Une vie

Chapitre 18 : LA RESURRECTION

6191 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 20/04/2024 11:18

CHAPITRE 18

LA RESURRECTION

 

         Sesshoumaru voyait la scène de loin, au ralenti. Il était comme pétrifié en plus d’avoir les tympans percés par le cri strident de la miko. A une trentaine de mètres, Rin était littéralement clouée contre la paroi rocheuse du sommet de laquelle il s’était élancé quelques minutes plus tôt. Le visage de Rin était contorsionné par la douleur. L’épée de Masahiro était fichée dans son cœur. Un filet de sang coulait de la bouche de la jeune fille tandis que le même liquide pourpre se répandait de façon concentrique sur le haori que Sesshoumaru lui avait offert, maculant les motifs colorés qui contrastaient d’habitude avec le noir. Rin tenait encore son épée en main. Malgré la douleur, sa main était crispée sur le pommeau de l’arme. Sesshoumaru regardait la miko s’affairer à retirer l’épée plantée dans le corps de la jeune fille qui ressemblait à un papillon épinglé sur un présentoir ; mais il était incapable de faire le moindre mouvement alors que Rin avait les yeux fixés sur lui. Il lui sembla même qu’elle lui souriait dans ses spasmes dus à la douleur, heureuse sans doute de constater que son mentor avait pu en réchapper. Soudain, après moult efforts de la prêtresse, le corps de Rin s’affala comme une poupée de chiffon, enfin libéré. Sesshoumaru fut tiré de sa tétanie et vola vers les deux femmes. Tous ses sens étaient sollicités. Mais il assistait, impuissant, aux tentatives désespérées de Kagome qui avait mis ses deux mains sur le cœur de Rin pour effectuer un point de compression.

 

—  Rin ! suppliait Kagome dont les larmes ne tarissaient plus. Accroche-toi ! Sesshoumaru est là ! Résiste ! Je t’en prie ! l’exhorta-t-elle après avoir déchiré la manche de son kimono pour le placer sur la plaie béante.

 

L’odeur du sang pourtant si agréable aux narines du youkai lui était devenue insupportable. Le gargouillis immonde engendré lors des inspirations de Rin, mélange de sang qui passait dans les voies respiratoires, le laissait désarmé. Le regard implorant et empli de satisfaction que la jeune fille lançait à son protecteur avait fini de l’achever. Il la vit, dans un ultime effort, lever sa main gauche, la droite toujours collée à son arme, et la diriger … vers la miko. Plus précisément la poser sur son ventre alors que l’autre femme faisait tout son possible pour la maintenir en vie.

 

—  Ne bouge pas Rin ! Garde tes forces !

 

Là-dessus, Rin émit un bruit étrange, sa trachée encombrée par le sang, lorsqu’elle voulut parler.

 

—  Il … est … vivant, dit-elle d’une voix rauque.

 

Puis sa main, trop faible, glissa sur les cuisses de la prêtresse pour retomber mollement sur le sol.

 

—  Rin ! s’affola Kagome. Reste avec moi !

 

La jeune fille, obéissante et résistante, se plia à la volonté de sa « tante »… tant qu’elle le put. Elle fixa encore Sesshoumaru qui s’était lentement approché, le regarda avec une certaine forme de tendresse puis son regard s’emplit de larmes. Elle sentait qu’elle ne pourrait plus lui dire tout ce qu’elle avait sur le cœur. Elle allait le quitter définitivement mais elle savait qu’il n’ignorait pas ce qu’elle ressentait pour lui. Encore une dernière expiration, douloureuse, et Rin ferma les yeux. Définitivement.

 

Kagome, ses mains ensanglantées encore sur la poitrine de la jeune femme, la secoua vainement. Elle refusait de se rendre à l’évidence et hurlait encore le nom de la défunte en présence du youkai. Ses lamentations faisaient écho aux hurlements de Taichan qui léchait, après manifestation de sa tristesse, le visage de sa maîtresse. Sesshoumaru avait la gorge nouée. Son cœur battait rapidement et son odorat fut assailli par l’odeur si caractéristique d’un corps que la vie vient de quitter. Quelle désagréable sensation !

 

—  Miko, prononça-t-il. Ecarte-toi.

 

Kagome tourna le regard vers son imposante stature et le vit sortir de son fourreau l’épée qui lui avait été léguée par son père. Tessaïga. Elle s’exécuta et le vit brandir son arme et trancher le vide au-dessus du corps qui commençait à se cyanoser. Aucune réaction. Les êtres venus du monde des morts étaient absents ; aucun battement cardiaque n’était audible. Que se passait-il ? Pourquoi cette maudite épée n’accomplissait-elle pas son rôle ? Le youkai réitéra son geste pour obtenir le même résultat. La colère germait en lui et la souffrance également. De dépit, il planta férocement l’épée dans le sol et considéra le cadavre sous ses yeux.

 

—  Kagome ! hurla le hanyou qui avait reprit ses esprits, suivi de ses deux acolytes. Kagome ! Tu vas bien ?!

 

Il n’eut pas plutôt fini sa question que ses yeux prirent connaissance de la scène. Malgré le manque de répondant de son épouse, Inuyasha comprit immédiatement ce qui s’était passé. Les deux autres humains ne dirent mot, horrifiés par la mort de Rin. Une fois rassuré sur le sort de son épouse, il observa son frère qui n’avait jamais été aussi proche de tous ces humains. Le visage de cet individu si impassible, habituellement, semblait quelque peu affecté. Mais aucune larme, aucune moue de tristesse, ne venait déformer son visage d’albâtre. La colère bouillonnait déjà chez le hanyou après avoir vu la quiétude exprimée par le visage de sa nièce. Sans sommation, il se jeta sur son frère complètement apathique et lui décocha un magnifique coup de poing dans la mâchoire. Le youkai ne fit qu’un léger pas en arrière. Un très léger filet rouge s’écoulait de sa lèvre fendue. Inuyasha prit une pose offensive pour se défouler mais s’aperçut que son frère ne chercha même pas à riposter. Tant mieux ! C’était tout bénéfice pour lui. Inuyasha se déchaîna alors franchement. Sesshoumaru encaissait les coups sans broncher, comme pour expier. Les humains, eux, préférèrent s’occuper du corps de la défunte tout à côté et pourtant bien loin de la petite guerre fratricide qui se déroulait.

 

—  Espèce de bâtard ! dégorgea le hanyou. Tu l’as laissée mourir !

 

Pour toute réponse, Inuyasha eut droit à un mutisme des plus assourdissants alors que Sesshoumaru avait la langue pourtant bien acérée.

 

—  Mais réagis, bon sang ! Rin vient de mourir ! hurla-t-il en agrippant le col du riche haori.

 

Seshoumaru se rebiffa enfin et mit sa main droite sur l’avant-bras de son agresseur. Le ton de sa voix différait totalement de l’outrecuidance qu’il arborait en général.

 

—  Je sais, fit-il calmement.

 

Inuyasha, décontenancé voire quasiment assommé par la froideur de la réplique, lâcha son frère sur le champ. Il voyait bien que ce dernier était réduit à l’état de loque. Même des années après la mort de leur père, Sesshoumaru lui en avait toujours voulu. Et là ? Rien ! Même pas une réflexion assassine.

 

—  C’est tout ? « Je sais » ? Elle ne comptait pas plus que ça pour toi. Tu l’as élevée pratiquement comme ta fille, elle, une humaine, et tu n’as même pas une marque d’affection pour elle ?

 

Sesshoumaru regarda son frère qui recula, peu habitué à l’attitude de son aîné.

 

—  Enfoiré ! Elle t’a sauvé les fesses pendant ce combat !

—  Ce n’est pas moi qu’elle a sauvé ! C’est ton fils !

—  QUOI ?!

 

Le hanyou fit des yeux ronds. Sa surprise doubla lorsque Sesshoumaru, passif jusque maintenant, lui renvoya ses coups, ce qui fit atterrir Inuyasha négligemment sur son arrière-train. Encore secoué, dans tous les sens du terme, le demi démon se massa la joue qui avait le plus souffert, non loin de ses amis. Sa femme apostropha les deux belligérants :

 

—  Franchement ! Vous croyez que c’est bien le moment de vous battre ?! Rin vient de mourir ! Ayez au moins un peu de respect pour elle au lieu de vous comporter comme des sauvages ! Sesshoumaru, Rin sera au village pour la veillée funéraire. Libre à toi de venir ou non, déclara-t-elle avec des éclairs et des larmes plein les yeux.

 

Le corps fut chargé sur le dos de Taichan. La prêtresse chevaucha le compagnon de l’infortunée. Les humains se préparaient à quitter les lieux quand le hanyou qui s’était relevé interrogea son épouse :

 

—  Alors … comme ça … tu es enceinte ? Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

—  Je n’en savais rien moi-même jusqu’à ce qu’elle m’en parle.

—  Vous êtes vraiment pathétiques, résonna une voix de baryton. Rin l’a immédiatement senti alors qu’elle ne peut même pas être qualifiée de hanyou. Inuyasha, tu restes l’opprobre de la famille.

 

Sesshoumaru était provisoirement redevenu lui-même. Tous les humains s’en allèrent en laissant les deux frères régler leurs comptes. C’est ce qu’espérait Inuyasha. Il pourrait enfin faire cracher le morceau à son frère, lui faire avouer ce qu’il ressentait vraiment maintenant que les oreilles étrangères n’étaient plus là. Il était sûr qu’il était profondément affecté par le décès de Rin en raison de son manque de réactivité.

 

—   Allez, sombre idiot ! Défoule-toi maintenant. Ils sont partis. Tu restes quand même mon frère. Traite-moi de tous les noms si ça peut te faire du bien. C’est ce que fait Kagome. Défonce ce stupide promontoire, brûle la végétation, casse-moi la figure mais laisse éclater ta colère comme tu l’as toujours fait suite à la mort de papa.

—  « Papa » ?! Tu ne l’as même pas connu ! Comment peux-tu montrer autant de familiarités ! Aie un peu de respect !

—  Mais je le respecte ! J’honore la mémoire d’un youkai qui ne méprisait aucune créature vivante et qui vivait en bonne harmonie avec les humains et les démons. Il me semble que je tiens plus de lui que tu ne veux bien l’admettre.

 

Les yeux de Sesshoumaru devinrent rouges. Inuyasha sourit. Ça marchait. Il poussait son frère à bout. La transformation était imminente. Le hanyou dégaina son épée tout en poursuivant ses provocations.

 

—  Je suis tellement proche de « papa » que je n’ai pas honte d’avoir des sentiments pour une humaine. Et qui porte mon enfant ! Tu rejettes ça parce que toi aussi, que tu le veuilles ou non, tu apprécies énormément Rin !

 

Sesshoumaru était dorénavant au centre d’un tourbillon. Sa colère grandissait mais cela n’effrayait pas Inuyasha qui avait déjà affronté la forme canine de son frère. S’il fallait à nouveau lui couper une patte pour lui mettre un peu de plomb dans la tête … Mais Inuyasha changea de registre en voyant l’immense bête devant lui. Non pas par peur mais par … compassion. Le démon planta son museau devant son frère et retroussa ses babines.

 

—  Si tu avais pu entendre de quelle manière elle parlait de toi ! Son regard ! Très franchement, je ne te trouve pas du tout les mêmes qualités. On voyait tout de suite que c’était une femme amoureuse qui parlait.

 

L’énorme chien souffla sur le minuscule demi démon et souleva de la poussière.

 

—  Tu ne m’impressionnes pas ! Mais ça crève le cœur de voir une aussi belle fille s’enticher d’un crétin comme toi ! Même Kouga aurait eu ma bénédiction si elle avait été sous ma protection. C’est un beau gâchis ! Elle est morte sans avoir eu le temps de …

 

L’immense démon blanc releva la tête pour regarder vers le ciel et pousser un hurlement lugubre que l’on pouvait entendre à des kilomètres à la ronde. Nul doute qu’au village, on savait très précisément la signification de ce cri. Tout le monde en eut le cœur serré. Kagome stoppa momentanément la toilette de Rin. « Baka ! » pensa-t-elle. « Il est trop tard maintenant ! » La fierté de Sesshoumaru l’aura perdu.

 

Inuyasha fut néanmoins ému par la manifestation de cette tristesse mais il lui en voulait d’avoir été aussi buté. « Continue ! Sors tout ce que tu as sur le cœur », le plaignait-il pendant qu’il s’éloignait discrètement pour laisser son frère effectuer son deuil. Il avait initié le processus ; à son frère de continuer et de se fatiguer. C’est là qu’il plaignit Jaken car le crapaud, souffre-douleur officiel, risquait certainement de payer très cher cette lourde perte. Bah ! Il s’en remettrait avec un peu plus de temps.

 

Sesshoumaru brisait, arrachait, faisait fondre tout ce qui se trouvait à sa portée. La rage avait succédé au chagrin. Le chaos régnait dans son crâne. Il était tiraillé entre le déni et la réalisation. Ce qui l’énervait surtout, c’était les dernières paroles de Masahiro. Son ennemi avait gagné ! Il l’avait anéanti non pas en le tuant physiquement mais en le privant de la personne qu’il avait toujours refusé de considérer comme précieuse à ses yeux. Et depuis si longtemps ! Les grognements de rage se succédaient, le sol tremblait. Au bout d’environ deux heures, tout s’arrêta.

 

Jaken et Ah-Un firent leur apparition. Ils n’avaient pas perdu une miette de la bataille et de la colère de leur seigneur. Inutile de dire que le batracien était totalement atterré par la mort de Rin qu’il venait à peine de retrouver mais sans avoir pu lui parler, dangerosité de la situation oblige. Même si elle avait le don de l’agacer, il devait reconnaître qu’elle faisait partie de leur clan, surtout quand elle avait risqué sa vie pour lui trouver un antidote. Ce n’était vraiment pas juste. Et cette fois-ci, Tenseïga n’avait rien pu faire. Mais le plus terrible était la colère de Sesshoumaru. Il était méconnaissable et il avait fallu se mettre à l’abri pour ne pas faire partie des victimes collatérales. Il retrouva son seigneur sous sa forme humanoïde, complètement vidé de son énergie, reprenant son souffle, les yeux hagards comme s’il n’avait plus aucune prise sur la réalité, dépassé par les événements. Jaken ne préféra rien dire, se manifestant simplement par sa présence. Le souffle du youkai reprit un rythme normal. Il retrouva de sa constance et sans aucun regard pour ses serviteurs, il leur dit du même ton monocorde, inaffecté par le tragique événement :

 

—  Jaken, Ah-Un, allons-y !

 

Le crapaud inclina la tête et suivit son maître sans poser de question sur leur destination.

 

Au village d’Inuyasha, Kagome avait fini de préparer le corps de la jeune fille. Elle était allongée sur un futon, sa tête reposant sur une cale, mais le visage toujours visible. Kagome l’avait revêtue, avec l’aide de Sango, d’un simple yukata blanc. L’attirail qu’elle portait était correctement disposé sur un présentoir avec son épée. Quelques bâtons d’encens, témoignages des personnes qui souhaitaient rendre un dernier hommage, se consumaient non loin d’elle, sur un petit autel prévu à cet effet. Une petite boule de poils blancs, recroquevillée sur elle-même et serrée contre les flancs de Rin, refusait de quitter les lieux. Cette vue acheva Kagome. Si seulement Sesshoumaru avait accepté ce qu’il ressentait pour elle, on n’en serait pas là. « Pauvre Taichan ! Tu me fais penser à lui mais en plus expressif ». La miko passa délicatement sa main sur son ventre. Alors c’était vrai ? Elle était finalement enceinte. C’était une joie bien amère. Elle avait distingué l’épée de Masahiro, malgré le manque de visibilité, puis une forme noire de taille humaine l’avait violemment poussée sur le côté pour se prendre l’arme qui lui était destinée de plein fouet. Rin s’était tout bonnement sacrifiée pour lui laisser la vie sauve, à elle et son enfant à naître. Inuyasha entra dans la petite pièce du sanctuaire et s’installa à côté de sa femme, non loin de Rin.

 

—  Je suis désolé. Je sais pas comment elle a pu acquérir une telle acuité des sens mais si j’avais su plus tôt, je peux te garantir que jamais je ne t’aurais laissé m’accompagner.

—  Tu n’as pas à t’excuser. Comment va Sesshoumaru ?

—  Je crois qu’il a évacué toute sa colère et sa tristesse. Un peu comme lorsque tu répètes cette maudite incantation, sourit-il péniblement.

—  Ça veut dire qu’il l’aimait mais qu’il n’a jamais pu ou su lui dire. Dans votre famille, vous n’êtes pas très démonstratifs. J’ai toujours vu les chiens manifester leur affection de façon très spontanée. Vous ne tenez pas de votre père alors.

 

Inuyasha soupira. De ce côté, lui et son frère étaient assez proches. Et ce dernier était le plus à plaindre : obligé de reprendre à un jeune âge, selon les critères des démons, les rênes laissées par son défunt père, protéger les territoires que d’autres souverains convoitaient. Pas le temps de faire son éducation sentimentale.

 

—  Tu sais, je crois que j’aurais été comme lui si j’avais dû tenir son rôle et si je n’avais pas été en contact avec les humains. D’un côté je le plains, mais de l’autre, je lui en veux parce qu’il s’est ouvert beaucoup trop…

 

Il s’interrompit et se leva. Taichan éploré en fit autant.

 

—  J’y crois pas ! Il vient ! Viens. Le moins que l’on puisse faire pour quelqu’un qui vient de découvrir qu’il avait des sentiments, c’est de lui laisser un peu d’intimité. Tu sais que les youkai sont pudiques.

 

Kagome se leva et prit Taichan dans ses bras. L’inumata ne protesta pas. Le petit temple fut laissé à l’entière disposition du youkai qui avait préféré laisser Jaken et Ah-Un à l’extérieur du village de son demi-frère pour éviter un mouvement de panique des villageois à la vue du coursier. Il pénétra seul, digne, dans une rue quasi déserte, sauf pour quelques humains qui reconnurent son statut en inclinant la tête à son passage. Inuyasha devait avoir préparé les voies. Ce dernier se trouvait d’ailleurs adossé au mur du temple, bras croisés sur le torse, les yeux à demi clos.

 

—  Prends ton temps. Nous avons prévu de l’incinérer demain après-midi. Si tu le souhaites, nous te remettrons ses cendres. Tu en disposeras comme bon te semble.

 

Un simple « hmm » fut tout ce qu’Inuyasha entendit avant que son frère ne pénètre dans l’antre sacrée. Il prit cela pour un signe d’acquiescement et quitta les lieux car Seshoumaru devait avoir beaucoup de choses à dire. Le youkai entra presque en tremblant. Il se déchaussa, retira ses épées puis fit glisser la porte coulissante derrière lui. C’était la première fois qu’il montrait autant de considération pour l’humanité. Il s’approcha presque craintivement du linceul et s’agenouilla au niveau de sa tête mais à distance respectueuse. Son odorat était davantage importuné par l’odeur capiteuse de l’encens que par celle de la mort. Moment de silence et de recueillement. Sesshoumaru examina le visage de la jeune fille. Où étaient ses yeux rieurs ? N’y avait-il donc plus de vent pour agiter cette chevelure indomptable ? Et sa voix ? Qui fredonnerait dorénavant des balivernes ou plus récemment le défierait ? Le youkai eut un moment d’hésitation puis il se décida enfin. Il effleura sa joue. Ce fut un choc. Il sentait bien la peau mais aucune vie ne palpitait en dessous. De plus, la froideur le fit presque sursauter.

 

—  Rin, murmura-t-il comme s’il avait peur de la réveiller.

 

Le rose de ses joues était désespérément absent.

 

—  Pardonne-moi, pardonne à cet … « abruti » de youkai de ne pas avoir apprécié ce qu’il avait depuis des années à ses côtés. Pardonne-moi d’avoir autant méprisé les humains, de ne pas t’avoir dit combien tu … je te …

 

Il n’arrivait pas à formuler ce qu’il ressentait. Rassuré néanmoins que personne ne le jugerait, le youkai, si peu loquace, fut pris d’une logorrhée.

 

—  Je ressens des choses totalement étrangères et je suppose que seuls les humains les éprouvent. Ma gorge est serrée, il y a comme un poids sur ma poitrine, je n’arrive plus à raisonner. Il y a quelques instants encore, je n’étais plus moi-même : j’ai fait preuve d’une violence et d’une sauvagerie que je n’aurais jamais soupçonnées. Je pensais que cela me calmerait mais je bouillonne encore en voyant dans quel état tu es …

 

Il passa ensuite sa main dans la chevelure noire et soyeuse.

 

—  Je ne me souviens pas avoir été autant en colère. Sauf peut-être quand mon père a laissé sa vie pour sauver celle de mon frère à peine né. Et voilà que des années plus tard, je me retrouve dans la même situation. Que mon père défende son fils, je peux comprendre ! Mais que tu protèges l’enfant d’une autre, j’avoue ne pas saisir. Quel intérêt ? Je t’en veux Rin. Tu n’imagines pas à quel point je t’en veux et paradoxalement je t’admire pour ton sens de l’abnégation.

 

Il voulut continuer à parler mais Tenseïga qu’il avait laissée près de la porte émit une pulsation à laquelle répondit l’épée de Rin déposée à côté de son armure. Les deux héritages, père et fils, semblaient entrer en communion. Puis, les deux armes se mirent à résonner simultanément laissant Sesshoumaru intrigué. Soudain, une voix qu’il ne connaissait que trop bien mais qu’il n’avait plus entendu depuis des décennies, une voix qui émanait de sa propre épée lui adressa la parole paternellement avec une once de reproches.

 

—  J’espère que tu réalises maintenant à quel point elle comptait pour toi.

—  Père ?! répondit le youkai qui fixait l’épée qu’il avait toujours détestée.

 

La voix continuait et une image apparut. Inu no Taisho auréolé, discutait avec son fils aîné depuis l’outre-tombe.

 

—  Tu croyais que tu pouvais te prendre pour dieu en la ressuscitant  à nouveau ? Sache que Tenseïga ne fonctionne qu’une fois sur la même personne.

 

Sesshoumaru fut abasourdi par cette révélation. Il s’affala presque à côté de Rin.

 

—  Tu comprends enfin la souffrance engendrée par la perte de quelqu’un que l’on aime ?

—  « Aime » ?

—  Voyons, mon fils ! sembla taquiner l’apparition. Et ce fameux jour où tu l’as mordue ? fit le taiyoukai plus amusé que désespéré de l’obstination de son rejeton. Tu t’es complètement laissé emporter. Même moi je n’ai jamais fait ça à ta propre mère ou à Izayoi. Il y a d’autres moyens, moins traumatisants, pour témoigner son amour : tout ce que tu as fait pour elle depuis que tu l’as recueillie, ce sont des preuves de ton affection.

 

Sesshoumaru dégagea quelques mèches du cou de Rin pour laisser apparaître deux petites marques qui avaient bien cicatrisé.

 

—  Tu es bien plus impulsif, voire possessif, que moi sous ton air froid et détaché. Le feu sous la glace ! nargua-t-il.

 

Sesshoumrau gardait la tête basse, fixant toujours Rin, sans répondre à son auguste paternel. Réalisait-il enfin ? Sortait-il du déni ?

 

—  Il est trop tard maintenant, père.

 

L’apparition contemplait son fils dont le regard d’habitude impassible vacillait. Enfin un peu d’humilité dans le cœur de son grand garçon ! Il fallait en arriver à de telles extrémités pour apprendre.

 

—  Son épée, Sesshoumaru. Prends son épée et place-la à côté de Tenseïga de part et d’autre de son corps.

 

Le youkai ne réagit pas, encore sous le coup de cette leçon on ne peut plus sévère.

 

—  Je te donne une dernière chance, mon fils.

 

Sesshoumaru regarda son père qui affichait un franc sourire, le même qu’Inuyasha. Il s’exécuta rapidement maintenant qu’il était sorti de sa transe. Est-ce qu’il interprétait bien les paroles sibyllines de son paternel. Aussitôt déposées, les deux épées se firent écho et le rythme de leurs pulsations s’accéléra pour ne former plus qu’un long murmure, une vibration qui se propagea à tout le bâtiment et aux alentours.

 

—  Bon sang ! jura Inuyasha. Qu’est-ce que se passe encore ? Partout où il passe, il faut qu’il sème le chaos ! Aucun respect pour les m…

—  Qu’y a-t-il Inuyasha ? demanda Kagome inquiète qui regardait son époux renifler l’air ambiant.

—  NON ! C’est pas possible ! Rin !

 

Le hanyou quitta sa hutte talonné par Kagome qui, à la mention du nom de la protégée de son beau-frère, délaissa sa couche. Que se passait-il avec Rin ? Inuyasha s’arrêta net devant le petit temple ; Kagome en fit autant. L’un sentait une odeur agréable ; l’autre ressentait de formidables énergies se concentrer dans ce lieu. Taichan, lui, ne se formalisa pas et jappa comme un fou devant la porte que Sesshoumaru avait fermée. Il en vint à gratter le bois pour attirer l’attention.

 

—  Je ne suis pas sûre de comprendre mais cette débauche d’énergie et la réaction de Taichan … Se pourrait-il que … ? Ce serait un miracle !

—  Et bien c’en est un ! Je ne sens plus du tout l’odeur de la mort !

 

Le couple resta sagement à l’extérieur mais Inuyasha prit le quadrupède par la peau du cou. Il valait mieux attendre que cesse toute cette agitation pour confirmer leurs pensées et ne pas assister à une déception.

 

—  Doucement, toi ! Si mon odorat ne me trompe pas, tu vas peut-être revoir ta maîtresse.

 

Le bourdonnement cessa, tout redevint calme. Le cœur de Sesshoumaru était prêt à sortir de son torse. L’odeur de Rin, son changement de carnation, le bruit de son cœur et de sa respiration … C’était irréel. Le youkai était aussi immobile qu’une statue comme plongé dans un rêve. Même un battement de cil pouvait réduire toutes ses espérances à néant. Il retint son souffle et guetta tout signe de réveil. Tous ses sens étaient en éveil.

 

Une odeur d’encens presque nauséabonde. Un aboiement de jeune chiot provenant de très loin. Un sol plus ou moins confortable. Confortable ? Mais elle s’était écroulée sur la rocaille ! Où était-elle ? Pourquoi une telle odeur ? Paniquée, Rin tenta de s’extirper de son cauchemar et ouvrit brutalement les yeux en expirant bruyamment. Au-dessus de sa tête, un toit. Mais où se trouvait-elle ? Elle tenta de se redresser mais deux mains la maintinrent dans sa position initiale.

 

—  Non, Rin. Reste allongée.

 

Cette voix ! Grave, chaude, hypnotisante ! Elle se plia de bonne grâce car malgré ce réveil en fanfare, elle se sentait vidée, prête à retourner dans ce rêve où la voix de velours qu’elle chérissait tant la berçait. Minute ! La voix ! Cette pression sur les épaules. Elle l’avait bien ressentie ! C’était bien réel ! Elle tourna légèrement la tête pour voir deux orbes ambrées, un croissant de lune, des rayures magenta et une chevelure argentée. Elle réalisa et sans sommation, elle se jeta au cou du youkai et pleura abondamment. Sesshoumaru, malgré ses conseils, la laissa faire et l’étreignit doucement, de peur de briser ce rêve. Combien de temps restèrent-ils ainsi ? Aucune idée, jusqu’à ce que Rin se calme, se désolidarise et plonge son regard noisette dans celui d’ambre. Sesshoumaru la laissa faire à son rythme mais elle reprit vite le fil de la conversation qu’elle avait entamée en plein combat.

 

—  Sesshoumaru-sama … je devais vous dire que …

 

Et sans ménagement ni considération pour son état encore chancelant, Rin embrassa fiévreusement le youkai qui ouvrit de grands yeux dans un premier temps pour céder aux attentions de la jeune fille. Il ne la repoussa pas, bien au contraire. Il approfondit le baiser la laissant pantelante une fois leur étreinte rompue. Elle lui sourit ; il avait une petite lueur dans les yeux et un coin de ses lèvres se souleva subrepticement pour laisser enfin place à la parole.

 

—  Rin, excuse-moi.

 

Rin cligna plusieurs fois les yeux. Qu’était-il arrivé à son seigneur ? Avait-il pris un mauvais coup pendant la bataille ? Il formulait des excuses !

 

—  Vous excuser ? Mais de quoi ? sourit-elle. Si c’est pour m’avoir renvoyée ou même mordue, ça fait bien longtemps que je vous ai pardonné. Mais si vous voulez une absolution officielle …

 

Et elle réitéra son baiser. Ça devenait addictif. Mais il fallait absolument s’arrêter là et ne pas profaner ce lieu sacré.

 

—  Je voudrais … rentrer … chez nous.

 

Seshoumaru hocha la tête. Il entreprit d’aider la ressuscitée. Il la porta façon jeune mariée et l’enveloppa de son appendice duveteux. Le léger yukata qu’elle portait ne lui tiendrait pas chaud sur le trajet. Rin s’agrippa à son cou, enveloppée dans ce cocon de douceur et de chaleur. Il fallait aussi ajouter « de force ».

         

Sesshoumaru, bien qu’encombré réussit à se rechausser et à récupérer ses propres effets. Jalen veillerait sur ceux de Rin. Le youkai fit coulisser la porte et mit enfin un pied dehors. L’air frais de la soirée revigora Rin.

 

—  Riiiiin ! hurla Kagome à bonne distance.

 

Inuyasha lâcha le petit fauve qui tournait frénétiquement aux pieds du youkai. Il finit pas sauter dans le giron de sa maîtresse bien pelotonnée qui lui rendit ses marques d’affection. La miko et le hanyou s’approchèrent du trio.

 

—Rin-chan ! Tu es en vie ! C’est … c’est à peine croyable.

—  Merci pour vos soins, ba-san.

—  Je n’y suis pour rien.

—  Effectivement ! poursuivit Inuyasha les bras croisés fièrement sur le torse. Je crois que mon frère te doit énormément d’explications, lança-t-il avec un sourire narquois. Ne t’en fais pas pour tes affaires, on …

—  Jaken est à l’extérieur. Tu les lui remettras.

—  Pour être sûre, Rin, je souhaiterais voir la cicatrice sur ta poitrine.

 

Kagome s’approcha de la jeune fille qui libéra le cou de son «amant » pour donner plus d’accès à sa tante. Elle écarta même un pan du kimono. Lorsque la prêtresse approcha son visage, un grognement lui signifia net de ne pas aller plus loin. Kagome sourit.

 

—  Niiii-saaaaan, fit-elle lassée. Je jette juste un œil. Tu ne veux quand même qu’elle meure d’une infection alors que tu viens à peine de la retrouver.

 

Se faire nommer « beau-frère » par cette humaine lui avait coupé toute envie de mordre. Et sa justification tenait la route. Inuyasha fut stupéfait de voir que sa femme avait le pouvoir de calmer les inu youkai. Et sans collier de perles en plus ! Kagome n’en revenait pas de voir qu’il ne restait plus qu’une légère trace blanche et irisée, comme si la blessure datait d’il y a quelques années. Elle rendit Rin à un Sesshoumaru possessif mais tellement attachant à voir. Le youkai continua son chemin.

 

—  Surtout, ne nous remercie pas ! hurla Inuyasha quand le dos de son frère était à peine visible.

—  Je ne te remercierai pas.

 

Bien que la remarque fût déplaisante, Inuyasha n’en prit pas ombrage et sourit même. Son frère était redevenu lui-même.

 

—  Sesshoumaru-samaaaaa ! hurla Jaken, des larmes aux yeux quand il vit son maître réapparaître accompagné de Rin et d’un autre animal. Riiiiiin !

—  Bonjour Jaken-sama !

—  Tu es vivante ! Tu …

—  Jaken, interrompit le youkai, va récupérer ses affaires au village.

—  Tout de suite, monseigneur.

 

Alors que le batracien courait comme un dératé pour satisfaire la requête de son maître, Sesshoumaru enfourcha Ah-Un que Rin s’empressa immédiatement de flatter.

—  Bonjour mon grand ! Tu m’as manqué ! Je te présente mon petit compagnon, Taichan.

 

Les deux bestioles firent connaissance en se reniflant le museau et une fois les formalités accomplies, Ah-Un s’éleva dans les airs, peu soucieux que Jaken aurait un sacré parcours à effectuer jusqu’au château.

—  « Taichan » ? demanda le youkai.

—  Euh… oui…je voulais le nommer comme vous à cause de la ressemblance mais … vous êtes unique. J’ai donc opté pour celui …

—  De mon père.

—  Ça vous dérange ? C’est ça ?

—  C’est le nom de mon frère qui aurait été insultant.

 

Tiens ! Une petite touche d’humour ! Elle le savait, elle l’avait toujours su : Sesshoumaru était une bonne personne même s’il ne le montrait pas. 

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