Le destin des Ackerman - Tome 1
Le jour se lève sur le quartier général du bataillon d'exploration. Les coqs présents dans la ferme au Sud de là chantent pour accompagner les premières chaleurs de cette journée d'été qui est appelée à être bien plus calme que les précédentes.
Un jeune homme sort du bâtiment des dortoirs, habillé d'une tenue de sport des plus simples, pour aller s'entraîner près des terrains prévus à cet effet. A cette heure - et sans l'aval ni la surveillance d'un officier - c'est impossible de parfaire ses manœuvres tridimensionnelles ou son adresse à la découpe de nuques. C'est donc l'occasion de rester en forme et de forger un peu plus son corps qu'il n'entraîne pas aussi durement qu'il le voudrait.
Depuis le retour de la forêt des arbres géants, Thomas n'a parlé à personne et s'est effacé pour éviter un maximum le contact humain. Les visages de ceux qui ont disparus reviennent sans cesse troubler son esprit et la culpabilité avec. C'est pour ça qu'il a décidé de rendre visite à son ami Josh pendant la nuit. S'il a été vu il a dû paraître suspect mais sans cette protection ambiante qu'est la nuit, il aurait eu du mal à avoir ce moment intime dans un calme complet.
Loin d'être associable, il ne se sentait pas d'affronter la détresse de son ami pour qui l'aventure du bataillon s'arrête ici, ni les remontrances et la tristesse de Lise.
Certes, comparé à d'autres, Josh peut s'estimer heureux et nombre de membres des brigades spéciales sauraient lui dire combien c'est un soulagement de ne pas faire partie du front contre les titans et qu'en perdant deux membres il a gagné un nombre important d'années à vivre en sécurité. Du moins, si aucun traître ne vient détruire le second mur...
C'est vrai, personne ne sait vraiment d'où viennent ces humains qui ont la capacité de se transformer en titans ni pourquoi eux et pas un autre. Certains - comme Eren - sont du côté de l'humanité alors que d'autres veulent la détruire.
C'est étrange...
Comment peut-on sciemment décider que l'humanité, qui est déjà au bord de l'extinction, mérite de recevoir le coup de grâce ? Comment peut-on trouver une raison plausible et juste d'aider les titans à devenir les maîtres incontestés du monde ?
Tout cela échappe à Thomas et plus il y pense moins il a envie de trouver la réponse. Après tout, le mystère qui entoure ces démons est encore plus épais et impénétrable que celui des humains pouvant se transformer... Et de toute façon ce n'est pas son boulot.
Mais quel est son but, en fait ? En s'enrôlant dans l'armée il voulait rejoindre sa sœur et c'était sa seule motivation pendant ses trois ans de formation. Et puis au moment où il choisit d'intégrer les bataillons Petra meurt tragiquement. Depuis, des évènements d'une rare intensité s'enchaînent et il n'a pas vraiment eu le temps de souffler ni de réellement se questionner.
Donc... Quel est son objectif, aujourd'hui ?
Est-ce qu'il cherche à se sentir comme un héros ? Cela expliquerait pourquoi il s'est sacrifié sans réfléchir pour une inconnue qui lui a, certes, sauvé la vie mais comme à des dizaines de soldats avant et après lui... Est-ce qu'il veut tenter de s'illustrer le plus possible avant de finir dans l'estomac d'un titan pour que, quand il retrouvera Petra de l'autre côté, elle soit fière de lui ? Est-ce qu'il souhaite faire partie d'une escouade d'élite pour prendre la succession de sa sœur et devenir célèbre ?
Peut-être les trois à la fois...
Dans tout ça, il se retrouve tout de même avec deux promesses qui pèsent sur ses épaules : la première faite à Lise pour devenir plus fort, la seconde à cette dernière et Josh jurant qu'ils survivront tous les trois à ces massacres.
Malgré tout, le bilan est plutôt positif jusqu'à maintenant. Lise s'est sortie de deux escarmouches sans la moindre égratignure et pour Josh, même si c'est vraiment triste pour son bras et sa jambe, il lui sera maintenant difficile de revoir un jour un titan de près... Du moins extra-muros.
Il n'a donc pas le choix : il doit s'endurcir et s'améliorer dans tous les domaines. Mais comment devenir rapidement meilleur que tout ceux qui ont été plus intelligents et assidus que lui ? Pendant ses trois ans de formation il a toujours été à deux doigts d'être ramené chez lui dans un chariot, à cause de ses performances en demi teinte et son manque d'évolution.
Les mots qu'ont eu Lise et Josh à son égard lui ont fait chaud au cœur mais ce n'est pas la qualité qu'ils ont énoncée qui fera de lui un bon soldat ni un tueur de titans redoutable. Thomas doit absolument essayer d'arrêter de croire tout ce qu'on lui a jeté comme insultes au visage, toute sa vie. Il doit se forger seul et selon sa propre vision de ce qu'est un bon soldat.
Malheureusement là, en dehors des murs, ce n'est pas comme dans un régiment d'entraînement dans lequel dès que l'on rate une manœuvre, un exercice ou un test on peut réessayer le lendemain. Sur le territoire des titans, la moindre erreur peut lui coûter la vie ou engendrer la perte de camarades qui se raréfient déjà à vue d'œil.
Curieusement, il repense à la nuit dernière et à ce court instant où, quand il s'est relevé pour sortir de l'infirmerie, son regard a dérivé naturellement sur le lit en face de son ami et il a reconnu Mikasa. S'il n'a pas pu voir son visage, ses cheveux et son écharpe ont suffi : personne ne porte d'écharpe en été ni ne dort avec. Ça lui rappelle qu'il ne l'a toujours pas remerciée de lui avoir sauvé la vie.
Le jeune homme se frotte vigoureusement l'arrière de la tête en fermant les yeux pour chasser ce fil de pensées parasites qui n'ont, sur le moment, aucun rapport avec ce à quoi il pensait à l'origine. Alors pour se vider l'esprit il n'attend pas un instant de plus pour commencer sa séance de musculation.
Abdominaux, pompes, tractions, flexions extensions... C'est une séance intense pour un corps qui doit être musclé de la façon la plus complète possible : tous les muscles ont leur importance lors de l'utilisation de l'équipement tridimensionnel, tout comme l'équilibre qui est un élément primordial.
Après trente minutes, il s'assoit sur une barrière de bois et souffle. Tout transpirant il lève les yeux vers le ciel puis attrape sa serviette pour éponger la sueur dans son cou et sur son visage.
Le jeune homme se dirige ensuite vers son dortoir pour prendre des vêtements propres puis, après un nettoyage de la tête aux pieds il retourne dans sa chambre à douze lits, tout apprêté avec son uniforme sur le dos, alors que tous ses camarades dans la pièce sont encore couchés ou à peine levés.
Sur le moment il a besoin d'aller voir Lise et Judith pour savoir comment elles vont. Il dépose donc ses affaires de toilette et se rend au dortoir des filles.
— Comment vont tes côtes ? demande Sasha qui se penche en avant comme si elle pouvait en avoir la moindre idée.
Elle a d'ailleurs déjà un quignon de pain dans le bec, venant certainement d'une miche qu'elle a mise dans son sac lors du dîner de la veille.
— Ça ira, il faut que j'aille m'ent...
— Ce n'est pas raisonnable Mikasa, une journée de repos ne te tuera pas, coupe Historia qui brosse ses cheveux blonds qui ont toujours un éclat irréprochable.
La jeune Ackerman acquiesce tristement, c'est vrai que si elle force trop et trop vite, son corps mettra d'autant plus de temps à récupérer et elle doit être opérationnelle au plus vite.
— Il paraît que tout à l'heure le Caporal-Chef va appeler certains d'entre nous pour reformer son escouade tactique. Hanji aussi aimerait bien recruter un ou deux membres pour renforcer la siene, lâche Sasha en arrachant un bout de pain avec ses dents.
Ses cheveux ne sont pas encore arrangés avec son habituelle queue de cheval et ils tombent en désordre sur ses épaules.
— C'est Conny qui t'a encore raconté ça hein ? A tous les coups il... commence Historia.
— Non-non, je l'ai entendu de leur bouche ! précise Sasha.
— Comment ça ? demande Mikasa qui vient de poser son écharpe et se saisit d'une serviette pour aller prendre une douche.
— Ouais en fait euh... J'étais dans les cuisines pour... Enfin...
— Pour chiper de la bouffe, oui et ? disent en chœur Historia et Mikasa avec un air exaspéré, trahissant leur habitude.
— Eeeeeet... Livaï et Hanji discutaient, j'ai pas tout compris mais j'ai bien entendu qu'ils veulent recruter.
— Mmmmh...
Mikasa commence à tourner les talons mais Sasha reprend la parole, la bouche pleine.
— Mfh ! Ah oui auchi ! Hanchi a parlé de prendre des "vacances" avec Eren pour un entraînement..!
Mikasa s'arrête un instant en entendant ça puis reprend son chemin.
Plusieurs minutes plus tard Thomas arrive au bâtiment après avoir fait un détour par le réfectoire pour y prendre son petit déjeuner. Il attend pas loin de la porte du dortoir où sont notamment Lise et Judith.
Il n'aura pas à attendre longtemps. La porte s'ouvre et Lise en sort, Judith la précède.
— Tiens-tiens... dit Judith qui a un petit sourire taquin, en passant elle donne un petit coup sur l'épaule de son camarade et continue vers le réfectoire parce qu'elle sait qu'il n'est plus nécessaire d'attendre Lise.
Thomas sourit au geste de sa camarade et constate qu'elle a l'air d'aller plutôt bien. Il recentre son attention sur Lise qui arbore son petit sourire chaleureux, comme d'habitude, quoiqu'un peu forcé et ses yeux ont l'air un peu rouges.
— Ça va ? Demande-t-elle.
— Mh-mh... Répond Thomas qui l'interroge du regard en retour.
Lise hausse les épaules en baissant la tête.
— Tu as cinq minutes pour qu'on discute ? J'ai de quoi te remonter un peu le moral.
— Bah j'aurai bien déj... commence Lise mais elle est coupée parce que Thomas sort un torchon et un pot en verre.
— Nan t'as pas osé ? s'étonne la rousse, amusée en devinant que c'est un morceau de brioche et de la confiture d'abricot, sa préférée.
— Je sais que le petit déj' c'est sacré pour toi, j'suis prévoyant tu vois, s'enorgueillit-il, pas peu fier de faire son petit effet.
Lise prend le jeune homme par le bras et l'emmène derrière le bâtiment, là où ils seront tranquilles. Au fond, avoir volé un quart d'une brioche et un petit pot ce n'est pas grave, surtout le lendemain d'une bataille qui a fait des ravages, les supérieurs sont plutôt coulants là-dessus mais s'il se fait prendre on lui remontera les bretelles, pour la forme, histoire que ça ne devienne pas une habitude.
Les deux adolescents s'installent donc et vont prendre une caisse comme table de repas. Thomas va regarder sa camarade manger lentement. Comme il la regarde, elle prend soin de le faire correctement et, étant issue d'une bonne famille, elle emploie ici toutes les manières et manies exagérément pour amuser monsieur Ralle qui a un grand sourire.
Lorsqu'elle a terminé ses deux tartines, elle s'essuie minutieusement les coins de la bouche, mais seulement les coins, puis pince ses lèvres. Elle se lève ensuite, laisse tomber le morceau de tissu à carreaux puis fait le tour de la caisse. Thomas, assit, regarde la jeune femme s'avancer vers lui jusqu'à ce qu'elle soit au dessus de lui. Elle se fléchit ensuite et pose les genoux au sol pour enfin s'assoir sur lui.
Le sourire de Thomas s'élargit et devient complice. Il lève sa main droite pour dégager une mèche de cheveux qui encombre le visage de Lise. Celle-ci s'approche lentement puis au dernier moment, alors que son regard était rivé sur les lèvres du jeune homme, elle s'arrête et lève les yeux pour plonger dans ceux de son partenaire. Il peut voir qu'elle a un sourire malicieux puis, l'instant suivant, leurs lèvres s'unissent.
Le jeune homme comprend tout de suite pourquoi elle a tenu à garder un fin résidu de confiture sur ses lèvres et ce baiser au goût d'abricot n'est pas pour lui déplaire. Lise a toujours été très créative pour mettre un peu de fantaisie dans ce genre de moments.
Le baiser est doux et sucré. Après quelques secondes ainsi collés l'un à l'autre, Lise s'en détache pour se reculer d'une dizaine de centimètres. Elle affiche un sourire triste et ses yeux sont humides. Lorsque leurs regards se croisent, elle se laisse tomber en avant et se réfugie contre Thomas qui l'enlace.
— J'ai vraiment eu peur hier... se plaint-elle. Combien d'amis va-t-on devoir perdre avant d'être libres ?
— J'en sais rien... Beaucoup, j'imagine, répond Thomas qui soupire.
— Hé ! s'indigne mademoiselle Niso qui se redresse et lui souffle dans le visage pour le punir de ses paroles. T'es pas censé être le mec optimiste du groupe ?
Thomas tourne la tête pour s'échapper - trop tard - puis se marre un coup.
— Ouais mais euuuuh...
Lise rit doucement en reprenant sa place contre lui puis soupire.
Les deux soldats vont rester là quelques minutes à simplement profiter d'un moment de calme et de la présence réconfortante de l'autre avant qu'ils n'entendent quelqu'un hurler.
— Jeunes filles, on vous attend dans la cour d'ici cinq minutes, en uniforme !
— Ah, pas une seule journée tranquille dans le bataillon on dirait... commente Thomas qui tapote les cuisses de la jeune femme pour lui ordonner de se lever.
Elle marmonne, signe qu'elle est réticente et gigote un peu pour lui montrer qu'elle ne compte pas bouger mais devant le regard insistant de son compagnon, elle finit par s'exécuter.
— A dans cinq minutes, dit Thomas qui tourne les talons, il se fait attraper le bras puis tirer en arrière.
— T'as pas oublié quelque chose par hasard ? accuse Lise qui tapote ses lèvres du bout de l'index avec un air impatient.
Le jeune homme se décide à la taquiner un peu et fait une fausse mine étonnée.
— Ah oui, merde, le pot... prononce-t-il en se penchant vers la caisse.
Lise lui met une tape derrière la tête.
— Crétin !
Ils se marrent ensemble, Lise aura ce baiser qu'elle demande et ils vont rejoindre leurs dortoirs respectifs afin d'aller à ce rendez-vous donné par les officiers, cinq minutes plus tard.
Tous les soldats et officiers sont dans la cour au milieu de l'ensemble de bâtiments dans lequel ils se trouvent. Erwin Smith est sur une estrade afin de pouvoir être entendu de tous. Son teint est plus blanc que d'habitude et tout le monde peut voir la manche droite de son manteau qui pend mollement. Si sa coiffure et sa tenue sont impeccables il semble faible, mais après une telle blessure... C'est déjà étonnant qu'il soit assez en forme pour faire un discours.
— Soldats, suite aux évènements récents nous vous donnons la semaine pour vous reposer. Nous ne pouvons malheureusement pas vous donner quartier-libre puisque les traîtres sont toujours dans la nature. Si je vous ai rassemblés ici c'est pour vous parler de la suite des évènements. Avant cela, le capitaine Hanji et le Caporal Livaï aimeraient prendre la parole.
Les deux officiers s'avancent et à les voir côte à côte la différence de tempérament est flagrante. A gauche Hanji Zoe est rayonnante, souriante, amusée mais à la coiffure un peu négligée. A droite Livaï a un visage fermé et toise avec une sorte de dédain les soldats face à lui mais est d'une propreté impeccable, tiré à quatre épingles.
— Salut à vous ! Suite aux récents évènements, nous avons besoin de renouveler l'effectif des escouades. Je vais donc appeler certains d'entre vous !
Livaï soupire.
— Pour l'escouade tactique j'appelle... Mikasa Ackerman !
La personne appelée sort des rangs, s'avance vers l'estrade et fait le salut militaire.
— Armin Arlelt ! Conny Springer ! Jean Kirschtein ! Sasha Braus ! Et enfin Christa Lenz ! appelle Hanji et il n'est pas difficile de deviner que tous ces noms devraient suffire.
Elle retourne sa feuille de papier.
— Julia Albenas et Thomas Ralle, vous serez avec moi ! termine-t-elle.
Tous les membres de la 128e se retournent vers leur camarade et personne ne semble comprendre, le principal intéressé non plus, d'ailleurs, dont les yeux écarquillés alternent entre le capitaine et ses camarades qui l'entourent.
— Hein, que..? hésite-t-il avant de sortir du rang et rejoindre les sept autres.
Dans la colonne de l'autre côté de l'allée, Eren se tourne brusquement pour essayer d'apercevoir ce fameux Thomas dont le nom n'est pas sans lui rappeler quelqu'un d'autre, une personne dont il s'estime responsable de la mort. Livaï lui aussi regarde la jeune recrue s'avancer et s'aligner avec les autres appelés.
Il se remémore son échange avec Erwin, le matin même, concernant ce soldat au dossier affligeant.
— Autre chose Caporal ? demanda Erwin en voyant que Livaï ne bougeait pas alors que Hanji et Conny venaient de sortir de sa chambre où il passe ses journées depuis qu'il a perdu son bras.
— Ouais. La folle-dingue m'a parlé de son projet d'entraîner Eren à l'autopétrification, je me suis dit que c'est le moment de reformer l'escouade tactique.
— Et tu penses à des personnes en particulier ?
— Ouais. Tous les mioches de la 104e qui, pour l'instant, ne se transforment pas s'ils se bouffent la main.
— Très bien, je vais m'occuper du transfert. Est-ce que je pourrai te suggérer un autre nom ?
— Je te vois venir... Mais fous-le plutôt dans l'escouade de Hanji, que ça ne fasse pas trop suspect, proposa l'officier en costume.
— Entendu.
Livaï se reconcentre sur le moment présent et soupire lorsque Thomas prend place. Il remarque une chaînette autour de son cou, un objet qu'il reconnaît.
Eren rejoint les huit appelés puisqu'il fait partie de l'escouade tactique et ils vont tous quitter la place.
Quand ils ont passé le grand porche qui mène vers une cour plus petite, le détenteur du pouvoir de transformation regarde le soldat Ralle qui suit sans broncher, semblant intimidé et un peu paumé. En tournant la tête, il voit sa sœur adoptive regarder furtivement en direction du nouveau protégé de Hanji, de quoi éveiller sa curiosité, surtout en sachant que Mikasa n'est pas du genre à s'intéresser aux inconnus.
Ils entrent ensuite dans l'une des ailes du bâtiment et parcourent un long couloir jusqu'à entrer dans une salle qui n'est pas très grande mais vide.
— Jean, la porte tu veux ? ordonne Livaï une fois que tout le monde est entré. Bien, termine-t-il.
— Vous avez tous été choisis pour intégrer nos escouades et si vous vous demandez pourquoi... reprend Hanji.
— Vous avez été choisis parce que vous avez des aptitudes au combat ou des qualités spécifiques, explique le caporal-chef avant de se tourner vers Sasha. Enfin...
Quelques rires étouffés se font entendre succinctement.
— Mais sachez que vous entrez dans les hautes sphères des bataillons. Vous resterez des troufions, mais des troufions qui seront dans la confidence, si on veut.
A ces mots, Thomas se demande encore plus ce qu'il fait là. Il ne se reconnaît dans aucune catégorie de sélection. En plus il vient d'arriver, il ne s'est pas illustré, bref... Il s'attend à ce que Livaï le regarde et lui demande ce qu'il fout ici avant d'invoquer l'erreur administrative. Le jeune homme rate un bout des explications de ses supérieurs à cause de sa réflexion.
— ...allons prendre un peu le large dans les montagnes puisque la binoclarde aimerait faire des expériences avec toi Eren, pour reboucher le mur Maria à Shiganshina.
Eren acquiesce avec son expression déterminée habituelle.
— Quant à vous deux, Julia et Thomas, vous serez avec Hanji. Vous êtes nouveaux mais vous avez montré votre dévouement et vos qualités. Elle adore les nouveaux en plus, je vous souhaite bien du courage...
Hanji s'approche des deux nouvelles recrues et les dévisage avec insistance.
— Aaaaaaah que j'aime les nouveaux visages... affirme-t-elle avec un grand sourire et les mains jointes sur sa poitrine. On sera basé avec eux dans les montagnes mais vous serez amenés à bouger souvent avec moi, donc j'espère que vous n'êtes pas trop casaniers.
Thomas et Julia ne le comprennent pas encore parce qu'ils ne la connaissent pas mais tous les autres présents dans la salle savent qu'elle exprime là ses pensées à voix haute.
— Bien. Allez préparer votre paquetage on décolle d'ici une heure, conclut Livaï avec son ton neutre.
— Oui Caporal-Chef ! Disent tous en même temps les nouveaux membres des escouades Livaï et Hanji.
Les deux officiers sortent en premier de la salle et sont rapidement suivis par leurs soldats. Thomas s'avance parmi les derniers et remarque que Eren ne semble pas décidé à faire de même.
— Thomas ? interpelle Eren qui attendait que tout le monde soit sorti.
Quand il s'arrête et se retourne, il se demande ce qu'il se passe. Est-ce qu'il va lui mettre un coup de pression parce qu'il est nouveau et n'a rien à faire là ? Ou alors il va avoir droit à un bizutage ?
— Thomas Ralle, c'est ça ?
— Oui, répond seulement le jeune homme qui est intimidé par son interlocuteur même s'il a l'air sensiblement plus petit et fin que lui, Thomas sait très bien qui il est et ce qu'il a fait.
— Tu es... De la famille de Petra ?
Il faut un instant à monsieur Ralle pour mettre de l'ordre dans son esprit. Il fait rapidement le lien entre Petra et Eren. Ce dernier n'a pas été appelé tout à l'heure pour intégrer l'escouade tactique, il en faisait donc déjà partie et a dû côtoyer Petra.
— Je suis son petit frère oui, affirme-t-il.
Eren tend sa main. Dans le même temps la tête de Mikasa apparaît dans l'ouverture de la porte parce qu'elle se demande ce que fait Eren. Elle remarque donc qu'il est en train de discuter avec le nouveau qui aime se retrouver au milieu des titans sans solution de repli.
Thomas saisit cette main.
— Je suis enchanté de te connaître et je te présente toutes mes condoléances...
— Merci c'est...
— Je m'en veux beaucoup pour ce qu'il s'est passé pendant la cinquante-septième. J'ai pris de mauvaises décisions et c'est ma faute si elle n'est plus là... Je la regrette vraiment, elle a été gentille et accueillante, elle n'a pas hésité à me mettre à l'aise et venir discuter avec moi, même si elle était aussi méfiante que les autres vis à vis de ma condition.
— Oui c'est... Ça c'est tout elle... acquiesce simplement Thomas qui ne sait vraiment pas quoi dire d'autre, il est pris au dépourvu.
— Enfin... Excuse-moi, c'est le mauvais moment pour en parler mais je ne savais pas qu'elle avait un petit-frère, encore moins qu'il avait intégré le bataillon. Je suis honoré et je me permets de te dire qu'elle doit être fière de toi.
Mikasa est adossée au mur, près de la porte, et écoute la conversation sans se manifester.
— Merci, répond Thomas qui aimerait que ces mots aient du sens et le réconfortent...
Il force un sourire poli.
— Enfin bon, t'as de la chance d'avoir été affecté chez Hanji, tu n'auras pas à passer deux jours à nettoyer de fond en comble nos nouveaux quartiers, le Caporal est un poil maniaque... lance Eren en souriant, voulant détendre l'atmosphère.
Thomas se rend compte que Eren n'a pas l'air d'être un mauvais gars et est même plutôt sympathique. Il n'aurait pas imaginé ça du type qui porte tous les espoirs de l'humanité sur les épaules.
— Bon, je te laisse aller chercher tes affaires, on se revoit dans une heure, termine le jeune Jaëger.
— Ouais, ça marche.
Eren sort de la pièce et trouve Mikasa un mètre plus loin avec l'oreille qui traîne. Ils marchent sur plusieurs mètres avant qu'il ne fasse la remarque à sa sœur adoptive.
— Tu écoutes aux portes maintenant ? demande-t-il sur un ton taquin.
— Non je... commence-t-elle avant de jeter un coup d'œil par dessus son épaule en direction de la porte d'où personne n'est encore sorti, ce qui n'échappe pas à Eren. Je me demandais juste ce que tu faisais, je t'ai attendu.
— Je me demande bien ce que Hanji ve...
La suite de sa phrase devient inaudible pour Thomas qui sort enfin et est perdu dans ses pensées. La journée est pleine d'émotions fortes.
Tout à l'heure ils se sont laissés aller Lise et lui. Ce n'était pas désagréable mais il se demande si c'était vraiment une bonne idée. C'est comme ça entre eux depuis plusieurs mois déjà, une sorte d'amitié avec des avantages, s'il peut appeler ça comme ça. Ils n'ont jamais vraiment décidé de se mettre en couple mais quand l'un a un coup de blues, l'autre a l'exclusivité pour ce genre de réconfort.
Maintenant, il doit en plus essayer de se rendre compte qu'il fait partie de l'escouade du capitaine Hanji et va passer au moins plusieurs jours avec tous ces anciens membres de la 104e brigade d'entraînement, des vétérans de la bataille de Trost et de la cinquante-septième expédition extra-muros. En plus de ça, Eren vient lui faire des excuses pour la mort de Petra.
C'est beaucoup voire trop. Le jeune homme est un peu désorienté et il rejoint son dortoir pour aller chercher ses affaires.
Lorsqu'il y arrive, il aperçoit Lise qui l'attend, appuyée sur la rambarde.
— Lise, qu'est-ce que..?
— Alors, tu me caches des choses ? accuse la jeune femme qui plisse les yeux en surveillant sa réaction.
— Non-non vraiment je ne m'y attendais pas ! se défend Thomas qui agite ses mains devant lui, toujours accroché à l'idée que c'est une erreur administrative.
En même temps il y a de quoi. Pendant trois ans il a reçu des lettres de Petra qui ne tarissaient pas d'éloges sur Livaï et les autres membres de l'élite du bataillon. Et aujourd'hui, à peine intègre-t-il ce corps d'armée qu'on le transfère dans l'une de ses escouades d'élite. Si celle de Hanji est moins prestigieuse et compte moins de prodiges du combat contre les titans, elle demeure une force de frappe redoutable composée de soldats aguerris.
— Mmmmmh... Bon, j'imagine que tu vas changer de quartier, du coup... conclut-elle sur un ton plus triste, une petite moue apparaît sur son visage.
— Ouais, je... Je pars dans une heure, répond-il avec un ton plus détaché qu'il ne l'aurait voulu, mal à l'aise.
— Bon ben amuses-toi bien... En plus tu seras entouré de plein de jolies jeunes femmes, quelle aubaine... bougonne Lise avec une jalousie palpable parce qu'elle ne cherche pas à la cacher.
Thomas soupire.
— Bon, je dois y aller, on se verra vite de toute façon, je doute que le bataillon d'exploration puisse rester plus d'une semaine inactif... tranche-t-il afin de couper court à la conversation, pour lui le sous-entendu devrait suffire à rassurer la jeune femme.
— Oui, j'espère. Fais gaffe à toi quand même.
— Oui m'dame.
Lise serre l'avant-bras de Thomas de sa main droite, la gauche sur un pan de sa veste avant de le relâcher parce que là où ils sont elle ne peut pas laisser libre court à son envie d'un petit moment de tendresse pour se dire au revoir.
Le jeune homme lui sourit franchement puis entre dans la pièce pour boucler ses bagages.
Dix minutes plus tard, Thomas sort du dortoir et se dirige vers l'infirmerie pour aller rendre une petite visite à Josh.
— Oula, le bataillon en a déjà marre de la ville ? s'étonne Josh en guise de salue pour son ami.
— Nan, j'suis le seul à bouger.
— Meeeerde ! Qu'est-ce que t'as foutu encore ? Ne me dit pas que t'as été choppé en train de peloter Lise alors que t'avais du ménage à faire ?
— Hein ? s'indigne le nouveau membre de l'escouade de Hanji Zoe.
— Hé, pas à moi, quand même. Tout le monde sait que vous deux... il termine sa phrase en mimant deux personnes qui s'embrassent avec sa bouche et son index, puisqu'il n'a plus qu'une main.
— Putain, ça me fait plaisir que tu sois toujours aussi con... avoue Thomas avec un sourire alors qu'il s'installe sur la chaise qui est toujours là.
— Ouais, manquerait plus que les titans m'enlèvent aussi mon envie de dire des conneries... Enfin, c'est pas une connerie. On est tous au courant dans la 128e, encore heureux que vous soyez discrets...
— T'as de la chance d'être handicapé sinon je t'aurai frappé.
Josh éclate de rire, apparemment sa nouvelle condition n'a pas l'air d'affecter son moral.
— Tout a un bon côté, c'est un bon ami à moi qui me l'a dit un jour... J'peux emmerder les gens sans qu'on puisse me frapper, c'est le pied.
Thomas soupire.
— Bon, si tu me disais plutôt pourquoi t'as fait ton sac ? J'ai vu tout à l'heure qu'il y a eu un rassemblement dans la cour.
— J'intègre l'escouade du capitaine Hanji.
— Meeeeeeerde. Toi ? Putain ! s'exlame-t-il, surpris mais heureux, il donne une tape sur l'épaule de son ami. J'suis content pour toi. Comme quoi avoir un petit pois en guise de cervelle ça ouvre des portes...
— Comment ça ?
— J'suis pas dans ce corps d'armée depuis longtemps mais j'pense qu'il n'y a pas beaucoup de timbrés qui aiment autant jouer avec leur vie que toi.
— Ouais, peut-être...
Thomas ne peut pas réprimer le sourire de satisfaction parce que cette piste est crédible.
— Et donc qu'est-ce que tu vas y faire dans c't'escouade ?
— J'sais pas, mais on va accompagner l'escouade Livaï pendant quelques jours.
— L'escouade Livaï, mais..?
— Ouais, il a recruté tous les anciens de la 104e.
— Putain, j'y crois pas... Donc en fait c'que tu me dis là, si je comprends bien, c'est que t'as été choisi pour passer plusieurs jours avec Mikasa et Christa ? En fait j'suis dégoûté... J'me repose cinq minutes et tu me fais un petit dans le dos...
— Non mais ..!
— Ça va te fais pas de bile, qui va à la chasse perd sa place comme on dit. Si je n'avais pas été à moitié bouffé je serai peut-être à ta place, ça m'apprendra.
— Tes conneries vont me manquer... commente Thomas qui se relève puis se penche pour enlacer son ami.
— Tu vas me manquer aussi, prends bien soin de ces dames surtout, termine Josh qui tape un coup dans le dos du soldat Ralle avant de le lâcher, un grand sourire complice aux lèvres.
Ce dernier lui sourit une dernière fois, ramasse ses affaires et sort de la pièce.
Thomas peut cocher la case "faire partie d'une escouade d'élite", maintenant.