Les 65eme Hunger Games
Le train passe sous la montagne gigantesque qui entoure la ville de Panem, et les néons s'allument automatiquement. Dans une heure tout au plus, on me jettera entre les mains de mon styliste et de mon équipe de préparation ; j'espère qu'ils feront quelque chose de beau, pour une fois. Car si on ne s'en rend pas compte immédiatement, finalement, le défilé, c'est le premier vrai contact qu'a le public avec les tributs... Si je veux commencer à attirer les sponsors, il faudra que je m'y mette dès ce soir.
Je me fais renvoyer dans mon compartiment par Trubee afin de reprendre mes affaires, mais je constate vite que je n'ai rien à prendre. Je porte le collier de mon père autour du cou, et mes vêtements de la Moisson ont été emportés par quelqu'un du personnel. Je décide donc d'aller dans la chambre de Cara, histoire d'avoir un peu de présence humaine. En plus, j'aime bien la voir se brouiller quand je la provoque. Je toque, et comme d'habitude, je rentre sans attendre la réponse. Elle est assise près de la fenêtre, et dès qu'elle me voit, elle se relève en se passant une main dans les cheveux.
"- Bien dormi ? Demandais-je avec un sourire mi-ironique, mi-sincère."
Elle me fixe quelques secondes avant de répondre.
"- Arrête de faire ça ! Gémit-elle en se tordant les mains.
- De faire quoi ? je réponds sans voir de quoi elle voulait parler.
- De me faire tes sourires et tes clins d'œil ! Tu me déstabilises ! Et arrête de sourire !
- Je te déstabilise ? je demande en souriant de plus belle sans pouvoir m'en empêcher.
- Oui ! Et tu arrêtes de sourire tout de suite, ou alors je raconterai pendant mon interview à Caesar que Mr Finnick Odair, futur icône et sex-symbol du Capitole, ronfle quand il dort !
- Mais je ne ronfle pas ! Dis-je en m'exclamant.
- Ah bon ? Réplique-t-elle.
- Si tu fais ça, dis-je en imaginant la scène avec joie, je raconte à Caesar que Mlle Cara Drevadio, fille de vainqueur respectée, bave pendant son sommeil !
- Mais je ne bave pas ! S'exclame-t-elle d'un ton stupéfait.
- Ah bon ? je réponds, et je la vois me fusiller du regard.
- Tu ne dis rien, je ne dis rien, ça marche comme ça ? Grommelle-t-elle, dépitée.
- On verra ça ! Dis-je en m'exclamant. De toute façon, je passe après toi !"
Pendant qu'elle me hurle de revenir, je tourne les talons et je dirige vers les portes du train, qui est en train de freiner. Quasiment au même moment, Trubee apparaît au bout du couloir, et nous fait signe de le rejoindre immédiatement.
" N'oubliez pas, jeunes gens ! (On dirait qu'il a finit par adopter le surnom que Mags nous donne, à Cara et à moi) Têtes hautes, et sourires crédibles pour accueillir comme il se doit la fine fleur du Capitole !)
Puis les portes s'ouvrent, Trubee me pousse en avant, et je tombe dans un arc-en-ciel. C'est le mot. La foule de gens est tellement colorée qu'on en a mal aux yeux rien qu'à les fixer pendant dix secondes, et j'exagère à peine.
Trubee salue la moitié des personnes présentes à la sortie du train, et je sens bien dans sa voix qu'il est très fier d'être le mentor du District Quatre cette année. Mags aussi est saluée, voir acclamée. Je suppose qu'étant la gagnante des Neuvièmes Hunger Games, elle a eut le temps d'acquérir une certaine notoriété parmi le public qui la connaît depuis longtemps. Dans la foule (à travers laquelle des Pacificateurs tentent de nous faire avancer), chaque personne, chaque petit enfant tente de nous toucher, Cara et moi, comme si nous étions des célébrités ou des reliques. Ça me paraît ridicule.
Je suis allongé, complètement nu, sur la table de mon équipe de préparation. Ils étaient apparement très content du tribut qu'ils avaient eut cette année : moi. Pourtant, pendant tout le temps où ils essayaient de trouver des défauts dans mon physique (ma tête devient plus grosse qu'un poisson-oursin ces derniers temps), ils n'ont pas arrêté de parler comme si je n'étais pas là. Leurs tons insouciants avec le fort accent du Capitole m'agace. Et que je te roule un S pendant trente secondes, et que je te prononce une voyelle un millier de décibels au-dessus de la moyenne ! On dirait qu'ils ne mesurent pas bien que d'ici une semaine, une vingtaine de pauvres adolescents seront morts. Dont peut-être moi. Ca n'a même pas l'air de les toucher. Pour le moment, leur question la plus importante est de savoir s'il faut me redessiner les sourcils. Je ne vois même pas à quoi ça me servira, dans l'arène, d'avoir des sourcils en "circonflexe" ou en "barreau". A moins que le résultat soit si horrible que les autres tributs s'en iront en courant en me votant.
"- Mais voyons, Bourna, tu vois bien que ça lui donnerait un regard beaucoup plus attractif, les sourcils qui sont dessinés sur ce prospectus ! s'exclame une voix de fille au ton haut-perché. (Chaque fois qu'elle me parle à côté de l'oreille, elle me vrille les tympans plus fort qu'un cor.)
- Ecoute, ma chérie, répond Bourna, Hilly nous a dit de ne rien toucher à son visage, donc on ne touchera pas à son visage et puis c'est tout !
- Tout de même, je persiste à dire qu'il aurait été beaucoup mieux... dit la fille avec une voix déçue."
Finalement, je suis assez content qu'ils ne touchent pas à mon visage. Cette "Hilly" qui a empêché un sacrilège me paraît déjà très sympathique. Elles me frottent ensuite avec une sorte de gel qui me décolle au moins trois épaisseurs de peau, puis les trois filles de mon équipe de préparation s'en vont, après m'avoir demandé d'attendre dans la salle, allongé. Je sais que ma styliste doit arriver d'une seconde à l'autre, et je prie pour qu'elle ne fasse pas partie de ces folles adeptes du strass, des paillettes, et des cils artificiels roses du Capitole. "Quoique, tout ça mis ensemble me donnerait peut-être un air un peu plus vulnérable qui détournerait peut-être mes adversaires de moi" pensé-je ironiquement. Entre les sourcils en "circonflexe" et mes paillettes, ma victoire ne fera pas un pli, c'est certain ! De toute façon, rien de ce qu'elle me fera ne pourra être pire que ce qu'avait fait la styliste du Onze il y a deux ans. La fille, déguisée en courge, et le garçon, en citrouille.
C'est au moment où je me demande de quoi j'aurais l'air, déguisé en crevette, que la porte de la salle coulisse. Une femme rentre et, avec un grand sourire, elle me tend la main.
"- Bonjour Finnick ! Je m'appelle Hilly !"
Elle porte très probablement des extensions, car ses cheveux bleus électrique lui arrivent aux chevilles. Elle a des lentilles assorties et, juste au-dessus de ses cils, on peut voir une rangée de pierres précieuses. Et c'est tout. Elle est habilée comme quelqu'un de normal, avec un débardeur noir et un pantalon de camouflage kaki. Elle est assez grande, vu qu'elle m'arrive au niveau du nez. Elle n'est pas extraordinairement belle, mais elle a du charme, c'est indéniable.
Elle commence par me tourner autour afin de regarder de plus près chaque détail de mon anatomie et je résiste à la tentation de cacher de mes mains la partie basse de mon corps. Puis elle me tend un peignoir gris, que je me dépêche d'enfiler. Elle s'assoit sur un fauteil et je m'enfonce dans celui d'en face.
"- Alors Finnick, qu'attends-tu de moi aujourd'hui ? Me demande-t-elle."
Sa question me prend au dépourvu. J'attends d'elle des centaines de choses, mais ce que je voudrais par dessus tout, c'est...
"- Que vous me permettiez d'attirer des sponsors. Je voudrais attirer des sponsors."
Elle me regarde, et je devine que j'ai répondu ce qu'elle voulait entendre.
"- C'est bien Finnick... Je vois que tu as compris comment marchaient les Jeux... Eh bien, il se trouve que tu es tombé sur la bonne styliste cette année ! Je compte bien faire de toi (sa voix prend d'un coup l'accent du Capitole) le pluuuuuus beaaaaau tribut de touuuuuuus les Hunger Games !"
Je rigole face à son imitation on ne peut plus fidèle du public féminin de Panem. Au moins, si elle ne m'a pas encore prouvé qu'elle avait de vrais talents de styliste, elle essaye de me mettre à l'aise.
"- J'ai préparé pendant plusieurs semaines le parfait costume avec mon collègue Fenestria, et tu seras l'heureux élu à le porter !"
Lorsque j'entends le nom de son collègue, je me contiens pour ne pas éclater de rire. Fenestria ! Fe-nes-tria ! Quels goûts bizarres ont les gens du Capitole !
Hilly passe ce qui me semble être l'heure suivante à m'habiller, à retoucher à même le corps la tenue qu'elle m'a préparée.
"- Cette année, Finnick, la mode se porte beaucoup sur les croyances barbares des civilisations antérieures à notre ère : on les appelait les grecs. Ils avaient de nombreux dieux, et je veux que toi, aujourd'hui, tu ressemble à un dieu."
Je pense que c'est peut-être me juger plus haut que je ne le suis que de me comparer à un dieu, mais je me tais, et elle me permet finalement de me regarder dans le miroir.
Je suis vêtu d'une sorte de toge maintenue par un fermoir en or ; sur ma tête, repose ce qui semble être une couronne d'algues, en or également. Elle m'a enduit d'une poudre qui me fait scintiller la peau comme une étoile, et de loin, j'ai l'impression d'émaner de la lumière. Je reste sans mots, pendant qu'Hilly bavarde joyeusement sur Poseïdon, la fameuse divinité à laquelle je suis sensé ressembler.
"- Mais j'allais oublier ! s'exclame-t-elle soudain en se frappant le front, et elle court au fond de la pièce pour en revenir avec...
- Un trident ! je murmure en le prenant de ma main droite."
Celui que j'ai entre les mains est le plus beau trident que je n'ai jamais vu. Il est doré et ciselé ; malgré tout, il ne m'a pas l'air très maniable, car trop lourd. C'est un trident pour le visuel ça, pas une arme.
"- Alors Finnick, qu'est-ce que tu en penses ? me dit Hilly en sautillant sur place tellement elle est contente d'elle. Tu penses que cette tenue te permettra d'attirer des sponsors ?
- Hilly... Merci, vraiment, c'est magnifique, dis-je en l'étreignant brièvement. Et je suis sincère.
- C'est naturel Finnick, me dit-elle en me rendant mon étreinte. Je sens en toi l'âme d'un vainqueur. Cette année Finnick, je vais mettre toutes les chances de ton côté pour que tu reviennes dans ton District dans moins d'un mois !"
Elle m'embrasse brièvement sur la bouche, et j'ouvre de grands yeux. C'est de cette même manière qu'on s'embrasse dans le District Quatre pour se souhaiter bonne chance ! C'est aussi de cette manière qu'Annie m'a embrassé avant de partir...
"- Comment connais-tu cette coutume ? Dis-je en plissant les yeux.
- Ça va être l'heure de partir, me dit-elle en esquivant la question."
Puis elle sort de la pièce, et je me dépêche de la suivre. Tout en continuant à me demander si elle ne serait pas originaire du District Quatre, je pense à Cara. Comment sera-t-elle habillée ?
J'ai ma réponse lorsque j'entre dans la salle des chars. Son styliste, Fenestria, lui a préparé une robe blanche et or vaporeuse. Ces cheveux ont désormais des mèches dorées, et nous avons vraisemblablement été peints avec la même peinture qui nous fait briller comme des étoiles. Cara marmonne un vague "Nymphe" lorsqu'elle me voit regarder sa tenue, puis un sourire ironique traverse son visage.
"- Tu sais que finalement, t'es pas si moche Finnick, quand t'es maquillé !
- Et toi, tu pourrais presque attirer des sponsors quand tu souris", je réplique, et nous nous regardons tous les deux quelques secondes avant de rigoler.
Cara et moi aurions pu être amis au District Quatre, si nous nous étions connus avant la Moisson.
Je pense à Annie. Que pensera-t-elle de moi dans cette tenue ? Est-ce que je ferais honneur à mon District ? "Bien sûr que oui" me réponds immédiatement ma conscience. De toute façon, les premiers Districts ont toujours de meilleurs stylistes. Je me tourne pour regarder les autres chars, et je ne peux m'empêcher de ressentir de la pitié pour le District Douze, où les deux tributs sont complètement nus et recouverts de poussière noire. Ils ont tellement honte quand on les regarde qu'ils se tiennent courbés, dans l'espoir qu'on les oublie. Quoique, ce "costume" attirera peut-être quelque vieux pervers adeptes de nus. Ce que doit être le styliste du Douze d'ailleurs.
Plus loin, je vois Mags en train de parler avec un homme dont le visage me semble familier... Haymitch Abernathy. Vainqueur de la Seconde Expiation. Je me souviens d'avoir vu une photo de lui dans mon livre d'école. Il a l'air d'avoir pris trente ans en dix seulement, et il porte à la main une bouteille de Vodka. Est-ce donc à ça que je ressemblerais plus tard, si je remporte ces Jeux ? Alcoolique, fou, schizophrène ? Même Mags est étrange : parfois, elle se perd dans la contemplation de quelque chose, comme si elle avait des visions, et elle garde le regard dessus pendant plusieurs minutes de suite. Ou alors, peut-être que je ne survivrais pas. Que je crèverai pendant le bain de sang. Que je serais déchiqueté par une mutation génétique. Que je mourrais de faim. De déshydratation. Que je me ferais empaler sur un pieu, que je mangerais des baies mortelles.
"- Finnick, ça va ? Tu fais une drôle de tête !" me dit Cara.
Sa voix me ramène à la réalité. Si je pars du principe que je mourrais, je mourrais. C'est presque aussi simple que ça. Pas de confiance en soi, pas de résultats.
Une voix annonce soudainement dans le haut-parleur que les tributs doivent monter sur les chars, car le départ est imminent. Mags quitte Haymitch et de dirige vers nous.
"- Si ça peut vous rassurer jeunes gens, Haymitch, le mentor du Douze, mise sur vous cette année, dit-elle après que nous ayons grimpé dans notre char.
- Il ne mise même pas sur ses propres tributs ? S'exclame Cara d'un air étonné.
- Je pense qu'Haymitch... A perdu depuis quelques temps l'espoir de ramener des tributs vivants, dit Mags avec l'air de choisir ses mots."
Encore une fois, je pense que j'ai de la chance d'être né dans le Quatre.
Le chariot du Un se met alors à avancer, et j'entends la foule dehors qui se met soudainement à crier. Ils sont magnifiques. Même le visage écrasé de la fille paraît harmonieux avec le maquillage qu'elle porte. J'essaye de me souvenir de son nom... Silk. Et son copain mâle, c'est Chaim. Silk et Chaim, les deux tributs du District Un. Ils peuvent être soit mes alliés, soient mes pires ennemis. En l'occurrence, vu les regardes assassins qu'ils nous ont lancé, à Cara et à moi, je dirais qu'ils sont potentiellement en train de devenir mes pires ennemis.
Je regarde les tributs du Deux, et d'un coup, quelque chose me choque. La fille, qui lors de la Moisson avait le crâne rasé, arbore aujourd'hui des cheveux roux soyeux. Comment est-ce possible ? Est-ce une perruque ou alors, son styliste est-il carrément allé jusqu'à une implantation capillaire ? Car rien n'est épargné pour le Un et le Deux, même la chirurgie. Avec ses cheveux, elle est devenue très jolie quoiqu'il en soit. Son nom me revient immédiatement : Roxane. Et son copain blond à côté s'appelle Trevis. Roxane et Trevis, les deux tributs du District Deux. A n'en pas douter, ils auront beaucoup de sponsors. Leur chariot s'élance, et je reporte mon attention sur le District Trois.
Le Trois pourrait être un bon allié dans l'arène, de même que le Onze. Ils pourraient nous permettre de créer des pièges par exemple. Ils sont très fort dans tout ce qui est agencement et mécanique. Ils s'appellent Taalis et Crowe. La fille et le garçon. J'en parlerai à Mags tout à l'heure.
Finalement, leur chariot s'élance et ça va être notre tour. Je sens Cara vaciller et je lui offre mon bras, pour qu'elle puisse se stabiliser. Elle s'appuie dessus avec reconnaissance et au moment où le char démarre, je me tourne vers elle et je lui dis avec l'accent du Capitole :
"- Et n'oublie pas jeune fille ! Têtes hautes, et sourires crédibles pour accueillir comme il se doit la fine fleur du Capitole !"
Elle rigole et nous entrons dans le manège. Lorsque nous apparaissons, la foule se met à pousser des hurlements de joie et je me mets à décocher autant de sourires que je peux. Plusieurs roses atterrissent dans le char, à l'endroit où je me trouve. Je fais des clins d'œil, et tout le monde tend la main pour le recevoir, comme si c'était matériel. Pathétique. Cependant, lorsque je brandis mon trident en l'air, la foule pousse un nouveau hurlement, et je sais qu'il est pour moi cette fois-ci.
Moi et Cara éclipsons le District Cinq qui rentre après nous.
Décidément, on dirait que le public m'aime bien.