L'Ode à la liberté [Livre I]

Chapitre 30 : Casse-tête

2744 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/05/2021 18:22

La boîte contenait quelques feuilles blanches et d'autres de couleurs grenat, parmi les sombres torsadées. Elles dégagèrent une fragrance délicate et fleurie. Une simple cuillère suffisait - d'après Flegel - pour dénoter toutes les saveurs qu'enfermait ce « délicieux » thé noir. Déversant la quantité d'eau suffisante, la vapeur forma un petit nuage translucide se mouvant suavement hors de la tasse, libérant une odeur fruitée et subtilement boisée sur son passage. Quel aliment sucré ? Il ne serait le dire. Il était plus que rare pour le Bataillon de profiter de ces mets paradisiaques.

Livaï déposa son petit récipient à anse sur le rebord de la fenêtre, le temps de l'infusion, - se collant contre le mur de pierre, observant ses petites recrues. Une progression fulgurante pour cette ancienne bleusaille. Trois mois à peine pour s'élever quasiment à la hauteur des vétérans - encore en vie. Eren le premier. Imperceptiblement, mais sûrement, le petit Jäger possédait des compétences hors du commun, à l'instar de ce pot de colle - avec qui il avait un lien familial plus ou moins étroit. Quant au troisième de la bande, toujours aussi chétif, se cachait un redoutable stratège. Un mini Erwin en somme, mais plus humain. Cependant, l'orphelin plaçait beaucoup d'espoir envers le quatrième membre de son escouade. Le lieutenant idéal pour son équipe anormalement, mais bigrement bien constitué avec ces deux clowns... La morfale de service était un élément indispensable grâce à son talent de chasseuse et un tantinet voleuse. Quant au dernier de la bande, un poil benêt sur les bords, n'était pas aussi mauvais qu'il le pensait. Il suffisait juste à parfaire quelques-unes de ses lacunes et il deviendrait plus rapide et agile qu'un Ackerman.

Quatre minutes se sont écoulées. Le caporal agita légèrement la tasse, humant la senteur végétale et florale de sa boisson chaude. La robe était plutôt claire pour un thé noir, suspectant un instant le fils Reeves de s'être moqué de lui. Si jamais c'était le cas, il allait entendre parler de lui. Le chef d'escouade tactique approcha ses lèvres au bord de la tasse et but une petite lampée, faisant rouler le liquide à l'intérieur de sa bouche, avant de la faire entrer en contact sur les muqueuses. Il aspira et expira un peu d'air. Le parfum ne mentait pas. Un goût relativement fruité, légèrement boisé, et... Un autre goût - astringent - moins intenses, mais présent, se promenait dans ses papilles, n'apparaissant qu'à la toute fin. Un thé noir d'une grande finesse unique. Je devrais remercier ce bougre à l'occasion, murmura-t-il - après une deuxième lampée.

Reportant son intention sur les cadets, deux nouvelles têtes avaient fait leur apparition. Le premier n'avait rien à envier qui que ce soit de son escouade. Même s'il n'était pas arrivé dans les dix premiers, Shadis s'était même montré plutôt élogieux dans son dossier - un fait plutôt rare. Quant à la deuxième...

— Ah voilà où tu te cachais mon beau mâle, s'éleva une voix enjouée - derrière lui.

Le petit homme leva les yeux au ciel, ne prenant aucunement la peine de se retourner. Le binoclard était déjà à ses côtés, écrasant ses mains et collant quasiment son nez aquilin contre la fenêtre.

— On mate ses petites recrues à ce que je vois, dit Hanji, d'un ton narquois.

Ses yeux noisette se plissèrent analysant la scène qui se déroulait sous ses yeux, pendant que Livaï tournait le dos à l'extérieur.

— Oh la la, ces deux-là commencent sincèrement à m'exaspérer, pesta-t-il dans un murmure. À ce train-là, j'aurais déjà écumé tous les hommes de l'île.

— Sympa pour Moblit...

— Contrairement à toi, je ne me farcis pas mes subordonnés. Merde, excuse moi, réagit immédiatement quat'zieux réalisant sa bourde.

Le capitaine ne lui en tenait pas rigueur. Après Petra, il s'était peut-être permis une petite encoche avec l'autre rousse, mais rien de sérieux. De toute manière, il n'y avait plus matière à...

— Les jeunes de nos jours ne sont plus très futés. Rah, mais regarde moi ça ! Il faudrait limite les tenir par la main !

— Mais qu'est-ce qui te mets dans tous tes états ? L'interrogea-t-il - un poil irrité.

Sentant que la curiosité lui piquait le bout nez, Hanji agrippa les épaules de son collègue préféré et le força à regarder la bande, qui jactait joyeusement sous les arbres - une partie du groupe assit sur un muret, pendant que d'autres semblaient se chamailler pour des broutilles. Rien d'extraordinaire pour ses yeux métallique.

Voyant que la tête de mule ne s'efforçait pas à comprendre les enjeux qui l'intéressaient tant, le soldat Zoe pointa du doigt les deux énergumènes en question.

Un brun, sous ses airs contrarié, se permettait de temps à autre de guigner sur la seule blonde de la troupe, qui discutait - souvent suivit de grands gestes - avec son co-équipier. Inversement, le schéma se produisait de la même manière. Dès que le bébé Titan se recentrait sur son camarade qui lui cherchait des poux, l'emmerdeuse lorgnait sur lui, oubliant - le temps d'un battement cil - ce qui l'entourait.

— Vraiment ? Soupira Livaï. T'as quel âge ?

— L'âge de jouer les grands-frères et apprendre la vie à ces enfants en pleine puberté, répondit Hanji - d'un rire gras.

— Ouais, du moment que ta chieuse ne déconcentre pas le mien, je m'en fou.

Le petit teigneux reprit une gorgée de ce divin nectar, toujours accompagné de cette petite substance chargé en tanins. Ces futilités ne l'intéressaient pas. Une perte de temps. Ils pouvaient batifoler autant qu'ils le désiraient, du moment que la morveuse ne freinait pas la progression de son élève et n'entravait pas les prochaines missions.

Une intruse au sein du Bataillon, récalcitrante à la moindre petite contrariété, difficile à pousser dans ses retranchements. Cependant, elle suscitait sa curiosité avec des réactions quelque peu singulière, qui avait le don d'échauffer la bile, tournant systématiquement ces scènes dans sa caboche de soldat émérite. Il tâtonnerait bien le terrain avec le fétichiste des Titans, mais il devait être mis sur le banc de touche autant que lui.


Combien de temps n'a-t-il pas rendu visite à ses amis ? Il craignait leur réaction depuis l'Élysée. Ceci dit, Furlan n'était pas trop rancunier, contrairement à Isabel. Il imaginait sa petite frimousse, les joues exagérément gonflés, le menaçant de ses petits deux pommes vertes acidulées, tenant à le faire culpabiliser. Frère indigne, l'entendait-il pester de là haut. Une bien triste vérité. La plus grande débâcle de toute sa putain de vie et encore aujourd'hui, il essuyait les revers de la médaille. Il escomptait sur les magnolias fraîchement cueilli, en totale harmonie avec sa tignasse et son tempérament de feu, émanant toute la douceur et l'affection qu'il portait à son égard, pour se faire pardonner.

Dans le jardin d'Eden, où la mort était reine, Livaï pénétra prudemment dans sa forteresse de pierres dressés revêtue d'inscriptions et parfois embelli par la végétation apprivoisé par l'homme. Il chemina longuement dans ce labyrinthe sépulcral. 

Sur le point d'arriver devant les stèles, le taciturne se stoppa net, médusé par la présence de l'inconnue, qui rendait visite à ses défunts compagnons. Serait-ce la faucheuse qui l'attendait de pied ferme pour le réprimander ? Pour en avoir le cœur net, il s'avança d'un pas décidé vers elle et se posta à sa droite.

L'ange noir ayant senti l'aura cinabre de son voisin, esquissa un léger petit sourire, le picorant de ses yeux anilines.

— Livaï Ackerman, enchanté.

L'intéressé resta interdit, étudiant précautionneusement l'ampleur de son statut des plus énigmatique. À première vue, rien n'indiquait que son interlocutrice ne lui voulait pas du mal, or elle semblait terriblement bien le connaître. À moins que ce soit une ruse pour lui soutirer des informations ? Lesquels ? Les seules personnes au courant de son identité se comptaient sur les doigts d'une seule main. Deux d'entre elles étaient décédés. Un autre Ackerman se terrait dans cette gigantesque prison ?

— Nous n'avons aucun lien de parenté, si c'est la question que vous vous posez caporal.

— Mais vous connaissiez Kenny.

— Pas vraiment non. Ce lascar avait le talent nécessaire pour passer entre les mailles du filet.

— Qui êtes-vous ?

— Une simple femme qui rend visite à sa famille.

Le caporal porta son intention un bref instant sur la tombe de ses anciens camarades. Furlan et Isabel étaient orphelins depuis bien belles lurettes. L'intuition du caporal lui insufflait que cette personne était son auriculaire, la petite partie cruciale et indispensable pour stabiliser l'équilibre.

— Et donc, vous vous amusez à errer devant les tombes d'inconnus ?

L'expression de cet être étrangement troublant devenait inexpressive, mais le capitaine Ackerman dissimulait habilement bien ses émotions aussi.

— Je connais ce sentiment d'impuissance, murmura-t-elle en pivotant gracieusement en direction de la sortie.

Ses fins sourcils se froncèrent graduellement. Un regard emplit de dégoût s'imprégnait sur son visage doux et crémeux.

— de ne pas pouvoir protéger un être cher, en me disant que j'aurais pu l'éviter sans l'existence de certains parasites. En parlant de parasite, je vais devoir écourter notre discussion, je n'aime guère les regards indiscrets, ajouta-t-elle - un ton saumâtre.

Livaï se retourna pour découvrir les gêneurs en question. Deux jeunes jouvenceaux se tenait non loin du portillon. Le garçon ne lâcha pas un seul instant le morceau, dévoré par la curiosité, quant à la gamine, la main droite ancré sur son coude gauche, elle inclinait sa tête vers le bas, dessinant sur le sol avec son pied. Le simple fait d'observer ces deux adolescents aveuglément éprit l'un de l'autre, permit au corbeau de battre discrètement en retraite. S'apprêtant à lui courir après, la lady s'adressa une dernière fois à lui.

— Ah et avant que je n'oublie, donnez le bonjour à Erwin. Je l'attends avec impatience, dit-elle - un sourire carnassier qu'il ne verra point, seulement un geste de la main pour le saluer, avant de se volatiliser ignorant les soldats en tenu de civil - qui observaient la dame quitter les lieux.

Il en fallait peu pour faire sortir le caporal de ses gonds, qui réussit à réprimer sa colère à la seconde suivante, désirant impérativement parler à son Major estropié, prêt à terminer le boulot, si cela était nécessaire.

Le soldat Ackerman jeta un dernier coup d'œil en direction des tombes, s'excusant silencieusement, promettant à ses amis de revenir le plutôt possible - pensant au dernier moment à poser les fleurs sur chacune d'entre elles.

Arrivant quasiment à la hauteur des deux tourtereaux, la blondinette semblait parler au jeune Titan, perdu dans ses pensées.

— Qu'est-ce que vous foutez là tous les deux ?

La cervelle de moineau réalisa que son chef s'était planté devant lui.

— On ne faisait que se promener et ce gros nigaud, dit Æsma frappant l'épaule d'Eren, à cru bon de s'arrêter en chemin pour vous espionner.

— Quoi ? Mais non ! S'écria le brun outré par le geste de son amie - caressant son épaule endolorie.

La morveuse plaqua sa main sur la poitrine du futur éphèbe - dont les joues se teintèrent brusquement - pour le pousser, comme si elle se sentait obligée de s'interposer entre les deux hommes.

— Désolé, pour ce petit désagrément, capitaine, s'excusa pour la toute première la gamine envers le chef d'escouade tactique. Nous ne vous embêtons pas plus longtemps.

Traum força son camarade à se retourner et le poussa sur le droit chemin, pour l'éloigner au plus vite du petit teigneux, craignant peut-être de se faire réprimander. Une fois en sécurité, la protégée d'Hanji jeta de temps à autre, des regards inquiets à l'encontre du caporal - qui les observait incrédule. D'ici, ils semblaient se chamailler, mais Livaï ne s'attarda pas plus longtemps sur ses deux-là, obnubilé par son tout nouvel objectif.


À bas la politesse, le soldat le plus fort de l'humanité entra dans le bureau en trombe interrompant la conversation de son Major et d'un soldat des Brigades Spéciales - qu'il ne remarqua pas, bien trop obsédé par ce qu'il s'était passé au cimetière.

— Je peux savoir depuis quand tu parles sur ma gueule ? Fulmina-t-il - contournant le bureau de son supérieur pour le choper par le col de sa chemise impeccablement repassée. Qui t'a permis de parler de mon passé à de parfaits inconnus ?

Les pupilles polaires n'oscillaient pas d'un iota. Un regard impénétrable. Le même qu'autrefois...

Ne saisissant pas les allusions du caporal, Erwin muet comme une carpe, prenait tranquillement la température de la pièce.

— Lieutenant Rovdyr pourrions-nous reprendre la conversation un autre moment, s'il vous plaît.

L'héritier de la famille observait le commandant et la terreur des bas-fonds, amusé par cette surprenante scène de ménage. Il se leva du fauteuil, réajustant élégamment sa veste.

— Aucun problème Major. Je vais profiter de cette fin de journée pour m'aérer un peu. Nous allons avoir beaucoup à faire demain, dit-il solennellement.

Une fois que le soldat ait quitté les lieux, Livaï relâcha son étreinte reprenant son souffle.

— Maintenant tu vas me dire ce qu'il se trame, pesta-t-il.

Erwin se réinstalla confortablement sur sa chaise, posant les coudes sur le bureau, enfouissant son menton sur les phalanges qui s'entrecroisaient. Il scruta attentivement son subordonné, le regard d'acier devenu placide, une ride du lion qui s'effaçait difficilement sur son front. Il se pinçait continuellement le nez, puis se mordilla la lèvre inférieure.

— J'aimerais bien le savoir aussi Livaï, mais pour ça, il faudrait d'abord que tu m'expliques ce qu'il s'est passé, car je ne comprends rien à ton charabia.

Doucement, mais sûrement, le caporal reprit son attitude décontractée et raconta ce qu'il s'était passé là-bas, provoquant chez le Major Smith une excitation non dissimulé. La même que sur son lit d'hôpital quand Hanji lui avait annoncé que les Titans pourraient être potentiellement des êtres humains. La même quand il lui avait raconté que certaines lignées n'avaient pas été affectées par le pouvoir du roi Fritz.

— Maintenant, tu vas m'expliquer ce que tu manigances, grogna le petit homme. Et quel lien entretiens-tu avec cette sorcière ?

— Tout vient à point qui sait attendre, répondit machinalement le grand blond. Je ne peux pas le nier, elle mène magnifiquement bien cette danse, mais elle vient de cramer une de ses plus belles cartes en avouant connaître ton identité.

Livaï arqua un sourcil interrogatif.

— Tu te demande encore pourquoi j'ai accepté expressément l'intégration de la petite Traum dans le Bataillon ?

— Je me doute que ce ne soit pas que pour les fonds, mais c'est quoi le rapport ? Maugréa le chef d'escouade.

— Justement, répliqua Erwin - sortant un dossier d'un des tiroirs de son bureau. Si je m'intéressais de plus près à la famille Traum, c'est parce que je visais la mère. Je croyais que sa fille était un de ses points faible, mais je suis trompé sur toute la ligne. Avant que tu ne m'interrompes avec le petit Aloysius, je commençais à comprendre l'envers du décor. Nous en saurons plus demain, avec Hanji. La première étape sera de rendre une petite visite aux Rovdyr et nous nous adapterons en conséquence.

La mère ? Le capitaine Ackerman ramassa le rapport et commença à feuilleter son contenu. Un gamin assassiné chez les Rovdyr. Un crime passé sous silence, effaçant d'autres preuves sur son passage Mais quel lien avec les Traum ? Il lut plus attentivement le rapport, réalisant petit à petit l'importance de cet incident, comprenant partiellement ce qui n'allait pas chez cette gamine.

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