Le destin des Ackerman - Tome 1
Le ciel est gris et chargé de nuages menaçants, il pleut depuis le milieu de la nuit déjà et le bruit de cette pluie battante qui tape contre les carreaux en a gêné plus d'un, surtout quand de violents éclairs ont détonné au loin.
Le temps est si mauvais que de la brume s'est installée.
C'est là, au milieu d'arbres multicentenaires, que marche tranquillement Thomas en évitant les flaques d'eau et la boue.
Après un moment il tombe sur un arbre majestueux : un chêne vert au tronc énorme qui impressionne et dénote par rapport à ses voisins. Il décide d'aller s'assoir contre l'écorce, calé dans un creux formé naturellement entre deux grosses racines, pour s'abriter.
Il y pense maintenant qu'il est confortablement installé mais la suite de la journée fut éprouvante, la veille. La troupe est arrivée peu après midi et jusque tard dans la soirée ils furent occupés à nettoyer les piaules, réaménager les pièces de vie puis couper du bois pour le feu de cheminée. Ce fut aussi et surtout l'occasion de rencontrer les membres de sa nouvelle escouade.
— Bienvenue dans l'escouade ! Moi c'est Nifa, se présenta avec enthousiasme la seule femme parmi les anciens membres du groupe mené par la capitaine.
Elle est plus petite que lui, a les cheveux roux et mi-longs, les yeux verts pâle.
— Et je vous présente Keiji, Abel et Moblit.
Keiji fit un petit signe de la main avec un grand sourire quand Nifa le présenta. De très grands taille, les épaules carrées, la peau mate et des cheveux presque rasés. Abel, plus petit et aux cheveux blonds sourit en hochant la tête en guise de réponse.
— Bienvenue, ajouta Moblit quand vint son tour, avec un sourire poli.
Sur ce, Hanji fit irruption dans le séjour du chalet et vint s'affaler sur une chaise encore poussiéreuse. Elle mit ses pieds sur la table avant de les croiser, en soupirant. Elle retira ensuite ses lunettes.
— Bien, les présentations sont faites, c'est génial... elle prononça la dernière syllabe longuement parce qu'elle s'étirait en même temps. Nous allons rester quelques jours ici en comité réduit pour faire quelques expériences avec Eren, puisque Armin a une idée pour reboucher le mur Maria. Votre boulot sera surtout d'établir un périmètre de sécurité et vous assurer que personne ne vient nous déranger. C'est bon pour vous mes chouchous ?
Thomas et Julia - l'autre nouveau membre de cette escouade - répondirent tout de suite d'un « Oui chef ! » des plus solennels alors que les autres se contentent d'acquiescer. Les quatre anciens membres de cette escouade ricanent doucement en les voyant faire. C'est amusant parce qu'ils vont vite apprendre à connaître Hanji.
La capitaine se relève puis se dirige vers ses deux jeunes protégés. Chacune de ses mains vint pincer la joue d'un nouveau.
— Vous êtes vraiment chous, j'suis bien contente de vous avoir mis la main dessus. Demain vous pourrez voir comme c'est passionnant d'étudier les titans, yahouuuu ! s'exclama l'officier qui sautait de joie.
Thomas et Julia n'osèrent pas trop bouger, ni se regarder et se retinrent de sourire face à cette personnalité excentrique et intrusive mais attachante.
Le soldat Ralle sourit en y repensant alors qu'il change de position contre ce tronc d'arbre. Ses nouveaux camarades vont sûrement le chambrer quand il rentrera trempé jusqu'aux os, c'est vraiment étrange de sortir sous un tel déluge mais l'odeur de la pluie, du sous-bois humide et de l'herbe trempée sont particulièrement au goût du jeune homme et ça lui rappelle de bons souvenirs avec Petra, notamment un.
Petra tenait sa petite main alors qu'ils courraient sous une pluie torrentielle. Des flaques d'eau boueuses s'étaient déjà formées sur le sentier qui traverse la forêt où ils se rendaient tous les dimanches. Ils étaient partis une heure plus tôt à la recherche de fleurs pour leur mère, cette activité était à l'initiative de Petra qui faisait d'une pierre deux coups : avoir un moment privilégié avec son petit frère pour qui elle avait énormément d'affection et illuminer la journée de sa mère en lui offrant un beau bouquet au parfum enivrant.
Les deux enfants s'abritèrent sous un arbre dont le feuillage était plus épais que les autres. Petra tira sur sa manche et s'affaira à essuyer avec précaution le visage mouillé du petit homme qui avait un petit sourire vissé sur les lèvres.
Elle voulait absolument l'empêcher de sauter à pieds joints dans une grande flaque d'eau sous peine de se faire gronder, et il y avait de quoi. Elle avait tout de même un sourire amusé.
Malheureusement pour elle, Thomas savait très bien mettre à mal son autorité. Il se hissa sur la pointe de ses petits pieds chaussés de mocassins en cuir brun et déposa un petit bisou sur sa joue puis, quand il revint à sa position initiale, fit un sourire ô combien attendrissant et insolent. Petra ne savait pas comment résister face à ça et elle finit par soupirer.
Alors la jeune femme se leva brusquement, donna une tape sur l'épaule de son petit frère puis partit en courant. Thomas eut une expression étonnée pendant un instant puis se mit à courser sa grande sœur dont les cheveux blonds avaient pris une teinte plus foncée ainsi gorgés d'eau. Dans leur course ils ne faisaient plus attention aux flaques sur leur chemin et éclaboussaient abondamment les alentours. Une dizaine de mètres plus loin le poursuivant parvint à toucher sa cible. En se retournant Petra essaya d'attraper le garçon mais il était trop vif et trop agile.
Il entend encore son rire.
Thomas change une nouvelle fois de position contre son arbre et il a un petit sourire aux lèvres.
— Il a l'air d'être aussi dérangé que vous cheffe, remarque Nifa, regardant en direction de l'orée de la forêt, à travers un carreau du séjour et sur lequel nombre de gouttes ruissellent en désordre.
Hanji sourit.
— Le Major m'a soufflé son nom quand je lui ai demandé quelqu'un qui a des tripes. Apparemment, lors de la poursuite de Reiner et Bertolt il n'a pas hésité à retourner dans la mêlée, Erwin l'a vu se précipiter vers Mikasa pour l'aider à se relever avant de lui donner son cheval, explique Hanji.
Nifa se retourne, toise sa supérieure pendant une seconde puis revient à ces rangées d'arbres déformées à travers l'eau qui court sur le verre.
— M'enfin qu'est-ce que tu veux... Livaï a son suicidaire, il me fallait le mien, ajoute-t-elle en se marrant, et je compte sur vous pour l'encadrer.
Nifa observe de nouveau la capitaine parler et finit par acquiescer lentement, le regard revenant une nouvelle fois sur le chemin qu'a emprunté le jeune homme, prête à répondre aux attentes de sa supérieure.
— Il a l'air d'en vouloir, ce matin il est allé s'entraîner sous la pluie.
Hanji fait un clin d'œil à la jeune femme aux cheveux roux mais ne répondra pas. Elle se lève et va dans sa chambre avec de la paperasse sous le bras.
Une heure passe et Thomas se dit qu'il devrait rentrer. Au moment où il se relève, des bruits de petites branches et brindilles qui craquent se font entendre : quelqu'un approche. Une jeune femme qui doit mesurer à peu près un mètre soixante-dix, les cheveux mi-longs noirs et fins, un regard sombre et la peau claire apparaît soudainement à sa gauche, suivant le chemin à travers le bois pour rejoindre la clairière.
Il la regarde passer mais, se sentant épiée, elle tourne la tête vers sa droite. Quand elle voit qu'il y a quelqu'un assit contre le tronc d'un arbre à la regarder, puis reconnaît cette personne, elle sursaute à en faire tomber une partie du tas de bois qu'elle tient contre elle.
Une faible exclamation de surprise lui échappe.
Thomas se lève et va rapidement vers elle pour l'aider à tout ramasser, se sentant fautif.
— Pardon, je ne voulais pas te faire peur... s'excuse-t-il sans oser croiser son regard, intimidé par cette personne qui est maintenant une personnalité presque aussi célèbre que Erwin, Livaï ou Eren.
— C'est rien... répond-elle avec un ton sensiblement exaspéré, en le regardant pendant un instant, avant de commencer elle aussi à ramasser ce qui est tombé.
Après quelques secondes, Mikasa s'arrête en plein mouvement pour observer son interlocuteur qui est concentré sur sa tâche. Elle ouvre la bouche pour dire quelque chose, elle voudrait exprimer la reconnaissance qu'elle éprouve pour lui mais aucun son ne daigne sortir.
Thomas de son côté aimerait faire de même, le souvenir d'Utgard lui revient et il sait pertinemment que c'est le moment rêvé pour prononcer des mots qu'il prépare depuis plusieurs jours. Pourtant, il reste tête baissée et n'ose pas croiser son regard, intimidé par ce soldat déjà considéré comme le meilleur de sa génération qui compte déjà une bonne quinzaine de titans tués en solitaire dans son palmarès.
— Qu'est-ce que tu fais là ? interroge-t-elle après quelques instants de silence gênant et ce sont les seuls mots qu'elle parvient à prononcer, son regard étant revenu aux morceaux de bois étalés sur le sol boueux.
Pour le jeune homme son ton est un peu agressif mais il met ça sur le compte de la surprise. En réalité ce n'est que de la maladresse et de la nervosité.
— Hé ben euh... commence-t-il difficilement avant de se faire couper la parole.
— Tu es trempé, tu devrais rentrer pour mettre des vêtements secs.
Thomas fronce légèrement, piqué au vif par ce ton autoritaire, il n'accepte pas qu'elle se permette de lui parler de la sorte.
— Et toi tu devrais éviter de faire trop d'efforts avec ta blessure, renchérit-il puisqu'il ne compte pas se laisser marcher sur les pieds ni la laisser le traiter comme un môme.
Cette réponse heurte Mikasa qui ne s'attendait pas à ce qu'il réplique sur un ton colérique. Elle n'a pourtant pas l'impression de lui avoir parlé d'une mauvaise façon. Elle lève les yeux vers lui en fronçant et croise ces deux billes bleue à la teinte captivante et étrangement magnétique.
— C'est vrai quoi, vu comment ce titan t'a serrée entre ses doigts tu dois avoir quelques côtes cassées, il ne faut pas déconner avec ça e... continue le soldat Ralle qui se sent obligé d'ajouter quelque chose, par nervosité.
— Arrête, interrompt-elle sur un ton sec qui traduit sa colère.
Elle se redresse, tout de suite imitée par le jeune homme, puis s'approche de lui d'un pas avant de tendre quelque peu ses bras pour lui intimer l'ordre de déposer le bois qu'il vient de ramasser. Il lui rend donc ce qu'il a récupéré puis elle tourne les talons pour reprendre sa route, sans rien ajouter.
L'esprit de Thomas est en pleine ébullition. Non pas parce qu'il voit rouge mais parce qu'il se sent minable en cet instant, ridicule d'avoir réagi de cette façon pour trois fois rien. Tout ce qu'il voulait c'était la croiser pour la remercier de lui avoir sauvé la vie, lui dire qu'elle est pour lui un modèle et un idéal qu'il espère un jour atteindre. Il aimerait avoir sa force et son courage...
Quand elle a prononcé ce mot pour le mettre au silence tout son être a tremblé, chaque fibre de son corps a immédiatement obéit à cet ordre, comme si c'était plus fort que lui. Il la regarde s'éloigner peu à peu en soupirant, dépité.
Mikasa, de son côté, se maudit intérieurement. Qu'est-ce qui lui arrive ? Le souvenir de ce garçon qui s'introduit de nuit dans l'infirmerie lui revient. Elle le revoit s'assoir près de son ami qui a perdu deux membres, observer tristement un bijou puis regarder son lit l'espace d'un instant avant de repartir. Elle est reconnaissante envers lui, elle est reconnaissante qu'il ait consenti à se sacrifier pour lui permettre d'atteindre son objectif qui était de sauver Eren des griffes des traîtres, mais quelque chose la gêne et elle ne sait pas ce que c'est.
Elle aurait vraiment aimé lui exprimer cette gratitude mais là, tout de suite, elle ne ressent que de l'exaspération. Son visage, son comportement... Pourquoi est-ce qu'il fallait que ce soit lui à cet endroit là qui décide de l'aider ?
C'est comme si le fait de ressentir le besoin de remercier quelqu'un et d'être redevable étaient des choses désagréables après toutes ces années à être celle qui protège.
— Idiote, se dit-elle parce qu'elle commence à se laisser guider par ses émotions.
Émotions qui se réveillent d'ailleurs pour une raison obscure. Quand elle l'a vu s'avancer après avoir été appelé puis a entendu Hanji dire qu'ils allaient passer plusieurs jours ensemble elle s'était mis en tête de réussir à lui lâcher un « Merci » autrement qu'en pensée.
Pourtant, maintenant qu'elle en a l'occasion elle se rend compte que ce mot lui fait mal, il brûle sa langue. Cette sensation est étrange, une impression selon laquelle son corps refuse qu'elle envisage d'éprouver de la reconnaissance pour quelqu'un d'autre que Eren.
— Attends... entend-elle et ça coupe le fil de ses pensées.
Mikasa s'arrête mais ne se retourne pas. Elle lui laisse juste un instant pour s'exprimer.
— Pardon, je ne voulais pas te parler comme ça, désolé... En fait, j'aimerai te remercier, finit par avouer le jeune homme qui l'observe avec appréhension en se mordillant nerveusement la lèvre.
Le soldat Ackerman se fige et ses yeux s'ouvrent en une expression surprise. Pourquoi est-ce qu'il voudrait la remercier ? C'est elle qui doit le faire...
— Je... reprend Thomas mais il s'arrête quand elle se tourne, juste assez pour pouvoir l'observer.
Il reste la bouche entre-ouverte, dans l'expectative, ne sachant pas à quoi s'attendre alors que l'expression qu'elle affiche est indéchiffrable.
Lorsque leurs regards se croisent longuement après les efforts qu'ils ont déployé pour l'éviter, chacun ressent une sorte de tension étrange et complexe. Cet énervement, ces nerfs à fleur de peau... Ça ne leur ressemble pas, ni à l'un ni à l'autre. Ils veulent tous les deux la même chose mais ils n'arrivent pas à l'exprimer. Thomas était pourtant bien parti mais comme il le ressent, c'est trop tard, il lui est impossible d'approcher cette bête trop sauvage pour être approchée.
Mal à l'aise à cause de ce regard neutre et froid, ayant l'impression d'avoir déjà assez gaspillé le temps de la jeune femme et intimidé par cette expression qu'il n'arrive pas à comprendre, il baisse les yeux et soupire.
Mikasa le voit baisser les bras, se résigner à ne pas poursuivre cet échange.
— Merde... se dit-elle, comprenant que son talent pour les relations humaines vient de gâcher une occasion en or.
Ne sachant pas quoi faire, elle se retourne pour continuer sa route et ainsi échapper à cet échange pour le moins étrange.
Quand Thomas relève les yeux il a une impression de déjà vu : elle s'éloigne et il s'en veut d'avoir raté sa chance.
La porte du chalet où séjourne l'escouade tactique se ferme. Eren, Livaï, Armin, Sasha et Conny se tournent vers l'entrée et voient Mikasa en train de s'essuyer rapidement les pieds puis se diriger vers la cheminée.
— Dis, tu en as mis du temps pour aller chercher deux malheureuses branches, commente Livaï qui tient sa tasse de thé à hauteur de son menton.
La remarque irrite Mikasa, à cause de sa rencontre dans le bois elle est arrivée trop tard pour passer inaperçue. Mais elle se fait violence pour laisser couler et ne rien laisser transparaître.
— Désolée.
Armin se lève et s'approche pour l'aider quand elle arrive à hauteur de l'âtre.
— Attends Mikasa, n'en fais pas trop, laisse-moi t...
Elle met une tape dans cette main que le blondinet approchait pour l'assister. A ce bruit caractéristique le Caporal-Chef se tourne légèrement et les conversations s'arrêtent. Le coup donné par Mikasa n'était absolument pas violent, mais assez sonore pour alerter et surprendre ses compagnons.
La jeune femme reste une seconde immobile en fixant la main de son ami d'enfance, apeurée, puis sans un bruit se redresse pour marcher en direction du couloir en laissant le tas de bois en plan.
Eren et Armin échangent un regard emplit d'incompréhension. Elle qui est habituellement d'un calme imperturbable et que rien ni personne ne peut énerver, tous deux s'étonnent de constater à quel point sa blessure l'affecte. Du moins c'est la seule explication qui leur semble plausible.
— Bah, son humeur de chien c'est sûrement parce qu'elle a ses problèmes de fille, avance Conny.
— Ça ce n'est pas très classe Conny, reprend Livaï qui porte ensuite la tasse à ses lèvres pour prendre une lampée.
Mikasa entre dans la chambre qu'elle partage avec Sasha et Historia, heureusement elle la trouve vide. La jeune femme s'assoit sur le bord de son lit et regarde ses mains jointes sur ses jambes, tremblantes.
— Qu'est-ce qui m'a pris... se demande-t-elle.
Elle est un peu perdue. Maintenant qu'elle a un semblant de recul c'est d'autant plus confus. Il ne s'est rien passé de spécial, rien qui justifie un tel excès dans ses émotions et ses réactions. Ça n'a aucun sens.
Quelqu'un toque à la porte et l'ouvre déjà. Une tête blonde dépasse avec un petit sourire.
— Je peux ? demande Historia.
Mikasa acquiesce et son amie vient s'installer près d'elle.
— Je t'ai rarement vu t'emporter... Jamais en fait, à part quand il se passe quelque chose du côté d'Eren. C'est à cause de ta blessure que ça ne va pas, c'est ça ?
La jeune Ackerman ne répond pas alors Historia poursuit malgré l'impression d'essayer de communiquer avec un mur.
— Je peux comprendre que ce soit énervant que tout le monde te dise de te reposer, de ne pas forcer mais... C'est pour ton bien tu sais ? essaye la demoiselle au sang royal qui prend un ton doux et compatissant.
— Oui. Désolée, répond seulement Mikasa, sans conviction, toujours aussi bavarde.
Elle donne juste la réponse que devrait attendre Historia afin qu'elle la laisse tranquille.
— Armin ne s'en est pas offusqué, on sait tous que tu mets un point d'honneur à t'entraîner et rester en forme.
Mademoiselle Reiss prend une pause d'une seconde pour regarder son interlocutrice qui n'a pas l'air de beaucoup réagir.
— Mais... On est là pour plusieurs jours, sans aucune menace ni véritable risque alors si tu te reposes ce n'est pas grave, ok ?
— D'accord.
— Bon, je te laisse, termine Historia qui se lève et sort de la chambre.
Quand la porte se referme la jeune femme aux cheveux noirs se laisse tomber en arrière et regarde le plafond, une main posée à revers sur son front.
Nul besoin de se questionner pendant des heures sur la raison de sa soudaine perte de contrôle. En l'espace de trois jours elle a failli perdre Eren, Hannes a été tué, elle a été blessée et ne peut plus être aussi active qu'avant. De plus, il est de nouveau question d'utiliser son frère pour mener une mission encore plus dangereuse et périlleuse qu'auparavant.
Forcément, cette conversation avec ce Thomas Ralle a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase et c'est Armin qui l'a subi.
Elle soupire.
De l'autre côté de la clairière Thomas entre lui aussi dans les quartiers de son escouade, tous sont en train de jouer aux cartes sur la table et Hanji est bien évidemment de la partie.
— Haha, je t'ai plumé ! jubile la capitaine au moment où le soldat Ralle ferme la porte.
Julia est à sa droite, assise sur le rebord de la fenêtre, lisant un livre auquel il ne prête pas plus attention que ça.
— Viens t'assoir Thomas on a fait du thé ! propose Nifa en voyant le soldat Ralle arriver, un sourire accueillant aux lèvres.
Keiji et Moblit sourient au jeune homme pour l'encourager à se joindre à eux.
Il accepte avec plaisir et vient s'installer quand il est débarrassé de sa cape trempée. Lorsqu'il prend place, Moblit - qui est le second de Hanji - se tourne pour attraper une tasse et la pose devant son nouveau camarade, Nifa s'occupe de verser le liquide coloré et brûlant.
— Merci, remercie timidement Thomas.
Il n'aurait pas imaginé une ambiance aussi chaleureuse dans une escouade d'élite. C'est bête mais il les pensait tous un peu solitaires, isolés et peu bavards, ne vivant que pour découper des titans. Comme Mikasa, en fait.
— Alors, il paraît que tu viens de Karanes ? Demande le lieutenant qui ne regarde même plus le jeu, pareil pour Nifa.
— Oui, c'est ça. Et vous ? Questionne-t-il en retour pour faire la conversation.
— Il me semble que c'est pareil pour la petite rousse à ta gauche. Je viens de Krolva moi, l'opposé quoi.
— Ah oui, c'est là que j'avais inspecté le mur Rose... précise-t-il.
Quand il tourne la tête vers Nifa elle a les mâchoires serrées en regardant son lieutenant, sûrement qu'elle n'aime pas ce surnom de "petite rousse".
— Quand tu auras bu ton thé et que les autres auront fini de jouer, on ira s'entraîner, ajoute Moblit Berner.
Thomas lève les yeux vers Julia, toujours concentrée sur son bouquin, suivi par ses deux interlocuteurs.
Le lendemain matin, très tôt, tout le monde se lève et se prépare rapidement puis s'équipe en prévision des expériences de Hanji avec Eren.
Alors que Thomas sangle fermement le baudrier de son équipement tridimensionnel, il sent une main se poser sur son épaule. Il se tourne d'un quart et reconnaît Moblit.
— Alors, tu es prêt ?
— Mh, répond le jeune homme en acquiesçant.
— Je te préviens c'est plutôt impressionnant et effrayant la première fois mais tu t'y habitueras vite... Ou pas, lance-t-il avec un fin sourire, m'enfin bon, allons attendre les autres dehors.
Thomas acquiesce et suit le lieutenant de Hanji. Ce dernier profitera d'ailleurs des quelques minutes d'attente pour briefer le nouveau sur ce qu'il devra faire pendant l'exercice.
— ...Ça reste une science inexacte donc on préfère rester prudents au cas où il perdrait le contrôle.
— C'est déjà arrivé..?
— Au tout début oui, il y a plus d'un mois, mais je suppose que ce genre de pouvoir est difficile à contrôler, ça s'apprend. Comme nous quand on s'est accroché à ces deux filins sous une structure de métal pour la première fois.
— Oui je vois... répond songeusement Thomas.
— Donc pour cette fois, Julia et toi resterez à cheval à une vingtaine de mètres d'Eren, on s'occupe du périmètre, on a l'habitude. Nifa vous accompagnera aussi.
— Entendu.
Le reste de l'escouade sort du chalet et Hanji tend ses bras, s'étirant tout en bâillant.
— Quelle belle journée pour faire des expériences sur Eren ! Vous ne trouvez pas ?
— Si-si, capitaine... soupire Nifa qui, à l'instar des autres, a du mal à partager cet enthousiasme.
Tous prennent une monture et se dirigent tranquillement jusqu'à un terrain qui se trouve à cinq cent mètres de la clairière. Un autre endroit non boisé avec une falaise qui donne sur un terrain assez plat. Hanji, Moblit et Livaï seront en hauteur alors que les autres patrouilleront ou - dans le cas de Thomas - seront en bas à simplement attendre et observer.
En arrivant ils retrouvent l'autre escouade avec qui ils ont prit ces petites vacances en forêt. Tout le monde se salue d'un signe de tête à part Hanji qui en fait dix fois trop, comme toujours.
Quand tout est en place, tout le monde entend la voix du capitaine résonner depuis les hauteurs.
— C'est bon Eren, tu peux y aller !
Thomas regarde fixement son camarade, comme s'il pouvait comprendre dès le premier coup comment fonctionne un titan. Eren lève sa main vers sa bouche puis se mord violemment sous le pouce, jusqu'au sang. Un instant plus tard, un éclair jaune vient frapper de plein fouets le soldat Jäger.
Bouche-bée, Thomas observe ce corps de titan de quinze mètres se former comme par magie, seulement à partir du corps d'un humain de taille normale. Les os se forment très rapidement puis sont vite entourés de chair avant que la peau ne commence à tout recouvrir.
Le titan nouvellement formé hurle en serrant les poings.
Julia et Thomas qui n'ont pas l'habitude serrent nerveusement les rênes qu'ils ont en main, pétrifiés par ce cri rageur. Chacun ayant des souvenirs d'expériences traumatisantes survenues quelques jours plus tôt.
C'est insensé de se dire que dans ce titan il y a un humain qui peut le contrôler. Quel effet ça peut faire de voir le monde quand on mesure quinze mètres ? Quel effet ça peut faire d'être transformé en monstre et de pouvoir contrôler l'un de leur corps ? Tout cela terrifie et passionne en même temps monsieur Ralle qui n'en perd pas une miette.
Nifa lui met un coup de coude.
— Ferme la bouche sinon tu vas gober une mouche, taquine la jeune femme qui rit légèrement.
Il sursaute parce qu'il était dans sa contemplation.
— Ah, euh...
Julia aussi sourit et c'est la première fois que Thomas voit une autre expression que la résignation chez la jeune femme.
Elle est arrivée en même temps que lui mais elle est très discrète et reste souvent isolée, en plus de ne quasiment pas parler. Il n'a pas osé l'aborder pour en apprendre un peu sur elle. Après tout ils se connaissent depuis deux jours à peine et, bien qu'ils fassent partie de la même escouade, il ne veut pas être intrusif.
Il en profite pour la détailler un moment : de longs cheveux blonds fins et brillants soigneusement coiffés en un chignon attaché avec un ruban rouge, de grands yeux bleus, des traits fins, un petit nez, des pommettes apparentes ainsi souriante.
Pendant son observation, Julia se tourne vers lui et, prit la main dans le sac, il sursaute encore une fois. Elle penche légèrement la tête sur le côté, l'interrogeant du regard.
— J'ai... Quelque chose sur le visage ? demande-t-elle avec son timbre de voix doux qu'il n'avait jamais entendu jusque là.
— Non désolé je... Euuuh...
La jeune femme affiche un sourire amusé puis tourne de nouveau la tête vers le titan qui écoute les instructions de Hanji.
Thomas est surpris. Depuis la première fois qu'il l'a vu il a senti qu'elle dégage quelque chose, une sorte d'aura qu'il ne cernait pas vraiment. Passant son temps isolée, assise sur le bord de la fenêtre ou près du feu à lire, ne levant jamais le nez sinon pour écouter des instructions.
Maintenant qu'elle lui a offert ce sourire, il lui apparaît que sa présence est apaisante. Il pourrait être facile de la comparer à Lise mais il sait depuis longtemps que la rousse se fait violence pour paraître gentille, parce qu'au fond elle n'est pas comme ça naturellement.
Eren de son côté s'essaye à pétrifier son corps afin qu'il se solidifie mais lui comme toutes les autres personnes présentes ici ne savent absolument pas comment faire ça. Alors il continue de hurler.
— Bon, on en a pour plus d'une heure, j'espère que vous avez amené un casse-croûte... commente Nifa qui n'a pas l'air de s'amuser autant que les deux nouveaux qui ont une lueur d'admiration et de peur dans le regard, un subtil mélange qui la fait sourire d'ailleurs.
Mikasa est juste devant eux, à trois mètres, le regard fixé sur le titan de Eren. Elle ne bouge pas et semble complètement calme, comme à son habitude, en fait. Le regard de Thomas tombe sur elle un instant et ressent l'envie de donner un coup de talons à son cheval pour avancer et se mettre à sa hauteur pour mettre les choses à plat mais quelque chose l'en empêche.
— Qu'est-ce qu'il essaye de faire au juste ? questionne Julia.
— Il tente de s'auto-pétrifier. On a vu un titan contrôlé par un humain pouvoir le faire, même si c'était localisé à une seule zone du corps. Je suppose que l'idée c'est de l'utiliser pour reboucher le mur.
— D'accord, je vois, merci, répond la recrue avec un petit sourire reconnaissant.
— Enfin bon, ça me laisse le temps de réfléchir à votre bizutage... reprend Nifa.
— Quoi ? Mais..! s'indigne Thomas.
— Pourquoi pas chanter une petite chanson, hein ? lance-t-elle en regardant devant elle mais surveillant du coin de l'œil la réaction avec un grand sourire taquin.
— Chanter ? Non-non-non ! proteste-t-il.
Elle finit par se marrer.
— Ah, tu te fous de moi c'est ça ? demande le jeune homme.
— Peut-être, tu verras...
Thomas se marre nerveusement en espérant très fort que ça ne sera pas quelque chose de trop humiliant.
En les entendant ricaner, Mikasa leur lance un regard par dessus son épaule et croise celui de Thomas. Ce dernier se fige, il a l'impression que des éclairs sortent de ses yeux, les même qui sont apparus quand Eren s'est transformé.
Alors, par bêtise ou naïveté, il lui sourit avec une certaine maladresse. La conséquence est qu'elle tourne immédiatement la tête pour recentrer son attention sur le titan du côté duquel il ne se passe pas grand-chose, d'ailleurs.
Le jeune homme baisse la tête, il a l'impression d'avoir reçu un coup en plein visage.