Pizza Friday

Aucun bruit ne brisait le silence de cette nuit noire. Martin dormait profondément dans son nouveau lit. Tous les changements que sa vie allait, et venait, de subir, l'avait complètement éreinté et il ne lui avait pas fallu longtemps pour tomber dans le monde des rêves. Sans penser à aucun de ses soucis,il se baladait dans des champs de fleurs de toutes les couleurs. Il se sentait serein et épanoui, puis un cri le réveilla :

• LE PETIT DEJEUNER EST PREEEEEEEEEEEET

La tête embrumée et le corps engourdi, Martin posa ses mains sur ses oreilles dans un réflexe de protection de ses tympans. Joey avait crié de toutes ses forces et on pouvait dire qu'elle possédait d'excellents poumons. Martin ne la connaissait que depuis quelques heures mais il était sure d'une chose désormais : cette fille était complètement folle.

En sortant de la chambre d'ami, le jeune garçon croisa Julien, en robe de chambre et les yeux mi-clos.

• C'est tous les matins comme ça ?

• Ouep

• Au moins au bout d'un moment je m'habituerais sûrement, plaisanta Martin.

• La vérité, c'est que l'on ne s'y habitue jamais, répondit Julien, le plus sérieux du monde et le regard fixe.

Dans la salle à manger la table était déjà prête. De délicieux pancakes parfumaient la pièce mais ni Martin ni Julien n'avaient l'estomac assez solide pour manger aussi lourd de si bon matin. Joey quant à elle chantonnait tout en nettoyant la cuisine, déjà habillée. Les deux hommes de la maison avalèrent tout ce qu'ils pouvaient et se préparèrent à leur tour.

       -  Bien,il est temps pour moi d'y aller, annonça Julien sur le perron, Joey ?

• Oui,me voilà ! , répondit la jeune fille, toute enjouée.

• Attends, t'es pas censée venir au lycée ? Demanda Martin, confus.

• Oh mais bien sur que si, je n'en ai pas pour long t’inquiètes !

Martin n'eut pas le temps de comprendre que la jeune fille et son grand frère étaient déjà partis.Ils avaient disparus soudainement et à ce moment là un vent se souleva et fouetta le visage du garçon qui était resté sur place. Cinq secondes plus tard, Joey était déjà de retour, revenue aussi soudainement qu'elle était partie.

• Comment t'a fait ça ? , demanda Martin, les yeux écarquillés

• T'occupes et prend ma main !

Martin se rappela alors de ce que lui avait dit Chris la veille : Joey avait le pouvoir d'accélérer le temps. Il comprit alors ce qu'il venait de se passer. Devant la main de la jeune fille, il rougit mais s’exécuta tout de même. Rien ne semblait avoir changé à ses yeux d'abord et pourtant le monde autour de lui avait bel et bien ralenti. Il s'en rendit compte lorsqu'il croisa les gens dans la rue qui n’avançaient presque plus. Lorsqu'ils arrivèrent au lycée, ils s’arrêtèrent à un endroit où personne ne regardait, et le temps reprit son cours habituel.

• On se retrouvera au même endroit à la fin des cours, ok ? Passe une bonne journée !, lança Joey avec un sourire.

• Okay, ça marche !

Comme prévu, Martin revint à son lieu d'arrivée une fois les cours finis. Il y vit Joey qui était au téléphone et semblait quelque peu excédée :

- Mais puisque je te dit que je veux y'aller Ju' ! S'il te plaît, je peux bien prendre ce genre de décision moi même non ? Allez !

Finalement, Joey rangea son téléphone,la mine boudeuse.

• Un problème ? , demanda Martin

• Oui ! Il y a ce nouveau salon de tatouage en ville,je me suis dit que c'était une bonne occasion mais Julien ne veut pas me laisser y aller ! ,se plaignit Joey, Oh et puis tu sais quoi, il n'a pas le droit de m'interdire ça !

• Ah Bon ?

• Je suis une grande fille,je peux prendre des décisions par moi même non ?

• Euh,je suppose.

• Tu sais quoi ? Je me fiche de ce qu'il peut dire ! Rien ne m’empêche de m'y rendre,il ne rentrera pas tout de suite de toute manière,il n'en saura rien :

• Ouais mais quand même...

• Tu va m'accompagner ! Après tout je peux pas te laisser tout seul trop longtemps.

Avant même que Martin ne puisse répondre, elle lui prit la main et l'emmena de force.

Arrivée devant la porte du salon, Joey s'immobilisa.

• Tu commence à douter ? Si jamais tu veux pas y aller finalement moi je suis d'accord pour rentrer ! , tenta de la raisonner désespérément Martin.

• C'est juste que j'ai jamais fait un truc dans le genre,j'ai pas vraiment peur je suis plutôt excitée ! , répondit Joey, au grand dam de Martin.

Une fois dans le salon,un homme les accueillit. Il avait un air un peu effrayant, muni d'une barbe noire et épaisse, il avait une carrure très large et était très grand. Son apparence sembla immédiatement imposer une pression sur Martin mais Joey était toujours aussi impatiente à l'idée de se faire un tatouage.

• Bonjour,vous venez pour un tatouage je présume ? , demanda l'homme avec une voix douce qui ne collait pas vraiment avec son physique.

• Oui ! , répondit Joey jovialement, Ce serait pour un tatouage.

• Et vous monsieur ? , demanda le barbu, à Martin désormais.

• Non merci, je ne fais que l'accompagner.

• Très bien, vous pouvez me suivre mademoiselle, je n'ai aucun autre client pour le moment. Quant à vous monsieur vous n'avez qu'à attendre dans la salle d'attente, mais je n'en n'aurais pas pour long...

Joey suivit alors l'homme dans une pièce faiblement éclairée. Au centre se trouvait un long fauteuil semblable à celui qu'on trouve chez les médecins.

• Alors,qu'est ce que vous aimeriez exactement ? , demanda le tatoueur à sa cliente.

• Hmmm,je pensais à des ailes blanches,dans le dos, vous voyez ? Avec un coté angélique.

• Un peu comme cela ? , demanda l'homme en pointant du doigt un dessin de grandes ailes blanches sur un livret contenant d'autres motifs divers et variés.

• Oui, c'est exactement ce que j'avais en tête ! , s'exclama la jeune fille.

Le tatoueur invita alors Joey à s'installer sur le fauteuil, mettant ce dernier à plat. Joey ne voyait pas ce que faisait le tatoueur dans son dos mais contrairement à de nombreux tatoueurs, il n'utilisait pas de dermographe : une simple aiguille, qu'il maniait prodigieusement, lui suffisait. Ce qui aurait pris des heures à n'importe qui, fut fini en l'espace d'une dizaines de minutes. Le tatoueur laissa alors sa cliente admirer son nouveau tatouage à travers un miroir.

- Wow impressionnant ! C'est exactement ce que j'avais demandé ! Et je pensais pas que ça vous prendrait aussi peu de temps ! , s'étonna Joey qui n'avait pas ressentit la moindre douleur.

• Merci, content de savoir que cela vous plaît mademoiselle !

Le tatoueur laissa s'échapper un léger rire d’orgueil puis alluma la lumière de la pièce. Joey, encore engourdie, fut légèrement éblouie par la lumière et sa tête commença à tourner. Elle regarda autour d'elle afin de reprendre ses repères. Ce qu'elle n'avait pas remarqué en entrant, c'est que la pièce était décorée de multiples tableaux accrochés aux murs. Tous étaient d'un réalisme frappant, on aurait presque pu les prendre pour des photographies. Un tableau en particulier attira le regard de Joey : il représentait un immense dragon verdoyant, les ailes étendues et prêt à s'envoler.

       - Ils sont magnifiques dites moi, ces tableaux ! , s'exclama Joey, Ils sont tous du même artiste non ? On peut ressentir une touche de réalisme commune à chacune de ces œuvres !

• En effet mademoiselle. Pour tout vous dire, je suis celui qui à peint ces tableaux. J'ai une passion pour le dessin la peinture et tout art graphique. Heureux de voir que mes tableaux plaisent en tout cas.

• Normal, vous avez un réel talent monsieur, je vous l'assure !

• Maintenant que j'y pense... il y a un tableau qui me pose quelques problèmes en ce moment... cela vous dérangerait de me donner votre avis mademoiselle ? Cela pourrait sûrement m'être d'une grande aide.

• Absolument pas ! J'en serais ravi même.

Une lueur sournoise brilla dans les yeux du tatoueur. Il eut un petit rictus figé, puis se rapprocha d'un des tableaux accroché au mur, et le pointa du doigt à Joey.

• Prenez bien votre temps pour le regarder mademoiselle surtout, admirez donc mon art... , prononça t-il d'un air sinistre.

Joey n'eut pas le temps d'observer le tableau sous toutes ses coutures. Elle reconnut quasi-immédiatement ce qu'il représentait : c'était un portrait, SON portrait. Elle n'eut pas le temps de se poser plus de questions et encore moins d'analyser en profondeur le style de l’œuvre. Ses yeux furent pris d'effroi et un frissonnement glacial parcouru son échine. Elle tomba alors dans les pommes, l'homme s'approcha alors d'elle et fouilla ses poches à la recherche d'un portefeuille. Une fois qu'il trouva ce qu'il désirait, il le vida de tout l'argent qu'il contenait. Il se dirigea ensuite vers le tableau et le brisa en morceaux avec quelques coups de genoux biens sentis, puis jeta ce qu'il en restait à la poubelle en soupirant : « Voila,ça c'est fait ...»

Joey se réveilla en sursaut, encore allongée sur le fauteuil. Elle regarda autour d'elle et vit le sourire rassurant du tatoueur, posé sur elle.

• Votre tatouage est fini mademoiselle ! J'espère qu'il vous plaira !

• Oh ? Ah déjà... , marmonna Joey, Combien est ce que je vous dois au juste ?

• Mais enfin, vous avez déjà payé en arrivant mademoiselle, ne vous en souvenez vous pas ?

• Oh, autant pour moi dans ce cas...

Joey ne se sentait pas dans assiette sans savoir vraiment pourquoi. Son esprit était embrumé et elle avait l'impression que quelque chose lui échappait sans savoir quoi exactement. Elle reparti toutefois, très satisfaite de son tatouage.