Les Angles et les obtus

Chapitre 5 : Partie V - Épilogue

Chapitre final

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 23:43

La même pièce. Sur la table, à côté de la carte, une coupe de fruits. Devant chacun, un gobelet d’argent. Bohort les a rejoints. À un bout de la table, Arthur discute à grand renfort de gestes avec les Angles, et trinque avec eux.

PÈRE BLAISE
Bon ben, pas fâché qu’on y soit parvenu, quand même.

PERCEVAL
Une bonne idée ce petit coup à boire, Seigneur Bohort.

BOHORT
Pour sceller une nouvelle entrée dans la fédération et la réussite de ces pourparlers, cela me semblait être approprié, ainsi que ces quelques fruits, symboles je l’espère d’une fructueuse collaboration à venir au sein du Royaume de Logres.

LÉODAGAN
Ah bon, c’est thématique, alors ! Nan parce que là comme ça, je me disais que des pommes, du raisin et des oranges pour des chefs de guerre, ça manquait un peu de… je sais pas, moi… de quelque chose de plus consistant.

LANCELOT
Les oranges, vous les avez trouvées où ? Parce que, si je me souviens bien, on avait essayé d’en implanter en Irlande, mais ça n’avait pas pris.

BOHORT
Un oranger sur le sol irlandais, on ne le verra jamais. Non, celles-ci viennent d’une saisie.

LÉODAGAN
Ah, ce sont celles de Venec, alors ! Je me souviens : il tentait de rentrer des marchandises en douce et on l’a pris la main dans le sac. On a taxé trente pour cent de sa cargaison en nature pour le laisser la débarquer sur l’île depuis son bateau. Des oranges, du vin, du sel, des fruits que j’avais jamais vus, que de la bouffe ! Et de la bonne, je peux vous dire…

PÈRE BLAISE
Trente pour cent ? Je croyais que c’était cinquante !

LÉODAGAN
Cinquante ? Z’êtes pas dingue ? Trente, je vous dis.

PÈRE BLAISE
Pourtant c’est ce que Venec a dit la dernière fois qu’il est venu en séance de doléances : que la saisie de la moitié de sa cargaison, c’était excessif.

LÉODAGAN
Oui ben c’est Venec, ça… un embrouilleur de première !

PERCEVAL
Ça, ou alors entre les cinquante pour cent qu’il a peut-être filés en débarquant et les trente qui sont arrivés à Kaamelott, y’a quelqu’un qui s’est gardé assez de fruits pour se flanquer la courante jusqu’à la fin de l’année !

LÉODAGAN
Mais qu’est-ce que vous y connaissez, vous ?

LANCELOT
Si si, pour ce qui est du calcul, on peut faire confiance au seigneur Perceval. Mais dites-moi plutôt, Seigneur Léodagan, il y a une chose qui me turlupine : n’est-ce pas vous qui êtes en charge de la surveillance des côtes, invasions comme contrebande ? Donc des postes d’octroi et des prélèvements sur les marchandises ?

Tous les yeux se braquent sur lui.

LÉODAGAN
Et ben quoi…? Non mais oh, tout de suite… C’est pas croyable, ça ! Alors que, je vous le signale, notre bon roi, lui, s’est gardé toute la pâte d’amande pour lui tout seul ! Me d’mande bien pourquoi, d’ailleurs…

Arthur et les deux Angles se rapprochent.

ARTHUR
Buvons donc à l’élargissement de notre fédération ! (Aux deux Angles) Vous verrez, vous ne le regretterez pas.

LANCELOT
Et nous non plus : rien que par le nouvel accès à la mer, nous aurons de nouvelles voies de commerce avec le nord du continent. Et une meilleure surveillance des côtes.

ARTHUR
Et les impôts vont rentrer.

PÈRE BLAISE
Ce qui est dommage quand même, c’est qu’on n’ait pas réussi à les convaincre pour le coup de la monnaie unique. Nan, c’est vrai, si on entre dans une fédération, on fait la même chose que tout le monde, enfin quoi ! Sinon, ça ressemble à quoi ? Hein ? Je vous le demande… Ou on est dans la fédération, ou on n’y est pas !

LANCELOT
C’est vrai, ça, c’est comme si il y avait un hurluberlu chez nous qui refusait absolument de faire paver ses routes…

LÉODAGAN
Ah ça va pas recommencer, hein !

ARTHUR
Stop ! Commencez pas, vous deux, ou j’en prends un pour taper sur l’autre…

PÈRE BLAISE
Y’a pas à dire, on embourbe quand même moins les chariots sur les routes pavées. Va falloir qu’ils pavent toutes leurs voies jusqu’à la mer, les Angles… Si on veut pouvoir importer des marchandises depuis le continent, ce serait dommage qu’elles mettent trois fois plus de temps à arriver du port jusqu’à nous qu’elles n’en ont mis à traverser la mer !

PERCEVAL
De toute façon, un jour, y’aura plus besoin du bateau : on passera du continent à l’île par la route !

LÉODAGAN
Z’auriez pas un peu forcé sur le picrate, vous ? Même au plus étroit, faudrait construire un viaduc de huit lieues, c’est pas possible, réfléchissez deux secondes !

PERCEVAL
Un viaduc, bien sûr que non, je suis pas con, non plus ! Nan, on creusera un tunnel !

ARTHUR
Un tunnel ? Sous la Mare Britannicum ? Nan mais ça va pas mieux, vous !

PÈRE BLAISE, ironique
Mais oui bien sûr… on va se mettre à creuser des galeries partout, comme ça, ça nous évitera le mal de mer…

PERCEVAL, sérieux
Et les naufrages ! D’un bout à l’autre du monde, on va creuser… et puis ça raccourcira drôlement les distances, vu qu’en fait, la terre (il attrape une grosse orange sur la table et la montre aux autres) elle est comme une boule !

Arthur lève les yeux au ciel et hausse les sourcils. Perceval attrape la carte sur la table et en enveloppe l’orange.

PERCEVAL, poursuivant
Ce qui fait que, pour aller d’un bout à l’autre (il indique les deux “pôles” de l’orange), c’est beaucoup plus court en passant par le centre (il transperce l’orange de part en part avec un pic) qu’en faisant tout le chemin à la surface.

PÈRE BLAISE, hurlant
Nan mais vous êtes dingue ! Vous trouez la carte, là ! Vous savez ce que ça coûte, une carte comme ça, et le temps que ça prend à faire ?

Le père Blaise lui arrache l’orange des mains et retire le pic pour constater les dégâts. Perceval avance la main droite vers la carte.

PÈRE BLAISE
Bas les pattes !

Le père Blaise lui plante le pic sur le dos de la main. Perceval crie, puis regarde ses mains désormais toutes les deux marquées.

PERCEVAL
Oh ‘tain nan, c’est pas vrai… Nan… ! (À Léodagan) Dites, par hasard, y’avait pas un peu de camomille dans la cargaison de Venec ?

PÈRE BLAISE
Qu’est-ce que vous me chantez là ? La camomille, ça n’a jamais aidé à la cicatrisation, que je sache…

PERCEVAL, regardant le  père Blaise
Figurez-vous que c’est pas pour moi, la camomille… (Regardant sa main) Non mais regardez-moi ça, ça pisse le sang, maintenant ! (Il reprend le pic des mains du père Blaise) Donnez-moi ça, vous, c’est vachement dangereux, un picte !

LÉODAGAN
Bien d’accord avec vous… Ma femme est picte.

PERCEVAL
Hein ?

LANCELOT
Pour le coup, c’est bien une langue, le picte. Un peuple, aussi. Ce que vous tenez à la main, en revanche, c’est un pic.

PERCEVAL
Vous êtes sûr ? C’est pas non plus une colline, ou une montagne, ou un machin comme ça, un pic ?

LANCELOT, soufflant
Si, aussi…

Perceval lève la main tenant le pic devant ses yeux pour regarder la plaie, manquant de peu d’égratigner Lancelot au passage.

LANCELOT
Eh ! Oh ! Faites un peu gaffe avec ce truc là !

PERCEVAL
Ben j’en fais quoi ?

LANCELOT, agacé
Eh bien allez le mettre ailleurs, Seigneur Perceval !

PERCEVAL
Où ça ?

LANCELOT, énervé
Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Tenez, là-bas, dans l’angle près de la porte.

Perceval s’éloigne.
Un cri.

LANCELOT
L’angle de la PIÈCE, Perceval !

 

FIN

 

 

NOTE DE L'AUTEUR

“Un oranger sur le sol irlandais, on ne le verra jamais” : extrait de “La ballade irlandaise”, paroles d’Eddy Marnay.

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