Kingdom Hearts III : La quête des Cœurs perdus

Chapitre 33 : Les Ténèbres - Déchéance

9778 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/02/2024 18:22

[WARNING Blessure]


Après une partie pleine de bonnes nouvelles et découvertes, nous repartons dans le drame et l'obscurité de Kingdom Hearts, avec un titre des plus sombres !

*déchaînement de tonnerre et éclairs en arrière-plan, avant que Riku n'aille fermer les fenêtres et rideaux pour éviter une catastrophe dû au temps pourri chez moi*

Préparez vos mouchoirs, accrochez-vous à vos sièges, j'envoie la Révélation avec un grand R…


Malgré un retour pour le moins mouvementé, Sora a rapidement retrouvé la maîtrise de ses sorts et capacités, en particulier celle de la Fusion Souvenance. Enfin d'aplomb après des mois d'incertitudes, il est plus que jamais déterminé à finir son entraînement et trouver un moyen de sauver Roxas…

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 - Ah, quelle belle journée qui s'annonce, mes amis !

- Parle pour toi, t'as pas à courir chaque matin…

Jiminy s'excusa d'un regard envers Donald pas encore bien réveillé, tandis que Dingo ne pouvait s'empêcher de pouffer devant son habituelle mauvaise humeur matinale. Le trio s'apprêtait à rejoindre Phil sur le terrain pour leurs exercices du jour quand un détail les frappa.

Sora n'était toujours pas levé.

Se retournant vers l'adolescent recroquevillé sous les couvertures, les adultes s'échangèrent un regard concerné : leur protégé n'avait jamais été un lève-tôt, mais jamais encore il n'avait autant tardé à se préparer. C'était bizarre.

- Sora ? Tu dors ? fit doucement le chevalier en penchant la tête vers lui.

Ils découvrirent alors le visage de l'Élu, bien réveillé mais ses yeux sans éclat fixant le vide comme dans un autre monde. Inquiet de son mutisme, le chien posa sa main sur son épaule, puis le secoua lorsqu'il ne réagit pas plus :

- Tu vas bien ?

Le silence leur répondit à nouveau, avant que le garçon ne tourne enfin le regard vers eux en hochant à peine la tête, l'air absent.

- T'as l'air bizarre, remarqua le canard.

Son ami se contenta de soupirer, cachant sa figure d'une main. Les adultes s'échangèrent un regard préoccupé, avant que le magicien n'avance une paume pour vérifier sa température ; mais aussitôt l'adolescent le repoussa, marmonnant :

- J'ai juste eu du mal à dormir cette nuit…

- Tu… T'as fait un cauchemar ?

L'Élu laissa échapper une réponse monosyllabique ambiguë, se levant enfin pour se préparer tandis que ses camarades s'inquiétaient de son état :

- Tu te sentais pas malade quand tu t'es couché ? s'enquit Donald.

- Nhn…

- J'espère que nous n'avons pas été trop bruyants durant notre sommeil ?

- Hmm…

- Sora, t'es sûr que tu n'as pas fait de mauvais rêve ou…

- Ça va, foutez-moi la paix ! cracha soudain l'Élu en les foudroyant du regard.

Choqués autant par ses mots que ses yeux luisant de colère, ses trois amis restèrent muets. Le garçon détendit ses sourcils après quelques instants, comme réalisant sa réaction, puis leur tourna le dos en marmonnant :

- C'est juste une mauvaise nuit… Allez-y, j'arrive…

- Mais, tu v-

- Vous pouvez pas me laissez tranquille ? répliqua l'adolescent en leur lançant un autre regard dur.

Médusés par son comportement, les adultes hésitèrent, avant de quitter la pièce à contrecœur. Sora les rejoignit sur le terrain quelques minutes plus tard, recevant pour le coup des tours supplémentaires de la part de Phil ; mais il ne protesta même pas la punition. Il semblait… étrangement indifférent, comme ailleurs. C'était inquiétant.

La journée se déroula ainsi en silence, l'Élu restant cloîtré dans son mutisme autant lors des exercices que du repas. Ses amis tentèrent bien d'engager une conversation, mais il la rejeta nette en finissant son assiette d'un trait avant de quitter la table. Ils commençaient à se demander s'ils ne l'avaient pas vexé sans faire exprès.

Néanmoins, quelque chose de plus préoccupant arriva pendant l'entraînement de l'après-midi : alors que Sora se plaçait face aux urnes qu'il devait détruire, Dingo jugea bon de l'encourager pour dissiper sa mauvaise humeur :

- Allez Sora, montre à Phil comment tu maîtrises bien ta Fusion !

Sa réaction fut très différente de ce à quoi le chien s'attendait ; le garçon se figea soudain, raide, et son regard outremer sembla s'écarquiller douloureusement, comme s'il allait se mettre à pleurer. Mais l'instant d'après, ses yeux s'asséchèrent et il fronça durement les sourcils en serrant Chaîne Royale, focalisé sur sa tâche alors que Phil sonnait le départ.

Il n'usa pas de la Fusion une seule fois.

Alors que le satyre le félicitait de sa performance, Donald et Dingo ne purent s'empêcher de s'échanger un regard inquiet. Sora était distant, et il refusait visiblement d'activer la Souvenance alors qu'hier encore il prenait plaisir à défoncer les Sans-cœurs à grands coups de Diskobolos.

Il n'allait pas bien, c'était sûr.

Leur exploration du jour devait leur permettre de mettre les choses au clair et l'aider. Jusqu'à ce qu'ils apprennent que l'Élu était déjà parti tout seul à Thèbes.

Et qu'ils ne pourraient pas l'y rejoindre, parce que Hercule et Pégase étaient aussi là-bas pour la journée.


Déblayant une rue de ses innombrables débris, Sora aida un homme fatigué à porter sa propre charge jusqu'au débarras improvisé. L'inconnu le remercia du soutien et le Porteur lui répondit d'un grand sourire ; mais les coins de ses lèvres s'affaissèrent lentement dès qu'il fut hors de vue.

L'adolescent avait insisté pour accompagner Hercule dans sa mission à Thèbes ; c'était là qu'il était utile, à aider tout ces gens en détresse. Pas à tabasser joyeusement des Sans-cœurs en pleine montagne avec deux (non, trois) compagnons qui s'inquiétaient en permanence pour lui… à tort ou à raison. Peut-être qu'il aurait dû leur dire que…

Non, il ne voulait pas penser à ça ; c'était la deuxième raison pourquoi il était venu ici. Pour se changer les idées.

Et voir le sourire de ces gens reconnaissants malgré tout les tracas qu'ils subissaient.

Alors qu'il reportait un nouveau panier plein de débris, un homme déboula sur les lieux, cherchant de l'aide contre des créatures apparues à la colonnade de l'oliveraie ; sans attendre, l'Élu abandonna sa charge et se rua sur place pour déloger les quelques Ombres et Gladiateurs volants y semant la pagaille.

Un peu d'action lui faisait du bien. Il n'avait pas pu cesser de repenser à ce qu'il s'était passé la veille, quand… quand il ne voulait plus penser à ça. Se battre lui viderait l'esprit plus vite que porter des pauvres cailloux. Les monstres volants se montrèrent comme d'habitude plus récalcitrants que leur acolytes terrestres, et le Porteur en vit d'ailleurs un transporter une sorte de Sans-cœur à long bonnet rouge qui s'écrasa au sol lorsqu'il abattit son comparse d'un Glacier. Réglant le compte d'autres Soldats voulant profiter de son inattention, l'Élu se retourna vers la nouvelle créature et pointa sa Keyblade sur elle pour l'achever d'un rapide Brasier et-

Soudain une douleur vive et pongitive le cloua violemment au sol ; il vit tout juste un cœur s'envoler de là où son sort avait explosé avant que le plafond ne vienne envahir complètement envahir sa vision. Figé par la surprise et la souffrance qui le suffoquait, il tourna lentement la tête vers son point d'origine, pour voir une une flèche énorme saillant de son torse, sur le côté gauche. Haletant, il ne vit plus que cette flèche plantée dans sa poitrine et bougeant au rythme affolé de ses respirations, alors que son cœur touché bourdonnait dans ses oreilles en noyant tout les autres sons.

Incapable de bouger, ou même de respirer, l'adolescent crut entendre un bruit difforme au loin, avant que quelque chose ne le frôle sans qu'il n'ose regarder ce que c'était ; puis il se sentit soudain soulevé de terre et sa tête bascula en arrière alors qu'un brouillard de colonnes et de murs dansaient devant ses yeux. Il y eut des voix, des cris tandis qu'il sentait un mouvement vers il ne savait où ; une voix sonna plus familière que les autres, alors qu'il luttait désespérément pour retrouver le contrôle de ses membres et se débattre, se sauver ; mais rien n'y faisait.

Quelque chose de chaud et mou apparut sous lui, tandis qu'il voyait soudain un grand ciel bleu orangé magnifique, sans le moindre nuage au-dessus de lui ; un autre mouvement l'emporta dans un léger cahot, alors que tout se mélangeait. La chose dans laquelle il était allongé s'enfonça subitement, comme pour l'avaler ; il voulut tendre le bras et s'en extirper, mais trop tard.

Le manteau se referma sur lui, et il tomba dans ses entrailles.


Tout était noir et flou. Sora ne savait même plus où il était, ni ce qu'il faisait ; il était trop paniqué pour le comprendre. Tantôt il tombait, tantôt un courant d'air le faisait valser à des milliers de kilomètres d'altitude, tantôt il restait purement et simplement en suspension tel un noyé entre deux eaux, inerte et oublié. Il ne savait même pas dans quel sens il était, à l'endroit, à l'envers ou les pieds en l'air.

De vagues sons lui parvenaient, mais il ne sut jamais si c'était des voix ou des bruits indescriptibles. Tout était beaucoup trop confus et noir pour qu'il comprenne quoi que ce soit.

Rouvrant faiblement les yeux, tentant de se repérer dans cet univers, il crut distinguer un faible écho de voix multiples :

"…?"

"…toi."

"…bouge t…"

"Vaurien"

- …Qu… Qui…? …Ro… xas ?

Si c'est qu'à lui que tu penses alors t'es encore plus idiot que ce que je croyais.

Sora ne comprit rien à ces paroles ; mais alors qu'il essayait de se retrouver dans cet espace sans sens, quelque chose de monstrueux apparut dans le coin de sa vision.

Une gueule béante, affreux amas de muscles aux yeux jaunes de la créature vaincue des années auparavant dans ce Monde de Fin où s'étaient échoués les cœurs de tout les mondes engloutis, s'avançait avidement vers le petit vermisseau qui pendait dans l'abîme de cauchemar.

L'Élu écarquilla les yeux de terreur à la vue de la chose prête à le dévorer et s'agita comme il put ; mais ses vains efforts ne purent empêcher la créature de s'approcher, encore, encore, encore…

Par réflexe de survie, il tendit la main et appela à lui sa chère Keyblade en un dernier élan d'espoir : à cet instant, un éclat de Lumière ne jaillit non pas de sa paume, mais de son cœur telle une lance le transperçant sans aucune merci. Sora suffoqua et se tint la poitrine, cherchant à respirer. Tout se brouilla, et il crut sombrer dans un tourbillon sans fin ni début, alors que de subits échos de voix dansaient autour de lui :

S… a…

or…!

- Sora, réveille-toi !

Les couleurs revinrent soudain à sa vision et le paysage se stabilisa enfin comme au sortir d'un rêve trop profond ; Sora inspira subitement, réalisant qu'il était réveillé et en nage. Il eut tout à coup conscience de la présence de Donald, Dingo et Jiminy, penchés sur lui et lui épongeant le front. Encore désorienté, l'adolescent se rappela soudain qu'il avait été frappé au cœur et se redressa en panique, baissant avec horreur les yeux vers le point d'impact ; sous ses doigts se révéla un bandage couvrant son épaule, bande blanche barrant son torse nu. Une douleur pulsative s'y réveilla devant son agitation, s'apaisant néanmoins lentement alors que le garçon comprenait qu'il était toujours en vie, loin de tout Monde Chaotique et de monstre voulant l'avaler :

- Respire Sora, tout va bien, ordonna calmement Donald devant l'affolement du jeune homme.

- Nous sommes là, tu n'as rien à craindre, le rassura Dingo en serrant sa main qu'il avait inconsciemment attrapée comme pour se protéger.

- Que ? Quoi ? Où… Qu'est-ce que j'ai…? balbutia leur protégé en observant ses environs, tâtant toujours le pansement de sa poitrine.

- Hercule t'a ramené au colisée, expliqua Jiminy en sautant sur son lit. Tu n'as rien de grave, mon garçon, rassures-toi.

Complètement réveillé, Sora se calma et s'adossa aux oreillers, essayant de remettre de l'ordre dans son esprit. Il eut juste le temps de sentir le chevalier lui éponger une dernière fois le visage et de cligner des yeux qu'il entendit :

- Par Méditrine, ça va graine de champion ?

L'adolescent leva le nez pour voir dans leur dortoir Phil, Hercule et Mégara, et la moitié avant de Pégase qui visiblement ne passait pas la porte. Étaient-ils déjà tous là ou venaient-ils d'arriver ? Trop fatigué pour poser la question, le garçon murmura faiblement :

- Qu… Qu'est-ce qui s'est passé ? Je me souviens juste… Les Sans-cœurs, je les combattais à Thèbes et j… Quelque chose m'a plaqué au sol et, et tout est devenu flou…

- Pas très étonnant, vu comment on t'as trouvé, commenta la thébaine avec une pointe de compassion. Un homme venu t'aider t'a découvert blessé et appelait aux secours quand je suis passée par là ; le temps de te mettre dans un chariot et de retrouver Super Mâle, et nous voilà rentrés, conclut-elle en s'accoudant à l'épaule de son compagnon.

- Donald et moi on s'est occupés de toi, ajouta le capitaine en posant une main sur le bras de son ami. Tu es resté inconscient un moment, mais heureusement c'est plus de peur que de mal.

- Tu parles, dans quelle galère tu t'es fourré, graine de champion ? On s'est fait un sang d'encre quand Herc' t'a ramené avec une flèche dans l'épaule !

- Je… Je suis désolé, s'excusa l'Élu en touchant son membre blessé.

Un court silence vint, avant que Donald ne mette les poings sur les hanches :

- Bon c'est pas tout mais on a un patient qui a besoin de repos, alors ouste ! fit-il en faisant signe aux résidents de partir.

- Depuis quand tu nous dis quand dégager toi ? s'offusqua Phil. C'est moi son entraîneur !

- Et moi son médecin ! rétorqua le canard en sortant son bâton. Alors vous le laissez tranquille ou je vous fait déguerpir !

- Phil, je crois que Sora a effectivement besoin d'un peu de calme, intervint le héros.

Bon gré mal gré, le satyre dut lui aussi s'en aller ; le couple souhaita bonne soirée au trio et surtout à Sora, avant que le magicien ne referme la porte derrière eux d'un geste agacé. Donald soupira, puis revint vers le jeune homme et déclara plus calmement :

- Ta blessure n'est pas très profonde, mais tu devrais au moins te reposer toute la soirée et peut-être demain matin. Et éviter de trop bouger ton épaule quelques heures.

Sora hocha la tête, puis grimaça quand un mouvement involontaire raviva la douleur de sa plaie alors qu'il s'asseyait dans son lit, et ses amis vinrent aussitôt l'aider à s'installer confortablement. L'adolescent ferma les yeux et respira profondément, essayant de chasser les dernière traces d'angoisses de son rêve et son incident. Dingo se tourna alors vers lui :

- On va chercher des trucs au vaisseau pour ta blessure. Tu veux qu'on te prenne quelque chose en passant, ou…?

Le garçon ne dit rien, plongé dans ses pensées, puis après quelques secondes de réflexion laissa échapper un faible :

- Vous… pouvez… m'amener au vaisseau ?

- Hein ?

- Euh non, j'ai rien dit, se ravisa soudain l'Élu en secouant la tête.

Il détourna le regard, semblant vouloir changer de conversation quand Jiminy sauta sur son épaule valide et posa doucement sa main sur sa joue :

- Sora… Veux-tu aller au vaisseau Gummi ce soir ?

Le garçon ouvrit la bouche, hésita, puis soupira sans rien ajouter. Il fixa le sol un moment, le regard vide et épuisé. Ses amis s'échangèrent un regard inquiet, quand il tourna finalement les yeux vers eux et, timidement, hocha la tête.


Le vaisseau était terriblement calme ce soir. Et c'était pas juste parce que Sora s'était pris une satanée flèche Sans-cœur dans l'épaule : quelque chose pesait dans l'air.

Les adultes avaient essayé de s'occuper en rangeant le Gummi pour laisser tranquille l'adolescent dont ils avaient la charge, mais leurs instincts parentaux continuaient de les titiller. Surtout devant l'attitude silencieuse, presque renfermée du garçon.

Il avait vraisemblablement passé la majeure partie de la soirée sur le canapé à regarder le mur ou les étoiles à travers le plafond, le regard vide comme s'il n'était plus vraiment là. Ils l'avaient juste vu une fois bidouiller brièvement un drôle d'appareil semblable à un téléphone portable, avant de le ranger dans sa poche et se rallonger, toujours muet.

N'en pouvant plus de ce silence pensant, Donald brisa la glace lors du repas, son regard fermement rivé vers celui du jeune homme le nez dans son assiette :

- Ça va Sora ? Ton épaule ne te fait pas mal ?

L'adolescent arrêta de manger la soupe préparée exprès pour épargner son membre convalescent, tendu, puis marmonna en réajustant son bras en écharpe :

- Moui…

- T'en fait pas, tu devrais pouvoir bouger normalement demain ! tenta alors Dingo avec un sourire. Faut juste que tu te reposes bien !

L'Élu ne répondit pas, visiblement déterminé à ne point piper mot de la soirée. Un nouveau silence gêné s'installa dans le vaisseau, avant que Jiminy ne relance la conversation :

- Je ne voudrais pas m'immiscer dans tes affaires, mais j'ai cru remarquer que tu avais un étrange objet, Sora : puis-je savoir ce que c'est ?

À ces mots l'adolescent écarquilla les yeux et sa cuillère cogna presque brusquement l'assiette ; l'instant d'après, son regard se fit dur tandis qu'il serrait la mâchoire :

- Rien d'important.

- …Bon là ça suffit, Sora ! s'exclama le canard en posant ses couverts d'un geste agacé.

Tous lui jetèrent un regard surpris (ou pour le garçon presque choqué) avant qu'il ne se tourne vers leur blessé, inquiet mais ferme :

- Je sais que cette flèche dans l'épaule ça a pas été la joie, mais t'es distant depuis ce matin et c'est pas supportable ! Qu'est-ce qui t'arrive, à la fin ?

Il vit clairement l'adolescent plisser les yeux d'irritation, avant de retourner à son assiette :

- Je vois pas de quoi tu parles.

- Commence pas avec ça ! On voit bien que quelque chose te tracasse et-

- Qu'est-ce que vous avez tous à vous mêlez de mes affaires ? cracha l'Élu en foudroyant du regard toute la tablée.

Ses amis se figèrent, pris de court par ce retour de flamme ; mais le chevalier murmura doucement pour calmer le jeu :

- Sora, on est juste inquiets pour toi, et-

- Et ça m'oblige à vous déballez mes supposés problèmes ?

- …Nous voulons simplement dire que nous souhaitons t'aider, s'il est quoi que ce soit que nous puissions faire en ce sens, dit tristement le chroniqueur.

- Ben j'ai pas besoin de votre aide, cracha l'Élu d'un ton horriblement froid et dur.

Ses mots transpercèrent le cœur des trois adultes, tandis que le garçon se levait pour vider son assiette dans l'évier.

- M… tu vas où ? fit le capitaine en le voyant partir.

- Me reposer, vu que c'est ce que je suis censé faire on dirait ! répliqua-t-il sèchement en leur jetant à peine un regard.

La porte de sa chambre claqua, et bientôt seul le silence résonna dans le vaisseau. Donald, Dingo et Jiminy s'échangèrent tous un regard concerné.

Quelque chose n'allait pas, et ils étaient incapables d'y remédier.


Ne pouvant rien faire de plus, les adultes allèrent eux-même se coucher, peu enthousiastes de rester ainsi sur une dispute. Ils voulurent presque toquer à la porte du garçon, mais se retinrent. Il fallait laisser les choses se tasser. Et puis, Sora finirait bien par venir s'excuser, ou s'expliquer, ou tout simplement dire bonne nuit…

La nuit passa, longue et interminable, alors que chacun semblait essayer de tromper le sommeil à sa manière. Au bout d'un temps qu'ils n'auraient pas su mesurer, Dingo leva le nez de sa page lue et relue, contemplant ses amis plongés dans leurs propres activités, et poussa un soupir :

- On devrait peut-être aller lui parler.

- J'en dirai autant, murmura Jiminy en reposant son brouillon resté inachevé, si notre dernière conversation ne s'était pas finie sur une dispute.

Donald arrêta d'astiquer son bâton, semblant se mirer dedans une seconde, avant de lever la tête :

- Qu'est-ce qu'on a raté ? Qu'est-ce qu'on a pas vu qui fait tant de mal à Sora ?

- Je ne suis pas sûr que cela soit de notre faute ; il doit encore être très perturbé par son incident récent, et…

- Hier encore il allait super bien et là il est tout déprimé et susceptible ! explosa le magicien en serrant les poings. Qu'est-ce qui a bien pu se passer, à la fin ?

Seul le silence lui répondit, alors que ses deux camarades ne savaient pas eux-mêmes ce qui tourmentait leur protégé.

Soudain un son semblable à un cri les fit sursauter, avant qu'un bruit de chute ne résonne à travers la cloison. Le trio s'échangea un regard stupéfait un instant, avant de réaliser que le cri ne pouvait provenir que de Sora et de tous se ruer dans le couloir ; tournant aussitôt leurs regards vers la chambre de l'Élu, ils le virent se dirigeant d'un pas chancelant mais précipité au salon.

- Sora ! Attends !

Le Porteur se figea à leur appel, puis se retourna vers eux, un œil bleu les foudroyant par delà son épaule blessée derrière les mèches brunes en pagaille. Ses amis avalèrent difficilement leur salive, puis inspirèrent profondément :

- Est-ce que ça va ?

- Qu'est-ce que ça peut vous foutre ?

Les trois adultes se pétrifièrent devant les mots durs et secs, blessés ; mais le chevalier fronça les sourcils et reprit doucement :

- On t'a entendu crier, Sora, alors on est inquiets pour toi.

- Ah tiens, c'est nouveau…

Encore plus choqués par ses paroles, Dingo et Jiminy ouvrirent des yeux ronds tandis que l'Élu semblait prêt à tourner les talons pour les planter là sans autre forme de procès, avant que Donald ne le retienne fermement par le T-shirt :

- Hé, je peux savoir ce que t'insinues ?

- Vous savez très bien, soyez pas plus idiots que vous en avez l'air ! répliqua le Porteur en balayant de son bras valide celui accroché à lui. Faites pas comme si vous vous souciez vraiment de moi !

- M… Sora, qu'est-ce que tu racontes, nous nous soucions de toi ! bredouilla le chroniqueur abasourdi.

- Ah bon ? J'ai plutôt l'impression que c'était la mission le plus important, trouver les Gardiens, la Guerre des Keyblades, tout ça !

- Tu sais très bien que c'est faux ! T'es notre ami, je te rappelle ! s'écria le magicien retenant sa colère.

- Ah ouais ? Alors j'étais plus votre ami quand Riku m'a pris la Keyblade ? Ou bien vous étiez plus ami avec lui qu'avec moi ? cracha l'Élu si fort que les murs tremblèrent.

Les trois adultes se figèrent, interdits, en comprenant à quoi leur protégé faisait allusion ; le Porteur poussa un soupir dédaigneux, semblant profiter de leur désarroi pour continuer :

- Vous croyiez que j'avais oublié ça, hein ? Bah désolé, je suis pas assez bête pour ça, siffla-t-il froidement.

- M… Sora ! On a jamais pensé ça ! se défendit le chevalier. On-

- Avait pensé que j'avais pardonné ça, comme un bon petit Élu de la Keyblade, pas vrai ? Parce que l'Élu est trop pur et trop gentil pour-

- Sora, je m'excuse !

L'adolescent écarquilla les yeux, stupéfait, avant de les baisser comme tous vers Donald, les poings tremblants et son regard honteux fixant sans flancher celui du garçon. Sans même attendre sa réponse le magicien déclara d'une voix repentante :

- C'est moi qui ait insisté pour suivre la Clé, c'est ma faute ! C'est ma faute si on t'a abandonné à la Forteresse Oubliée ! C'était une grave erreur qu'on n'aurait jamais dû faire et t'as le droit d'être en colère, mais laisse Dingo en dehors de ça, c'est moi qui l'ait forcé à continuer la mission ! C'est moi le responsable, pas lui ! C'est entièrement ma faute ce qu'on t'a fait et je le regrette vraiment ! Je te demande pardon, Sora.

Le canard s'arrêta, attendant résigné la réaction de leur protégé. Durant tout ce temps, Sora l'avait fixé, sidéré, comme n'ayant jamais envisagé un seul instant un tel discours venant de lui. Dingo s'avança alors à son tour et murmura, penaud :

- Sora, je m'excuse aussi pour t'avoir laissé tout seul quand Riku t'a pris la Keyblade ; on aurait jamais dû t'abandonner, mission ou pas. On aurait dû rester avec toi, ou t'emmener, ou même te mettre en sécurité au Gummi, pas t'abandonner tout seul et sans défenses dans un endroit pareil ! Ça pourra pas changer ce qui s'est passé mais je… Sora, je suis profondément désolé pour ce qu'on t'a fait et je te demande pardon.

- Je suis également désolé, Sora, ajouta Jiminy en retirant son chapeau. Pardon.

L'adolescent resta un instant muet, comme assimilant leurs paroles. Puis ses sourcils se froncèrent et son regard se durcit en se rappelant ce pourquoi ils s'excusaient, tandis que ses camarades attendaient les reproches qu'ils méritaient ; le garçon ferma alors les yeux, son visage crispé dans une profonde douleur, et il finit par secouer la tête, défait :

- Non, je p… J'arrive pas à vous en vouloir, soupira-t-il en détournant son regard humide. Je crois qu… c'est ce que j'ai dit. Je vous ai déjà pardonné, fit-il en haussant les épaules d'un petit sourire triste.

- On aurait quand même dû s'excuser avant, murmura Donald. Surtout quand ça te fait tant de mal…

- Hein ? Non, non, c'est rien, je… Ça devrait plutôt être à moi de m'excuser pour vous avoir dit un truc pareil…

- Dis surtout pas ça, Sora ! s'offusqua le canard. C'est nous qui t'avons fait du mal, et…

- Mais je vous ai aussi fait du mal, quand j'ai dit ça et tout ces trucs l'autre jour… Je… J'aurai pas dû… Vous êtes vraiment des amis formidables, vous savez, osa leur dire l'adolescent en les fixant droit dans les yeux.

Les trois adultes furent surpris et touchés d'une telle confession après le rappel de leur terrible erreur, mais ne purent s'empêcher de sourire en retour devant la sincérité du jeune homme. Ce dernier finit cependant par contempler le sol, semblant vouloir s'en aller, avant que Dingo ne pose la question qui les préoccupaient tous :

- Sora… Qu'est-ce qui ne va pas ?

- H-Hein ? M-Mais ça va, j'ai juste… Rien de plus que d'habitude, c'est tout…

- Alors qu'est-ce qui ne va pas d'habitude ? précisa Donald, sentant bien que l'adolescent essayait d'échapper à l'interrogatoire.

- M-Mais rien, je… je suis juste fatigué après l'attaque de tout à l'heure…

- Sora, tu ne vas pas bien et cela date d'avant ton attaque, insista Jiminy. Nous comprenons que tu ne veuilles pas en parler dans l'immédiat, mais nous souhaitons vraiment t'aider.

- M-Mais c'est rien, je…

L'espace d'un instant, Sora recula, le bras recroquevillé contre lui comme pour se défendre du regard inquiet mais soutenu de ses compagnons ; le chevalier demanda alors doucement :

- Sora, c'est à cause de ce qu'on a fait à la Forteresse que ça ne va pas ?

- H-Hein ? Non, pas du tout, c'est pas ça…

- Alors c'est quoi ?

- J…

L'adolescent fixa délibérément le sol, refusant de croiser leurs regards ; le chroniqueur osa proposer, hésitant :

- Est-ce le fait de n'avoir pas pu progresser jusqu'à récemment ?

- Q-Qu-? Non, enfin plus vraiment, plus trop depuis que je suis revenu l'autre jour…

- Alors c'est d'avoir passé des mois sans résultats ? avança le magicien.

- Mais n-enfin si, c'était pénible mais là ça va mieux…

- C'est de ne pas savoir ce qui t'es arrivé à toi et Roxas ? dit prudemment le capitaine.

- N… Oui, ça m'énerve, avoua le garçon, mais c'est pas comme si je le faisais exprès alors…

Les adultes s'échangèrent un regard concerné, puis poursuivirent :

- Tu es frustré de ne pas pouvoir l'aider plus, c'est ça ?

- Bien sûr, mais je suis pas le seul, non ? répliqua l'adolescent comme pour se défaire de la question.

- …Est-ce le fait de ne pas pouvoir assister Riku et le Roi qui te dérange ?

- N… Non ! Je leur fait confiance, ils ont sûrement pas besoin de moi pour retrouver les autres Porteurs ! Et puis ce sont des Maîtres, ils sont super forts !

- Alors est-ce qu… C'est ce qu'a fait Xehanort à Lea qui te fait mal ? murmura Dingo, hésitant.

Le garçon se figea, avant de détourner le regard les poings serrés, et ses amis crurent avoir mis le doigt sur ce qui tourmentait leur protégé quand il reprit :

- Je suis furieux qu'il ait possédé Axel et ait essayé d'enlever Kairi, mais… Tout le monde s'en est sorti, alors tout va bien ! Faites pas cette tête, les amis ! dit-il en leur faisant un demi sourire comme pour les rassurer.

- C'est un peu dur quand on sait pas ce qui te tracasse, marmonna Donald avec tristesse.

Le regard du jeune homme sembla vaciller, mais il inspira profondément en secouant la tête :

- C'est pas important, j'ai dit…

- Si ça te fait du mal, c'est très important, rétorqua le magicien. Tu es très important pour nous, Sora.

Cette fois l'adolescent sembla complètement pris de court, balbutiant comme ne sachant quoi répondre ; puis il fixa le sol, indécis, le souffle tremblant, avant de se détourner comme n'arrivant plus à leur faire face avant que le chevalier ne le retienne par la main :

- Sora, pourquoi tu ne veux pas qu'on t'aide ?

- C… C'est pas ça, je…

- Alors c'est quoi, Sora ?

L'Élu ne leur répondit rien, continuant de leur tourner le dos sans oser les regarder. Puis il dégagea son bras du capitaine, avant de lever les yeux vers la voûte céleste qu'ils percevaient derrière leur plafond de gomme :

- Pourquoi ça serait plus important que le reste, quand on a tout le monde à sauver ?

Ses amis écarquillèrent les yeux, avant de protester, atterrés :

- Mais Sora, tu-

- C'est vrai ! Pourquoi tout ça ce serait plus important qu'arrêter Xehanort, hein ? fit le Porteur en se tournant vers eux, résolu. En quoi ça nous ferait réunir les Gardiens de la Lumière plus tôt ? En quoi ça me ferait maîtriser le pouvoir de l'Éveil plus vite ? En quoi ça changerait quoi que soit ?

- Sora, je-

- En quoi ça nous ramènerait les Porteurs disparus à cause de Xehanort ? continua l'Élu en allant et venant, écartant les bras sans même prêter attention à sa blessure. En quoi ça nous permettrait de sauver Aqua du Domaine des Ténèbres, si on le peut encore ? En quoi ça nous ferait trouver un moyen d'aller la délivrer après sa décennie d'errance ? En quoi ça nous aiderait pour Roxas qui est toujours prisonnier dans mon cœur, malgré ses manifestations ? En quoi ça l'aiderait…?

Il arrêta ses grands gestes, ne remarquant même pas l'écharpe qui pendait maintenant sans but autour de son cou, et baissa la tête en portant doucement la main au cœur.

- En quoi… ça nous rendrait tout ce qu'on a perdu à cause de cette ordure ? murmura-t-il faiblement, comme se parlant à lui-même.

Il ferma les yeux un instant, comme pour retenir sa douleur, puis releva la tête vers ses amis qui n'avaient pas bougés :

- Pourquoi moi, je serai plus important que tout le reste ? Hein ?

Les adultes restèrent sans voix, choqués par ces paroles. L'adolescent baissa à nouveau les yeux, sentant malgré lui une pique au cœur après son discours fatigué, quand la voix de Jiminy brisa le lourd silence qui s'était installé :

- Sora… Cela fait-il longtemps que tu penses cela ? Que tu es moins important que ce pourquoi nous nous battons ?

L'Élu écarquilla les yeux un instant, avant de murmurer :

- …Depuis que c'est vrai, non ? Je vois pas pourquoi je serai plus important que Riku ou Aqua ou…

- Mais tu n'es certainement pas moins important qu'eux, souligna le chroniqueur. Pourquoi penses-tu cela ?

- C'est pas que je le pense, c'est que je le vois, insista le garçon. Tout le monde se débrouille très bien sans moi ; Riku est devenu Maître et parcourt les Mondes avec Sa Majesté pour chercher les autres Porteurs, Ienzo arrive à craquer le Code, et K… et les autres ont déjà bien progressé dans leur entraînement ! Même Roxas fait tout mieux que moi en même pas deux jours…

- Sora, retire ça tout de suite.

L'adolescent se tourna vers Donald qui fixait son protégé droit dans les yeux, les poings sur les hanches :

- Ton importance se mesure sûrement pas au nombre de trucs que tu réussis par jour, déclara-t-il fermement, et même si c'était le cas, on serait tous bien loin derrière toi ! Jusqu'à présent aucun d'entre nous a pu accomplir ce qu'on lui a demandé, sauf toi : tu as trouvé un moyen de ramener Roxas parmi nous. Et je parle même pas de tout ce que tu as fait depuis qu'on t'a rencontré ! Alors ne viens pas me dire que tu n'en fais pas assez ; parce que je peux t'assurer que si mes neveux avaient investi un dixième de tes efforts pour se tenir tranquilles, ils seraient de vrais anges et je t'assures qu'ils sont bien loin de l'être ! Tu es aussi important que n'importe lequel d'entre nous, mets-toi bien ça dans le crâne ! martela le magicien en tapant sur sa propre tempe pour appuyer ses propos.

Le Porteur écarquilla les yeux, puis détourna le regard, les poings serrés en secouant la tête. Dingo leva alors une main vers lui, compatissant :

- Sora… même si c'est vrai que sauver le monde, c'est quelque chose, ce que tu ressens est aussi important. Et nous sommes là pour toi, si tu en as besoin.

L'adolescent se détourna encore plus, les paupières fermées très fort et le visage crispé dans une expression de profonde douleur, commençant à trembler sous l'œil inquiet de ses compagnons qui se rapprochèrent pour poser leur main sur son épaule ou son bras. L'Élu se mordit la lèvre, secouant la tête comme pour chasser un sentiment qu'il ne se permettait pas d'avoir ; puis inspira brutalement et rouvrit des yeux brillants avec un petit sourire rassurant, un peu fébrile :

- Eh, c'est pas si grave, en fait ! Peu importe ce que je pense, on trouvera bien une solution ! Faut juste rester positif et-

Le Porteur s'interrompit lorsque Dingo approcha les mains de son visage, surpris de ce geste ; le chevalier lui saisit alors délicatement du pouce les coins des lèvres, encore relevées dans une courbure fausse.

Et très doucement, les rabattit vers le bas.

Perturbé, l'adolescent leva les yeux vers son compagnon, cherchant à comprendre ce qu'il faisait ; et il vit le capitaine le regarder d'un air triste mais compatissant, avant de lui dire avec gentillesse :

- Sora, s'il te plaît, juste cette fois… Ne souris pas.

Et là, quelque chose se brisa en lui. Comme une barrière qu'il s'était interdit d'abattre, une permission qu'il n'avait jamais voulu s'accorder, une limite qu'il n'osait pas admettre l'avoir atteinte…

Et Sora ne fit plus semblant de sourire.

Un pathétique hoquet s'échappa de sa gorge, comme un dernier vain effort de refus ; puis la boule d'émotions dans sa gorge étouffa tout en un terrible sanglot, alors qu'il fermait les yeux devant le flot de larmes tant retenues en ces derniers mois. Instinctivement il tomba en avant, dans les bras de l'adulte qui le serra aussitôt fort contre lui très vite rejoint par ses compagnons, enlaçant tout trois leur cher protégé dans une étreinte peinée mais rassurante.

Sora pleura, sanglota dans leurs bras, incapable de faire autre chose que déverser sa douleur retenue et verrouillée au fond de lui tandis qu'ils le consolaient du mieux qu'ils pouvaient.

Mais tout à coup, entre les gémissements et les cris larmoyants, un tout petit enchaînement de mots incompréhensible se démarqua du reste. Intrigués, les trois adultes osèrent desserrer quelque peu leur étreinte ; et là, ils entendirent distinctement Sora hoqueter, plus affligé que jamais :

- Elle m'a laissée…


Descendant la rue le menant au quartier général, Sora sentit son cœur battre à l'idée de revoir Kairi ; ils pourraient se balader dans les rues marchandes, ou manger une glace (ou autre chose, même s'il ignorait pourquoi il tenait à manger une glace), et peut-être qu'ils se poseraient à un café, qu'importe tant qu'ils étaient ensemble… Il avait presque envie de lui demander s'il pouvait rester cette nuit, pour être là demain matin et lui montrer tout ses progrès…

Un duo familier discutant devant la porte le fit ralentir ; ses pas firent se retourner Lea et Kairi, avant que l'apprenti n'écarquille brièvement les yeux à sa vue et ne dise quelque chose à sa partenaire avant de retourner à l'intérieur, laissant les deux adolescents seul à seul. Le jeune homme s'approcha immédiatement, son sourire ne cessant de s'étirer à la vue de la jeune fille qui faisait battre son cœur amoureux, tandis que sa compagne lui sourit légèrement en retour, joignant les mains sur les genoux.

- Salut Kairi !

- Bonjour Sora. Je suis… contente de te voir, fit la Princesse avec un semblant d'hésitation.

- Ça s'est bien passé aujourd'hui, aucun problème ?

- Oui, je… Rien de mal, bredouilla-t-elle en baissant les yeux. T… Tu viens ? On va marcher.

Sora la suivit avec joie ; mais il ne put s'empêcher de remarquer son manque d'enthousiasme. Il y avait quelque chose d'étrange, de… d'anormal. Il soupçonna un instant que c'était en lien avec son entraînement, vu comment elle avait détourné le sujet ; mais faute de preuves, il se tut, guettant tout autre indice expliquant la soudaine mélancolie qu'il voyait dans chacun des gestes de sa bien-aimée.

Ils n'allèrent pas plus loin qu'au pied des remparts ; la jeune fille s'assit aussitôt sur un banc, rejoint par l'adolescent attentif à ses moindres besoins. Elle fixa le sol, triturant nerveusement sa jupe ; elle semblait inquiète ou triste, et aussitôt Sora posa sa main sur la sienne, lui souriant doucement en un geste qui signifiait qu'il était là pour elle.

Elle sursauta quand leurs paumes se touchèrent, comme ne s'attendant pas à ce contact, et releva des yeux surpris et surtout étrangement peinés vers l'adolescent. Il plissa très légèrement les sourcils, troublé par son comportement, avant qu'elle se détourne à nouveau, et il décala doucement sa main sur son avant-bras, comprenant qu'elle voulait une certaine intimité.

Sora n'aimait pas ça. Il y avait clairement quelque chose qui la dérangeait, quelque chose qui la rendait triste. Et il voulait dissiper cette tristesse, quoi qu'il doive faire pour cela.

Se penchant tendrement vers elle, il retira sa main de son bras et écarta les mèches qui lui tombaient du visage pour dévoiler son expression lointaine ; qui bientôt à ce geste bien trop proche s'écarquilla et se tourna vers lui, semblant presque offensée. Sora la regarda avec douceur, compatissant, et laissa ses doigts en suspend près de sa joue en un geste tendre mais respectueux :

- Kairi, qu'est-ce qui ne va pas ? Tu as l'air toute triste, comme s'il s'était passé quelque chose…

Il ne finit pas sa phrase, laissant sa bien-aimée répondre quand elle serait prête ; même si son expression choquée lui tordait le ventre, il soutint son regard d'un autre chaleureux et attentionné, prêt à l'écouter et à la rassurer de son mieux.

Puis après un long échange visuel de juste quelques secondes, la jeune fille baissa les yeux à regret, les iris tristes et honteux, et se détourna de cette main qui frôlait sans le toucher son visage avec amour. Ses mèches rousses lui cachèrent son expression, alors qu'elle semblait inspirer (ou peut-être pleurer ?) profondément, avant qu'elle ne joigne encore les mains sur ses genoux, peinée :

- Sora… Il y a bien quelque chose… Qui est arrivé.

L'Élu sentit son cœur se serrer à l'annonce de ses craintes fondées, mais il se tut pour laisser sa compagne s'exprimer :

- Depuis longtemps, j'ai ce… sentiment bizarre. J'ai pensé que c'était juste la pression du combat qui nous attend et que c'était normal, surtout après ce qui s'était passé ; mais je me suis rendue compte que… ce n'était pas ça. Bien sûr, je m'inquiète de ce que Xehanort prépare, fit-elle en portant une main au cœur, et je travaille dur pour savoir quoi faire quand viendra l'heure, mais j… c'est juste différent.

Elle releva un peu la tête, laissant voir ses yeux contemplant le sol d'un air songeur, avant de continuer :

- Ces dernières semaines, je me suis concentrée sur l'entraînement, d'une part parce que je ne voulais plus jamais reproduire ce qu'il s'était passé avec la possession de Lea, d'autre part parce que j'estimais que c'était naturel que ce soit la priorité… Et j'étais vraiment fière, de constater jour après jour que je tenais quelques secondes de plus contre Riku ou que j'enchaînais les sorts de plus en plus facilement, que je devenais plus forte ! Mais… en fait… J'ai réalisé que je n'avais fait que me noyer exprès pour ne pas repenser à moi-même, et à mes sentiments… Et j'ai…

La jeune fille se tint les bras, l'air souffrante, et Sora ne put qu'approcher une main tendre vers elle pour la rassurer, lui montrer qu'il écoutait et qu'il trouvait ça important ; mais à cet instant elle se leva pour regarder résolument le ciel, ou un point invisible dans le néant, comme pour ne pas croiser son regard ou son toucher. Elle avala sa salive, avant de poursuivre :

- J'ai repensé à ce qu'il s'était passé avec Roxas, et vos échanges mystérieux qu'on ne comprend toujours pas… À Lea qui allait si mal après sa possession, et qui était possédé depuis plus longtemps qu'on ne l'aurait imaginé… À Riku qui gère de son mieux son nouveau statut de Maître… et à toi, qui a sauvé Roxas avant de disparaître sans qu'on sache pourquoi…

L'Élu serra le poing et la mâchoire, s'en voulant d'avoir involontairement provoqué de la peine chez sa bien-aimée même pour une raison juste, alors qu'elle joignait à nouveau les mains sur sa jupe en baissant le regard. Elle fit quelques tout petits pas, s'éloignant comme pour lui tourner le dos alors qu'il l'écoutait toujours avec attention, et murmura faiblement :

- Je ne voulais pas penser à tout ça parce que ça me faisait mal, de savoir que rien ne soit comme il faut à cause de Xehanort, dit-elle d'une voix crispée à ce nom, et que… Je n'étais pas prête. Je suis meilleure physiquement, et je n'ai pas peur de me battre, mais… Je ne suis pas encore prête pour affronter tout ce qui nous attends, et… en fait, je me rends compte que… je ne sais pas. Je ne sais rien.

Un long silence agonisant passa, avant que la Princesse ne déclare, navrée mais résolue :

- Quand tu es venu il y a quelques jours, et que tu… tu t'es confié à moi, je… J'ai été vraiment surprise ; dans un bon sens, je te rassure. J'ai été… très touchée. Mais… après ça… je sais pas comment t'expliquer… Je crois que c'était trop… compliqué pour que je sache vraiment ce qu'il se passait au fond de moi… Ce que je veux dire, c'est qu…

Un silence s'abattit lourdement entre eux, avant que ses paroles ne vienne tout briser :

- Je ne sais pas si je… Je ne sais pas vraiment quoi penser, je n… Je ne sais plus quels sont mes véritables sentiments après ça. Sora, je… je suis désolée… Ce que tu m'as avoué ce jour-là, je ne peux pas… te répondre la même chose maintenant. Je voudrais tant pouvoir, je te le jure mais j… je ne suis pas sûre. Je… j'ai besoin de temps pour savoir ce que je ressens vraiment. Mais pour l'instant, entre nous… Je ne peux pas aller plus loin.

La Porteuse fixa le sol encore un moment, les yeux humides de la terrible confession, avant de se tourner vers celui qui l'écoutait sans rien dire :

- Tu dois savoir que, même si j… Sora !

Alors qu'elle se retournait, la jeune fille avait relevé lentement les yeux vers son ami d'enfance… pour le découvrir plié en deux, tout son corps affaissé et la tête pendant dans le vide, comme s'il avait perdu toute force, toute vie. Choquée par son état dont elle se savait être la cause, Kairi se précipita vers lui et s'accroupit pour trouver ses yeux cachés derrière ses mèches et sa posture effondrée. Deux orbes profonds rivés au sol et emplis d'une lueur complètement vide et dévastée lui firent face, et son visage déjà pétri de douleur se fronça encore plus devant cette peine qu'elle n'avait jamais voulu lui infliger. Retenant ses propres larmes, elle osa lever une main vers le visage abattu de l'adolescent et, délicatement, leva son menton pour qu'il puisse la voir en face. Ils se regardèrent un instant l'un l'autre, comme si soudain cette scène allait s'effacer comme un mauvais souvenir de cauchemar ; puis la jeune fille fronça un peu plus les sourcils, contrite, et lui dit de la voix la plus douce possible :

- Je veux que tu saches que quoi qu'il arrive, je tiens réellement beaucoup à toi, et que si j'ai dit ça c'est parce que tu devais savoir la vérité même s… Même si ça nous fait du mal. Je ne voulais pas te blesser, juste… J'ai besoin de temps pour réfléchir et savoir ce qu'il y a dans mon cœur, même si… même si ça veut dire que je ne peux être avec toi.

Ses yeux s'humidifièrent encore un peu plus à ces mots horribles, et elle inspira tristement avant de continuer :

- Je t'en prie, ne crois pas que tu ne comptes pas pour moi… Je ne peux pas te répondre maintenant, mais je te promets que dès que je saurai, tu le sauras aussi… et… S'il te plaît, prends soin de toi. Je suis tellement désolée, Sora…

Presque comme pour lui passer un message, sa main alla de son menton au torse du garçon qu'elle effleura à peine, comme n'osant pas le toucher à cet endroit précis après ce qu'elle avait dû lui avouer. Puis, un imperceptible sourire triste apparut sur ses traits, alors qu'elle fixait une dernière fois son si cher ami d'enfance avec regrets, et elle se leva, hésita encore un instant, et s'éloigna lentement, laissant là celui qui avait tout donné pour elle.


- …C… C'est ce qu'elle a dit ?

Un simple hochement répondit à Dingo, alors que Sora restait immobile, assis contre le mur et la tête retombant entre ses genoux, ses trois amis pétrifiés par son tragique récit. Un lourd silence s'abattit dans le Gummi, aucun ne sachant que répondre après cette terrible révélation ou bien trop occupé à ruminer sa douleur pour ajouter quoi que ce soit. Seul Jiminy osa élever la voix après un long moment d'agonie :

- Sora, je… Je suis terriblement navré pour cela, fit-il en ôtant son couvre-chef d'un geste compatissant.

L'adolescent ne répondit rien, visiblement trop blessé pour parler. Ses amis, devant son silence, ne purent qu'esquisser un geste de compassion ; mais il se recroquevilla encore plus, ses bras pendants enserrant ses jambes, évitant leurs mains chaleureuses comme pour se punir.

- On… on est vraiment désolés nous aussi, osa murmurer le chevalier dévasté.

Le Porteur ne répondit toujours pas, muré dans un silence qui ne faisait que les inquiéter davantage. Les trois adultes s'échangèrent des regards désemparés, cherchant à savoir quoi dire, quoi faire pour soulager ne serait-ce qu'un peu la douleur de leur protégé quand un murmure pratiquement inaudible s'échappa de la gorge serrée de l'Élu :

- J'arrive toujours pas à y croire, après tout ça…

- S-Sora, on sait que c'est difficil-

- Elle m'a embrassé, putain !

Le cri de frustration qui jaillit de la bouche de leur camarade fit brusquement sursauter Donald, Dingo et Jiminy, alors que l'adolescent avait relevé la tête en laissant exploser sa fureur désespérée :

- Je lui ai dit que je l'aimais, je l'ai embrassée et j'ai pas bougé parce que j'avais peur qu'elle dise non, et elle m'a même pas répondu de manière ambiguë, elle m'a embrassée en retour ! Pourquoi ? POURQUOI ? hurla-t-il, son regard outremer brûlant de déception.

Sa voix se serra dans sa gorge alors qu'il crispait la mâchoire, semblant lutter pour retenir de nouvelles larmes qu'il ne voulait pas laisser couler cette fois-ci, et il continua d'un ton inégal :

- J'ai quand même pas rêvé ! On était que tout les deux, et elle ne m'a pas dit qu… Elle ne pouvait pas me dire ça plus tôt ? Elle pouvait pas me le montrer, que c'était pas ça entre nous, au lieu de m… de me faire croire que j'avais une chance avec elle ? Pourquoi elle a fait ça ? C'est moi qui ai pas compris ? C'est moi qu… c'est ma faute ?

Sa voix qui avait progressivement faibli se brisa soudain à ces mots, alors que ses amis ouvraient des yeux horrifiés devant le sous-entendu qu'ils ne voulaient pas entendre :

- Qu-! Non ! Sora, c'est pas du tout ta faute, s'écria aussitôt le magicien en se précipitant, c'est… Ça peut pas être ta faute !

- Alors pourquoi… qu'est-ce que j'ai fait de mal…? Qu'est-ce que j'ai raté pour qu'elle…

Le regard déjà brisé de l'adolescent s'assombrit alors d'un voile que rien ne semblait pouvoir dissiper, tandis qu'il s'affaissait lentement sur lui-même, en ce même geste qu'il avait eu lorsque Kai… qu'il avait entendu ses mots déchirer son âme. Il eut vaguement conscience des mains chaleureuses sur ses bras et ses épaules, mais la voix de Dingo fut beaucoup plus distincte :

- Sora… Je ne pense pas que tu ais fait quoi que ce soit de mal envers Kairi.

- Alors… pourquoi elle ne veut pas de moi ? murmura à peine le garçon d'une voix brisée en relevant un regard larmoyant. Pourquoi elle-?

L'adolescent retint un sanglot en secouant la tête, baissant les yeux. Le chevalier passa un bras autour de ses épaules, le serrant fort contre lui :

- C'est… Je crois que c'est plus compliqué que ça, confia-t-il doucement… Il s'est passé tellement de choses en si peu de temps, peut-être qu'elle a juste besoin de comprendre ce qui lui arrive et…

Le chien s'arrêta, se rendant compte à regret qu'il n'avait pas plus d'explications pour consoler le jeune homme au cœur brisé dans ses bras. Donald vint serrer le bras du garçon gentiment, inspirant profondément pour oser lui dire :

- …Sora… je sais que c'est dur à imaginer, mais… C'est pas toujours facile l'amour…

- Oh tu peux parler toi, lui répondit cette fois sèchement l'adolescent en relevant un regard humide mais irrité vers lui, t'arrête pas de te disputer avec ta copine ! Je sais même pas pourquoi vous êtes fiancés vu comment vous vous gueulez dessus !

- Hé ! Moi et Daisy ça te regarde pas !

- Donald a raison, même si je comprends pourquoi tu dis ça, intervint Dingo d'un regard ferme mais compatissant envers son protégé.

- Pff, de quoi je me mêle, chez vous tout est toujours parfait quoi qu'il arrive, souffla avec amertume le garçon avant de cacher son visage dans ses genoux.

Ses compagnons restèrent un moment muets, ne sachant réellement pas comment l'aider. Puis, après une hésitation, Jiminy sauta sur l'adolescent et posa doucement sa main sur sa tête :

- Sora… Je ne peux qu'imaginer la douleur que tu ressens… Je ne suis pas sûr que ce soit grand-chose, mais sache que s'il est quelque chose que je puisse faire pour t'aider, je le ferai sans hésiter. Tu as ma parole.

- Et tu as la nôtre, ajouta Donald en serrant doucement le bras du garçon. On te laissera pas tomber, surtout pas maintenant.

- Sora… fit Dingo après une certaine hésitation. Crois-moi, j'espère vraiment que ça va s'arranger pour toi et Kairi. Mais si… si jamais les choses ne vont pas dans ce sens… et que tout les deux, ça se passe différemment… Je sais très bien que c'est dur à imaginer, une chose pareille, surtout à ton âge… Mais… si jamais… Ça ne veut pas dire que c'est la fin, juste que vous n'étiez pas faits l'un pour l'autre…

Un long silence agonisant leur répondit. Puis la tête brune de Sora se redressa un peu, laissant voir son expression sombre, défaite, et il dit, d'une voix qui retenait sa peine sans y parvenir :

- C'est exactement ça qui me terrifie.

Les trois adultes ne dirent rien, se contentant de poser leur main sur son bras ou ses épaules. L'Élu fixa le sol encore un instant, le regard vide comme y cherchant une réponse à ses plus terribles craintes. Puis sa lèvre se mit à trembler incontrôlable, ses yeux se gorgèrent de larmes, tout son visage se déforma en une profonde expression de douleur, et Sora lâcha un pathétique sanglot en se prenant la figure dans les mains, les épaules secouées de spasmes, alors que ses amis ne pouvaient rien faire d'autre que de le prendre dans leurs bras pour tenter vainement de soulager sa peine de cœur.

Et Sora ne put que ressentir une vague de chaleur mélancolique au fond de son être tandis qu'il crut sentir la présence irréelle d'autres mains inconnues sur ses épaules, comme autant de messages de compassion face à la douleur qui les tourmentait en son sein.

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La nouvelle est tombée : bien que touchée par la confession de Sora, Kairi ne peut affirmer lui rendre ses sentiments et demande plus de temps pour savoir. Brisé par ce refus d'un amour qu'il croyait réciproque, l'Élu se retrouve à nouveau rongé par l'incertitude…

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