Le destin des Ackerman - Tome 1
Chapitre 17 : Chapitre 16 - Obsessions
7038 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 10/04/2020 14:38
Thomas entend des personnes parler à voix basse mais ne comprend pas ce qu'elles disent. Il dormait profondément et c'est encore difficile pour lui d'ouvrir les yeux. Le soldat gémit en gigotant un peu et les sons commencent à devenir plus audibles.
— ...une sale gueule. Dit une voix masculine.
Il sent une main qui se pose sur sa joue. Il ouvre les yeux et reconnaît Lise Niso : son petit nez, ses mèches de cheveux roux qui tombent sur son joli visage et le chatouillent.
— Thomas... Appelle-t-elle d'une voix douce.
— Mmmmmh... Gémit-il encore en se frottant les yeux.
— T'es vraiment dans un sale état... Prononce une autre voix féminine qu'il connaît bien, celle de Judith.
— J'pense qu'il a voulu m'imiter, c'est vrai que ce n'est pas donné à tout le monde d'avoir une allure de héros. Plaisante Josh.
Judith met une tape sur la tête de son ami, Lise ne lui donne même pas d'attention.
— Comment tu te sens ? Demande la rousse qui caresse lentement la touffe brune de son ami.
Thomas soupire profondément et sa vision devient claire. Il porte sa main gauche à son front qu'il masse lentement.
— Ça va... Répond-il sur un ton détaché avant de se rendre compte que le jour est déjà levé. Merde... Dit-t-il en se redressant. Il faut que j'aille sur le mur pour botter le cul de ce...
— Hé, du calme monsieur le soldat d'élite. Tempère Judith qui aide Lise à le garder dans ce lit de l'infirmerie.
— Comment tu t'es fait tout ça, t'as été mâché puis recraché par un titan ? Interroge Josh qui a tiré la couverture pour mesurer l'étendue des dégâts et ça ne se limite pas à son torse.
— Longue histoire... Mais il n'y a pas eu de titans dans l'affaire. Répond monsieur Ralle qui sent que nombre de parties de son corps sont douloureuses et il en grimace.
Ils échangent tous un regard.
— Dis... Commence Lise pour changer de sujet. On aimerait te parler de quelque chose...
Ce que constate Josh c'est qu'en l'espace de plusieurs jours quelque chose a l'air d'avoir changé chez son ami. Son regard semble plus dur, plus froid, ses traits plus marqués. En plus de ça, même s'il s'est laissé toucher par Lise, il ne lui rend aucune affection, comme s'il ne l'avait pas senti.
— Je vous écoute.
— Quand ils nous ont emmenés dans les sous-sol, après l'arrestation de masse du bataillon, un haut gradé des brigades faisait le tour des cellules et cherchait des nouvelles recrues et...
— Et il te ressemble beaucoup. Coupe Judith.
A la surprise des trois amis de Thomas, celui-ci ne semble pas étonné par cette révélation, il reste tout à fait calme avec une expression neutre.
— Tu le savais ? S'étonne la rousse.
— Non, mais ça ne veut rien dire. Les prisons en sous-sol c'est pas ce qu'il y a de plus éclairé. Conclut sèchement Thomas.
— Même si on te donne un nom ? Poursuit Judith.
— A quoi ça va m'avancer ? Demande Thomas qui fronce légèrement.
— Écoute on... On était inquiètes pour toi et pour les raisons qui t'ont amenées à t'engager. Admets que c'est bizarre... Tu n'as jamais brillé mais t'as passé tous les examens puis les épreuves d'admission de justesse, comme si quelqu'un t'avait ajouté quelques points dans ton dossiers pour te le permettre. Et puis quelques jours après être entré dans le bataillon t'es transféré dans une escouade d'élite...
Thomas prend extrêmement mal ce qu'elle insinue et ça se lit sur son visage. Qu'elles aient raison ou non, elles pensent qu'il n'est là que parce qu'il se fait pistonner, qu'il est entré dans l'élite parce que quelqu'un a graissé la patte du Major. Il pensait que ces personnes étaient ses amis, qu'ils étaient là pour l'encourager et le comprendre mais ce qu'ils disent sonne comme les phrases de son père.
Josh voit très bien à l'expression sombre que prend le visage de son ami que les mots de Judith l'énervent, le déçoivent.
— Laissez-moi me lever, je dois m'équiper et aller sur le mur. Dit-il en retirant brusquement son bras de la faible poigne de Lise.
Celle-ci observe pendant une seconde son ancien amant d'un air choqué puis se lève. Sans ajouter un mot elle tourne les talons et sort de la salle en ravalant ses larmes.
— Bravo Thomas. Gronde Judith qui va rejoindre Lise.
Josh soupire.
— Elles m'en ont parlé tout à l'heure et je leur ai dit que...
— Ça n'a pas d'importance. Coupe sèchement Thomas qui ne veut pas entendre un mot de plus sur cette histoire. Il se dresse ensuite sur ses jambes et attrape son uniforme.
Josh ne bouge pas. Thomas soupire en se rendant compte de la façon dont il vient de lui parler.
— Pardon... S'excuse le jeune homme.
— Il n'y a pas de mal mon pote, je vois bien que tu en as bavé. Dit Josh qui aimerait bien poser sa main sur l'épaule de son ami mais il est dans l'impossibilité de le faire.
— Je dois terminer ça.
— Ça marche. Josh acquiesce lentement aux mots de son ami et commence à tourner les talons mais un détail lui revient en tête. Il revient à Thomas. Mais... Dis-moi, il y a une fille ?
— Comment ça ?
— Tu as craqué pour quelqu'un dans l'élite ?
— Pourquoi tu me demandes ça, tu vas encore me dire que j'ai un devoir d'homme à accomplir entouré de tous ces canons ?
— Non-non je déconne pas là, je te demande juste pour savoir parce que ça crève les yeux et je ne dois pas être le seul à l'avoir senti. Affirme Josh.
— Uh ?
— Putain t'es lent à la détente quand il s'agit des femmes... Il soupire de nouveau. Tu n'as même pas réagi à la caresse de Lise.
— Oh...
— Mais je ne t'embête pas plus, on causera tout à l'heure. Termine Josh qui prend son temps pour faire demi-tour et sort à son rythme de la salle, il est attendu dehors par Judith qui l'aide à se déplacer.
C'est vrai qu'en y réfléchissant, la caresse que lui a donné Lise ne lui a fait ni chaud ni froid. Même chose lorsque Julia s'est jetée dans ses bras, la veille.
Même si leurs rapports ont parfois dévié au-delà de l'amitié, Thomas savait qu'il n'y aurait jamais rien de plus entre eux sinon de profiter de temps à autres de moments privilégiés pour s'amuser ou se remonter le moral. Pourtant, ça ne l'avait jamais empêcher de ne pas apprécier caresses ou attentions auparavant, qu'est-ce qui a changé ?
Thomas chasse tout cela de son esprit, il doit se concentrer sur sa mission du jour afin de clore l'incident du domaine des Reiss. Il se prépare rapidement puis s'équipe pour rejoindre son escouade sur le mur où ils devront stopper le père d'Historia.
Le jeune homme arrive au sommet du mur grâce à son équipement tridimensionnel - tout juste à l'heure - et peut admirer toute l'artillerie déployée là. Il ne compte pas les canons mais ils sont par dizaines c'est sûr.
Au loin l'énormissime forme titanesque de Rhodes Reiss arrive, lentement mais sûrement, et devrait bientôt être à portée des canons.
— Bien dormi ? Demande Hanji à son subalterne lorsqu'il arrive, en voyant à sa tête qu'il a dû se lever du mauvais pied.
Il hoche simplement la tête puis voit le Major, il effectue un salut militaire.
— Nous sommes maintenant au complet, voyons voir si l'artillerie suffira. Lance Erwin.
Une première salve est tirée mais n'a pas l'air d'arrêter l'avancée du gigantesque déviant.
Trente secondes plus tard tous les canons crachent une nouvelle fois du feu et du métal.
Les deux escouades observent ça en étant impressionnées, il est rare de voir une telle concentration de puissance.
— Voyons voir le résultat. Dit Erwin pendant que la fumée se dissipe.
Aucun mouvement pendant un moment mais la main du titan va se montrer de nouveau : le bombardement a été inefficace.
L'artillerie au sol va participer elle aussi mais ce sera encore plus inoffensif pour le démon qui s'approche sans faiblir.
— Une armée disparate, de l'artillerie ramassée ici et là, le tout improvisé... De plus nous sommes au Nord, les troupes n'ont pas l'expérience du front comme au Sud. Commente Erwin. Mais c'est tout ce que nous avions à disposition.
— Oui, j'en suis bien conscient. De toute façon cette opération est encore un pari insensé, comme tous les plans que tu combines. Dit Livaï.
— Erwin, j'ai le matériel ! S'écrie Hanji qui fait signe aux soldats de la garnison qui amènent une arme pour le moins originale : deux tonneaux de poudre montés sur charrette et pourvus d'un équipement tridimensionnel. Elle montre aussi un grand filet avec une bonne vingtaine d'autres tonneaux de poudre à attacher ensemble. Que donne l'artillerie ?
— Ça n'a même pas l'air de le chatouiller. Soupire le Caporal-Chef.
— Livaï, Jean, Sasha, Conny et Julia postez-vous de l'autre côté.
— A vos ordres !
Le groupe se dirige en courant vers la position qu'ils doivent occuper. Les autres vont devoir empiler les tonneaux et les attacher ensemble.
— Arrangez tout ça comme si... Comme si vous empaquetiez un cadeau plein d'amour ! Dit Hanji.
Historia et Eren enroulent les cordes tandis que Mikasa, Moblit et Thomas empilent les explosifs, Armin les attache.
Thomas ne fait pas attention à la conversation de Eren et Armin, concentré sur sa tâche, pensif. Il n'arrive pas à s'enlever de la tête les mots de Judith qui le soupçonne de... D'être un enfant gâté qui a la chance de se faire pistonner malgré son incompétence ?
C'est vrai qu'il a lui-même été surpris de passer tous les tests et contrairement aux apparences et ce que croient ses camarades de cette époque, ces trois ans ont été un calvaire pour lui, plus qu'il ne veut bien l'admettre.
A chaque fois qu'il ratait un exercice ou ne comprenait pas quelque chose il avait l'impression d'entendre son père lui hurler ses mots d'encouragement habituels qu'il a entendu depuis toujours et ça ne rime pas avec "bravo mon fils" ou "je suis fier de toi". Il baissait les bras devant la moindre épreuve, le moindre obstacle et a plusieurs fois pensé à abandonner. Très rapidement il s'est rendu compte que la vie de militaire n'est pas vraiment faite pour un faible et un raté comme lui.
Mais il a tenu bon, pour une raison qu'il ne s'explique pas il a tenu bon malgré les échecs et les envies de tout laisser tomber. Qu'est-ce qui a pu lui donner la force de continuer à regarder devant lui ?
Pourtant, depuis qu'il a été recruté dans l'escouade Hanji il se sent renaître, grâce à l'entente avec Nifa et Keiji ainsi que la confiance qu'ils avaient placée en lui sans compter le fait que sa capitaine semble vraiment satisfaite de ses services. Ce dont il est sûr c'est qu'en dix jours il s'est découvert lui-même, il s'est prouvé qu'il a quand même quelques qualités et forces, il a compris que s'il était si faible c'était à cause du manque de confiance en lui. L'adversité lui a montré qu'il n'est pas si fragile.
Ces conclusions lui sont apparues la veille, juste après la bataille contre la première division centrale. Thomas n'a pas vu de pitié ni de dégoût dans le regard de ses camarades, il s'est senti faire partie d'un tout, il s'est senti être un tant soit peu nécessaire et utile : l'un des doigts d'un poing serré qui représente leur force conjointe. Au fond même s'il n'arrive pas à s'intégrer, à sympathiser avec les membres de l'escouade tactique, les remerciements d'Eren montrent qu'il est possible que quelqu'un éprouve du respect pour lui.
Soudainement il entend quelqu'un prendre un coup, ce qui le sort de ses pensées. Il regarde en direction du bruit et Eren est en train de se frapper lui-même. Mikasa et Armin se précipitent pour le retenir.
— Eren !
— Mais enfin qu'est-ce qui te prend ? Si tu voulais te blesser c'est trop tôt ! Panique Armin.
— Non, ce n'est pas ça... Commence Eren en baissant la tête, du sang coule de son nez. Je collais juste une bonne raclée à un sale petit morveux dont j'aimerai me débarrasser pour de bon. Déclare Eren.
Thomas écarquille les yeux en fixant son camarade. Il est abasourdi que de tels mots puissent sortir de la bouche d'une personne comme lui, d'un jeune homme qui n'a d'apparence rien à envier à personne.
Mais le soldat Ralle baisse la tête à son tour et soupire, attristé qu'Eren puisse penser ça de lui parce que c'est exactement le genre de choses que Thomas se dit régulièrement lui-même et c'est étrange comme, de l'entendre de la bouche d'un autre, ça semble incroyable et insensé... Surtout de celle d'Eren.
Il se comparait à lui la nuit dernière mais à aucun moment il n'a pris en compte dans son calcul la pression qui est mise sur ses épaules. Ils ont le même âge, s'il avait autant de responsabilités sur les épaules que lui, il aurait sûrement perdu les pédales depuis longtemps.
Finalement, si même le meilleur espoir de l'humanité peut douter de lui, ça montre au soldat Ralle que ceux qui ont un grand pouvoir et de grandes responsabilités font aussi des erreurs, peuvent aussi douter d'eux-même et avoir envie de baisser les bras : ils sont tous humains et personne n'est infaillible.
Thomas se surprend même à avoir envie d'aller lui parler, il aimerait le rassurer, lui prouver qu'il est loin d'être un sale petit morveux comme il le dit. Quand Thomas regarde chaque membre de cette escouade tactique il voit en chacun une force morale et des qualités indéniables. Eren - outre son pouvoir de titan - a une détermination et une combativité sans limites, Armin est très intelligent a un sens tactique et analytique impressionnant, Mikasa est la meilleure guerrière de sa génération et vit pour protéger farouchement ceux à qui elle tient avec une loyauté sans faille, Sasha est une chasseuse avec des sens très affûtés, Conny a un esprit collectif en plus d'être quelqu'un de fiable et enfin Jean est un meneur lucide et adroit au combat.
Thomas soupire et regarde les paumes de ses mains.
— Qu'est-ce que j'ai, moi..? Se demande-t-il.
Une nouvelle salve détonne : monsieur Reiss approche et sera bientôt sur eux.
Sans prévenir, prenant tout le monde de court, toute la vapeur brûlante du titan va tout à coup balayer le sommet du mur et ébouillanter toutes les personnes présentes.
— Putain ça brûle ! S'écrie un soldat de la garnison.
— Le vent a changé de cap ! S'écrie Erwin.
Les membres de la garnison donnent une dernière fois du canon puis Erwin leur conseille d'aller se réfugier quelque part, le bataillon va prendre le relais.
Des tonneaux d'eau sont amenés avec des seaux pour que les deux escouades d'élite puissent s'en asperger afin de se rafraîchir.
Les deux énormes mains du titan déviant se lèvent et vont s'appuyer sur le mur afin de se hisser sur ses jambes frêles.
Lorsqu'il se dresse enfin, tout le monde découvre avec dégoût son visage tranché à ras de la base de son nez. Même constat pour son ventre où sont visibles toutes ses entrailles. Une partie de ses boyaux se détache d'ailleurs et tombe lourdement sur le mur, écrasant plusieurs soldats de la garnison.
Son cri rauque et perçant résonne et tout le monde se bouche les oreilles.
— Eren, c'est à toi ! Dit Armin.
— Je suis prêt. Répond le jeune Jäger.
Une vive lumière jaune irradie les alentours et des éclairs frappent le jeune homme pour laisser place à ce titan de quinze mètres qui hurle de toute sa rage une fois la transformation achevée.
Armin se tient prêt à déclencher l'appareil du tonneau de poudre pour exploser l'une des mains du titan, l'autre partie du groupe s'occupe bien sûr de la seconde.
Erwin Smith tire un fumigène rouge : l'opération est lancée. Armin actionne le mécanisme, les deux grappins se plantent dans cette énorme paluche et le tonneau fond ensuite à toute vitesse vers son objectif, explosant à son contact grâce à la chaleur ambiante et à la vapeur que dégage le corps du monstre.
Les détonations déséquilibrent le démon qui commence à chuter. Sa tête heurte finalement le sommet du mur et Eren - sous sa forme titanesque - court avec le filet plein d'explosifs qu'ils ont préparé avec pour mission de le faire avaler à ce Rhodes Reiss.
Historia, Mikasa et Thomas se tiennent prêt à intervenir avec leur lames sorties.
Le titan allié arrive devant la gueule de sa cible et y jette sa précieuse cargaison avant de se reculer. Quand la détonation se fait entendre, elle est étouffée mais tout le corps du déviant se déforme et se gonfle avant de partir en lambeaux projetés dans le ciel comme des boulets de canon.
— En avant, allez lui porter le coup final ! Ordonne le Major en hurlant.
Les deux escouades décollent et se déplacent dans les airs grâce à ces énormes morceaux de chair puis vont les trancher un à un jusqu'à détruire celui dans lequel se trouve Rhodes Reiss.
Thomas découpe un morceau, puis deux mais ils ce ne sont que des morceaux sans intérêt.
Soudain tout le monde voit Historia filer rapidement et leur passer devant : a-t-elle repéré quelque chose qu'ils n'ont pas vu ?
Elle se dirige vers un morceau qui semble légèrement différent des autres, plus massif et épais à première vue. Elle y plante son grappin et d'un coup net le tranche en deux : bonne pioche.
Les membres des deux escouades reviennent à terre, Hanji et Erwin les attendent.
— Nous avons évité le pire et nous n'avons plus d'ennemis à l'intérieur de nos murs désormais. Déclare le Major avant de se tourner vers ses troupes. Vous avez montré votre dévouement ces derniers jours et vous avez toute mon estime pour votre loyauté.
Tous saluent leur supérieur en mettant leur poing sur le cœur avec une détermination sans faille dans la lueur de leurs regards.
— Je vous donne votre journée pour récupérer des épreuves récentes, demain sera un nouveau jour dans notre lutte pour la liberté.
Tous hochent la tête puis rompent le rang.
Thomas se réveille en milieu d'après-midi dans ce dortoir de quatre lits superposés mis à disposition par la garnison. Il ouvre lentement les yeux et roule pour se mettre sur son flanc en soupirant. Cette sieste fut vraiment revigorante. Après ces presque deux semaines de fous furieux à courir partout et se battre presque sans arrêt, c'est un repos bien mérité.
Il s'assoit et remarque que Julia dort dans les lits superposables de l'autre côté de la pièce. Le jeune homme l'observe un moment.
Ses cheveux détachés dont plusieurs mèches encombrent son visage angélique et paisible, son petit nez enfoncé dans l'oreiller et ses lèvres entrouvertes qui accentuent le bruit de sa respiration régulière mais profonde.
Il ne peut pas s'empêcher de sourire en imaginant la tête qu'elle ferait s'il lui dit qu'elle bave en dormant, même si c'est faux.
Le soldat Ralle descend avec précaution de la structure en bois et parvient à ne pas la faire craquer trop bruyamment. Il attrape une chemise d'uniforme qu'il pose sur le bureau surmonté d'un petit miroir. Thomas y observe son torse en retirant ses bandages bons à changer : avec les manœuvres tridimensionnelles ce matin, certaines plaies ont été mises à mal et ont un peu saigné.
Le soldat ouvre une petite boîte métallique et en sort un rouleau de tissu médical qu'il déroule sur plusieurs dizaines de centimètres.
— Qu'est-ce que tu fais..? Demande une voix endormie, derrière lui.
Il se tourne et découvre Julia qui est sur le ventre, dressée sur ses coudes, se frottant l'œil droit en observant Thomas de son autre œil mi-clos, essayant de comprendre ce qu'il essaye de faire.
— Oh euh... Pardon, je ne voulais pas te réveiller. S'excuse le jeune homme.
— Ce n'est rien. Dit-elle avec un petit sourire illuminé par le rayon du soleil qui perce la fenêtre et dessine autour d'elle un halo qui la sublime. Tu y arriveras tout seul ? Demande-t-elle en remarquant le bandage dans l'une de ses mains.
— Je... Commence Thomas mais il se tait quand la jeune femme baille en mettant sa main devant sa bouche puis passe rapidement ses doigts dans ses cheveux pour leur donner un semblant d'ordre.
Elle s'assoit ensuite dans son lit puis pose ses pieds sur le premier barreau de la petite échelle pour enfin descendre.
— Je peux m'en occuper si tu veux.
— C'est gentil mais tu n'avais pas besoin de te lever, tu as aussi besoin de te...
— Mh-mh. Proteste-t-elle dans un premier temps. C'est le moins que je puisse faire, je n'ai pas pu vous apporter la moindre aide ces derniers jours.
Difficile de contre-argumenter même s'il est désolé qu'elle se soit sentie inutile mais comme il lui avait dit il y a quelques jours : sa place n'est peut-être pas en première ligne.
Elle tend la main et Thomas y dépose le rouleau de bandage qu'il a commencé à dérouler.
— Assieds-toi. Dit Julia qui désigne le tabouret sous le bureau que le jeune homme tire pour y poser ses fesses, prenant soin à ensuite se tourner pour être dos au miroir.
Elle tire doucement le coude de Thomas pour lui intimer l'ordre de lever son bras, ce qu'il finit par faire. La blonde effleure la peau de son flanc et découvre ces nombreuses entailles ayant des profondeurs différentes. Normalement tous les éclats ont été retirés par le chirurgien qui était de garde la nuit dernière mais l'état de son flanc est impressionnant.
Son regard furetant, elle remarque que ses blessures ne se limitent pas à ça et toutes ne tiennent par leur origine de l'escarmouche de la veille. Ses jambes ont la peau à vif à certains endroits, il y a un bandage à son avant-bras droit qu'il n'a pas retiré mais qui est imbibé de sang et le haut de son corps - torse et dos de la même façon - sont dans le même état que ses jambes en plus d'un hématome au niveau de ses côtes, à gauche.
Elle écarquille les yeux devant un tel chantier, elle ne pensait pas que ces derniers jours furent aussi rudes. Thomas remarque son regard qui s'attarde sur l'étendue des dégâts.
— Comment...? Demande-t-elle à voix basse, comme si elle avait pensé trop fort.
— Une chute en manœuvre tridimensionnelle, à Trost. J'avais trois types des brigades au cul, ils m'ont rattrapé et foncé dedans. Explique rapidement Thomas qui ne veut pas plus aller dans les détails.
Elle acquiesce silencieusement dans un premier temps puis pose à peine le bout de son index sur les côtes du jeune homme, là où sa chair est marquée de multiples coupures.
— Et ça..?
— Ah... Un tir, hier. Le cristal d'un pilier a volé en éclat.
Julia grimace en imaginant la sensation que ça doit être mais se reprend rapidement.
— Tu devrais faire plus attention... Dit-elle en prenant une petite bassine médicale dans laquelle elle verse un fond d'eau depuis sa gourde. Elle s'empare ensuite des ciseaux de chirurgie puis d'une compresse qu'elle humidifie pour commencer par nettoyer le sang séché.
— Oui, Keiji me l'a beaucoup rabâché... Et je ne suis pas très doué pour écouter les conseils.
La jeune femme soupire. D'apparence elle est calme mais en elle c'est une lutte perpétuelle pour ne pas céder à la moindre tentation ni laisser la chaleur envahir ses joues.
— J'ai eu du mal à me faire au fait que... Qu'ils... Essaye-t-elle pour changer de sujet mais elle se mord finalement la lève inférieure et se fige, sentant une tension étrange monter en elle. La jeune femme secoue la tête, ses joues s'empourprent. Nifa était si gentille avec moi. Continue-t-elle en baissant la tête.
— Mh. Répond seulement Thomas se remémore l'un de ses sourires, qui avait cet étrange pouvoir de lui donner confiance en lui, avec un pincement au cœur.
Pendant une minute le silence retombe et Julia se reconcentre sur sa tâche.
— Dis, où est-ce que tu étais ces derniers jours ? Demande finalement le jeune homme.
Julia serre les dents et heureusement pour elle le jeune homme ne regarde pas en sa direction. Son visage se crispe mais elle est résignée à faire ce qu'elle doit faire.
— Je suis restée avec le Major, il me l'a demandé en sachant que les brigades allaient passer à l'action, il ne voulait pas que je prenne le risque de rester avec vous. Avoue-t-elle.
Thomas fronce, pourquoi le Major prendrait particulièrement soin d'elle ? Mais son étonnement n'est que de courte durée puisqu'il se souvient avoir été surpris qu'elle dise ne jamais avoir croisé de titan malgré sa place dans une escouade d'élite.
— Comment ça ? Demande-t-il, voulant en savoir plus.
La blonde a un moment d'hésitation.
— Mon nom d'emprunt dans le bataillon est... Smith.
Le jeune homme est surpris mais ça explique beaucoup de choses.
— Si tu te le demandes, je suis la cousine du Major Erwin. Les Smith sont une branche répudiée d'une famille noble et aristocrate de la capitale dont je faisais partie.
Là encore, ça explique beaucoup de choses, à commencer par ses manières et sa façon d'être.
— Ma mère est morte en me mettant au monde alors mon père a été surprotecteur avec moi. J'étais prisonnière du domaine familial, je n'avais pas le droit de sortir ni de jouer avec les enfants des familles distinguées qui venaient nous rendre visite de temps en temps. J'ai passé ma vie dans une bibliothèque à lire des livres.
— Alors... Comment tu t'es retrouvée dans le bataillon ?
— Depuis quelques années mon père soutenait le bataillon d'exploration avec son argent et plus récemment il était parmi les derniers soutiens dans la noblesse du centre, c'est sûrement pour cela qu'il a été assassiné. Il avait sûrement vu venir le coup alors il m'a confiée au Major. Mon véritable nom est... Amelia Weiss.
Thomas baisse la tête.
— Tu n'aurais peut-être pas dû me le dire...
La jeune femme se mord la lèvre inférieure, se sentant tout à coup nerveuse, apeurée par cette réponse.
— Pourquoi ça..? Demande-t-elle en arrêtant les mouvements de ses mains.
— C'est sûrement un secret bien gardé pour te protéger. Si tu me le révèles c'est que tu as une confiance aveugle en moi, je ne sais pas si...
— Tu comptes le répéter ou tu doutes encore de toi..? Coupe-t-elle, passablement énervée par cette habitude maladive qu'il a de se dévaloriser.
— Non, je... Je ne veux juste pas voir un autre membre de cette escouade mourir. Je suppose que des gens dans le centre aimeraient bien te mettre la main dessus. Répond-il en éludant la seconde partie de la question.
Elle soupire puis acquiesce.
— Merci de ta confiance...
— Tu fais partie d'une escouade d'élite et tu as combattu la division centrale, tu as prouvé que tu es quelqu'un sur qui on peut compter. Répond Julia qui essaye maladroitement de lui faire comprendre qu'il peut être fier de ce qu'il a accompli jusqu'ici.
— Je comprends mieux pourquoi tu étais discrète les premiers jours, ça n'a pas dû être simple pour toi d'être tout à coup hors de chez toi, entourée de plein de monde, de changer régulièrement d'endroit... Dit Thomas qui change de sujet.
— Oui, j'ai eu du mal mais ça m'a fait beaucoup de bien. Je n'aurai pas supporté de passer une vie entière dans un manoir à voir le monde seulement à travers les carreaux d'une fenêtre. Maintenant je peux le contempler de mes propre yeux et je te l'assure, c'est beaucoup mieux que de l'imaginer. Affirme-t-elle.
— Tu m'étonnes... Répond Thomas, pensif.
— Et toi, pourquoi devenir soldat ? Demande Julia en retour pour faire la conversation.
Elle reprend sa tâche de bander ses blessures, passer ses mains tout autour de lui, effleurer sa peau et sentir sa chaleur, poser ses yeux sur cette partie de son anatomie qu'elle apprécie tant... Son visage reprend des couleurs et son souffle devient plus lourd, comme saisie d'un fièvre soudaine.
— J'en sais trop rien. Pour me prouver à moi-même et aux autres que je ne suis pas une lavette ni un pleurnichard, que je peux devenir fort, je suppose...
Elle essaye de l'écouter tant bien que mal mais la tension qu'elle ressent et ce désir naissant mettent à mal son contrôle, elle décroche un moment de ce qu'il raconte.
— ...est handicapé et a du mal à se déplacer. C'est peut-être pour ça qu'il passait son temps à me dire que je suis incapable et un faible, j'en sais rien... Mais je n'avais pas envie d'être cette personne qu'il décrivait. Alors je me suis engagé. Mais mes rêves de grandeur se sont vite dissipés.
— Pourtant tu... Tu es là... Aujourd'hui. Dit-elle difficilement.
Pour éviter d'être découverte elle se place dans son dos et commence à le masser. Comme l'autre matin, elle pose ses mains à la base de sa nuque et effectue une pression à l'aide de ses pouces en traçant des cercles.
— Oui mais... Mfh... Soupire Thomas. Je vais avoir du mal à parler si tu me fais ça... Plaisante-t-il.
— Non continue, ça devrait t'aider. Ment-elle.
— Et donc... Pendant la formation j'avais beaucoup de mal, je ratais beaucoup d'exercices et manœuvres et ça me décourageais à chaque fois, comme si c'était la norme de tout réussir au premier essai, tsss... Je m'attendais à me découvrir un don pour la tridimensionnalité ou le combat, raté.
Julia continue et couvre maintenant ses épaules puisqu'elle est surprise par le manque de réaction de son épiderme contrairement à la fois précédente, elle s'ose même à laisser plonger ses mains sur le torse du jeune homme jusqu'à ses clavicules dont elle trace les lignes du bout des doigts. Lorsqu'elle arrive au bout de cet os, un profond soupir se fait entendre et ses mains se crispent sur sa peau.
— Julia ? Appelle Thomas qui se demande ce qu'il se passe.
Il se tourne pour la regarder. A peine lui fait-il face qu'il sent ses lèvres être soudainement et furieusement saisies par celles de sa camarade. Thomas garde les yeux grands ouverts, choqué par ce qu'il vient de se passer, alors que mademoiselle Weiss met fin à cet échange aussi bref qu'intense et pose son front contre celui-ci du jeune homme, les yeux toujours fermés, son souffle chaud et court caressant le visage et le cou du soldat Ralle.
Apeuré et incapable de réfléchir, n'ayant même pas le moindre réflexe défensif, il sent que les mains de Julia quittent ses épaules.
Là, le temps se fige l'espace d'une seconde, peut-être moins, et le jeune homme a un éclair de lucidité qui traverse son esprit. Il comprend enfin pourquoi il n'a jamais considéré sa relation avec sa camarade de la sorte, il sait pourquoi il n'a pas senti ni même remarqué la faible caresse de Lise le matin même, il prend conscience de la réalité implacable qui se cache derrière tous ces indices qui étaient pourtant sous ses yeux et qu'il a préféré occulter.
Les doigts de Julia descendent rapidement le long de ses flancs dans une caresse maladroite et empressée, guidée par un désir jusqu'alors contenu. C'est cette envie non contenu et l'égarement de sa raison qui l'empêche de faire attention aux blessures de Thomas et elle appuie un peu trop fort sur une côté fragile dont la chair et la peau qui la recouvrent sont à sang.
Il sursaute et gémit de douleur et cela suffit à tirer Julia de cette transe dans laquelle elle avait plongé indubitablement jusqu'à oublier tout ce qui l'entoure. Elle fait un bond en arrière, entre surprise et honte, et pose ses deux mains tremblantes sur sa bouche avec une expression apeurée en fixant ce flanc aussi ravagé qu'une plaine sur laquelle des obus se sont abattus pendant des heures. La jeune femme de bonne naissance se rend alors compte de ce qu'il vient de se passer, qu'elle vient de céder à une pulsion incontrôlable.
— Pardon ! S'empresse-t-elle de dire, paniquée.
Elle ne sait pourtant pas vraiment de quoi elle s'excuse vraiment : de l'avoir embrassé ou de lui avoir fait mal ?
— ...C'est rien, je pensais que c'était juste fêlé mais c'est peut-être cassé. Dit-il avec un sourire maladroit pour essayer d'amenuiser le malaise.
Julia fait un nouveau pas en arrière, toute gênée et tremblante comme une feuille, avant de secouer brièvement la tête pour se ressaisir.
— Je dois aller voir Hanji, il vaudrait mieux que j'aille prendre une douche, on se voit tout à l'heure. Affirme-t-elle avant de sortir en toute hâte.
Thomas reste fixé sur cette porte qui vient d'être claquée pendant un moment puis se tourne vers le miroir. Il se regarde droit dans les yeux puis grimace de dégoût face à son propre reflet. Ses yeux dévient sur ses cicatrices au sens si particulier pendant une fraction de seconde puis il se lève. Il attrape ensuite une chemise propre qu'il enfile rapidement en gémissant à cause de ses blessures puis sort du dortoir direction l'infirmerie.
[ Bureau d'Erwin Smith ]
Trois coups secs contre la porte résonnent dans la pièce.
— Entrez !
Julia ouvre la porte et entre dans le bureau de son cousin avec sa tenue et sa propreté habituelle. Une fois à l'intérieur elle effectue un salut militaire et remarque dans le même temps qu'il y a quelqu'un d'autre dans le bureau : une rousse dont les cheveux tombent sur son épaule gauche, les mains croisées.
— Ah, ça tombe bien nous étions justement en train de parler de l'objet de votre mission.
La rousse se tourne vers la personne qui est entrée.
— Le soldat Niso m'a parlé de sa conversation avec Thomas Ralle ce matin. Du nouveau de votre côté ?
— L'information a été donnée, il sait maintenant que mon véritable nom est Alena Voss. Répond-elle, mal à l'aise.
Aux mots de la blonde, Lise tourne la tête vers Julia et ouvre de grands yeux.
— Bien. Nous saurons rapidement s'il est la personne que l'on pense ou non.
— Je ne pense pas que ce soit lui... Déclare Julia.
— Il y a beaucoup de témoignages qui vont dans le sens des soupçons. Le Caporal-Chef Livaï m'a écrit pour me dire que pendant une mission de ravitaillement en ville le soldat Ralle s'est écarté du groupe pendant un moment puis est revenu avec un sac de provisions de qualité en prétextant avoir des informations sur le prochain mouvement des brigades. Quand il est revenu au campement deux soldats avaient suivi ses traces.
Julia serre les dents.
— J'ai aussi le rapport du soldat Niso ici présent qui raconte que, pendant les trois ans au bataillon d'entraînement, Thomas était bien en dessous du niveau d'exigence mais réussissait de justesse tous ses tests d'aptitude. Elle a aussi croisé un officier des brigades spéciales, le Capitaine Erik Müller, avec qui il pourrait avoir un lien de parenté directe.
Lise n'a pas l'air de broncher ni même d'avoir la moindre réaction quand le Major liste les éléments qui mènent à soupçonner le soldat Ralle.
— Tout nous porte donc à croire que la mission de Thomas Ralle était d'infiltrer nos rangs pour faire des rapports à son parent qui est un haut gradé des brigades spéciales. Il aurait donc participé à sa manière à l'opération de démantèlement du bataillon. La mort de sa grande sœur, Petra Ralle, serait un mobile suffisant pour justifier ses actions. Il nous hait à cause de cette perte et veut nous le faire payer. Explique le Major.
Julia s'avance et se plante devant son cousin en fronçant.
— Je suis certaine que ce n'est pas lui, cette histoire est tirée par les cheveux ! Se rebelle-t-elle.
Erwin la jauge un instant avant de lui répondre.
— Julia, tes sentiments personnels ne doivent pas interférer.
Lise se lève et effectue un salut militaire.
— Si vous me le permettez Major.
— Oui, allez-y Lise.
La rousse sort de la pièce et les deux cousins continuent de débattre, la voix montant progressivement.
Après quelques instants, ils se taisent dans le même temps, estimant que Lise Niso s'est assez éloignée pour remarquer le changement de ton. Erwin fixe la porte avec son regard perçant et froid.
— Bien joué Julia, tu as accepté de prendre de gros risques et je t'en remercie, mais on en aura bientôt le cœur net. Dit-il.
Julia acquiesce lentement.
[ Domaine Reiss, près de la chapelle ]
Livaï marche parmi les décombres de la grotte et tout autour de lui les cadavres ensanglantés des membres de la première division centrale des brigades spéciales gisent sous des blocs de pierre. Il soupire.
Un soldat des bataillons arrive vers lui en courant.
— Caporal Livaï ! S'écrie-t-il, essoufflé.
— Quoi ? On dirait que tu vas faire dans ton froc.
— On a trouvé Kenny Ackerman ! Répond le soldat.
L'expression du visage de Livaï se mue en un étonnement et il suit le soldat sans plus attendre.
Il trouve Kenny l'Égorgeur contre un arbre, semblant s'être assoupi. Une fois à sa hauteur il l'appelle.
— Kenny ?
Son visage est à moitié brûlé au troisième degré et la blessure qu'il lui a infligé la veille saigne encore, il n'en a plus que pour quelques minutes.
— Entre les brûlures et l'hémorragie, t'es cuit, tu t'en sortiras pas.
L'homme agonisant sourit.
— Vraiment ? N'en sois pas si sûr... Dit-il en parlant lentement puis sort une boîte métallique de sa poche et l'ouvre : elle contient une seringue et un flacon. J'ai fauché ce petit gadget dans la sacoche de Rhodes. Visiblement ces injections servent à se transformer en titan. En titan simplet sans conscience mais, au moins, ça devrait me permettre de rester en vie.
Un long silence de plusieurs secondes s'en suit et Kenny devient immobile après avoir fermé les yeux.
— T'aurais pu t'injecter ce truc plus tôt quand tu en avais encore la force. Pourquoi avoir attendu ? Demande Livaï.
— Va savoir... Si je me piquais pas comme il faut... J'avais peur que ça foire et je voulais pas finir comme l'autre.
— T'es pas du genre à attendre sagement la mort. Remarque le Caporal-Chef. T'as pas une meilleure excuse à me sortir ?
— T'as raison... Je ne veux pas crever et je voulais ce pouvoir à tout prix. Il fait une pause d'une seconde. Mais... Ça y est, je crois que je vois enfin pourquoi il a agit comme ça.
— Hein ?
Kenny se marre avec le peu de force qu'il lui reste.
— Tous ceux que j'ai croisé dans ma vie avaient ça en commun en fait... Que ce soit la boisson, les femmes, la religion, la famille, la couronne, un rêve, des enfants, la puissance... On a tous besoin d'une obsession pour tenir et continuer à avancer. On est tous l'esclave de quelque chose et il ne faisait pas exception.
Après ces mots il crache du sang avec un bruit sinistre. Livaï le regarde sans bouger avant que celui qui l'a élevé ne reprenne.
— Et toi, c'est quoi... la soif d'héroïsme ?
Le caporal se baisse et attrape Kenny par les épaules.
— Kenny, dis-moi tout ce que tu sais. Pourquoi le premier roi s'opposait-il à la survie de l'humanité ?
— Aucune idée. Répond-il, les yeux vitreux. Mais je sais que notre famille a tourné le dos à la couronne pour cette raison... Il crache de nouveau du sang et Livaï en reçoit sur le visage.
— Je suis donc un Ackerman aussi apparemment... Explique-moi, qui es-tu par rapport à ma mère ? Demande Livaï pour qui cette question brûle les lèvres depuis de nombreuses années.
Il se marre.
— Quelle question... J'étais juste son frangin.
L'officier du bataillon reste bouche-bée alors que son oncle tousse et crache du sang, encore une fois.
— Ce jour-là, pourquoi m'as-tu brusquement abandonné ?
Kenny prend un instant pour réfléchir puis lève les yeux vers son neveu.
— J'ai jamais eu... La fibre paternelle. C'est pas... Un truc pour moi.
Sur ces mots il se saisit de la boîte qui contient l'injection et la colle contre la poitrine de Livaï.
— Livaï... Il y a... Un autre... Ack... Ack... erman...
Kenny l'Égorgeur expire son dernier souffle sur ces mots et laisse le héros du bataillon d'exploration sans voix et avec une piste bien maigre. Lorsqu'il constate que son oncle qui a été aussi une sorte de père adoptif vient de mourir il est saisit par l'émotion.
— Kenny...