battant contre les titans.
C'est vrai... A quoi peuvent bien servir toute cette et toute cette colère qu'il dirige vers Annie. Est-ce que ça changera le passé ? Est-ce que ça lui ramènera sa grande sœur qui lui manque terriblement ?
Il le sait pourtant, il l'a compris depuis quelques temps déjà : oublier que leur ennemi est humain ne sert qu'à alléger sa conscience, rien de plus. Sont-ils vraiment différents tous les deux ? Ils ont une famille, des gens à protéger, des sentiments, cette apparence humaine, des rêves, des désillusions, des réussites, des échecs... Tous les deux ont tué. Le jeune homme mesure maintenant le mal qu'il a fait lui-même, une souffrance que la légitime défense ne justifie pas. Les hommes qu'il a tué doivent aussi avoir parents, frère, sœur, femme, enfants, autant de personnes qui attendaient leur retour, autant de gens qui doivent maudire et haïr la personne qui a détruit la vie de l'être aimé.
Est-ce que ce cycle interminable de haine et de vengeance se terminera un jour ? Non, certainement pas...
Il soupire et baisse les yeux avant de tourner les talons pour s'assoir plus loin, afin de ne pas faire comme Armin.
Annie finit par se lever, motivée par cette odeur de repas chaud qui parvient jusqu'à ses narines, faisant gargouiller son estomac affamé. Elle attrape ce bol de ses deux mains pour renifler l'odeur à plein poumons puis se penche légèrement en avant pour voir ce qu'il se passe dans le couloir, puisqu'elle n'a pas entendu le soldat du bataillon sortir : il est là, assit sur un banc des plus basiques.
Elle croise ses yeux bleus l'espace d'un instant avant qu'il ne détourne le regard. Annie sent alors que lui aussi est intimidé, encore un homme trop faible qui s'est engagé dans le bataillon d'exploration en pensant devenir un héros mais qui a vite déchanté.
Il n'y a donc que Eren pour avoir des tripes sur cette île ?
La jeune femme s'assoit par terre puis s'adosse au mur pour ne pas être dans le champ de vision de la personne qui la surveille. Elle croque de bon cœur dans cette tranche de pain frais et soupire de contentement. Ce repas ne vaut évidemment pas ceux qu'elle avait dans le réfectoire des brigades spéciales mais ça fait quand même du bien de manger quelque chose. Elle se penche ensuite pour souffler sur la surface bouillante du liquide qui repose dans son écuelle.
Annie soupire, quelque chose cloche.
Personne ne lui a posé la moindre question depuis des heures, vont-ils seulement le faire ? De plus, elle n'a aucune information sur ce qu'il s'est passé ces trois derniers mois ni sur la situation de Reiner et Bertolt. Sont-ils en vie ? Ont-il été démasqués ou sont-ils toujours infiltrés dans le bataillon ?
Elle aspire bruyamment quelques gouttes de sa soupe avant de la poser par terre. Une première théorie émerge dans son esprit : ils veulent la rendre dingue en la gardant ici enfermée pour briser sa volonté et, quand elle sera au plus bas, vont pouvoir la faire parler facilement. Elle prie très fort pour que ses deux compagnons n'aient pas été démasqués par Armin, ils pourraient ainsi la libérer et la cacher quelque part le temps qu'elle retrouve ses forces.
C'est la clé : attendre que ses muscles sortent de cette léthargie pour pouvoir se transformer et avoir l'endurance pour passer le mur Maria, elle pourrait ensuite attendre un bateau venant de Mahr, sur la côte. Mais... Elle n'a toujours aucune idée de l'endroit où elle se trouve, ça fausse donc complètement ses calculs.
Les minutes passent et elle termine d'engloutir son repas. La conclusion de sa réflexion est qu'elle doit gagner du temps, mener le bataillon par le bout du nez jusqu'à atteindre son objectif.
Soudain, la porte du couloir s'ouvre, la lourde porte en bois renforcée de métal racle sur le sol, ses gonds grincent, puis une voix qui ne lui est pas familière se fait entendre.
— Thomas, ils sont là.
Le soldat Ralle se redresse puis acquiesce en regardant Julia.
L'escouade Livaï au grand complet descend dans ce souterrain pour rejoindre cette grande salle où ils ont assisté au réveil d'Annie.
Mikasa est silencieuse et ailleurs, une partie de son visage enfouit dans cette écharpe rouge qui ne quitte pratiquement jamais son cou. Eren et elle sont en froid.
Elle pensait qu'avec une bonne nuit de sommeil les choses se seraient arrangées mais...
Le matin même elle rejoignit son frère au réfectoire, il était seul.
— Bonjour, Eren.
— Salut. Répondit-il avec froideur.
Elle sentit soudain une sorte de mur qui se dressait entre eux.
— Tu as mal dormi..? S’inquiéta la brune qui voulait trouver une autre raison à son comportement que leur discussion de la veille.
— Non.
— Alors tu...
— Je t'ai dit que ça va, Mikasa. S'énerva Eren pour mettre fin à la conversation.
Elle n'insista pas, ainsi repoussée. Mikasa s'installa en silence et commença à manger, sans conviction. Ils n'échangèrent pas un seul mot pendant mes deux minutes de silence qui suivirent, à la suie desquelles il se leva et sortit de la salle.
La jeune femme soupire en levant les yeux vers Eren qui est devant elle. Ils continuent d'arpenter ces longs couloirs plus ou moins bien éclairés par cette rangée de torches. Elle soupire parce qu'elle doit se concentrer sur ce qui va se jouer d'ici quelques minutes. Ils n'ont pas eu d'informations sur ce qui allait se passer. Alors se torturer l'esprit avec sa relation compliqué avec Eren ne fera que la desservir, d'autant plus que ce n'est pas la première fois que son comportement est incompréhensible et qu'il la rejette parce qu'elle empiète trop sur son espace vital.
Est-elle vraiment si envahissante ? Elle fouille dans sa mémoire à la recherche de moments où elle aurait senti Thomas être à bout à cause de sa présence trop intrusive mais ne trouve rien.
Finalement ils arrivent tout en bas du complexe souterrain et reconnaissent la porte qui mène à cette gigantesque cellule. Lorsqu'ils entrent ils peuvent voir sur leur gauche — derrière les barreaux — Annie qui a les mains enchaînées et écartées. Pour ceux qui ont été dans la grotte sous le domaine Reiss la position doit leur rappeler quelque chose.
Hanji et Thomas sont équipés d'un matériel tridimensionnel et Livaï ouvre une malle pour faire de même. Tous se disent que c'est une mesure de précaution au cas où elle déciderait de se transformer pour s'échapper, ils seraient sûrement assez de trois pour la maîtriser ici.
Par contre, Mikasa remarque qu'Armin a l'air soucieux, inquiet même. Il fixe la traîtresse avec de grands yeux effrayés, ses mâchoires serrées tremblotent. Quelque chose ne tourne pas rond. Julia Smith rejoint l'escouade tactique et n'est pas équipée sinon d'un petit carnet avec de quoi noter.
— C'est bon, on peut y aller. Dit le caporal qui termine tout juste de sangler la dernière pièce de son équipement et se dirige vers la porte de la cellule près de laquelle se tient Hanji qui termine de lire un rapport.
— Oui, il est temps d'en savoir plus. Dit-elle en attrapant une clé au fond de l'une de ses poches et la tourne dans la serrure pour ouvrir cette partie amovible des barreaux.
Seuls Livaï et Hanji entrent, Thomas reste près de la porte et la referme derrière eux. Les traits de son visage sont tendus et froids, sans doute est-il pleinement concentré sur ce qu'il va se jouer ici et maintenant. Mikasa croise son regard l'espace d'un instant.
En réalité il sent que quelque chose ne tourne pas rond, il ne comprend pas la logique derrière les agissements d'Hanji, aujourd'hui plus qu'avant. Lorsque Julia l'a prévenu, deux soldats des brigades sont venus chercher Annie et lui ont couvert la tête le temps de l'emmener dans cette cellule, avant de l'y enchaîner. Pourquoi faire ça ? Ne pouvaient-ils pas l'interroger calmement dans l'autre pièce ?
Et puis cet ordre de s'équiper il ne le comprend pas non plus, ici il n'y a aucun risque qu'elle se transforme et vu sa fatigue suite aux trois mois enfermés dans son cocon de chair pétrifiée, son titan serait sûrement tout aussi décharné et faible que ce qu'avait un jour produit Eren pendant un entraînement intensif.
Non, ce n'est pas Annie qui l'inquiète et ce n'est pas elle qu'il surveille avec cet air dur. Ses yeux ne quittent pas le major et le caporal.
— Armin, ça va..? Demande Conny qui vient de remarquer la même chose que Mikasa quelques instants plus tôt.
Le capitaine Arlelt tremble et semble apeuré.
— Oui-oui je... Un coup de froid. Ment-il.
Thomas observe l'expression du visage et des yeux de son supérieur et a un mauvais pressentiment. Julia s'approche de lui et pose doucement sa main sur son bras. Le brun tourne la tête en sa direction et lui sourit pour qu'elle arrête de s'inquiéter mais ça n'a pas vraiment l'effet escompté.
La jeune femme issue de bonne famille sent elle aussi que quelque chose se trame et ça remet au goût du jour cette peur qu'elle avait formulé deux jours plus tôt auprès de son ami quant à ses intentions. Aurait-il fait en sorte que leur prisonnière souffre un maximum ? Serait-il devenu ce genre de personne sans qu'elle ne s'en rende compte ?
Elle se retourne vers les membres de l'escouade Livaï qui sont tous dans l'expectative et n'ont pas l'air de trouver la situation étrange. Son regard tombe sur Mikasa qui fixe la main qu'elle a posé sur Thomas d'une mine sombre. Les yeux de la jeune Ackerman se plantent ensuite dans ceux de Julia avec un air sinistre. Elle retire alors doucement sa main, sentant toute la jalousie et la possessivité qu'affiche la lueur de ses yeux.
Hanji et Livaï arrivent à la hauteur d'Annie.
— Alors, alors... Annie Leonhart, ancien membre du 104e régiment d'entraînement, quatrième de sa promotion, admise aux brigades spéciales puis affectée au district de Stohess.
La jeune femme dont il est mention fixe de son air habituel le quatorzième major du bataillon sans faillir, elle attend de savoir à quelle sauce elle va être mangée. Sa motivation et sa détermination n'ont jamais faibli et ce ne sont pas ces démons ignares qui vont changer ça.
— C'est bien ton vrai nom, sur le continent ? Termine Hanji en réajustant ses lunettes.
Annie n'est pas du genre à être facilement surprise ni a laisser ses émotions paraître sur son visage mais là, la simple utilisation du mot « continent » la déstabilise clairement. A aucun moment elle aurait pu s'attendre à ce qu'ils en sachent autant en seulement trois mois... Qu'est-ce qu'il s'est passé pendant son sommeil ?
La jeune femme baisse ses yeux écarquillés pour fixer le sol. Elle sent que certains de ses atouts glissent entre ses doigts.
Hanji s'accroupit près d'elle et saisit son visage d'une main pour relever sa tête vers elle. Le major affiche un sourire sadique.
— Décidément, toujours aussi bavarde...
Annie fronce et fait un mouvement de tête brusque pour dégager son visage des doigts de son bourreau.
Hanji soupire et se saisit de l'une des poignées de son équipement pour y gripper une lame.
— Nous savons que tu viens du continent avec Reiner, Bertolt et un quatrième dont nous n'avons pas le nom. Pourquoi avoir attaqué le mur, quel était votre but ? Pourquoi avoir attaqué puis vous être infiltré dans les murs ensuite ? Vous cherchiez quelque chose ?
La blonde enchaînée reste muette et continue de défier Hanji du regard.
— S'il te plaît, ne m'oblige pas à te faire mal... Et puis tu as plutôt intérêt à parler parce que plus personne ne peut venir te chercher.
Cette menace voilée fait douter la jeune femme puisque ça veut tout et rien dire. Reiner et Bertolt auraient été démasqués ? Ont-ils pu s'enfuir à temps ?
Constatant qu'elle ne compte pas sortir de son mutisme, Hanji donne un coup de sabre au niveau de l'extérieur de la cuisse droite, sans y mettre toute sa force mais assez pour entamer profondément sa chair.
Un puissant gémissement de douleur se fait entendre et le groupe de soldats peut voir du sang gicler. La plupart écarquillent les yeux. Mikasa regarde ce qu'il se passe sans expression apparente, ça ne lui fait ni chaud ni froid. Armin ferme les yeux et les détourne, semblant souffrir atrocement. Eren reste figé avec cet air effrayé maintenant qu'il a compris comment va se passer cet interrogatoire.
Thomas les regarde un à un, profondément choqué et déçu par leur manque de réaction. Il se souvient que Conny et Sasha pleurnichaient quand ils pensaient avoir tué Reiner avec les lances foudroyantes. Comment peuvent-ils tolérer que leur ancienne camarade, malgré toutes ses fautes, se fasse torturer ?
Cette fois c'est un cri de douleur qui résonne dans cette grande pièce alors qu'un nouveau coup se fait entendre.
— Parle ! Pourquoi avez-vous attaqué les murs il y a cinq ans Reiner, Bertolt et toi ?! Hurle Hanji qui devient hystérique.
Le corps mutilé d'Annie commence à émettre de la vapeur depuis ses blessures.
— On sait que tu ne pourras pas te transformer si tu es gravement blessée, peut-être que tu veux rester ici à te faire couper un membre à intervalle régulier ?
Thomas a l'impression de rêver. Est-ce un cauchemar, un mauvais rêve ? Il se tourne vers Julia à ses côtés et la jeune femme a lâché son carnet — qui s'est écrasé au sol — pour joindre ses deux mains devant sa bouche, le regard horrifié par les méthodes de leur chef et par cette flaque de sang qui commence à se former.
Alors voilà ce qu'est devenu le bataillon maintenant, ils sont une sorte de ramassis de soldats désabusés qui ont perdu leur humanité et ont adopté les méthodes de la division centrale ? C'est inadmissible. Il sent la colère monter en lui à mesure que son regard va de visage en visage et remarque qu'aucun des anciens membres du 104e ne bouge, même pas le petit doigt.
Ils sont tous figés, paralysés par la peur et le dégoût. Sans doute sont-ils partagés entre le désir de vengeance et leur affection pour Annie. Le brun aux yeux bleus tombe des nues, il a peur de devenir comme eux avec le temps : une simple machine à tuer prête à accepter tous les travers quand il est question de la survie de l'humanité.
Un nouveau coup est donné et l'exclamation de douleur de la jeune femme lui serre les tripes. Ça le dégoûte, le révulse.
— Est-ce que le titan bestial vient du même endroit que toi ? Demande encore Hanji.
Ça n'a aucun sens aux yeux du jeune homme. Pourquoi tout à coup serait-elle devenue si méchante, si exécrable, si inhumaine ? Son cœur est-il si emplit de haine que ça ? Il ne se souvient pas l'avoir vu dans cet état face à Reiner et Bertolt ou alors... Elle n'avait pas eu l'occasion de se déchaîner ainsi.
Il regarde Livaï et le caporal est méconnaissable, même lui semble être déchiré entre son envie de faire de même et l’incommensurable aberration qu'est cette torture.
Armin tend de façon hasardeuse son bras vers le mur pour s'y tenir. Thomas voit rouge. Il prend en main l'une des poignées qui pendent sur ses flancs et y grippe une lame avant d'ouvrir brusquement la porte de la cellule qui heurte les barreaux violemment. Il voit Hanji qui se prépare à asséner un nouveau coup.
Thomas utilise le gaz pour s'élancer plus vite et parcourt rapidement la distance grâce à son matériel. Le son de deux sabres qui s'entrechoquent se fait entendre.
Tout le monde reste bouche-bée pendant une seconde.
— Qu'est-ce que tu fous, c'est la nouvelle mode l'insubordination ? Lâche Livaï qui ne sait pas trop quoi comprendre en voyant que Thomas s'interpose.
— Thomas pousse-toi ! S'écrie Hanji.
— Non ça suffit ! Il la fait reculer d'un pas en poussant sur son sabre de toutes ses forces.
— Qu'est-ce que ça veut dire, tu es de son côté ? Demande Livaï qui essaye de garder son calme mais serre ses doigts autour de ses poignées par précaution.
Mikasa ouvre grand les yeux, est-ce là la confirmation que Eren disait vrai à son sujet ?
— Thomas, elle a tué P... Ajoute l'officier de l'escouade tactique.
— Et alors, c'est ça le bataillon maintenant, on torture des gens pour avoir des informations ? Caporal, c'est vous qui m'avez fait comprendre que la vengeance n'est pas une bonne motivation dans la vie.
Thomas jette son arme au sol.
— Je vous ai déjà entendu dire des dizaines de fois que ceux qui nous ont attaqué il y a cinq ans sont inhumains, que ce sont sûrement des monstres pour avoir sciemment tué des centaines de milliers de personnes pour une raison qui nous échappe encore, c'est pour ça que vous devenez comme eux ? Vous vous souvenez de tous ces titans que vous avez tués... Comment vous le vivez maintenant en sachant que c'étaient des humains ?
Il reprend son souffle et avale sa salive, prenant une voix un peu plus calme.
— Caporal, souvenez-vous pourquoi vous avez choisi Armin et pas Erwin à Shiganshina. Vous voulez vraiment que le bataillon devienne comme la division centrale ?
Les deux officiers regardent Thomas et ne savent pas quoi dire, ils écoutent son discours en semblant souffrir des contradictions qu'il évoque.
— Hanji... Ne me dites pas que vous avez pris goût à torturer, je n'y crois pas une seule seconde. Alors quel était votre but ? Qu'elle se transforme pour se défendre et ainsi vous donner une raison de la tuer ?
Annie écoute ses mots en regardant les deux grandes ailes qui lui font face. Elle se sent fébrile, à bout de forces avec tout ce sang qu'elle a déjà perdu.
— Est-ce que ses crimes justifient que l'on soit aussi ignobles que nos ennemis envers elle ? Continue le brun.
— Tu es trop jeune pour comprendre... Lâche Hanji.
— Pour comprendre quoi, la cruauté ou la perfidie ?
Hanji baisse son sabre et semble abattue, le brun a vu juste. Livaï le remarque et soupire avant de se tourner vers l'entrée de la cellule.
— Conny, viens par là !
Le soldat Springer s'approche rapidement et ses yeux alternent entre Annie, Thomas et le caporal, paniqué.
— Ou... Oui Caporal-Chef..? Demande-t-il.
— Aide-nous à la relever. Ordonne l'officier.
Thomas serre les dents et lance un regard noir à son parent éloigné.
— Calme-toi, on va la ramener dans sa cellule. Tiens.
Il lui jette une trousse de soin dans laquelle il pourra trouver des bandages.
— Son corps va se régénérer mais ça serait bien qu'elle ne dégueulasse pas son pieu. Lance-t-il avec son air suffisant et arrogant pour garder contenance.
Le caporal range ses lames puis se dirige vers Hanji pour la conduire jusqu'à un bureau plus loin dans la pièce afin qu'elle s'assoie.
Conny ne sait pas quoi faire, l'air perdu. Il fixe les blessures de son ancienne camarade d'un air absent. Thomas lui met une tape sur l'épaule afin qu'il se ressaisisse puis lui tend un rouleau de tissu épais. Il s'attèle à éponger le sang pour enfin entourer les cuisses de la prisonnière.
La jeune femme commence à perdre connaissance sous le poids de la douleur et de la fatigue. Ses yeux commencent à se retourner mais elle sent soudainement quelque chose heurter de façon répétitive ses joues.
— Annie... Annie ! Entend-elle.
Son nom... Elle se souvient régulièrement entendre quelqu'un l'appeler de la sorte, dans ses rêves. Est-elle en train de dormir ? Est-ce que c'est son père qui l'appelle ? Tout est flou, confus, douloureux...
La mémoire lui revient, elle se souvient d'Eren qui mord sa nuque et qui hésite à frapper, le temps nécessaire pour qu'elle solidifie la chair autour d'elle et s'enferme dans un cocon semblable à du cristal pour éviter d'être capturée. Elle ne voulait pas être utilisée comme monnaie d'échange ni être torturée, Annie devait protéger la couverture de ses deux camarades pour assurer le succès de leur mission.
Elle replace les évènements dans son esprit et comprend alors qu'elle a passé trois mois dans cet état, ici-même. Pourquoi s'est-elle réveillée, pourquoi son armure indestructible s'est brisée ?
Ça n'a aucun sens. Rien n'aurait pu la sortir de ce cocon de cristal, jamais.
La jeune femme sent ensuite qu'on la soulève.
Deux bruns passent la porte et la referment derrière eux, les voilà dans ce couloir où se situe la cellule du titan féminin, plusieurs heures plus tard.
— Je crois qu'elle aimerait te voir... Dit le premier qui a les yeux bleus.
— Moi ? Mais... Hésite l'autre au regard vert. Comment tu pourrais le savoir, elle t'a décroché un mot à toi ?
Thomas fait un signe de négation de la tête.
— Quand elle s'est réveillée elle a prononcé ton nom. Annonce le soldat Ralle.
Eren écarquille les yeux, cette révélation le touche forcément mais plus profondément qu'il n'aurait pu l'imaginer. Quand sa seconde identité a été découverte il était le plus affecté et le moins apte à y croire. Tout le monde ne comprenait pas vraiment pourquoi enfin... Sauf Armin, sûrement.
Annie n'avait vraiment pas beaucoup d'amis sinon aucun. Elle était plus ou moins proche de Minha Carolina pendant une époque mais elle fut tuée pendant la bataille de Trost, cette jeune femme faisait même partie de l'escouade numéro trente-quatre, comme Eren et Armin.
C'est pourquoi le jeune Jäger était l'un des seuls qui interagissait vraiment avec elle et tous les deux s'entraînaient souvent à la lutte ensemble, elle lui apprit quelques prises. Lorsqu'il se battait contre elle en forme de titan il était psychologiquement incapable de la vaincre, de la combattre avec toute sa haine et sa rage habituelles.
Il était jeune et naïf, il ne comprenait pas la nature de ses sentiments. Aujourd'hui avec le recul il s'en rend compte. Il n'y a qu'une seule chose qui rendait leurs combats si intenses et particuliers, emplissant l'air d'une tension qu'il ne ressentait pas contre Reiner.
Les deux soldats arrivent devant la cellule et leurs regards se posent sur la prisonnière qui dort profondément. Ils sont silencieux pendant plusieurs secondes, le brun aux yeux verts se sent coupable.
— Merci pour ce que tu as fait... Je ne me sentais pas à affronter de nouveau Hanji et le Caporal après Shiganshina, ils m'auraient accusé comme à l'époque... Finit-il par dire.
— Comment ça ?
— Quand Armin a découvert qu'Annie était le titan féminin je n'y croyais pas et c'est de ma faute si on n'a pas réussi à la capturer. Ce jour là, quand je l'ai vaincu et ait vu son visage sortir de la nuque du titan, ça m'a tétanisé... Je n'ai pas pu me résoudre à la sortir de là, ni à la tuer.
Thomas pose sa main sur l'épaule de son camarade.
— Tu n'as pas à t'en vouloir. Armin m'a dit que vous étiez plus ou moins proches et je pense qu'il faut beaucoup plus de courage pour affronter les personnes à qui on tient que pour se battre contre ses ennemis. Aujourd'hui elle est là et je crois qu'elle a besoin de toi. Vous avez sûrement des choses à vous dire. Termine Thomas qui tourne les talons.
— Attends... Retient Eren qui a toujours les yeux posés sur Annie.
Le soldat Ralle se retourne.
— Je préfère t'en parler à toi parce que tu me diras la vérité... Commence Eren qui se tourne à son tour pour croiser le regard de interlocuteur. Qu'est-ce qu'il y a entre Mikasa et toi ?
Thomas soupire avant de répondre, il aimerait bien le savoir lui-même...
— Je t'avoue que depuis l'autre matin je ne sais pas trop...
Eren s'approche d'un pas.
— Écoute... Il y a deux mois j'ai vu ma sœur être épanouie et avoir le sourire, je ne l'avais jamais vue comme ça mais ça s'est vite dégradé... J'ai l'impression que c'est compliqué entre vous.
Thomas soupire une nouvelle fois.
— Pourquoi est-ce qu'elle aurait peur que tu sois au courant ? Demande-t-il.
Le titan assaillant hésite un instant, le temps de formuler sa pensée.
— Je n'en suis pas sûr. Elle t'a parlé de son histoire ?
Son interlocuteur acquiesce.
— Hé ben... Je suppose que ça n'aide pas à être très équilibré sur le plan sentimental... Tout ce qu'elle a perdu ce jour là elle l'a reporté sur moi et puis... Il y a l'instinct Ackerman.
Thomas sent son estomac se nouer.
— Le quoi ?
— Je n'y connait pas grand-chose mais je l'ai vu en touchant Historia, les rumeurs sont fondées. Alors je crois que Mikasa a besoin d'apprendre à faire la part des choses dans ses sentiments, à les comprendre.
— Oui ça c'est clair...
— Mais je ne serai jamais un obstacle. Ajoute Eren qui ment complètement mais le soldat Ralle ne le remarque pas.
Thomas force un sourire.
Eren tend la main à son camarade avec un sourire aussi sincère que ses mots.
— Je te la confie, moi je n'y arriverai pas.
Les deux hommes se serrent la main puis le membre de l'escouade Arlelt s'en va.
Thomas est sorti du souterrain en marchant tranquillement, particulièrement pensif quant à sa relation avec Mikasa. Il se dirige vers les écuries où leurs chevaux se trouvent et s'affaire à sortir sa monture de son box. Depuis qu'il fait partie du bataillon c'est l'un de ses passe-temps favoris pour se vider l'esprit ou réfléchir : être au contact de l'animal, prendre soin de lui... Beaucoup y voient une corvée mais pour ce jeune homme c'est un moment apaisant dans ce monde cruel et brutal. Il n'aime pas que ces bêtes soient seulement considérées comme des outils au même titre que l'équipement tridimensionnel.
Après quelques minutes, alors qu'il fredonne une chanson pour apaiser sa monture, il sent quelque chose le toucher sous l'omoplate gauche et le tapoter deux fois. Il reconnaît ce geste et sait donc qui est planté derrière lui avant même de se retourner.
Lorsqu'il pivote une tête brune le fixe.
— Je... Te dérange ? Demande-t-elle en trépignant sur place, trahissant sa nervosité.
— Non... Répond-il.
Thomas tend une brosse à la jeune femme qui s'en saisit. Tous deux s'occupent alors du flanc gauche du cheval et le silence règne pendant quelques instants avant qu'elle ne prenne son courage à deux mains.
— Je suis désolée... Souffle-t-elle.
— Pour ? Demande-t-il parce que, même s'il a sa petite idée, il préfère en avoir le cœur net.
— Pour l'autre matin. Précise la jeune femme.
Thomas soupire.
— Qu'est-ce qui s'est passé..? Je n'ai pas compris ta réaction... Tu as honte de nous ?
Mikasa se mord la lèvre et se stoppe dans ses mouvements.
— Tu m'as dit l'autre jour que je te rejette parce que je suis mort de trouille, que je refuse de voir les preuves que tu tiens à moi parce que je ne veux pas que tu ailles trop loin dans mon cœur. Tu n'avais pas tort mais... Je ne suis pas seul dans ce cas, hein ? Ajoute Thomas.
La jeune femme acquiesce silencieusement et pose la brosse.
Thomas se tourne vers elle.
— Qu'est-ce que tu veux que je sois pour toi, Mikasa ?
Elle lève les yeux vers lui, l'air triste à cause des paroles de son frère qui résonnent dans son esprit.
— Un amant que tu vois en coup de vent en évitant que Eren soit au courant, un ami pour te réconforter ou autre chose ?
La brune baisse les yeux, elle sait très bien ce qu'elle veut mais les deux premières propositions sont difficiles à entendre parce qu'elles lui donnent l'impression de lui avoir fait croire ça. Elle secoue la tête, anxieuse.
— Je n'aime pas quand Julia te touche... Je n'aime pas la façon que tu as de protéger Annie alors que tu devrais la détester plus que nous...
Thomas hausse un sourcil, essayant de comprendre le véritable sens de sa déclaration. C'est sa réponse, ça ?
— Qu'est-ce que je dois comprendre ? Demande-t-il, exaspéré par les sous-entendus.
Mais il est difficile pour Mikasa d'exprimer ses sentiments. Elle attrape alors son ancien amant par sa chemise qu'elle serre entre ses doigts et le tire vers elle. Thomas fait opposition de sa main contre son épaule pour l'arrêter.
— Tu ne t'en tireras pas comme ça, dis-moi ce que tu as sur le cœur.
Elle serre les dents et se penche en avant pour coller son front contre le torse du jeune homme afin de cacher son visage.
— Tu me fais peur ! Voilà ce qu'il se passe... Dit-elle en sentant son cœur bondir dans sa poitrine.
Thomas ne l'interrompt pas maintenant qu'elle est lancée.
— ...Tes yeux, ton sourire, ce pouvoir que tu as sur moi... Je n'ai pas honte de nous, au contraire... Mais comme tu me l'as dis tu mets toi aussi en danger beaucoup de choses, dont ma mission de protéger ma famille.
Il peut sentir la deuxième main de Mikasa se joindre à la première sur son torse auquel elle s'accroche.
— Tu m'as rappelé qu'il y aura une vie après la guerre, que j'ai le droit de rêver, que j'ai le droit de penser à moi... Je n'étais pas prête à imaginer une existence différente de celle-là. J'ai juré de protéger Eren et Armin quoi qu'il en coûte parce qu'ils sont tout ce qu'il me reste et j'ai peur que tu m'en empêches...
— Pourquoi je t'en empêcherai..?
Elle se crispe.
— Parce que... J'ai tout le temps envie d'être près de toi, tu me manques quand tu n'es pas là... Elle lève les yeux vers lui. Tu es tout le temps dans ma tête ! Mais à Shiganshina j'ai dû faire face à un choix terrible... Si je devais le faire à nouveau, si j'étais obligée de choisir entre Eren et toi ?
Le jeune homme est sans voix : il n'a pas la réponse.
Cette phrase lui sort du cœur, elle exprime là ses pensées profondes et enfouies, la véritable raison de son hésitation latente. Mais Thomas est sans réaction et sans voix mais il comprend enfin quel est le problème. Ses bras restent le long de son corps alors que la jeune femme donnerait n'importe quoi pour qu'il l'étreigne en cet instant. Il finit par soupirer.
— Je ne te souhaite pas d'avoir à faire ce choix. Finit par dire le jeune homme, ne sachant pas quoi dire d'autre.
Mikasa tremble toute entière en imaginant y faire face, ça lui glace le sang.
— Je ne veux plus te blesser, je ne veux plus hésiter, j'ai besoin de toi... Souffle-t-elle.
Thomas se saisit doucement du visage de la jeune femme et plonge ses yeux bleus dans les siens, luisants de toute cette loyauté et cet amour qu'il éprouve pour elle au point que rien d'autre au monde ne saurait être plus important.
— J'ai fait des erreurs moi aussi, je t'ai blessée. Tu ne m'as jamais abandonné malgré ça alors je ne risque pas de le faire. Quoi que tu veuilles de moi, je serai là et je serai toujours prêt à surgir de nulle part pour te protéger, quelque soit la chose qui te veut du mal.
A ces mots, la brune l'entoure de ses bras et enfouit sa tête dans le creux de son cou, émue. Il décide alors de plaisanter un peu.
— ...Et je ne regretterai jamais de m'être fait exploser l'arcade.
Ça a pour effet de lui faire lâcher une exclamation rieuse puis elle tape du poing sur son torse.
— T'es qu'un foutu idiot... Et je suis assez bête pour aimer ça... Dit-elle.
Thomas l'enlace à son tour et la serre contre lui, tous deux soupirent profondément. Après quelques instants Mikasa se recule quelque peu pour le regarder droit dans les yeux.
— Je ne veux plus gâcher la moindre minute que je peux passer avec toi. Je te promet que je ne douterai plus, je te le prouverai. Murmure-t-elle.
Il en frémit tout entier, touché au plus profond de lui par ce qu'il entend.
— Ce n'était pas à moi de me faire pardonner..?
— ...Tu l'es déjà. Statue-t-elle en esquissant un sourire.
Il l'admire, détaille le moindre de ses contours : elle est une merveille à ses yeux amoureux. La brune sourit finement et sent la tension du moment l'entourer doucement puis son regard tombe machinalement sur les lèvres de son compagnon qui lui font plus envie que jamais après tout ce temps à en avoir été privée.
Thomas ne peut pas s'empêcher de sourire, une expression tendre alors qu'il oublie tout ce qui les entoure. Encore une fois face à ces interdits non prouvés, il hésite à se saisir des lèvres de cette jeune femme pour qui il ferait et donnerait tout.
Le cheval de Thomas se met à hennir soudainement, Thomas se tourne vers lui.
— Je crois qu'il est jaloux...
Mikasa pouffe de rire.
Sasha entre dans l'écurie quelques instants plus tard et remarque qu'un cheval est dans l'allée, apparemment seul. Elle s'en approche.
— Qu'est-ce que tu fais là toi..?
Elle pose sa main sur sa croupe pour en faire le tour et tombe nez à nez avec Thomas et Mikasa qui sont dans les bras l'un de l'autre. Madame patate sursaute avec une intonation de surprise.
Ils se retournent, surpris.
— Ouuups, pardon ! S'écrie-t-elle.
Elle tourne rapidement les talons et se dirige vers l'un des box du fond avec un seau dans les mains, sûrement remplit d'avoine.
Les deux tourtereaux se regardent et sourient, amusés d'avoir été surpris.
— Bon, il faut que je finisse. Dit Thomas.
Mikasa acquiesce.
Annie se réveille doucement et fait descendre l'une de ses mains jusqu'à ses cuisses : il n'y a plus la moindre trace de blessure. Elle s'assoit dans son lit en soupirant longuement.
Son regard détaille cette petite pièce dans laquelle elle se trouve et remarque ensuite une silhouette, adossée au mur près des barreaux : un brun aux yeux verts — qu'elle connait bien — l'observe.
— Salut Annie. Dit-il.
La jeune femme observe Eren pendant quelques secondes, seulement trois mois sont passés mais physiquement il a l'air d'avoir vieilli. Son visage est marqué et semble fatigué, ses yeux ne brillent plus d'une fureur démesurée, il semble plus posé et plus sage.
— Salut. Répond-elle.
— Comment tu te sens ?
Elle hausse les épaules pour seule réponse.
— Désolé que ça se soit passé comme ça...
Annie dévisage le jeune Jäger qui a l'air d'être toujours aussi intimidé par elle. Cette expression dans son regard, ce n'est pas la première fois qu'elle la voit.
— Mais il faut que tu saches certaines choses pour bien comprendre la situation. Tu as sûrement déjà pensé à des moyens de t'échapper...
La jeune femme ne dit toujours rien et attend que son ancien camarade se mette à table.
— ...Le titan bestial est venu vous prêter main forte mais nous l'avons défait lui, Reiner et Bertolt à Shiganshina. C'est Armin qui détient le titan colossal, maintenant.
Elle écarquille les yeux en fixant le sol.
— Le mur Maria a été repris et nous savons beaucoup de choses sur Mahr et l'histoire des murs, entre autres. Je crois que tu ne peux pas te permettre d'être muette.
— Pourquoi m'interroger si vous savez déjà tout, par plaisir de me torturer ? Demande-t-elle sur un ton neutre voire exaspéré, toujours sans regarder son interlocuteur.
— Pas vraiment tout, mais on pourrait négocier p...
— J'ai vu votre façon de négocier et même si certains d'entre vous ont l'air de vouloir éviter toute effusion de sang, ça ne se finira pas bien pour moi, je le sais. Coupe-t-elle.
Eren soupire.
— Les choses sont différentes aujourd'hui... Dit-il en se redressant. Je compte bien me tourner vers le continent plus tard.
— Vous n'avez ni les effectifs ni l'armement...
— Mais on a d'autres atouts.
C'est vrai que le colossal maintenant en leur possession ils ont un argument de poids, sans parler du grand terrassement si, toutefois, l'originel est toujours ici.
— Enfin... Je te laisse te reposer et y réfléchir, on en reparlera plus tard. Termine Eren qui aurait voulu aborder des dizaines d'autres sujets mais se trouve incapable de les aborder tant il perd ses moyens face à cette jeune femme.
Annie ne répond pas d'une quelconque manière et le titan assaillant passe la grande porte.
Ses pensées se tournent vers Bertolt mais la tristesse est surtout dirigée vers Armin qui se retrouve avec un terrible fardeau et une malédiction sur le dos. Elle pense aussi à son père et à cette promesse qu'elle a faite avant de partir pour cette île avec ses trois camarades.
Le bilan est simple : ils ont repris Shiganshina ce qui veut dire que ce qu'il ont accompli cinq ans plus tôt est maintenant caduque. Ils vont certainement concentrer leurs efforts sur l'extermination des titans sur l'ensemble de l'île... Alors son objectif est de survivre jusque là, soit en leur servant d'informateur ou en trouvant un autre moyen d'être utile.
Si elle est toujours là quand l'île du Paradis sera libérée de la menace des démons, ce sera simple de retourner à Mahr... C'est décidé.
Une bonne heure plus tard, quelqu'un passe encore cette lourde porte avec ces mêmes sons qui commencent à lui taper sur le système.
— Merde, encore quelqu'un qui vient me faire chier... Pense-t-elle.
Un brun aux yeux bleus se présente devant sa cellule et apporte son repas qui n'est autre qu'un bol de soupe et une tranche de pain. Elle l'observe déposer ça sur le petit plateau métallique prévu à cet effet.
Le titan féminin se demande, en le regardant, si ce qu'il a fait tout à l'heure était un coup de théâtre organisé par le bataillon pour qu'elle lui fasse confiance et se confie à lui ou si c'était sincère. Après tout il ressemble beaucoup à cet officier des brigades qu'elle connaissait bien, mais comment en avoir le coeur net ? Annie n'est pas du genre à aller vers les gens ni à engager une conversation mais vu l'expression fermée que ce soldat a, certainement qu'il est dans le même état d'esprit.
Contrairement à tous les autres elle ne le connait pas et c'est bien ce qui l'embête. Du peu qu'elle capte dans son regard et dans sa façon d'être il a l'air d'être quelqu'un de fermé, qui porte en lui beaucoup de rancœur et ne doit pas être très sociable.
Annie toise un instant celui qui s'est interposé il y a quelques heures, se demandant si elle peut se le mettre dans la poche pour servir ses intérêts. Après tout peut-être qu'il n'est pas très futé...
— Merci, pour tout à l'heure. Dit-elle.
— Détrompe-toi, je ne l'ai pas fait pour toi. Répond froidement Thomas.
Tous deux se jaugent du regard.
Annie fait face à quelqu'un qui ne ressent aucune peur ni haine ni autre sentiment négatif à part de la méfiance. Cela faisait longtemps.
Pourtant, intérieurement, le jeune homme sent toute cette haine remonter, la colère se saisir doucement mais sûrement de son cœur. Le souvenir de cet officier qui vient lui annoncer la nouvelle quelques minutes avant qu'il ne choisisse son corps d'armée. Elle est là, c'est elle, il est face à la personne qui a mis fin aux jours de la plus merveilleuse et chaleureuse personne qu'il n'a jamais connu.
— Mange tant que c'est chaud. Suggère-t-il avant de tourner les talons pour sortir parce qu'il ne voudrait pas passer une minute de plus ici, au risque de se trahir.
Annie soupire. Il serait simple de croire que le plus grand fardeau de sa vie est d'être un guerrier Mahr, d'être l'hôte d'un des neuf titans primordiaux et que, en conséquence, il ne lui reste plus que quelques années à vivre avant de devoir se faire dévorer par son successeur. Pourtant, elle voit la chose sous un autre angle.
Sa véritable malédiction est d'avoir été choisie pour cette mission, d'avoir été catapultée si loin de chez elle, toute jeune, pour tuer des centaines de milliers de gens et, maintenant qu'elle est prisonnière ici, voir le dédain et la haine dans le regard des gens qui savent qui elle est et ce qu'elle a fait.
Finalement, ce n'est pas si différent de Mahr ou sa simple ascendance eldienne suffit à ce qu'on la regarde avec dégoût. Ici elle n'a pas de brassard à porter ni d'autorisation à demander pour se promener mais la sensation d'être prisonnière dans un endroit où elle n'a pas sa place subsiste.
Elle s'est engagée à remplir cette mission, elle a promis à son père de revenir. Malgré ça, malgré sa détermination à réussir, elle ne peut pas nier que ces années passées au milieu de ces gens lui a ouvert les yeux. Minha, Marco... C'est de sa faute s'ils sont morts. Comme tout le monde sur le continent elle pensait que ces gens n'étaient que des démons sanguinaires qui planifiaient une nouvelle invasion, des êtres inhumains qui n'avaient que la guerre dans le sang.
Mais ils ne savaient rien de tout ça : le monde, l'histoire... Elle a croisé des gens bien, des gens altruistes, des gens doux qui s'intéressent aux autres, des gens rassurants, des gens avec qui il est plaisant d'être. Il y a des faibles et des forts, des gentils et des raclures. Comme partout.
Une heure plus tard Thomas se rend dans un petit bureau où Hanji et Livaï l'attendent après l'avoir convoqué. N'ayant pas eu la raison il s'attend à se faire remonter les bretelles pour ce qu'il s'est passé ce matin.
Mais le jeune homme est prêt à assumer, il ne l'aurait pas fait sinon et serait prêt à répéter ce qu'il a dit s'il le faut. Il n'accepte pas qu'un prisonnier soit torturé, même si c'est celle qui a tué Petra. Le bataillon d'exploration est certes le corps d'armée qui est de loin le plus exposé aux drames puisqu'il est le fer de lance de la lutte contre les titans, ils doivent garder leur objectif en tête et ne pas se perdre dans ce genre de déviance.
Il frappe trois fois et attend qu'on lui dise d'entrer.
— Entre ! Entend-il.
Il s'exécute, referme la porte puis s'avance pour se fendre d'un salut militaire. Livaï est appuyé sur le bord du bureau derrière lequel Hanji est assise. Ils toisent le soldat Ralle avec un air sérieux qui n'annonce rien qui vaille. Il blêmit quelque peu.
— Thomas, tu sais pourquoi tu es là ? Demande Hanji.
— Oui, Major. Sûrement pour mon comportement de ce matin. Affirme-t-il en restant bien droit, le poing sur le cœur.
— Non, détend-toi. On pourrait effectivement te punir mais on considère que tu as eu raison de le faire. Par contre, en contrepartie on va te confier une corvée.
— Encore des pommes de terre ? Demande naïvement le soldat.
Hanji ne peut s'empêcher de se marrer légèrement, Livaï sourit. Le major se lève ensuite et s'approche de son ancien petit protégé pour poser sa main sur son épaule.
— Tu sais que notre boulot pour les prochains mois sera de faire la chasse aux titans. On aimerait que tu participes à une mission de reconnaissance pour estimer le nombre d'abrutis qui rôdent autour des murs ainsi que leur position.
— Tu ne sera pas seul bien sûr mais l'équipe n'a pas encore été constituée. Tu as peut-être des suggestions ? Demande Livaï, pour le tester parce que ses suggestions ne seront pas prises en compte.
Thomas réfléchit un instant.
— Jean, c'est un meneur et il est très bon au combat, il nous guidera. Sasha et Conny seraient aussi un atout et puis je les vois mal prendre les nouveaux sous leurs ailes. Mikasa serait aussi un sacré avantage.
Les deux officiers échangent un regard satisfait.
— On te dira demain avec qui tu partiras pour Trost le jour suivant avec les détails de votre mission. Explique le major.
Le jeune homme acquiesce.
— Tu peux disposer.
— Major, Caporal. Salue-t-il avant de sortir.