Le destin des Ackerman - Tome 1
Chapitre 20 : Chapitre 19 - Déclaration
5368 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 16/04/2020 05:24
Il pleut sur Karanes, le ciel est gris, l'ambiance morose. Un jeune homme se tient debout devant une tombe, un long manteau noir à l'effigie des bataillons d'exploration sur le dos. Une femme d'âge mur est à son bras, habillée d'une longue robe de la même couleur. Le vent se met à souffler, les cheveux mouillés de Thomas prennent le sens du vent alors que son regard est fixé sur la gravure.
M A R C U S R A L L E
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Un homme imposant se dirige vers eux et, quand il arrive à seulement deux mètres, il entend les sanglots de la dame qui se cramponne au bras de son fils.
L'inconnu s'éclaircit la gorge. Thomas se retourne.
— Teresa, Thomas, je vous présente mes condoléances.
Les doigts de madame Ralle se crispent si fort que son fils en aura sûrement les marques. Le jeune homme est perturbé par ce qu'il voit, un officier haut-gradé des brigades spéciales se tient devant lui : des cheveux noir corbeau, des yeux sombres froids et perçants mais dont la pupille présente des stries plus claires quasiment lumineuses, une carrure impressionnante, une cicatrice de brûlure qui couvre toute la partie gauche de son cou. Thomas a l'impression de se regarder dans un miroir s'il s'était réveillé quinze-vingt ans plus tard.
— Je suis ravi de ce que je lis dans ton regard, jeune homme. Commente cette personne que semble redouter Teresa.
Thomas se souvient que Lise lui en avait parlé, le Capitaine des brigades qui cherchait quelqu'un dans les cellules. Voulait-il mettre la main sur Julia ?
— Qu'est-ce que tu fais là Erik ? Demande madame Ralle sur un ton méfiant.
— Ton accueil est bien glacial Teresa. Il est bien normal de rendre visite à ma petite famille pendant ces heures de drame.
A l'emploi de ce terme Thomas serre les dents et fusille du regard cet homme qui doit être son père biologique. Ce dernier hausse un sourcil.
— Mh. Je me présente puisque je ne pense pas que tu aies entendu mon nom un jour : je suis Erik Müller, ton père. Annonce-t-il brutalement malgré ses manières.
— Qu'est-ce que vous voulez ? Interroge Thomas.
— Je suppose que ta mère refusera mon invitation mais j'aimerai que l'on partage un café pour discuter et apprendre à se connaître.
— Je ne suis pas vraiment sûr d'en avoir envie. Rétorque le jeune homme.
Erik soupire puis sourit.
— Sois honnête avec toi-même Thomas, je sais très bien que ça fait quelques temps que tu me cherches et je suis là. A quoi t'engages un simple café ? Négocie l'officier des brigades spéciales.
— Un autre jour peut-être.
— A la bonne heure ! Se satisfait l'homme qui s'approche de son fils et lui tend un morceau de papier cartonné avec son nom et son adresse. Lorsque tu seras prêt envoie-moi une lettre avec l'heure et le lieu, je répondrai à toutes tes questions.
Thomas se saisit des coordonnées et les regarde un instant.
— Bien, encore toutes mes condoléances. Madame, soldat. Il hoche la tête et tourne les talons.
Le jeune homme regarde son père s'éloigner avec une expression indéchiffrable pour sa mère qui les regarde alternativement avant de pousser un long soupir désespéré.
— Thomas, tu ne comptes pas le faire j'espère ? S'inquiète sa mère.
— Si. Répond-il avec aplomb et détermination, traits de caractère qu'elle ne lui connaissait pas. Mais aujourd'hui ce n'est pas le bon jour pour en parler.
D'abord bouche-bée, elle finit par hocher la tête et reprend fermement le bras de son fils qui l'emmène plus loin dans le cimetière.
Après deux minutes de marche ils s'arrêtent devant une autre tombe qui porte le nom « Ralle ». Thomas s'accroupit.
— Je t'attends plus loin. Dit Teresa Ralle qui sent que son fils veut rester seul avec sa sœur.
Le jeune homme soupire profondément et plonge sa main dans une poche pour en sortir un écusson du bataillon d'exploration qu'il pose sur la pierre.
— Tu me manques... Il y a des fois où j'aimerai redevenir le petit garçon à qui tu chantais des berceuses. Mais je commence à comprendre pourquoi tu étais si loyale envers le bataillon. De toute façon tu as toujours été une personne qui savait ce qu'elle veut, qui respectait ses valeurs. J'aimerai avoir ta force et ton courage. Il se redresse. La prochaine fois je t'amènerai un bouquet de fleurs cueillies dans la forêt où nous allions tous les dimanches.
[ Bureau du major Erwin Smith, District de Trost ]
— Entrez.
La porte s'ouvre et une rousse s'avance dans le bureau puis s'arrête pour effectuer un salut militaire.
— Repos. Dit calmement Erwin, ce qui détone avec son air plus dur que d'habitude.
La jeune femme s'exécute.
— Vous avez besoin de précisions sur Thomas Ralle ? Demande-t-elle ensuite.
— Oui et non.
Sur ces mots Hanji et Livaï entrent dans la pièce.
— Nous avons des preuves accablantes contre vous, soldat Niso. Reprend Erwin.
La jeune femme écarquille les yeux et devient nerveuse. Son regard se pose successivement sur chaque personne qui la fixe d'un air inquisiteur puis sent une goutte de sueur froide couler le long de sa colonne vertébrale : tout est fini pour elle. Lise ignore comment ils ont réussi à la démasquer mais elle est maintenant coincée. Le plan était pourtant parfait : Thomas faisait le parfait coupable et une fois derrière les barreaux sa mission était terminée.
— Nous savons que tu donnais des infos aux brigades spéciales et que tu cherchais des enfants de familles dépossédées qui se cachent dans nos rangs sous d'autres noms. Dit Livaï.
— Malheureusement ou heureusement, Alena Voss n'est pas un membre du bataillon d'exploration. Continue Hanji. Mais... Nous sommes prêts à passer l'éponge en te laissant ta liberté mais tu seras démobilisée, sous certaines conditions.
— Et... Qu... Que voulez-vous en échange ? Demande-t-elle en triturant un pan de sa veste d'uniforme.
— Des informations. Nous voulons faire tomber Erik Müller, l'homme de qui tu dépendais, si je ne m'abuse. Répond Livaï.
— Et sinon..?
— Sinon j'ai bien peur que l'on doive t'envoyer au tribunal militaire, alors tu devrais accepter ce marché plus que généreux. Menace le Caporal-Chef.
La jeune femme baisse la tête et la prend entre ses mains.
— D'accord, je vais coopérer... Dit-elle enfin.
[ Le lendemain matin - District de Trost ]
L'escouade tactique et l'escouade Hanji sont en rang, poing sur le cœur, à l'aube. Eren est là lui aussi mais ne participera pas à cause de la fatigue accumulée pendant ses expériences avec Hanji.
— Bonjour à tous. Commence Hanji en faisant elle aussi le salut militaire. Comme vous le savez seule la porte intérieure de Trost est bouchée par un énorme rocher. Maintenant que Eren maîtrise son nouveau pouvoir nous pouvons regarder vers le mur Maria.
Des sourires s'affichent sur certains visages.
— Nous n'aurons pas besoin de mobiliser d'autres forces que celles que vous représentez pour notre mission qui aura lieu dans quelques jours : sécuriser puis refermer la porte extérieure de Trost.
— Des titans essayent toujours de rentrer ? Demande Sasha.
— Trost est toujours une importante concentration de population. D'après les derniers rapports, une vingtaine de titans seraient dans le sas et autour de la porte, on n'a pas de compte exact sur plus de deux kilomètres de distance mais on peut s'attendre à en avoir d'autres qui pourraient rappliquer.
— En bref, nous devrons éloigner une vingtaine de titans de la porte et les liquider pour permettre à Eren de se transformer pour refermer la brèche. Précise Livaï.
— Et une fois réussi, nous pourrons retirer ce gros rocher et commencer des travaux de restauration. Termine Hanji.
— Pour les trois prochains jours on vous a préparé un entraînement spécial. Vous devrez former deux groupes. Le premier s'occupera d'attirer les titans hors de l'intérieur des deux portes et le second éliminera les cibles gênantes ou récalcitrantes. Il nous faut deux personnes volontaires pour jouer l'appât.
Quelqu'un s'avance immédiatement d'un pas, regardant droit devant lui avec un air déterminé : un brun aux yeux bleus avec un pansement au niveau de l'arcade sourcilière gauche.
Eren regarde Thomas d'un air surpris, Mikasa soupire mais a un petit sourire : après ce qu'elle a vu au domaine des Reiss, ce n'est pas étonnant.
— Un autre fêlé ? Demande Livaï.
Sasha s'avance. Tout le monde sourit.
— Bien, pour ce premier entraînement nous avons formé trois groupes de trois titans, mettez vous par quatre. Ordonne le Caporal-Chef.
Le premier groupe est composé de Jean, Sasha, Armin et Thomas. Le second compte Mikasa, Moblit, Julia et Conny.
Comme lors de leur semaine dans la forêt, l'objectif est le même : essayer de mettre hors d'état de nuire un groupe de titans le plus rapidement possible. Mais cette fois il n'est pas question de parler tactique, il est simplement question de réflexes, de technique et de prise de décision rapide.
L'entraînement durera deux heures et les difficultés se sont rapidement posées, un peu moins dans le groupe de Mikasa. Thomas aura heurté deux fois le bois d'un titan.
— Bon, on reprend dans l'après-midi avec le même exercice. Allez manger quelque chose.
— A vos ordres !
Sasha part forcément en tête, suivie par Conny et Jean. Moblit, Julia et Armin sont derrière eux, discutant des récentes découvertes sur les titans.
Viennent ensuite Mikasa et Eren. La jeune femme s'inquiète pour son frère adoptif. Thomas qui est à deux mètres derrière eux, entend leur conversation.
— Eren, tu devrais aller te reposer.
— Je te dis que ça va Mikasa...
— Les entraînements avec Hanji te prennent beaucoup d'énergie et tu dois être en forme pour boucher le mur.
Eren soupire profondément, même si ces derniers temps il est plus distant et calme que la normale, son naturel n'est pas si loin. Même Thomas peut sentir qu'il a envie d'envoyer balader sa sœur adoptive.
— Tu as raison, je vais faire une sieste cet après-midi, Hanji n'y verra pas d'inconvénient. Cède-t-il.
— Elle devrait baisser l'intensité des entraînements, hier tu as saigné du nez. Râle la brune.
Eren acquiesce seulement pour ne pas la contredire, espérant que ça suffise pour qu'elle lâche l'affaire.
— J'y vais alors, je mangerai tout à l'heure.
— Eren ! Appelle Mikasa mais son frère - comme toujours - ne l'écoute pas et n'en fait qu'à sa tête.
Elle soupire et le regarde s'éloigner. Thomas s'arrête à sa hauteur et fixe lui aussi le jeune Jäger.
— Décidément tu aimes les mecs qui jouent avec leur santé. Plaisante Thomas.
La jeune femme se tourne vers lui et lui met un coup sur l'épaule qu'il sent passer.
— Ça ne me fais pas rire. Bougonne-t-elle avant de soupirer. Ça m'inquiète.
— Dans trois jours, quand Trost sera sécurisé, on pourra tous prendre un peu de repos. On en a bien besoin après ces deux dernières semaines à cavaler partout. Rassure Thomas qui se frotte encore l'endroit où elle l'a frappé.
La fin de sa phrase meurt dans un silence qui dure un long instant avant que Mikasa ne se tourne vers lui avec une expression grave.
— Pourquoi tu as demandé une permission exceptionnelle ? Change-t-elle brusquement de sujet.
— Ah... La mine du jeune homme s'assombrit.
Elle fronce en continuant de le fixer.
— Thomas, je t'ai trouvé en pleurs avec une lettre dans les mains. Qu'est-ce que...
Il l'interrompt avec un long soupir.
— Mon père. Avoue-t-il finalement.
Elle ne répond pas mais l'interroge du regard, demandant silencieusement à ce qu'il développe.
Nouveau soupire de la part du soldat Ralle qui comprend qu'il ne pourra s'échapper cette fois.
— Il est décédé et m'a laissé une lettre dans laquelle il m'apprend qu'il n'est pas mon père biologique. Le manque d'émotion du jeune homme en annonçant ça ne correspond pas vraiment à la gravité de la situation, il a l'air d'être indifférent à cette révélation.
Mikasa ne saurait pas feindre la surprise et puisqu'il est décidé à parler c'est aussi le moment de savoir s'il cherche son vrai père. Pour éviter qu'il voit son visage elle se tourne d'un quart.
— Tu as une idée de qui est ton vrai père ? Interroge-t-elle.
— Oui... Je l'ai rencontré hier, il est venu aux obsèques.
La jeune femme ne peut pas cacher son étonnement.
— Il s'appelle Erik Müller. Ajoute Thomas.
Cette nouvelle inquiète mademoiselle Ackerman puisque ça confirme ce qu'elle a entendu dans le bureau d'Erwin Smith. Elle ne sait pas quoi en penser.
— Mais je n'ai pas très envie d'en parler pour l'instant, désolé. Dit-il en souriant pour montrer qu'il aimerait plutôt qu'ils discutent d'un sujet plus léger.
Mikasa acquiesce.
— Il faut que je passe par le dortoir avant d'aller manger, je vous rejoins. Dit-il ensuite.
La jeune femme regarde dans la direction vers laquelle Eren est parti puis dans celle où leurs camarades se sont dépêchés.
— Je t'accompagne. Annonce-t-elle.
Thomas hausse un sourcil, surpris.
— J'ai un petit service à te demander... Explique-t-elle.
Thomas ouvre la porte de la chambre qu'il partage seulement avec Moblit pour l'instant. Mikasa jette un rapide coup d’œil : c'est nettement plus propre et rangé que dans la sienne mais ni Sasha ni elle n'aiment faire le ménage, elles se font violence quand il y a une rumeur d'inspection, c'est tout.
Elle pose sa veste sur le bureau. Thomas s'avance jusqu'à un petit meuble et ouvre sa porte pour se saisir d'une petite boîte ronde.
Mikasa regarde alternativement sa propre chemise et le jeune homme, gênée maintenant qu'elle se rend compte de ce que sa demande implique. Thomas remarque son hésitation lorsqu'il se tourne vers elle et devine qu'elle est pudique et mal à l'aise. Il dévisse le couvercle et une odeur de plantes s'en dégage.
— Tu ne...? Demande Thomas en mimant sur lui-même le déboutonnage.
— Oh, euh... Si. Confirme précipitamment la jeune femme qui se tourne pour le faire.
Le brun aux yeux bleus patiente tranquillement sans rien ajouter.
Mikasa retire bouton après bouton et quand elle peut enfin écarter les deux pans du vêtement, elle ne se sent pas à l'aise et ses joues se colorent légèrement. Elle est pourtant loin d'être nue, même à moitié, et est habituée avec les gens qu'elle connait depuis plus de trois ans mais devant lui c'est différent. Elle se rappelle leur premier baiser quand les mains de Thomas se sont infiltrées sous son vêtement et la caresse était vraiment agréable... Mais il n'y avait que ses mains, pas ses yeux, et elle se rend compte que si sa demande a été formulée dans l'idée de joindre l'utile à l'agréable, elle a sans doute surestimé son assurance dans ce genre de moment.
Finalement elle laisse tomber cette chemise le long de ses bras et se retourne, n'osant pas croiser son regard, les bras le long de son corps, les poings nerveusement serrés. Il découvre qu'elle porte cette brassière de couleur neutre sous ce haut qu'il est très pratique et confortable de porter pour les femmes avec l'uniforme et surtout l'équipement tridimensionnel. Le regard de Thomas tombe tout de suite sur son ventre — il préfère éviter de s'attarder sur les rondeurs de sa poitrine — et vu la couleur de ses côtes il n'ose pas imaginer à quoi ça ressemblait juste après l'expédition : sa peau est jaunie d'hématomes sur presque toute la surface de ses deux flancs. Il en avait déjà eu un aperçu mais là c'est vraiment impressionnant, tout comme ses abdominaux très développés à la vue desquels il pâlit quelque peu.
Thomas se ressaisit et, avec l'index de sa main droite, prend une noisette de produit pharmaceutique et la dépose sur la peau du flanc gauche de Mikasa. Elle frissonne et grimace un peu parce que c'est froid. Le soldat Ralle se penche de côté et étale la pommade puis masse délicatement pour faire pénétrer.
Les secondes passent et, si les mouvements circulaires et appuyés de sa main sur sa peau ne donnent pas lieu à autant de frissons et de désir que ce qu'il lui a fait expérimenter lors de leur premier moment privilégié, elle ne peut se sortir ce souvenir de la tête. Elle se retrouve même à espérer secrètement que ça recommence.
L'adolescente ferme les yeux pendant un instant et fait tout son possible pour vider son esprit curieux qui devient doucement mais sûrement dépendant du bien-être que procure une caresse.
Une nouvelle poignée de secondes s'écoule et elle se mord la lèvre en fixant le visage à l'expression concentrée de son compagnon. Ce n'est pas la preuve de son échec à répudier toute tentation, au contraire. Une question la taraude et elle hésite à la poser.
— Thomas... L'appelle-t-elle finalement, après avoir chassé son encombrante timidité lorsqu'elle est en sa présence.
— Mh ? Répond-il sans détourner le regard de l'endroit qu'il masse minutieusement.
— Je... Euuuuuh... Mikasa hésite encore une fois. Qu'est-ce qu'on est..?
Il arrête le mouvement de ses doigts et lève les yeux pour croiser son regard dans le même temps.
— C'est à dire ?
Mikasa se sent idiote en constatant qu'il n'a pas saisit et que cela l'oblige à être plus précise.
— Tous les deux... Dit-elle à voix plus basse en regardant ailleurs puisqu'il l'observe à présent.
— Oh...
Il réfléchit parce qu'il ne s'est pas posé la question, tout est limpide comme de l'eau de roche dans son esprit. Pourtant statuer sur leur relation semble être important pour mademoiselle Ackerman. Thomas cherche ses mots en se demandant ce qu'elle attend de leur aventure qui n'en est qu'à ses prémices. Du moins il l'espère.
Mikasa revient à lui et le regarde réfléchir : ça la rend nerveuse. Pourquoi a-t-il besoin de se poser la question ? Il cherche ses mots pour ne pas la blesser ?
— Idiote... S'insulte la jeune femme en pensée, une énième fois depuis qu'elle le côtoie.
Thomas se redresse quelque peu et la regarde droit dans les yeux.
— Je veux être là pour toi, te soutenir et de donner de l'affection quand tu en as besoin.
Cette réponse fait plaisir à la jeune femme mais ne la contente pas, incomplète et pouvant être entendue comme la définition d'une amitié. Elle prend alors une expression enfantine — qui attendrit et amuse son interlocuteur — pour aller au bout de son questionnement avec une demande bien plus précise dont la réponse ne pourra pas être sujette à interprétation.
— On est... Un couple ? Demande-t-elle naïvement.
Thomas ne peut s'empêcher d'avoir un sourire tendre — mais se retient de glousser — en comprenant toute la contradiction de la personne qu'elle est. Mikasa est une jeune femme forte, indépendante et sûre d'elle qui protège les autres et revêt souvent une expression neutre voire froide qui ne laisse pas transparaître la moindre émotion. Loyale et passionnée elle est prête à tout pour sauver ceux qu'elle considère comme sa famille. Au combat elle est rapide, précise, impitoyable et n'hésite jamais. Mais derrière sa force impressionnante, cette personnalité farouche et difficile à approcher — presque antipathique, se cache l'âme d'une enfant. Mikasa est naïve et inexpérimentée sur le plan sentimental, maladroite dans l'affection et les contacts physiques. C'est ce qui la rend si attachante aux yeux du soldat Ralle qui ne peut que l'aimer davantage.
— C'est ce que tu veux ? Demande Thomas.
Mikasa serre les poings et les dents, sentant une pointe de colère fleurir dans son cœur parce qu'il ne sait que répondre avec d'autres questions. Pourquoi est-ce qu'il fait ça ? A-t-il envie de la rendre dingue au point qu'elle ait une énième pulsion violente envers lui ?
Mais elle garde son calme pour faire face à la tournure embêtante de cette conversation. Non pas parce qu'elle ne sait pas ce qu'elle veut mais parce qu'il est très rare que sa volonté ait une véritable importance. Toute sa vie elle a suivi le choix des autres en les soutenant, en se battant pour leurs ambitions ou leurs idées, devant les défendre contre les conséquences. Là, à la façon dont il a posé sa question, elle comprend que c'est sa volonté qui déterminera les choses, c'est elle qui doit décider de leur avenir. C'est une responsabilité qui la fait chavirer et la jeune femme se retrouve à baragouiner quelques syllabes incompréhensibles puis se tait.
Thomas lui vient en aide puisqu'il sent qu'il l'a perdue avec cette simple question : il lève sa main gauche qui n'est pas enduite de pommade vers son visage et repousse quelques mèches qui encombrent celui-ci.
— Mikasa... L'appelle-t-il d'une voix pleine de douceur dans le même temps.
Elle frémit à l'entente de son prénom, comme à chaque fois qu'il le prononce de la sorte.
— Uh ? S'étonne-t-elle, les pommettes rosées, ayant l'expression d'une gosse prise la main dans le sac, puisqu'elle se rend compte qu'elle s'était perdue en pensées.
Le jeune homme ne peut pas s'empêcher de glousser. Face à cette réaction Mikasa baisse sensiblement la tête et repense à leur moment privilégié l'avant-veille puis celui après l'escarmouche contre les brigades spéciales. En faisant le bilan elle se rend compte qu'ils n'arrivent que lorsque la situation est dramatique et triste. Alors elle se remémore des souvenirs avec ses parents, des moments de joie pendant une époque où elle n'avait pas à se poser tant de questions ni se préoccuper de sa survie ou encore s'inquiéter pour ses amis à chaque fois qu'ils mettent leur vie en danger.
Voilà ce qui lui permet de mettre la main sur ce à quoi elle aspire et donc choisir ses mots. Mikasa relève la tête pour regarder Thomas dans les yeux et se saisit de cette main qui commençait à plonger dans ses cheveux pour l'entourer des siennes.
— ...Oui, c'est ce que je veux. J'aimerai continuer à partager tes peines... Mais j'aimerai aussi qu'on partage des moments de joie. Est la réponse qu'elle formule avec un sourire maladroit aux lèvres et une nervosité palpable.
Elle est fébrile parce qu'il pourrait refuser, il pourrait se foutre d'elle et de ses désirs puérils, de sa vision si naïve de l'amour et du couple. Après tout, le seul exemple qu'elle a en mémoire est celui de ses parents et il représente à ses yeux un idéal.
Pourtant, son interlocuteur n'a aucune réaction sinon les commissures de ses lèvres qui s'étirent.
Les mots de la jeune femme le touchent, il est aux anges. Dans un monde aussi cruel, dans ce corps d'armée où leur espérance de vie est si faible, dans cette vie où il n'a connu que rejet, dénigrement et perte, Thomas se sent aimé et important aux yeux de quelqu'un pour la première fois depuis trois ans.
Certes il a ses amis de la 128e mais il a toujours été persuadé que Lise et Judith ressentaient plus de pitié que d'amitié à son égard, concernant Josh c'est plus difficile à déterminer.
Alors, lui qui était haï par son père, qui a souffert d'une mère absente mise au silence par les rancœurs de son mari, n'a jamais eu que sa sœur pour se sentir exister aux yeux de quelqu'un. Petra a été la seule à prendre soin de lui, à le protéger. C'est sûrement pour cela qu'il est attiré par Mikasa et par quelque chose en lui de plus fort encore que ses sentiments naissants. Elle représente tellement à ses yeux : ce dont il a toujours manqué, ce qu'il veut retrouver... Mais aussi ces points communs qui leurs permettent de se comprendre et, apparemment, d'avoir les même désirs ainsi que la même vision d'un futur commun.
— C'est ce que je veux aussi. Répond le jeune homme avec aplomb et confiance.
Mikasa lève vers lui un regard brillant et a un sourire sincère qui illumine son visage, parfaite illustration de son côté enfantin.
Elle semble véritablement heureuse, le jeune homme a l'impression qu'elle vient d'entendre la plus belle chose qu'on ne lui ait jamais dite. L'instant suivant elle enlace brusquement Thomas par le cou, submergée par l'émotion. Il l'entoure de ses bras à son tour mais évite de la toucher de sa main droite pour ne pas de lui mettre de la pommade partout.
Ils restent dans cette position pendant un moment, peut-être une minute entière. Thomas écarte suffisamment sa tête pour déposer un baiser sur l'oreille de la jeune Ackerman qui en frémit toute entière.
— Il faut que je termine... Murmure-t-il sans s'être éloigné de cette oreille et ça la fait frissonner d'autant plus.
Elle acquiesce de façon précipitée et répétée puis relâche l'étreinte avant de faire un pas en arrière. Le soldat retourne alors à sa tâche médicale et reprend un peu de pommade pour l'étaler sur ses côtes. Il en vient ensuite à l'autre côté.
C'est un moment agréable pour la jeune femme qui avait oublié comme c'est plaisant quand quelqu'un prend soin de soi. Un sourire indélébile embellit son visage, heureuse de ce moment et du fait qu'ils partagent la même envie quant à l'évolution de leur relation.
Lorsque Thomas termine et essuie ses mains sur une serviette, Mikasa le regarde faire en se disant qu'elle est prête à formuler ce besoin auprès du jeune homme dans le futur, tant elle aime qu'il s'occupe d'elle.
— Et toi..? Demande la jeune femme en attrapant sa chemise d'uniforme qui déterminée à lui rendre la pareille.
— De ? Questionne-t-il bêtement en retour.
Elle désigne d'un signe de tête les côtes du jeune homme.
— Ah...
Mikasa comprend à la tête qu'il fait qu'il n'en prend pas autant soin qu'il le devrait.
— Ce n'est pas... Commence-t-elle.
— Prudent ? Coupe le jeune homme. De la part de celle qui coupe du bois et fait des abdos avec des côtes pétées... Fait-t-il remarquer avec un sourire taquin.
Elle lui met une tape sur l'épaule pour l'en punir, en souriant toutefois parce qu'il n'a pas tort sur ce point.
— Aoutch... Exagère-t-il. Bon allons manger, je verrai tout à l'heure pour te demander le même service. Marchande-t-il.
Elle acquiesce parce qu'elle commence à le connaître et sait qu'il est difficile de le faire changer d'avis lorsqu'il a décidé de quelque chose. Néanmoins c'est déjà une petite victoire et elle arbore un fin sourire satisfait.
Il se dirige vers la porte, pose sa main sur la poignée et attend qu'elle soit habillée pour l'ouvrir en la regardant faire. Mikasa en est au troisième bouton quand elle se rend compte qu'il l'observe et que ses yeux sont posés sur ses formes. Gênée elle se tourne dos à lui.
[ Le soir même - Chambre de Mikasa et Sasha ]
Mikasa entre dans la chambre après avoir prit une douche. Elle porte juste un haut simple et large de couleur blanche qui tombe sur ses épaules et un short gris. Sasha est déjà dans son lit et par terre des miettes laissent penser qu'elle vient de grignoter quelque chose, un gâteau sec certainement.
La brune tire la couverture et se glisse sous les draps.
La journée fut éprouvante avec cet entraînement intensif mais ce qui occupe surtout ses pensées ce sont les mots de Thomas, lorsqu'il mettait de la pommade sur ses côtes encore un peu fragiles.
Elle se sent un peu coincée, un peu honteuse aussi. Son inexpérience est due au fait qu'elle ne s'intéressait pas du tout à ça avant et était de toute façon trop concentrée sur son entraînement et la protection de Eren. Dans son cœur qui a encore du mal à faire la part des choses quand il est question de sentiments, elle a l'impression que les deux relations ont beaucoup de similitudes alors qu'elles ne se vivent pas du tout de la même façon.
En quoi sont-elles vraiment différentes ?
L'autre chose qui la préoccupe c'est de savoir quelle peut-être la prochaine étape dans sa relation avec Thomas. Il n'a pas clairement répondu à sa question sur le couple mais c'est flou pour elle aussi. Est-ce qu'ils ont vraiment besoin de statuer pour le vivre ? La seule chose qu'elle désire c'est partager de nouveau des moments de joie avec quelqu'un qui lui donne l'impression d'exister, qui ne la voit pas seulement comme celle qu'elle montre en surface ni comme une machine à tuer.
Ayant besoin de conseils, Mikasa se tourne vers sa camarade.
— Sasha ?
— Ouais ? Répond mademoiselle Braus.
— Tu t'y connais un peu en garçons toi nan...? Demande timidement Mikasa, pas certaine de faire le bon choix.
Sasha se tourne vers elle, surprise par cette question, elle a l'air d'halluciner.
— Pourquoi tu me demandes ça ?
La curiosité de Sasha est piquée au vif, jamais elle n'aurait crû que Mikasa aborderait un jour ce sujet.
— Pour savoir...
Madame patate hausse un sourcil et un sourire malicieux apparaît sur ses lèvres.
— Un mec t'a tapé dans l’œil c'est ça ?
Mikasa se pince les lèvres, elle se sent bête d'avoir évoqué le sujet mais ne peut plus reculer.
— Euh... Oui. Répond-elle.
Sasha se met à rire bruyamment.
— Tu t'es trouvé un mec ? Naaaaaaan hahahahahaha !
La brune fronce parce qu'elle regrette d'en avoir parlé avec cette débile qui ne pense qu'à bouffer.
Le soldat Braus parvient à se calmer et essuie les coins de ses yeux.
— Pardon Mikasa mais je ne m'y attendais vraiment pas. J'pensais pas qu'un jour tu parlerais de ça enfin... Que tu parlerais d'un autre mec que Eren.
Mademoiselle Ackerman soupire, dépitée.
— Qu'est-ce que tu veux savoir ? Demande Sasha qui a repris un semblant de sérieux.
Mikasa hésite à en dire plus mais il est déjà trop tard.
— Je... Je ne sais pas quelles sont les étapes du couple. Avoue-t-elle naïvement.
— Jusque là ?! S'étonne-t-elle.
Mikasa acquiesce doucement.
— Je ne sais pas trop, faut pas te prendre la tête avec ça. On est des soldats, peut-être que dans quelques jours on s'ra tous dans le bide d'un titan. Il vaut mieux laisser faire les choses et profiter. Indique la jeune femme qui retire l'attache dans ses cheveux qui maintenait sa queue de cheval avant de s'allonger.
— D'accord. Répond la brune qui se tourne pour être sur le dos et regarde le plafond, pensive. Elle peut entendre Sasha recommencer à ricaner.
Pour la punir Mikasa attrape une chaussette par terre et la lance en direction de sa compagne de chambrée qui la reçoit en plein dans la bouche pendant qu'elle rigolait.
— Eurk ! Elle tousse et s'essuie la bouche comme une forcenée. T'es dégueu !
— Bien fait. Répond Mikasa.
Sasha jette le vêtement par terre en s'essuyant encore la bouche.
La brune prend une position confortable pour dormir et plonge dans ses pensées.
— On verra, alors. Se dit-elle.