La caverne des espoirs brisés

Chapitre 31 : Une sombre échappée

2771 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 7 jours

L’Elfe et la Basiléenne s’effondrèrent en même temps, et à cet instant précis les trois survivants se sentirent libérés d’une sorte d’obscurcissement de l’esprit qui les poussait vers la paranoïa depuis leur passage dans cette dimension. Braegor se précipita auprès d’Etchmiéazna, bien qu’il sût qu’il arrivait trop tard. Meilyr aussi s’approcha, mais dans un autre but. Le bâton avait roulé des mains des anciens compagnons entre-tués et gisait une marche plus bas.

« Pourquoi serait-ce à toi de récupérer l’artefact ? l’interrompit Flamme-Ardente.

– Parce que je suis le mage du groupe, à ce qu’il paraît. Ce n’est pas donné à tout le monde de maîtriser les objets ensorcelés. »

Et sur ces mots il s’empara du bâton. Aussitôt, une gerbe d’éclairs s’échappa d’une de ses extrémités et alla frapper le plafond de la caverne. Dans un éclat effroyable d’énormes blocs de pierre se détachèrent et s’effondrèrent sur le sol, heureusement à bonne distance des trois survivants. « En effet, ce n’est pas donné à tout le monde, » se moqua Flamme-Ardente. Alors Meilyr reposa le bâton, sortit un morceau de peau de bête de sa besace et enveloppa précautionneusement l’artefact avec. Puis il escalada la marche qui le séparait de Braegor, lequel était toujours agenouillé aux côtés d’Etchmiéazna, le visage contre son visage. Posant une main sur son épaule, le Nain essaya de prendre une voix réconfortante : « Inutile de s’apitoyer ici. Nous honorerons sa mort quand nous serons sortis de cet endroit maudit. »

Braegor ne répondit pas, mais il se releva néanmoins, résigné à suivre le sage conseil de son ami et à quitter cette grotte au plus vite. Mais un problème se posait, et non des moindres : il leur fallait trouver le chemin du retour. « Nous ne pouvons pas reprendre le même trajet qu’à l’aller, le passage est bloqué par l’éboulement au mieux, et par les larves de succubes au pire, constata Meilyr.

– Je suis arrivé par un autre chemin que vous. Mais je ne me rappelle plus par quelle ouverture... Il y en a tant ! » 

Hélas le temps allait leur manquer pour réfléchir, car déjà des cris atroces annonçaient le retour des créatures abyssales.

« C’est par là, déclara alors sobrement Flamme-Ardente.

– Hein ? D’où tu sors ça ? douta le Nain.

– La chaleur. Il y en a un peu par là. Tout le reste... est si froid... »

Le Nain lui sauta au cou, enfin... essaya, et s’écria : « Tu es notre sauveuse, ma si chère Flamme-Ardente ! Suis ton instinct, guide-nous vers la chaleur, vers la sortie ! » Mais voyant qu’elle ne se dépêchait pas pour autant d’ouvrir la marche, il ajouta : « Et garde ta pipe au bec ! Respire la bonne mixture de Meilyr à plein poumons, tu es en train de t’ankyloser ! »


Nos trois protagonistes s’élancèrent donc au travers d’un dédale de couloirs granitiques et de salles ornées de sculptures démoniaques. Ils ne s’attardèrent nulle part, gardant en mémoire leurs précédentes expériences et étant talonnés par des monstres indénombrables. Au bout d’un moment – mais qui peut dire combien de temps s’écoula ? – Flamme-Ardente annonça : « Nous y sommes presque.

– Et bien, c’est pas trop tôt ! C’est que j’ai pas des guibolles taillées pour la course, moi ! »

Puis, après quelques secondes de réflexion, le Nain se mit à rire : « En fait elle était pas si difficile, cette quête. » Ignorant les regards désapprobateurs de ses compagnons, il poursuivit : « Bon, fallait déjà trouver l’entrée, d’accord, mais on l’a fait sans trop suer. Et puis il fallait traverser la caverne jusqu’à l’autel. Franchement, ça va, les pièges étaient pas si terribles. » Flamme-Ardente leva les yeux vers le plafond, à défaut du ciel. « Et ensuite, hop, un petit tour de passe-passe et on récupère le trésor... » Cette fois, ce fut Braegor qui s’irrita de l’effronterie de Meilyr. Mais le Nain ne vit pas le regard noir qui lui était adressé et continua : « Et maintenant, une petite foulée revigorante, et nous voilà libres ! Libres et couverts de gloire, de richesses ! Golloch me torchera les fesses pour m’emprunter mon trésor, le bâton-tonnerre le plus puissant jamais vu ! Mais je lui dirai – seulement une fois qu’il aura fini sa besogne – que non, le bâton magique n’est pas un jouet pour roi capricieux. Meilyr le Sage et ses champions, la corsaire Flamme-Ardente et Braegor le chasseur, sont là pour veiller sur le terrible artefact, pour qu’il ne tombe pas dans de mauvaises mains. Et en remerciement pour ce dur labeur de protection, on nous servira sur des plateaux d’or les mets les plus fins de Mantica, on nous apportera de la bière dans des choppes de cristal, on fera venir à moi la barbière en chef du Grand Roi, la belle Gwyneth, et elle dira : "Oh mon brave Meilyr, je préfère mille fois tailler votre barbe que celle de cet idiot de Golloch ! Vous avez vu comme je n’ai pas peur de traiter Golloch d’idiot en public ? Car auprès de vous je n’ai plus peur de rien, Meilyr... Et votre barbe est si... bienséante ! Voulez-vous m’épouser, Meilyr ?". Et moi je répondr... »

Braegor l’interrompit soudainement : « Entendez-vous ce grondement ? Ce sont des sabots qui martèlent le sol, des cavaliers approchent ! Plus vite, nous devons courir plus vite !

– Des cavaliers ? Mais alors, on a aucune chance de les distancer ! Merde ! Et mon mariage avec Gwyneth, j’en fais quoi ? »

Le Nain s’arrêta net, comprenant qu’avec toute la volonté du monde il ne pouvait échapper à la cavalerie abyssale lancée au galop. « Braegor attrape ! » cria-t-il en lui envoyant le bâton-tonnerre enveloppé dans la peau de bête. Puis il reprit, pour lui-même cette fois : « Alors comme ça ces Messieurs les Hellequins pensent pouvoir prendre en chasse le grand Meilyr ? C’est mal connaître les Nains que de les considérer comme des proies. Vous allez subir le courroux de Meilyr l’Irascible, Meilyr la Colère de Dianek ! »


En se retournant pour attraper le bâton, Braegor se dit que quelque chose avait changé chez Meilyr. Ses cheveux peut-être ? Il ne se souvenait pas que le Nain était roux. Sa barbe n’était-elle pas brune ? En vérité, il ne l’avait jamais vu sans son casque. Quand l’avait-il perdu, d’ailleurs ? Mais alors que le Parangon poursuivait sa fuite et se retrouvait de nouveau à hauteur de Flamme-Ardente, le sol se mit à trembler. Un vrombissement assourdissant satura l’espace autour d’eux. La Salamandre souffrait à chaque pas et économisait au maximum ses efforts car sa patte gauche avait été blessée par la boule de feu du démon. Elle ne dévia donc pas du regard, restant concentrée, focalisée sur la sortie, et ne vit rien de l’échange entre Braegor et Meilyr. Aussi, en hurlant pour se faire entendre, Flamme-Ardente s’écria : « Mais que se passe-t-il enfin ?

– Je n’en sais rien. Meilyr est resté derrière... Meilyr ! Mais oui ! » Le Frère de la Marche comprit en un éclair de lucidité ce qui se produisait. Haletant, effrayé, il répondit à sa camarade : « Ce qu’il se passe, c’est ce qui arrive quand un prêtre de la pierre est frappé par la malédiction rouge ! Meilyr est devenu un berseker, et la terre elle-même frémit de rage à l’appel de sa vengeance ! »

Puisant dans ses dernières ressources, Braegor accéléra encore son allure, distançant malgré lui la Salamandre. Cependant, il ne pouvait plus rien pour elle, sinon espérer qu’elle s’échapperait à temps. Autour du Parangon, des morceaux roches s’effondraient du plafond. Il reçut plusieurs pierres sur les épaules, qui faillirent le faire chuter. Mais il tint bon et poursuivit sa course. Enfin il aperçut l’extérieur, avec son ciel surnaturel et menaçant. Il voyait des fissures qui lézardaient le pont de pierre sur lequel il courrait et courrait toujours. Le pont était-il si long à l’aller ? Le vacarme derrière lui ne faiblissait pas, il n’osait regardait en arrière. Une statue de gargouille se fendit sur sa droite, un trou s’ouvrit devant lui, au milieu du pont. Il ne le contourna pas, préférant l’enjamber d’un saut aussi prodigieux que risqué.

Sa réception fut plus raide qu’escomptée. Il s’étala de tout son long, une cheville foulée et le visage éraflé. Mais à son grand soulagement, il n’était plus sur le pont. Il avait franchi le portail qui séparait les mondes, il se retrouvait à nouveau sur l’île et embrassa de soulagement le sol rocailleux qui reflétait les premiers rayons de l’aube.


Un grondement titanesque rappela Bragor à l’ordre, et le souffle d’une déflagration le plaqua à terre. Lorsqu’il put se relever, il constata que le rocher noir qui faisait autrefois face au sommet de l’île n’était plus. Il venait de s’effondrer dans cette dimension comme cela devait être le cas dans l’autre. Sans lui laisser plus de temps pour se remettre, une main l’enlaça et une lame vint se glisser sous son menton. « Ne bouge pas ou je te tranche la gorge ! Lâche ce que tu tiens dans ta main. Inutile de me cacher sa nature, je sens sa puissance magique. Je sens son crépitement… Un bâton-tonnerre... Parfait ! Oh oui c’est parfait, le pouvoir de la foudre !

– Raghar...

– Et oui, c’est bien moi. Et je te suis reconnaissant de m’apporter sur un plateau ce que je recherche en vain depuis des lunes... Je croyais bien ne jamais réussir à trouver l’entrée du sanctuaire. Mais par chance, un petit groupe d’imbéciles s’est chargé de récupérer à ma place le précieux butin...

– Tu savais qu’on venait pour ça et tu nous as suivis ?

– Le coup classique : je vous ai laissés vous évader. Vous ne vous êtes doutés de rien, bande d’idiots... Et maintenant, avec en ma possession ce puissant objet magique, devine donc qui va devenir le plus grand mage de son temps ? Qui va effacer le souvenir de Raegorn tant il le surpassera ? C’est moi, Raghar ! Non pas Raghar le Parangon de la Confrérie, ni Raghar le Chapelain, mais Raghar le Souverain-Mage, celui qui foudroya ses opposants, celui qui châtia l’Ordre de la Rédemption et détruisit les Armures des Marées pour les punir de leur insolence et de leur dédain à son égard !

– Tu fabules mon pauvre frère ! »

Et lâchant le bâton-tonnerre, Braegor envoya sa main ainsi libérée empoigner la lame du couteau sous sa gorge. Raghar avait hésité une fraction de seconde à saisir au vol l’artefact, dans un réflexe irrationnel. Juste une fraction de seconde, mais lorsqu’il se ressaisit et tenta d’égorger son frère, le gantelet de Braegor enserrait déjà son arme. « Vois-tu cette croix rouge sur mon gantelet ? Elle signifie que j’ai fait le vœu de terrasser un champion ennemi en duel. Et jusqu’à maintenant, je désespérais de trouver une occasion de l’accomplir. Alors c’est moi qui te suis reconnaissant, de m’apporter sur un plateau une telle opportunité.

– Tu crois que ce sera si facile de me vaincre ? Tu ne connais rien de moi si tu penses que je suis assez stupide pour être venu seul sans couvrir mes arrières ! »

Tout en maintenant sa prise sur Braegor, Raghar pivota sur lui-même et imposa un demi-tour à son frère. « Regarde donc de ce côté et contemple ton peloton d’exécution ! »

Cinq soldats apparurent devant eux, dispersés quelques pas plus bas sur le flanc de la montagne, quittant leur cachette respective. Le Frère de la Marche reconnut les armes qu’ils portaient : les carabines fournies par les Vermines. Quelle humiliation de mourir sous les tirs d’instruments aussi ignobles !

« Messieurs, visez le cœur, repris Raghar, à l’attention de sa garde rapprochée. À mon commandement, trois, deux... »


Cependant, à la surprise générale, il n’eut pas le temps de terminer son décompte. Les deux frères se retrouvèrent subitement projetés au sol. Ils étaient encore à terre quand Flamme-Ardente se releva. Elle avait finalement réussi à traverser le pont avant qu’il ne s’effondrât et venait tout juste de traverser le portail, car l’intuition de Gildarion était juste : tout comme l’espace, le temps était distordu dans cette autre dimension, et les quelques secondes qui séparaient la Salamandre de Braegor de l’autre côté correspondaient ici à quelques minutes. La corsaire fut aussi surprise que ses opposants, mais elle était mieux préparée à prendre des décisions urgentes dans les situations les plus périlleuses et les plus inattendues. Elle balança son pistolet à la face du soldat le plus proche tout en se jetant sur lui. Elle ne pouvait de toute façon rien tirer de mieux de son arme, ayant épuisé ses réserves de poudre contre les larves et son dernier coup ayant été pour le moloch. L’homme esquiva le projectile, ce qui lui fit dévier son tir, qui passa à quelques centimètres de la tête de Flamme-Ardente. Il n’eut pas de seconde chance car elle était dans l’instant sur lui et l’embrocha de son sabre. Soulevant d’un bras le cadavre toujours planté sur son arme, elle s’en fit un bouclier tandis qu’elle ramassait de son autre main la carabine tombée par terre. Maniant avec aisance la carabine malgré ses pattes griffues, elle abattit un à un les soldats qui s’efforçaient de l’atteindre sans y parvenir, car elle esquivait adroitement les tirs derrière sa protection improvisée. Lorsqu’elle acheva enfin le dernier garde, celui qui pendouillait au bout de son sabre était criblé de balles, méconnaissable tant ses chairs étaient déchiquetées.

Sans s’apitoyer, Flamme-Ardente retourna auprès de Braegor et Raghar pour constater que les deux frères gisaient enlacés, tous deux poignardés l’un par l’autre. Elle allait se pencher pour ramasser le bâton-tonnerre, l’objet qui avait déjà causé tant de malheurs, quand elle entendit un son strident, aux modulations aléatoires, qui gagnait rapidement en intensité. Elle pensa d’abord au vent sifflant au contact de la crête rocheuse. Mais à mesure que le son s’amplifiait, sa nature se dévoilait : il s’agissait d’un chant. Un chant hurlé, ou plutôt le chant hurlé, celui qui accompagnait toujours les Vermines sur le chemin de la guerre. La corsaire attrapa sa longue-vue et la pointa sur le rivage Est de l’île. Ce qu’elle observa lui confirma ce qu’elle redoutait : des Vermines innombrables débarquaient, peut-être le nid tout entier, à l’assaut de la forêt et des dernières poches de résistances de la Harde. Elle dirigea alors son instrument sur le fortin des humains renégats et constata qu’ils s’étaient regroupés en ordre de bataille aux abords de leur camp, prêts eux-aussi à engager le combat. Toutefois, les trébuchets ne pointaient pas vers la forêt comme précédemment, mais vers l’ouest. Que ciblaient-ils ? Flamme-Ardente se tourna alors dans la direction qu’ils visaient et aperçut ainsi leur future cible.


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