Une vie

Chapitre 16 : LA MAUVAISE HERBE REPOUSSE TOUJOURS

3416 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 06/04/2024 14:57

CHAPITRE 16

 

LA MAUVAISE HERBE REPOUSSE TOUJOURS

 

         Le matin hivernal pointa le bout de son nez. Rin n’avait pas très bien dormi. Ce que lui avait révélé Aiku, la veille, quant à ses sentiments mais aussi sur ceux de Sesshoumaru, se télescopait dans son crâne. Elle ne doutait pas de ce qu’éprouvait le cygne et cela lui faisait énormément de peine de ne pouvoir lui retourner son affection surtout si le canidé était effectivement « mordu » d’elle. Se pouvait-il que cela fût vrai ? Si seulement le demi-frère d’Inuyasha pouvait être aussi loquace et démonstratif que le futur souverain des terres australes ! Ça aurait grandement facilité les choses ! En attendant que le Taiyoukai vocalise correctement ses intentions, il faudrait décrypter ses gestes, son langage corporel, surtout son regard, … et ses silences.

 

         Mais une morsure ?! Suivie de menaces ! Rin se souvenait parfaitement des paroles de son mentor. C’était ça, son affection ? Puis, sans aucune transition, elle se souvint de Taichan et de son coup de dents : il l’avait gratifiée d’un don précieux sans que cela ne bouleverse son anatomie. Donc … pourquoi pas ? Mais un coup de langue ou des demandes de caresses, ça au moins, ce n’était pas équivoque et tellement moins douloureux ! Rin devait être sûre même si cela devait encore se solder par un renvoi ou une morsure fatale cette fois. Tant pis si cela n’était pas réciproque. Quelques kilomètres plus au sud l’attendrait déjà quelqu’un qu’elle refusait de faire souffrir en l’utilisant comme substitut.

 

         Elle se leva, déterminée. Elle sortit ses vêtements usuels du coffre. Ils avaient bien été nettoyés et reprisés à certains endroits qu’elle ne distinguait plus. Du vrai travail de professionnel. Lorsqu’elle arriva dans la salle du repas, tout le monde la scruta de bas en haut, le regard interrogateur. Tous, sauf un. Une fois la surprise passée, Kagami qui ne comprit que trop bien ce changement soudain, posa néanmoins la question dont la réponse était tant redoutée.

 

—  Alors, mon enfant. Tu as donc pris ta décision ? Tu nous quittes ?

—  En effet, Kagami-sama. Je ne sais comment vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour moi. Mais on m’a … quelqu’un m’a fait voir la vérité.

 

Tous les regards se braquèrent sur Aiku.

 

—  Aiku-sama, je suis vraiment navrée de ne pouvoir répondre à vos sentiments. Mais je vous suis infiniment reconnaissante pour votre honnêteté. Vous méritez une épouse bien. Votre père à l’œil pour ça.

 

Rin voulait détendre l’atmosphère malgré tout. Après le repas, toute la famille royale agrémentée de leur nouveau membre se rendit à l’extérieur des murailles. Les adieux ne furent pas déchirants puisque tout le monde s’attendait au départ de la jeune fille. Seules les raisons étaient nouvelles. Mais l’attachement pour Rin, potentielle candidate pour le prétendant au trône, avait grandi pendant ces quelques mois.

 

—  Rin-chan, sois prudente. Et si jamais ce sale cabot te brutalise à nouveau, je me ferai un plaisir de lui donner une correction digne de ce qu’aurait pu faire son défunt père ! Parole de Kagami !

 

La jeune fille ne s’offusqua même pas en entendant le vieux youkai traiter son seigneur de jeune chiot mal éduqué. Tout le monde lui fit de chaudes embrassades assorties de multiples recommandations. Rin caressa le crâne duveteux de son homonyme. Il était temps de partir. La famille royale retourna dans ses quartiers non sans lui avoir donné quelques provisions. Seul Aiku voulait encore un peu profiter du dernier tête-à-tête.

 

Les deux jeunes gens s’observèrent en silence. Un seul mot aurait pu gâcher la sérénité et la gravité du moment. Mais soudain, le prince prit brutalement Rin dans ses bras. Il ne disait rien. Rin put seulement sentir son souffle dans ses cheveux et quelques larmes tomber sur le haut de son crâne. Vraiment ! Avec une telle attitude, Aiku ne lui facilitait pas les choses ! Il avait la larme facile et communicative. Rin ne tarda pas à l’imiter. Aiku rompit enfin le contact. Le prince et la jeune fille se regardèrent à nouveau et se sourirent mutuellement en voyant dans quel état ils se trouvaient.

 

—  Rin-chan, je te souhaite bonne continuation. Notre porte te sera toujours ouverte.

—  Merci, Aiku-sama. Vous avez tellement fait pour moi. Mais pour être aussi honnête que vous, je ne veux pas vous donner de faux espoirs. J’espère toutefois que nous nous retrouverons comme de bons amis.

 

Ils séchèrent leurs larmes et se retournèrent en même temps pour aller chacun dans leur direction ; Aiku franchit les lourdes portes de la forteresse et Rin reprit la route vers le nord-ouest, en direction du château de Sesshoumaru dont elle pouvait presque sentir la présence malgré la distance. Taichan qui avait été des plus discrets prit son imposante forme et, de son museau, poussa Rin dans le dos, la tirant de sa rêverie.

 

—  Oui, mon grand. On y va. Je ne dois plus me cacher. Il déteste les lâches. C’était peut-être une énième épreuve. Je ne flancherai pas.

 

Elle s’installa sur le dos de sa monture et se laissa guider, motivée et anxieuse à la fois. Elle préféra ne plus jeter de regard en arrière de peur de voir fléchir sa volonté. Le jeune prince fut remis sur pied par son père qui avait secrètement écouté la conversation, caché derrière les portes. Une tape dans le dos le fit réagir.

 

—  Je sais que ça te fend le cœur mais tu as agi comme un vrai souverain. Le bonheur des autres avant le tien. Vous auriez fait un beau couple …

—  Elle l’aime. C’est indéniable. Elle était simplement perdue. Et lui … il refuse de s’avouer qu’il est tout aussi transi. C’est surtout ça qui me fait mal. Quel gâchis !

—  Ne t’en fais pas mon fils. Elle va lui dire ses quatre vérités. Ce sera la première fois qu’il va capituler. Tu l’imagines ? La tête basse et la queue entre les jambes en train de se prendre une mémorable correction de sa maîtresse ?

 

Kagami pouffa de rire à cette image. Sesshoumaru attaché à sa niche, grondé comme s’il avait uriné sur un futon ou rongé les pieds des meubles, privé de gamelle … La joie du souverain fut contagieuse. Aiku sourit. Ce serait difficile mais il remonterait la pente.

 

 

—  Allez Ah-Un ! Remue-toi un peu ! grogna Jaken.

 

Le dragon bicéphale ne voulait pas obtempérer et préféra rester mollement allongé sur son lit de paille. Depuis le départ de Rin, le crapaud était le seul à se mouvoir dans cet immense château. Son maître et sa monture étaient léthargiques. Etait-ce dû à l’hiver ? Les mammifères, surtout les chiens, n’hibernaient pas ! Une chance que les jours rallongeaient un peu même si les températures n’étaient pas encore clémentes. Les patrouilles allaient reprendre ; les retours au château seraient plus rares. Ça changerait les idées du seigneur des Territoires de l’Ouest. Ce n’était pas quelques incursions à droite ou à gauche qui allaient tirer son seigneur de sa mélancolie.

 

Mais pour l’instant, il fallait que le molosse se lève pour que Jaken puisse le harnacher sans avoir à le malmener. Le Taiyoukai lui ferait payer les mauvais traitements de façon disproportionnée étant donné l’état dans lequel il se trouvait. Un rien lui irritait les oreilles alors que les chansons de Rin étaient bien moins tolérables. Incompréhensible ! Jaken se résolut à employer son Nintojo pour frapper les flancs de la bête. Toujours aucune réaction. Las et dépité, il s’assit contre le ventre du dragon et entreprit de lui faire la conversation mais sans exprimer de reproches. Il se montra même compréhensif.

 

—  Alors, Rin te manque, hein ?

 

Le dragon tourna son cou au maximum pour montrer au batracien qu’il semblait intéressé et disposé à écouter.

 

—  Ah-Un ! Ce n’est qu’une humaine. Faible et donc mortelle. Un jour ou l’autre, elle nous aurait définitivement quittés à cause de son grand âge. Je ne comprends pas pourquoi tu l’apprécies. Elle garnissait ta bride de fleurs, fredonnait des chansons ridicules et avait même le droit de voyager sur ton dos ce qui soulignait bien sa vulnérabilité. Et toi, imposant destrier, tu ne bronchais pas, tu te laissais faire. Pire ! Il me semblait même que tu l’appréciais alors que tu aurais facilement pu la dévorer. Est-ce que Seshoumaru-sama t’a donné l’ordre de ne jamais y toucher ? Monseigneur, je le respecte, c’est quelqu’un d’honnête, de droit et de très puissant. Si je suis puni, c’est que je l’ai déçu même si les châtiments sont parfois excessifs. Il veut ce qu’il y a de meilleur, il est exigeant. Alors pourquoi tolérer une humaine ? Les humains sont tellement fourbes, menteurs et avides ! Naraku, ou plutôt Onigumo, nous en a bien donné du fil à retordre ! Un humain qui était devenu un … je ne peux même pas appeler ça un youkai ! Et Inuyasha, le demi-frère de notre maître, qui voulait lui aussi obtenir le rang de youkai ! On ne devient pas démon ! On naît ainsi ! Mais pour Rin, cela dépasse toutes mes analyses. J’éprouve cependant une énorme crainte. Je n’ose imaginer que Sesshoumaru-sama ait pu marcher dans les traces de son père, qu’il ait succombé au charme d’une humaine … si toutefois on peut trouver ces créatures charmantes. Non ! C’est impossible puisqu’il l’a chassée. Mais pourquoi est-ce que je ne retrouve plus mon maître tel qu’il était avant que Rin ne trouble notre quiétude ? Pourquoi je ne retrouve plus cette sérénité dans son caractère ? Pourquoi s’énerve-t-il aussi facilement ? Se pourrait-il qu’elle lui manque d’une certaine façon ? Toi, Ah-Un, tu es apathique. Mais je sens bien que notre seigneur tente de contenir une rage dont j’ignore la cause. J’ai l’impression d’être le seul qui ait encore la tête sur les …

 

Jaken fut tiré de son monologue car renversé par le dragon qui venait soudain de se lever. Etait-ce parce que son maître arrivait ? Si c’était le cas, le pauvre serviteur était fichu. Avec son ouïe surdéveloppée, le Taiyoukai avait très certainement entendu la tirade qui exposait sa faiblesse. Se prosterner, formuler les plus plates excuses.

 

—  Jaken, Ah-Un, fit une voix riche, grave et monocorde. Nous y allons.

—  Oui, Monseigneur !

 

Sesshoumaru se retourna sans même jeter un regard à ses deux subordonnés, au grand étonnement de Jaken, persuadé du sale quart d’heure qu’il allait passer. Il prit aussitôt la selle qu’il fixa vitesse grand V sur le dos de l’animal qui se laissa étonnamment faire, prit la bride de la monture et courut au plus vite aux côtés de son maître. Il le sentait sur le point d’exploser… mais pas contre lui. Quelque chose le tracassait. Il fronçait les sourcils plus que d’habitude. Sa main était sur Bakusaïga, cette épée héritée en même temps que le youkai avait vu son bras repousser. Un grand danger arrivait. C’était indéniable.

***

         

Au village du hanyou, l’ambiance était encore au beau fixe. Miroku et Sango se débattaient avec leurs trois enfants dont le dernier n’avait que quelques mois. Sa mère le portait sur son dos pour jouer l’arbitre avec les deux autres qui vaquaient à leurs occupations : courir, jouer, s’amuser dans la rivière sous l’œil protecteur de leur moine de père. Ce dernier avait la main toujours autant mobile que du temps de sa malédiction. Heureusement que l’organe ne se préoccupait plus que du séant de son épouse.

         

Les compétences du couple n’étaient pas légendaires. Pour se débarrasser d’une entité un peu trop encombrante, rien de tel qu’un sortilège efficace ou un aller-retour d’hiraikotsu. De temps à autre, Kirara servait de nourrice aux deux plus turbulents. Au pire, Shippo qui avait perdu sa frimousse enfantine pour arborer les traits d’un bel adolescent, selon les standards humains, se substituait au nekomata. Malgré son côté farceur, il pouvait se révéler une excellente nounou. Il fallait attribuer cette extraordinaire maturité à Kagome.

         

La miko du futur l’avait quasiment élevé comme son fils. Et qui dit enfant, dit conflit parental, surtout paternel. Les deux canidés continuaient à s’écharper. Mais Inuyasha était toujours calmé à coup d’ « Osuwari » alors que le renard était aussi coupable. Kagome ne manquait pas de lui faire la morale. Ce n’était plus un, mais deux youkai puériles dont elle devait arbitrer les combats. Mère par procuration mais toujours pas d’enfant né de sa propre chair. Un hanyou ne pouvait-il pas procréer ?

 

Etant donné que c’était un hybride comme les mules ou les bardots, subissait-il également la stérilité ? Fort possible biologiquement. Elle était certaine que le problème ne venait pas d’elle, du moins physiquement. A moins que les deux partenaires ne somatisent et ne souhaitent effectivement pas créer une nouvelle vie de peur de lui faire endurer les souffrances et brimades, le même ostracisme dont sont victimes les hanyous.

 

Toujours est-il que les années passaient et qu’il serait de plus en plus difficile de tomber enceinte, qui plus est, de porter un fœtus viable. Il fallait arrêter de se focaliser sur ce problème. A force de retourner les causes possibles de cette absence d’enfant, cela pesait sur l’ambiance au sein du couple. La vie intime devenait quasiment inexistante. Sango s’était inquiétée de l’état de son amie, elle qui était déjà bénie de trois enfants. Mais la miko essayait de relativiser et s’estimait heureuse d’être la maman d’un pur youkai. Elle devait rester patiente. Après des années à lutter contre le fantôme de Kikyou, à se déclarer à demi mot ses sentiments, à revenir dessus, Inuyasha et Kagome avaient, enfin, osé aller de l’avant. Qui sait ? Un miracle pouvait toujours avoir lieu.

 

—  Oi, Kagome !

 

La douce voix râleuse du susnommé raisonna aux oreilles de l’humaine. Elle le laissa poursuivre et s’étonna du contraste entre « la formule d’appel » et ce qui allait suivre. Inuyasha s’installa posément devant son épouse qui finissait quelques préparations d’herboristerie. Elle s’arrêta en voyant le sérieux des traits de son visage.

 

—  Il y a quelque chose de pas très net chez moi. Depuis quelque temps, je me sens irritable. Mon esprit est facilement détourné. Mes poils se dressent comme à l’approche d’un orage.

—  Tu vas rire mais, sans les poils, j’ai pratiquement les mêmes réactions que toi. Ce doit être quelque chose dans l’atmosphère.

—  J’allais y venir mais je ne voulais pas t’inquiéter …, hésita-t-il.

—  C’est quand je t’entends dire ça que je m’inquiète. Que se passe-t-il ? pressa Kagome.

—  Je … euh … tu te rappelles Naraku ?

 

Kagome lui répondit par des yeux exorbités. Non ! Pourvu que le monstre composite ne soit pas revenu ! Il semblait tellement apaisé le jour où il avait rendu son dernier souffle. Tellement content, tel un enfant, quand Kikyou, celle pour qui battait son cœur, lui avait pardonné tant et si bien qu’elle avait décidé de veiller sur son âme.

 

—  Question bête ! Bien sûr ! On ne risque pas de l’oublier celui-là ! Ce que je veux dire c’est que je suis aussi mal à l’aise que lorsqu’on ressentait son infâme youki. Peut-être que je me fais des idées mais ça sent pas bon.

 

Sur le coup, Kagome baissa la tête. Elle savait très bien interpréter les réactions de son époux et pouvait faire confiance à son flair. Il y avait bel et bien de l’électricité dans l’air même si on n’était pas encore à la fin du XIXe siècle. Elle devait reconnaître que de son côté, elle n’était pas au mieux de sa forme non plus. Comme si un début de migraine faisait son apparition. Une certaine mélancolie l’avait gagnée et elle n’était pas forcément induite par son désir de maternité. La miko se ressaisit.

 

—  Je suis d’accord avec toi, Inuyasha.

***

 

Dans les Territoires de l’Ouest, sous une colline fleurie par les premières pousses printanières, des volutes grises convergeaient vers un même point. Un tas de cendre duquel émanait l’âme d’un youkai mort il y a une dizaine d’années. Cette âme damnée et maléfique, dévorée par la rancœur et le souvenir d’une cuisante défaite cherchait un moyen de se venger. Les fumées tournoyaient autour du petit monticule. Elles étaient animées de tous les vices que ce bas monde connaissait, des plus futiles au plus sordides ; des petites jalousies aux plus grands crimes.

 

Les fumées accélérèrent leur mouvement circulaire de façon à créer une petite tornade soulevant ainsi les dernières reliques que l’on voyait tourbillonner. Puis, au bout de quelques minutes, au centre de cette anarchie venteuse, se dessina une forme humanoïde recroquevillée en position fœtale. Le vent se calma et déposa au sol sa création. Un nuage planait au-dessus du nouveau né. Une voix provenant de la masse cotonneuse et grise intima un ordre.

 

—  Lève-toi et venge-toi, Masahiro !

 

Tout à coup, comme réveillé au son d’un clairon, le susnommé ouvrit les yeux, s’étira et se leva, revêtu de la même armure qu’il portait lors de ses derniers instants. La terre se fendit pour laisser sortir le ressuscité, et, comme mue par une volonté qui lui était propre, fit sortir de son sein des rochers imposants et acérés aussi hauts qu’une falaise. Le youkai trônait sur son promontoire. Tenter d’escalader cette paroi relevait du prodige. Tout ce décor naturel était enveloppé d’une sombre aura. Du haut de son perchoir, la voix du youkai résonna à faire trembler les éléments.

 

—  Sesshoumaru ! Je t’attends ! Viens vite ! Je n’ai pas dit mon dernier mot.

 

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