Les Adieux d'une Sorcière
Je vis que Miwong s’intéressait bien plus à mon passé que je ne l’aurais imaginé. Je pris donc la peine de continuer mon récit.
* * *
Pour le peut je sortais, on se contentait de me saluer sans jamais m’adresser la parole. J’étais la pauvre fille de leur défunt seigneur, rien de plus. Avant la mort de Reiji, j’avais quelques amis parmi les habitants du village. Le décès de mon père avait rendu nos rapports très étranges. Je ne sais pas pourquoi, mais je sentais que j’avais une différence de traitement.
Initialement, j’avais ma bande de copains et on était quatre. Deux garçons et deux filles. Ils s’appelaient Tatsu, Aya et le plus petit Mio. Aya avait à peut près le même âge que moi, j’avais une bonne complicité avec elle parce qu’on pensait parfois dans le même sens. C’était une petite fille menue, brune aux cheveux noirs. Mio était pour moi le plus mignon des trois. Il était vraiment plus jeune que nous, très introverti et il ne prenait que très rarement la parole? J’avais six ans d’écart avec lui mais rien ne l’empêchait de passer du temps à rire de nos bêtises! Et le dernier, Tatsu… Le premier amour de ma vie. A 12 ans oui, j’ai eu ma première expérience sentimentale. Je le trouvais très beau. Je l’aimais énormément mais par peur de lui avouer mes sentiments, je ne lui jamais dit ce que je ressentais. Seule Aya savait ce que je ressentais. Elle avait toute ma confiance et j’avais la sienne. Des fois, je faisais office de confidente quand elle en avait besoin.
Jusque là je ne pensais pas que la mort de père et la dégradation significative de ma relation avec ma mère, allaient bouleverser l’amitié tranquille que j’entretenais avec mes amis. Par peur de représailles de ma mère, je portais des masque devant mes amis et je leur disais que ça allait bien malgré la mort de mon père. Mais en réalité, à cause de ma mère, tout allait mal. Je réduisais au silence la plaie béante sur mon cœur pour ne pas les inquiéter. Aya se doutait de quelque chose. Alors qu’on jouait, elle m’avait prise à part et m’avait interrogée avec un regard vraiment très préoccupée:
- Dis Setsu, tu es vraiment sûre que ça va?
Intérieurement, c’est comme si j’éclatais en sanglots, mais en silence. J’étais vraiment touchée par cette question et je réalisais qu’ Aya était vraiment quelqu’un de très gentil. Mais par crainte de plus de coups que ma mère allait de toute façon me donner, je n’avais rien dit à Aya en lui répondant tout de même en souriant nerveusement.
- Oui ne t’inquiète pas.
On avait repris notre partie de cache-cache. Jouer comme ça avec mes amis, c’était le paradis. Ça me sortait de l’enfer que j’allais retrouver le soir en rentrant. À la maison, je ne me sentais pas du tout en sécurité à cause de ma mère et le mal être étrange et angoissant que je ressentais à cause du sabre de mon père. À chaque fois que je passais à quelques centimètres de cet objet, je me sentais paniquée. J’avais mon cœur qui se serrait jusqu’à avoir envie de vomir. Du coup, être loin rien qu’un peu, de ces éléments perturbateurs me faisait un bien fou. Je redoutais tellement le coucher du soleil, j’aurais voulu que ces moments durent des jours entiers. Mais quoi que je faisais, je devais rentrer. C’est sur le retour jusqu’à la maison que je vécu ma première expérience surnaturelle. En chemin, je devais longer le cimetière, alors que je marchais machinalement perdue dans mes pensées , on m’interpella:
- Hey petite!
Je leva brusquement la tête pour voir qui me parlait, quand je vis mon interlocuteur. Je me pétrifia de terreur. C’était le fantôme d’un homme qui cherchait quelque chose. Je n’avais jamais vu un ectoplasme de ma vie. J’avais beau regarder à droite et à gauche pour voir si il n’y avait bien un autre humain avec qui il pouvait parler mais il me fit sursauter quand il s’exclama:
- Oui c’est à toi que je parles!
Je frissonna d’effroi. Je ne savais pas quoi faire et j’avais peur. Je me demande ce que me voulait bien ce fantôme et surtout, comment pouvait-t-il me voir? Bien évidement, à l’époque, j’ignorais totalement que voir et communiquer avec les esprits de l’au-delà était une des prédispositions à la sorcellerie. Terrifiée par ce fantôme, je courus à toute vitesse pour rentrer dans ma maison sans prêter attention au fantôme.
A l’époque, je devenais une femme. Et le contact avec les ectoplasmes, ma mère qui me battait et la perte de mon père qui me manquait tellement, n’arrangeaient en rien ma triste condition. Pour le peu que je rentrais chez moi et que je passais devant ce foutu cimetière, je baissais la tête et marchais frénétiquement pour rentrer le plus vite possible pour éviter les contacts. Bien sûr, avec qui je pouvais en parler au village? On m’aurait prise pour une folle! Alors j’ai gardé ça pour moi.
Lors d’un crépuscule, alors que je marchais pour rentrer chez ma mère, je ne pus éviter le contact avec ce fantôme. Je ne m’étais pas rendue compte qu’il m’avait suivie jusque dans ma chambre! Je faisais un cauchemar et quand je me suis réveillée dans une respiration d’effroi, je vis le fantôme qui se tenait prés de mon futon. Je m’étais retenue de crier à la vue du spectre et j’avais enfouie ma tête sous la couverture. Je transpirais et tremblais comme une feuille. Ma vie sans ça était déjà un enfer alors en plus si je ne pouvais plus dormir en paix...! J’étais au désespoir, mais malgré ça j’écoutais le fantôme qui me parlait:
- Écoutes petite, j’ai vraiment besoin de toi! Je suis tourmenté par un manque, je cherche le miroir que j’avais donné à la femme que j’aime. Mais je ne le trouve pas. Sans lui, je ne peux pas reposer en paix. Je t’en supplie, écoute ma requête! Tu es mon seul espoir!
Surprise que je pouvais être utile à quelqu’un, je fis dépasser le bout de mon nez au dessus de la couette. Le sceptre me regardait vraiment ému et préoccupé, attendant ma réponse. Je déclara:
- Vous savez, moi aussi je suis tourmenté, croyez moi…. J’essaierai de passer vous voir au cimetière quand je pourrai.
Le spectre repris visiblement de l’enthousiasme grâce à ma réponse:
- Ça veut dire que vous allez m’aider?
- Je ne peux pas vous le garantir, ni vous le promettre, mais je vais essayer de faire tout ce qui est dans mon pouvoir… balbutiais-je en remettant ma tête sous ma couverture.
- Oh! Merci! Merci! Merci!
Le fantôme en éclata de sanglots. Puis il parti de ma chambre en traversant les murs.