Une vie
CHAPITRE 7
HUIT ANS PLUS TARD …
Depuis la défaite de Naraku, huit années se sont paisiblement écoulées : plus de menaces de la part d’illuminés ou d’ambitieux. Inuyasha et son frère avaient respecté les termes de l’accord qu’ils avaient passé si bien que ni l’un ni l’autre ne savait ce qu’ils devenaient ; ils ne s’étaient vus qu’une seule fois. Officiellement, la guerre fratricide était terminée mais officieusement chacun redoutait toujours une provocation de l’autre. Heureusement, tous deux avaient de quoi remplir leurs journées et les tenir à distance respectueuse.
Du côté du hanyou, les changements étaient les plus notables car sa petite équipe s’était agrandie. Miroku et Sango, le moine et l’exterminatrice de démons avaient convolé en justes noces. La malédiction dont était victime le moine et ses ancêtres avait disparu au moment où Naraku rendait son dernier souffle. De ce fait, la main droite du jeune homme ne risquait plus de l’aspirer à travers son Kazaana. Sango, elle s’était lentement remise de la perte de son frère, Kohaku. Pour reconstituer la perle de Shikon il avait fallu retirer le fragment implanté dans son cou et qui le maintenait en vie ; Kouga s’était déjà résolu à retirer ceux qu’il possédait dans ses jambes. Le jeune garçon s’était donc sacrifié, pour la bonne cause, espérant racheter par cet acte les crimes qu’il avait commis sous l’influence de Naraku. La taijijya semblait inconsolable et culpabilisait énormément mais elle pouvait compter sur le soutien de Kagome et surtout … Miroku. Malgré son côté coureur de jupons, il était une épaule fiable ; elle l’avait déjà remarqué au cours des différents combats qui les avaient opposés au hanyou malfaisant. Leur rapprochement s’est donc fait tout naturellement. Elle avait fini par accepter les caresses déplacées du moine et ne lui décochait plus aussi souvent qu’avant une gifle ou un coup d’hiraikotsu ; Miroku en était d’ailleurs un peu affecté.
Ils s’étaient mariés trois ans après leur victoire, à la plus grande satisfaction de Kagome qui avait pressenti dès le début une attirance réciproque entre les deux jeunes gens. Toutefois, Sango surveillait toujours son moine de mari du coin de l’œil. Bien qu’il lui ait juré fidélité, il conservait son attitude séductrice et sa main baladeuse. S’il voulait susciter la jalousie chez son épouse, il avait réussi son pari : Sango ne le lâchait plus d’une semelle et en devenait même possessive pour la plus grande joie de son mari. Deux enfants naquirent de leur union : un garçon de cinq ans nommé Buichi, tout le portrait de son père mais avec la retenue de sa mère ; et une fille de trois ans, Rie, qui ressemblait également à Miroku avec les yeux noisette de sa mère. La petite famille du moine s’était établie dans le village de Kaede plutôt que dans celui des exterminateurs qu’ils s’employaient à transformer en sanctuaire depuis sa destruction.
Sango était ravie d’habiter dans ce village puisqu’elle n’était pas séparée de Kagome et … d’Inuyasha, bien entendu. Les deux personnes qui ne pouvaient ni être ensemble, ni être séparées quand Kagome n’était que lycéenne, avaient gagné en maturité mais leur couple avait eu du mal à s’engager dans une liaison : Inuyasha éprouvait de grosses difficultés à faire le deuil de Kikyou et à considérer Kagome autrement qu’une simple réincarnation. Mais c’était sans compter sur l’infinie patience de la jeune femme.
Elle avait enfin trouvé du temps pour se consacrer pleinement à ses études de médecine et les avait achevées il y a peu. Mais contrairement à son statut, elle avait déclaré à sa famille qu’elle préférait vivre à l’époque Sengoku malgré l’inconfort engendré par le manque de technologie. Le jour de leur mariage, elle avait fait venir sa mère, grand-père et Souta, les seules personnes qui savaient la vérité sur ses absences. La célébration s’était déroulée dans le village de Kaede. Pour bien enterrer la hache de guerre, elle avait même proposé à Inuyasha d’inviter Sesshoumaru.
— Mais tu es folle ? Un type comme lui ? Ici ? Si tu veux faire fuir les invités, ne te gêne pas !
— Je te rappelle que c’est le seul membre de ta famille !
— Keh ! De quelqu’un comme lui, je me passerai bien ! Je préfèrerais encore que Miroku soit mon frère !
— Allez, Inuyasha ! Tu vois bien qu’il ne s’est plus montré depuis la victoire !
— Et alors ? Qu’est-ce que ça prouve ?
— Que c’est quelqu’un de bien comme le pense la petite Rin !
— Keh !
— Bon, bon ! On peut toujours lui apporter un faire-part pour respecter les formalités mais il n’est pas dit qu’il vienne.
— Tu le vois, toi, se mélanger aux humains pour célébrer le mariage de son demi-frère ? Il ne tiendra pas le coup ! Remarque … en y réfléchissant bien … il risque de faire une tête … ça peut être comique !
— Alors ?
— Entendu ! Mais insiste bien sur le fait qu’il doit venir sans armes !
Le jour des noces, à la plus grande surprise d’Inuyasha, Sesshoumaru vint accompagné de Rin. Ils arrivèrent sur le dos d’Ah-Un, ce qui eut pour effet de terroriser les villageois.
— Evidemment, maugréa le hanyou, il ne manque jamais une occasion !
L’inquiétude disparut presque instantanément au moment où Rin, qui grandissait à vue d’œil, sauta de sa monture. Elle portait un kimono assorti à celui de son maître : il était blanc avec des motifs roses, un obi bleu ciel le retenait. Sesshoumaru avait opté pour un ensemble blanc également mais les motifs floraux étaient mauves. Inuyasha avait remarqué que son bras gauche avait entièrement repoussé. Lorsque le youkai descendit et prit place à côté de Rin, les chuchotements allaient bon train. Ce démon ne pouvait pas être celui que tout le monde craignait : il y avait une jeune fille à ses côtés ! Ou bien était-ce une enfant illégitime ? On ne connaissait pas d’épouse au Seigneur des territoires de l’Ouest.
Kagome qui sentait la tension gravir les échelons accueillit les deux invités comme s’ils avaient toujours été des membres de la famille. Elle serra Rin dans ses bras en la présentant à sa mère, Grand-père et Souta qui rougit légèrement, puis s’inclina humblement devant le youkai.
— Bonjour à toi, Sesshoumaru. Merci d’être venu.
A l’évocation de son nom, la mère de Kagome qui était une femme ouverte murmura entre ses lèvres.
— Alors c’est lui le frère d’Inuyasha, celui qui a toujours voulu le tuer, lui ainsi que ma petite ! Il est … magnifique !
Et dans le même élan qui l’avait poussée à caresser les oreilles de son gendre il y a quelques années quand il avait fait irruption dans le salon, elle se dirigea vers le youkai.
— Maman ! s’inquiéta Souta, fais attention ! Tu sais qui c’est !
Lorsqu’elle fut en face de lui, elle le salua de la même manière que sa fille qui en profita pour faire les présentations.
— Quel dommage ! Il n’a pas les mêmes oreilles que celles de son frère. On dirait plutôt celles d’un elfe.
Kagome fut plutôt gênée de la réaction de sa mère.
— En revanche, votre fourrure … qu’est ce que c’est exactement ? Je peux toucher ?
Sesshoumaru fut outré de l’audace de l’humaine. Telle mère, telle fille. Kagome n’avait jamais éprouvé de crainte devant lui et l’avait souvent provoqué. Tout le monde sourit nerveusement sauf Rin qui regardait d’un œil méfiant cette femme qui voulait s’accaparer son bienfaiteur. Sesshoumaru regarda froidement l’humaine qui comprit immédiatement la réponse.
Puis ce fut au tour d’Inuyasha de saluer son frère. Il dut se faire violence pour exécuter cet acte de civisme. Il s’inclina d’abord devant lui. La politesse lui fut rendue sans regard provocateur ou meurtrier. Puis il s’occupa de Rin en imitant Kagome. La jeune fille ne put s’en empêcher et prit ses oreilles entre ses mains.
— C’est vrai qu’elles sont mignonnes, mon oncle, et toutes douces !
— Fehhh, soupira longuement le hanyou qui se plia de bonne grâce au supplice que lui infligeait sa « nièce ».
A part le refus de Sesshoumaru, la journée s’était déroulée sans le moindre incident.
Kouga, le prince des loups, l’éternel rival d’Inuyasha, s’était marié avec Ayame. Il savait ou plutôt sentait depuis longtemps ce que « face de chien » éprouvait pour l’humaine et inversement. Kagome lui plaisait, certes, mais au bout d’un certain temps, ses provocations n’eurent pour but que de forcer le hanyou à se déclarer ouvertement. Il n’y eut pas de larmes ; Ayame était la compagne idéale et il lui avait fait la promesse, alors qu’elle n’était qu’une adolescente, de l’épouser un jour. Un youkai ne revient jamais sur sa parole. Son domaine se situait non loin du village et il en profitait encore pour narguer son voisin.
A plusieurs lieues de là, loin de l’animation qui régnait dans le village, Rin avait également bien grandi et s’était épanouie en une magnifique adolescente de seize ans, cultivée et rompue aux combats de toute nature.
L’entraînement physique n’avait jamais posé de problèmes. Etrangement. En revanche, pour l’instruction, c’était une autre paire de manche. Jaken avait donc été commis d’office pour assurer la lecture, l’écriture, le calcul, plus, si Rin en manifestait l’envie et surtout la patience, la culture générale et les règles de bienséance. Ses nerfs étaient toutefois mis à rude épreuve et il ne se passait pas une heure sans que fuse un reproche ; les cours du matin dégénéraient rapidement en règlements de comptes, non pas qu’elle ne voulait pas apprendre mais parce qu’elle bâclait son travail. Or, le tracé des kanji exigeait de la rigueur. En plus de cela, Rin trouvait que les connaissances de Jaken, dans certains domaines, étaient soit très limitées soit illustrées par des mensonges qui ne servaient que sa cause. Elle ne se privait pas de douter à haute voix de ses capacités pédagogiques. Ce comportement exaspérait Jaken au possible si bien que Sesshoumaru fut obligé d’intervenir pour séparer les deux belligérants. Le soir de l’incident, Rin vint trouver le youkai pour s’excuser mais aussi lui demander de remplacer Jaken.
— Sesshoumaru-sama ! S’il vous plaît ! implora-t-elle en joignant les mains.
— Non, Rin ! Il a été convenu que Jaken s’occuperait de toi le matin. Je ne reviendrai pas sur ma décision et j’attends de toi une attitude plus correcte à son égard. Est-ce clair ?
— Oui mais … Jaken-sama n’est pas très savant.
— C’est le moment de vérifier ce qu’il t’a appris, lui dit-il en lui désignant sa table de travail.
La fillette s’installa, prit du papier et trempa son pinceau dans l’encre. Sesshoumaru lui demanda de résoudre des calculs, lui dicta quelques mots et vérifia :
— Jaken a bien fait son travail, à défaut d’élaborer des plans qui fonctionnent, et je veux qu’il n’ait plus à se plaindre de toi.
— Mmmm … entendu Sesshoumaru-sama.
Sesshoumaru remarqua son manque d’enthousiasme.
— Où est le problème ?
— Je ne sais même pas écrire votre nom ni pourquoi l’eau est bleue, combien d’étoiles il y a dans le ciel, quelles plantes utiliser quand …
— Rin ! trancha-t-il lapidairement.
La fillette se tut aussitôt. Sesshoumaru s’assit ensuite derrière la petite, tira une nouvelle feuille de papier prit la main de Rin dans laquelle demeurait encore le pinceau et commença à tracer quelques caractères. Rin se laissa guider par sa main ferme et robuste mais également souple et précise. Petit à petit, elle vit des idéogrammes naître et ressortir sur le papier. Il y en avait trois.
— Est-ce que … c’est votre nom ?
Il ne répondit pas directement mais lui expliqua la signification de chaque kanji. Soudain, Rin se souvint de ce qu’avait déclaré il y a quelques années Koshiromaru sur l’origine de son nom. Les caractères étaient lourds de sens et terrifiants mais Sesshoumaru était tellement différent ! Elle était aux anges ! Elle avait eu droit, malgré l’heure tardive, à un cours particulier avec son mentor. Brusquement, elle se leva de table alors qu’il était encore assis, surexcitée, et se dirigea vers la porte en serrant précieusement la feuille de papier.
— Merci beaucoup et … bonne nuit!
— Rin, lança-t-il alors qu’elle avait déjà disparu.
— Oui ? demanda-t-elle en ne laissant apparaître que sa tête.
— Ne te couche pas trop tard.
— Promis Sesshoumaru-sama !
Il observa néanmoins la lueur émanant de sa chambre. Ses oreilles pouvaient clairement identifier le bruit du pinceau effleurant la surface du papier. Rin s’était mise à recopier inlassablement les trois précieux caractères. Elle était tellement concentrée dans sa tâche qu’elle se surprit à tirer la langue pour approcher la perfection. Sesshoumaru n’en revint pas de son enthousiasme. C’était bien la première fois qu’elle mettait autant d’application dans un tel exercice et surtout à une heure aussi avancée.
Sans le vouloir, Sesshoumaru venait d’établir des « cours du soir » quand il était présent au palais. C’était devenu un rituel au fur et à mesure que les années passaient. Rin venait régulièrement se nicher dans ses bras, avide d’apprendre de nouveaux caractères ou de se mettre au fait de ce qui l’entourait. Ainsi, lorsque le temps le permettait, ils passaient de longues minutes à observer en silence la voûte céleste. De temps en temps, Rin pointait quelque chose du doigt, sans mot dire, et attendait fiévreusement les paroles de son maître qu’elle buvait comme du petit lait. Plus qu’un professeur consciencieux, c’était un père attentionné. Plusieurs fois d’ailleurs elle s’endormit dans le doux cocon que formaient ses bras et sa fourrure, bercée par sa voix savante, malgré son âge.
L’année de ses douze ans pourtant, Sesshoumaru dut affronter, seul, puisque Jaken n’y connaissait rien en matière d’humain, une Rin effondrée. Elle avait constaté, en se réveillant, une tâche de sang sur son kimono et son futon et le liquide écarlate continuait à s’écouler de son entrejambe. Que se passait-il ? Elle ne s’était pourtant pas blessée, à cet endroit précisément, au moyen de ses griffes ?! Le pire dans tout cela, c’est que les saignements ne voulaient pas cesser. Allait-elle se vider de son sang ? Etait-elle malade ? Allait-elle mourir ? Seul Sesshoumaru pouvait soulager ses inquiétudes. Son explication fut toutefois abrupte :
— C’est le signe que tu es en âge d’avoir des petits.
— Alors je ne vais pas mourir ?
— Non. Mais sache que chez les humaines ce phénomène se produit à une lunaison d’écart.
— Ooohhh ! soupira-t-elle, fascinée par toute la science qu’il détenait, même à propos des humains. Mais … comment fait-on les petits ?
Toujours aussi imperturbable mais en tâchant de la ménager, il fit face à la question tant redoutée.
— Un mâle doit s’unir à une femelle. Au bout de neuf mois, un petit apparaît.
— Mais comment doivent-ils s’unir ? Qu’est-ce qui les motive ? Et d’où sort le petit ?
Sesshoumaru mit énormément de temps avant de lui répondre. Parler d’amour et des sentiments en général était un domaine dans lequel il n’excellait guère. Ses connaissances semblaient taries. Mais en anatomie, il fit grâce de certains détails et lui remit en main un livre puisé de la grande bibliothèque qui « illustrerait » ses propos. Il pensait en avoir fini avec les détails intimes mais la question fatale suivit :
— Est-ce qu’il est possible qu’un youkai mâle s’unisse à une femelle humaine ?
Pour toute réponse, Rin eut droit à un regard plein de reproches. Ne comprenant pas où était le problème puisqu’il avait répondu sans grosse difficulté à ses interrogations, elle préféra quand même se retirer sur la pointe des pieds et ne plus aborder le sujet. Toujours insatisfaite, Rin fit part de l’affaire à Jaken.
— Imbécile d’humaine ! Est-ce qu’il t’arrive de réfléchir avant de parler ? Ca m’étonne qu’il ne t’ait pas tuée pour ton insolence ! Apprends, petite idiote, non … GRANDE idiote, qu’Inuyasha est le fruit de l’union malsaine entre son père et une mortelle. Inuyasha est l’opprobre de la famille !
— Désolée, Jaken-sama ! Je ne savais pas mais ce n’était pas du tout ce que j’avais en tête. J’espère qu’il me pardonnera.
— Hmppf ! maugréa le crapaud.
En somme, l’instruction de Rin, malgré des débuts plutôt houleux, était une réussite. Jamais humain n’avait acquis de telles connaissances, et surtout pas une humaine. Sesshoumaru n’avait jamais d’ailleurs compris pourquoi seules les femelles des plus hautes classes avaient droit à l’éducation. Mais s’il était fier de lui avoir apporté un certain savoir, en revanche, il avait lamentablement échoué à lui apprendre la sagesse. Son image était entachée. Mais peut être que cette qualité viendrait avec l’âge. Mais une vie humaine était tellement insignifiante à côté de celle d’un démon !
Toutefois, il éprouvait de l’orgueil quand il constatait qu’elle maîtrisait presque parfaitement les techniques de défense et d’attaque. Rin était une élève sérieuse et appliquée, zélée même. Il en oubliait parfois sa nature. L’entraînement était rude et sans pitié, même pour un youkai novice. De plus, Rin n’avait pas cet instinct de chasseur, naturel chez les démons, ce qui rendait la tâche encore plus ardue. Il utilisait toutes les armes qu’il possédait et ne faisait pas du tout semblant d’attaquer. Il avait sa philosophie :
— Un ennemi ne lui montrera jamais de clémence et elle en rencontrera toujours de plus puissants.
Mais Rin se montrait infatigable et digne de l’honneur qu’il lui faisait. Après tout, c’est elle qui lui avait demandé ce service et il était hors de question, voire sacrilège, de souffler, encore moins de demander grâce. Il poussait sa résistance à l’extrême. Le petit katana qu’il lui avait autrefois donné était désormais soigneusement rangé dans sa chambre. Elle manipulait une épée ou un sabre de taille adulte. Elle était devenue souple et rapide dans ses déplacements, puissante et précise dans ses attaques et l’accompagnait toujours dans ses patrouilles. Elle ne lui servait pas de garde du corps, ç’aurait plutôt été l’inverse, mais exécutait certaines besognes qu’elle jugeait indignes de son maître.
— Fais comme tu veux ! répondait-il placidement.
Elle avait également affronté des ennemis qui avaient osé le provoquer en se proposant spontanément de laver l’affront ce qui ne manquait pas d’engendrer une certaine hilarité.
— Quoi ?! Un être humain espère me battre ? répliquaient à demi morts de rire les youkai.
— C’est pas une femme qui va me donner une correction ! grognaient les humains.
Or, tous ses adversaires finissaient par mordre la poussière car ils ne pensaient avoir affaire qu’à un misérable petit fanfaron. Si elle tuait sans hésitation des youkai, la première fois qu’elle laissa un humain mort fut assez traumatisant. Elle avait passé plus de dix années loin des siens mais elle ne pouvait pas oublier qu’elle ne faisait pas partie du monde de Sesshoumaru. Elle mit deux jours avant de se remettre. Elle avait réussi à se convaincre que toute personne qui cherchait querelle à son maître, ningen ou youkai, homme ou femme, jeune ou vieillard, méritait une punition. Sesshoumaru lui même n’hésitait pas à tuer froidement les youkai ; il ne s’arrêtait pas à ce genre de détails. C’est pour ça qu’il était aussi fort : il ne balançait pas.
Les combats qu’elle menait étaient plus ou moins longs selon la force de l’adversaire mais Sesshoumaru ne semblait pas éprouver la crainte de la perdre et raisonnait stoïquement.
Après tout, si elle meurt … elle connaît le sort d’un guerrier.
Malgré l’accumulation de toutes ces victoires, l’entraînement de Rin n’avait pas pris fin. Même au cœur de l’hiver, alors qu’ils étaient de retour dans la demeure ancestrale, ils s’entraînaient dans la cour, par maigres flocons ou tempête. Pourtant, un jour, Sesshoumaru décida de changer ses plans et de patrouiller. Tout le monde était sur le pied de guerre. Rin subodorait une menace dangereuse pour qu’elle soit mobilisée à l’extérieur. Ils partirent ainsi pendant quatre jours mais à leur retour, ce fut une Rin complètement bouleversée qui franchit la lourde porte de bois.
Ils avaient marché dans le froid et essuyé quelques rafales. Rin devait fournir plus d’efforts qu’à l’accoutumée : le vent de face lui bloquait la respiration et la hauteur de la neige rendait sa progression difficile. Jaken s’était confortablement installé sur Ah-Un mais souffrait de la morsure du froid car il manquait de mouvement. Sesshoumaru ne semblait pas du tout affecté par la neige.
Ils marchèrent deux jours durant mais ne rencontrèrent toujours pas d’ennemis. Le soir même, ils avaient provisoirement élu domicile à l’entrée d’une grotte mais pas d’onsen dans les alentours, au grand regret de Rin. Tant pis. Rin s’effondra sur sa couverture, les jambes endolories par autant d’efforts et dormit d’un sommeil de plomb.
Elle se réveilla en partie à cause de la sensation d’étirements dans ses mollets. C’était désagréable, mais cela faisait partie des contraintes. Ce n’était vraiment pas le moment de jouer les courtisanes ! Elle fut surprise de ne trouver personne autour d’elle, pas même Ah-Un. Toutes leurs affaires étaient pourtant là. Soudain, elle crut comprendre et se leva d’un bond.
— Bon sang ! Toi tu dors bien tranquillement alors qu’ils sont déjà sur le champ de bataille ! Ma pauvre Rin, tu es tout sauf fiable. J’arrive, Sesshoumaru-sama !
Elle enfila un hakama et un haori par-dessus son kimono, chaussa des bottes, empoigna son sabre et sortit de la grotte comme une démente. Elle saurait où rejoindre sa petite famille même s’il n’y avait pas de traces pour la guider. Elle s’aiderait du bruit.
Afin de gagner plus de temps, elle sautait d’arbres en arbres ce qui lui permettait aussi de couvrir une plus grande distance. Mais lorsqu’elle voulut atteindre sa prochaine cible, l’arbre prit feu et c’est in extremis qu’elle évita les flammes bleues qui embrasaient son perchoir. Elle réussit à se réceptionner et regarda autour d’elle ainsi qu’en haut.
Ah-Un ! fit-elle étonnée.
Le dragon bicéphale tournoyait au-dessus de sa tête tel un aigle prêt à fondre sur sa proie.
— Eh, mon grand ! cria-t-elle. Fais attention la prochaine fois ! Tu as failli me faire rôtir !
Mais la monture cracha d’autres flammes dans sa direction. Elle les évita tout aussi facilement qu’il y a quelques instants.
— Ah-Un ! vociféra-t-elle en serrant les poings. Qu’est-ce qui te prend ? Tu as pourtant deux têtes et tu n’es même pas … Oups !
Elle fut stoppée dans ses réprimandes par un autre jet de flammes venant de côté. Elle esquiva de justesse.
— Jaken-sama ?! Mais enfin … qu’est-ce qui vous arrive ?
Aucune réponse de la part de son interlocuteur.
— Jaken-sama, je sais qu’on a souvent des conflits mais de là à les régler par le feu …
Jaken brandit le Nintojo et une autre vague de flammes, conjuguée cette fois à celles d’Ah-Un, tenta de l’atteindre. En vain. Rin s’éloigna de ses poursuivants le plus vite possible pour avoir le temps de comprendre la situation et, au besoin, essayer de la résoudre. Leurs réactions n’étaient pas du tout normales. Jamais ils ne s’en étaient pris à elle ! Il n’y avait malheureusement qu’une explication à leur comportement : l’ennemi devait contrôler leurs esprits tout comme Naraku avait à l’époque manipulé feu Kohaku.
Tout à coup, elle réalisa l’horreur de la situation. Elle n’avait pas encore vu Sesshoumaru. Mon Dieu ! Pourvu qu’il ne soit pas lui aussi … elle aurait énormément de mal à en venir à bout. Elle trouvait qu’il la ménageait relativement lorsqu’il l’entraînait. Oui mais là … ce n’était plus une simulation. Toute à sa fuite, Rin eut la chance d’apercevoir au loin une grande forme blanche qui se détachait de la noirceur des troncs d’arbre. Il était là et lui tournait le dos.
— SESSHOUMARU-SAMA !
Le youkai se retourna pour projeter contre elle le terrifiant youki de Tokijin. Rin, soufflée par la puissance de l’épée et éblouie par l’aveuglante lumière, atterrit sur son arrière train. Elle se releva en secouant la tête.
Malheur de malheur ! Alors lui aussi s’est fait piéger !
Il fallait trouver d’urgence un moyen de se sortir de ce traquenard. Et tout d’abord … à nouveau fuir pour retrouver les deux autres. Elle ne pouvait pas les tuer, certes, mais il fallait au moins les neutraliser pour affronter Sesshoumaru tout seul. En rejoignant son point de départ, elle trouva le dragon et le crapaud sur son chemin.
Et bien ! Ils ne se sont pas fait attendre ! Bien, commençons par Jaken.
Lorsqu’il pointa le Nintojo dans sa direction et qu’elle vit l’énorme flamme en sortir, elle bondit de toutes ses forces par-dessus le jet et se retrouva derrière le serviteur.
Désolée, Jaken-sama, mais il le faut.
Elle l’assomma d’un violent coup sur la nuque et garda le fameux bâton entre ses mains. La neutralisation de Jaken fut très facile, trop même, mais elle ne s’en plaignait pas. Cela lui laisserait du temps pour s’occuper de Sesshoumaru. Elle glissa le Nintojo à côté de son katana.
Ah-Un maintenant. Trouver les fleurs qu’il aime tant manger.
Elle tenta de rejoindre une petite prairie mais Ah-Un la survolait et crachait régulièrement ses flammes bleues. Soudain, elle s’arrêta net dans sa course une fois dans la clairière.
Mais que je suis bête ! On est en hiver ! Donc pas de fleurs. Allez, Rin. Trouve quelque chose pour le faire descendre.
Un éclair traversa son esprit.
Pourvu que ça marche !
Elle sortit le Nintojo de son obi et mit la tête du vieillard juste au niveau de la neige. La tête cracha ses flammes et fit fondre une importante couche de neige mettant à découvert une herbe bien conservée par le froid. Elle balaya ainsi une grande surface en veillant à ne pas brûler son précieux piège. Ah-Un cessa immédiatement ses attaques et vint se poser non loin d’elle. C’était une chance que le dragon était gourmand. Un talon d’Achille facilement exploitable. Ah-Un se mit à brouter, histoire de reprendre des forces car ses attaques nécessitaient quand même pas mal d’énergie. Là aussi, elle profita de l’inattention de son adversaire pour le mettre hors d’état de nuire tout comme elle l’avait fait pour Jaken.
— Très ingénieux ! dit à quelques mètres derrière elle la voix de celui dont elle avait actuellement peur.
Elle se retourna et se prépara à l’affronter. Elle avait un atout supplémentaire entre les mains. Il bondit sur elle et l’attaqua de son fouet. Rin tenta d’esquiver au mieux mais lorsque son arme frappa son bras, le Nintojo lui échappa et Sesshoumaru en profita pour dérouler sa fameuse fourrure et s’en empara.
Mince ! C’est pas mon jour. Si je reste à cette distance c’est lui qui aura l’avantage !
Rin prit son courage à deux mains et s’approcha de plus en plus de Sesshoumaru afin de pouvoir échapper paradoxalement à ses attaques mortelles et les maîtriser. Elle était ainsi sur le point d’atteindre son objectif quand il comprit et s’éleva dans les airs pour rester en suspension.
C’est pas juste ! Pourquoi lui peut voler et pas moi ?
Elle fut la cible des rayons de Tokijin, des flammes du Nintojo, du fouet et des griffes tranchantes. Elle devait absolument fuir si elle tenait à la vie. Mais le fait de ne pouvoir contre-attaquer la faisait grincer des dents. La retraite était préférable mais l’odorat de Sesshoumaru était une arme tout aussi redoutable.
Il doit bien y avoir un moyen pour qu’il ne sente pas ma présence.
Tout en courant et sautant afin d’éviter les coups de Sesshoumaru, l’image de Koshiromaru lui serrant les poignets lui vint en tête.
Mais oui ! Pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt ? Dans l’eau, il ne pourra jamais me repérer, le Nintojo sera inefficace et je pourrai le surprendre.
Elle se félicita de son idée mais se rendit compte que ce plan génial était risqué. On était en plein cœur de l’hiver ; l’eau était terriblement froide, parfois gelée. Inutile de dire qu’elle risquait très gros. Mais c’était tout ou rien. Une chance qu’elle se souvenait du petit cours d’eau qu’ils avaient traversé la veille ! Lorsqu’elle arriva au bord de la rivière dont la surface roulait des flots peu agités, elle inspira profondément. Entre mourir de la main de Sesshoumaru ou gelée dans une rivière, elle n’hésita plus et se jeta dans l’onde.
Au bout d’un moment, Sesshoumaru ne sut la repérer. Mais son ouïe entendait parfaitement le clapotis de l’eau et il comprit.
Très bien joué ! Dix ans plus tard tu t’en es souvenue !
Il fut sur place très rapidement, scruta les environs et se concentra sur un bruit inhabituel qui eût pu trahir sa présence. Rien. Quelques minutes passèrent. Il décida d’employer les grands moyens. Il entra dans la rivière jusqu’à mi-cuisse, sortit Tokijin de son fourreau et déclencha un souffle d’une telle puissance que le lit aval de la rivière fut presque vide. Pendant ce court instant, il pouvait la repérer. Mais l’attaque vint de derrière.
Rin, morte d’épuisement, frigorifiée et à bout de souffle l’attaqua en se servant de ses griffes. Malheureusement, l’eau froide dans laquelle elle s’était volontairement immergée ralentit ses mouvements. Sesshoumaru n’eut plus qu’à la cueillir au vol en la saisissant au cou tout en sortant de la rivière dont le cours était retourné dans son lit. Ils étaient sur la berge ; lui debout, serrant sa petit gorge et elle, grelottante de froid et de peur, les lèvres bleues, le teint diaphane, trempée et glacée jusqu’aux os. Soudain, la main de Sesshoumaru se mit à briller d’une lueur verte.
Non ! Tout mais pas le dokkasou !
Elle ne pouvait même plus ouvrir la bouche pour protester ou hurler sa douleur ; le poison commençait à faire son effet. De sa main, gauche, il rengaina tranquillement Tokijin en regardant son attaque agir. Rin avait mis ses deux mains sur son avant-bras mais ne pouvait pas, ne voulait pas le sectionner. Elle se tordait sous la douleur mais ne criait pas. Dans un ultime effort, elle s’appuya plus fermement, fit un mouvement de balancier avec ses jambes et, avec la force du désespoir, donna un violent coup de genou dans son coude qui craqua sous la force de l’impact.
Sesshoumaru ne put que la relâcher. Rin tomba lourdement dans la neige. Elle haletait bruyamment mais sa respiration était secouée par ses grelottements. Il fallait agir vit pendant qu’elle le pouvait encore mais ses muscles refusaient d’obéir. Elle se sentait engourdie et l’énorme brûlure qui continuait insidieusement à ronger sa chair n’arrangeait rien. Sesshoumaru se tenait le bras droit et d’un mouvement sec, le remit sa place.
Je suis sûre qu’il doit avoir quelques fractures.
Il la regarda mais ne tenta rien contre elle.
Bizarre, qu’est ce qu’il projette de faire maintenant que je suis à terre ? Me laisser mourir de froid ? Non, il préfère les solutions plus radicales.
Soudain, Sesshoumaru avança pour se retrouver à sa droite et s’accroupit devant elle.
Ca y est ! Ca y est ! Je suis fichue !
Mais loin d’admettre sa défaite, elle plongea son regard dans le sien et le menaça. Elle ne lui ferait pas le plaisir d’éprouver de la peur. Il se rapprocha plus d’elle pour être en contact avec son épaule, glissa son bras droit sous ses jambes et le gauche autour de la taille, puis il la souleva. De défiante elle devint surprise.
— Hein ? gloussa-t-elle.
— Jaken !
— Oui, monseigneur ! cria de loin le crapaud revenu à lui.
Zut ! Il est à nouveau conscient et je suppose qu’Ah-Un qui est plus résistant également. A trois contre une ! Il ne restera même pas une miette de moi !
Le batracien se prosterna à ses pieds. Un bruit de pas lourds se fit entendre et le dragon apparut aussitôt. Jaken reprit le Nintojo.
— Vous pouvez rentrer. Je vais tout de suite m’occuper d’elle.
— Bien, Sesshoumaru-sama !
Sans plus attendre, Sesshoumaru se souleva dans les airs en maintenant Rin fermement contre lui. Par habitude, elle avait passé son bras autour de sa nuque pour ne pas tomber. Il descendit au niveau de la grotte qui leur servait de refuge. Rin n’y comprenait plus rien. Ensuite, il la déposa délicatement et tout en se dirigeant vers le foyer éteint, il ordonna.
— Déshabille-toi.
Bien qu’il lui tournât le dos, elle le regardait avec des yeux ronds comme des tasses. Qu’allait-il lui faire encore ? Elle se serait de toute façon débarrassée de ses vêtements mouillés. Elle s’exécuta mais maladroitement : ses doigts gelés rendaient certaines opérations pénibles et les nœuds mouillés et rigidifiés de son haori et de son kimono la ralentissaient considérablement. Toute à sa besogne, elle le surveillait du coin de l’œil. Elle savait qu’il ne profiterait pas de la situation mais vit avec horreur qu’il dégaina Tokijin.
Ca va ! Ca va ! Je fais aussi vite que je peux. Mais en plus, j’ai une horrible envie de m’arracher la gorge ! C’est insupportable !
Sesshoumaru pointa l’épée vers le foyer. De la lame sortit un youki assez faible mais suffisant pour réanimer le feu. Puis il rengaina l’épée et rajouta du bois.
Est-ce que je deviens folle ? Il y a quelques minutes ils s’étaient tous ligués pour me tuer et le voilà maintenant qui allume un feu pour me réchauffer !
Enfin débarrassée de ses vêtements, Rin ramena ses jambes près de sa poitrine et serra ses bras autour de ses mollets. Elle laissa reposer son menton sur ses genoux. Elle grelottait terriblement et constatait que ses bras et ses jambes avaient pris une couleur pour le moins … cadavérique. Elle se ressaisit et voulut vérifier ses espérances.
— C … ça y … est ! C’est … c’est … f … fait ! bégaya-t-elle en claquant des dents.
Sesshoumaru se retourna avec une couverture à la main. Il s’approcha d’elle et la drapa du tissu duveteux. Elle pouvait sentir son souffle sur ses cheveux quand il ramena les deux coins de l’étoffe devant elle qu’elle retint du bout des doigts. Puis, sans avertissement, il la souleva et la déposa sur une autre couverture devant l’âtre.
Dieu que ça fait du bien ! Mais ma gorge me fait toujours aussi mal !
Sesshoumaru s’installa à côté d’elle et déploya tout autour d’elle sa chaude fourrure. Il n’y avait plus de doutes maintenant : il ne la tuerait pas. Quand elle voulut ouvrir la bouche pour lui demander des explications, il la devança, comme s’il avait lu dans ses pensées.
— Tu t’es admirablement bien débrouillée, dit-il sur son sempiternel ton neutre. Force, agilité, endurance et … ruse.
Elle tourna la tête vers la droite pour le regarder mais lui, observait les flammes. Elle n’en croyait pas ses oreilles.
Alors tout ça c’était un test ?! J’ai manqué me faire carboniser, découper en rondelles et être gelée !!!
Puis elle se radoucit.
Il a dit que je m’étais bien débrouillée ! Rhaa, cette gorge ! Si seulement je pouvais me gratter sans risquer de répandre le poison ! Non, ADMIRABLEMENT BIEN a-t-il dit. C’est bien la première fois qu’il fait usage de superlatif me concernant.
Elle sourit dans les plis de sa couverture, emmitouflée jusqu’aux oreilles. Une chance qu’il ne pouvait pas la voir. En revanche, il pouvait l’entendre se frotter contre le tissu pour tenter d’apaiser les démangeaisons et la sentir gigoter. Une voix étouffée par l’épaisseur de son enveloppe parvint à sortir :
— Sesshoumaru-sama ?
— Quoi ?
— Votre bras vous fait mal ?
— D’ici quelques heures, les quelques fractures seront réparées.
Ben oui ! Les youkai guérissent toujours plus vite que nous autres, pauvres humains. Suis-je bête ! Il n’y a qu’à voir son bras gauche : un ningen serait resté manchot !
— Rin.
— Oui ? fit-elle surprise.
— Ta gorge.
Elle sortit franchement la tête pour lui parler.
— C’est pas très agréable, dit-elle avec force euphémisme, mais ça passera … déjà plus rapidement que si j’étais une simple humaine.
Ses lèvres qui revenaient progressivement à une couleur normale esquissèrent un frêle sourire. Il valait mieux éviter de larmoyer : Sesshoumaru ne supportait pas les faibles. Elle avait prouvé jusque maintenant qu’elle était capable d’endurer les pires conditions de combat et même … de l’attaquer, s’il le fallait. Alors ce n’était pas une toute petite brûlure qui allait la faire agoniser. Mais Sesshoumaru voyait bien qu’elle ne voulait pas lui dire qu’elle souffrait. Il connaissait les ravages de ses attaques ; il n’était pas dupe !
Doucement, il écarta la couverture qui masquait son cou du côté droit. Rin frémit mais cessa de gigoter nerveusement. Ses yeux se posèrent sur le feu, honteuse d’avoir subi aussi longtemps son attaque quand elle pouvait riposter plus vite. Pour l’instant, il ne voyait que la trace, assez profonde et large que son pouce avait imprimé dans sa chair délicate. De l’autre coté, il fallait multiplier la surface atteinte par quatre.
Il rapprocha son visage de la blessure. Rin pouvait sentir sa respiration, malgré la blessure, effleurer sa chair puis, quelque chose d’humide et d’un peu râpeux. Elle gloussa car elle ne s’attendait pas du tout à ce que Sesshoumaru lui léchât le cou. Surprise, elle ne bougea plus un seul muscle et retint son souffle, attendant la suite. Sesshoumaru la sentait tendue mais il continua d’appliquer ses soins ; la salive des chiens est reconnue pour ses vertus antiseptiques. Il aurait très bien pu ne rien faire et la laisser se remettre à son rythme mais Rin était sa pupille et il s’était fait un devoir d’en prendre soin jusqu’au jour où elle le quitterait. Il recommença ses soins et Rin se remit à respirer … plus rapidement.
Il avait déjà soigné les nombreuses écorchures ou entailles qu’elle se faisait aux genoux ou aux bras quand elle se montrait un peu trop téméraire pour chercher des fleurs inaccessibles. Seulement, Sesshoumaru était presque tout contre elle et sentir sa langue et parfois ses lèvres à cet endroit précis rendait leur relation plus … intime. Ses doigts se crispèrent et elle agrippa plus fermement la couverture. Elle sentit ses joues s’empourprer.
Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Il est juste en train de me soigner comme il l’a toujours fait. Pourquoi, tout d’un coup, est-ce que j’ai chaud ? Pourquoi mon cœur s’affole ? Il m’a déjà léché les mains ou les jambes auparavant mais jamais je n’avais trouvé ça aussi agréable et gênant à la fois et ce, malgré mes blessures.
Elle sortit de son rêve éveillé après quelques secondes quand Sesshoumaru arrêta son traitement. Il se positionna devant elle et prit son menton entre son pouce et son index. Elle ne sentait même pas ses griffes, preuve qu’il était d’une infinie douceur. Il lui souleva le menton et fit légèrement pivoter sa tête sur le côté afin de ne pas trop tirer sur la chair à vif mais pour lui permettre de procéder plus facilement. Quand il fit glisser la couverture, il resta immobile quelques secondes. Rin qui attendait tourna les yeux vers lui. Son regard ambré considérait l’ampleur de la tâche qui l’attendait. Puis, sans hésiter, il procéda de la même manière que tout à l’heure mais appliqua des pressions moins fortes car la chair était plus atteinte de ce côté. Il lécha délicatement la zone qui se situait juste avant la nuque, à l’endroit ou les cheveux d’ébène de sa protégée prenaient racine. En remontant lentement vers la gorge, Rin sursauta : il venait d’atteindre un point particulièrement douloureux.
— Désolée de me montrer aussi douillette. Vous m’avez pourtant appris à souffrir en si …
Sesshoumaru retourna au cou ravagé et repassa sur le même endroit mais en l’effleurant. Il manipulait le cou de Rin précautionneusement et délicatement, passait sa langue légèrement pour évaluer la sensibilité et repassait plusieurs fois en appuyant un peu plus fermement afin de mieux faire pénétrer la salive apaisante.
Au début, Rin trouvait la situation plutôt incommodante mais plus il continuait, plus elle appréciait et se détendait. Seuls ses battements de cœur hiératiques démontraient que sa plénitude s’était mue en plaisir : il lui semblait que le youkai la caressait légèrement du bout des doigts. Elle ne sentait plus la douleur. Sa langue chaude et humide provoquait à chaque contact une sorte de petite décharge électrique. Cette sensation était vraiment envoûtante. Plus il progressait vers la gorge, plus elle se laissait submerger par ces vagues de chaleur. Elle était dans une telle béatitude qu’inconsciemment elle rejeta doucement la tête en arrière et un léger soupir traversa ses lèvres.
Sesshoumaru continuait imperturbablement mais entendait les battements de cœur. Rin n’était plus une enfant mais une adulte avec des besoins et des désirs. Il ne s’attendait cependant pas à ce qu’elle réagisse de la sorte. Elle semblait très réceptive et très sensible à certains contacts. Le rythme de sa respiration trahissait également l’état dans lequel elle était : tête renversée vers l’arrière, souffle court, battements de cœurs intensifiés. Elle n’était ni plus ni moins en train d’éprouver du plaisir.
— La douleur devrait être plus supportable maintenant, conclut-il en retournant à ses côtés.
Rin redressa la tête et ouvrit les yeux. Elle semblait se réveiller, sortir d’un agréable rêve.
Quoi ? C’est déjà fini ? Jamais je ne m’étais sentie aussi bien. J’avais l’impression qu’une boule de feu avait explosé dans tout mon corps et que je flottais. Ce que je vais dire est complètement stupide et ridicule mais j’aurais souhaité être un peu plus blessée que ça.
Sesshoumaru entendit son cœur reprendre une cadence normale tout comme sa respiration.
— Tu dois reprendre des forces. Il y a encore de la viande séchée dans la sacoche. Ensuite tu te coucheras. Nous partirons demain matin.
Rin obéit. Lorsqu’elle s’allongea et vit Sesshoumaru assis contre l’une des parois, elle préféra lui tourner le dos : le simple fait de le regarder la ferait repenser à cet agréable moment. Peine perdue. Elle fut assaillie de pensées parfois inavouables qui l’empêchèrent de fermer l’œil promptement.
Mon Dieu ! Qu’est-ce que j’aimerais qu’il recommence mais pas uniquement pour me soigner. Et par-dessus tout, j’aimerais lui rendre la pareille. Est-ce qu’il apprécierait autant que moi ? Je voudrais tellement lui faire plaisir et le soulager un peu. Il a dû en traverser des épreuves : son frère, Naraku, … moi ! Et il n’a jamais failli ni ne s’est plaint. Ce n’est pas un youkai mais un dieu. Il est plus qu’un père, plus qu’un « ami », plus qu’un protecteur ou un professeur ! Je l’aime pour sa droiture, sa générosité, sa gentillesse, son « humour », son regard qui en dit plus long que ses lèvres, ses yeux si pénétrants que j’ai l’impression qu’il me déshabille. Qu’est ce que j’ai dit ? Que je l’aimais ? Oui, je crois que je l’aime. J’en suis sûre même. Mais lui, il ne m’aime pas. Je ne suis qu’une ningen : il me tolère, c’est tout ou m’apprécie … un peu … un tout petit peu pour s’occuper de moi. Rahhh ! Si vous saviez, Sesshoumaru-sama, combien je vous aime. Laissez moi vous montrer ! Vous pouvez compter sur mon soutien et vous reposer sur mes frêles épaules. Vous ne serez jamais un faible pour moi. Jamais !
En fin d’après-midi, arrivèrent Sesshoumaru et Rin que Jaken eut, à un moment, peur de regarder : d’énormes cercles bleus se trouvaient sous ses yeux rougis et ses paupières gonflées.