La voir mourir...par ma faute?
Calée dans un fauteil en cuir, j’attends dans l’hôtel de justice que James et moi montions sur scène. Je connais la pièce où nous sommes, sombre et antipathique, avec ses minuscules fenêtres, ses fauteuils de cuir et son sol marbré : c’est l’endroit où les tributs sélectionnés font leurs adieux à leurs familles. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne me rappelle pas de bons souvenirs. Quand je me remémore, moi, cette journée même, à cet endroit même, il y un an, je ne pense pas aux larmes, aux confidences ou aux au revoir déchirants, non, je pense au silence. Le silence,car personne ne venu me faire ses adieux.
Je regarde James d’un air distrait. Avachis sur un sofa, la respiration lente et les paupières closes, on pourrait croire qu’il dort. Mais je sais qu’il n’en est rien : il se permet de s’assoupir uniquement lorsqu’il est dans sa chambre, fenêtres et portes fermées. Je prends alors le temps de le détailler : avec ses longs cheveux noirs et son corps musclé, il n’a rien perdu de charme qui lui a autrefois valu tant de sponsors. S’il était moins exécrable, je suis sûr qu’il n’aurait aucun mal à se trouver une autre épouse que cette vieille mégère d’Ann….
Puis, mes yeux se posent sur la vielle dame assise, le dos courbée et le regard vide, sur une chaise de bois près du foyer. Doyenne des vainqueures de notre district, Mary Anderson a maintenant 68 ans et cela fait belle lurette qu’elle n’est plus un mentor : confiée un tribut à cette vieillarde aurait été suicidaire. Souvent, je la surprends à se parler à elle-même, et elle est parfois en prise à des crises de paniques incontrôlables. Pourtant, il parait qu’elle était très sympathique, dans le temps. James aurait d’ailleurs gagné les jeux grâce à son aide, et, depuis, il l’a considère un peu comme sa mère.
Enfin, un homme habillé de noir vient nous chercher. Aussitôt, mon collègue ouvre les yeux et se lève. J’avais raison : sous cette mine endormie se cachait un homme avec tous ses sens en éveil. À mon tour, je quitte mon fauteuil et me dirige vers la porte pendant que James aide Mary à se lever et lui tend sa cane. Nous nous dirigeons vers l’estrade, où le maire est en train de citer les vainqueurs de notre district. En tout, il y en a eu 7 : 2 femmes et 5 hommes. De ce nombre, deux sont morts de vieillesse, un s’est suicidé et un autre est décédé à la suite d’une infection attrapée dans l’arène. Il n’aura pas pu profiter de sa victoire longtemps…
Après plusieurs discours que je n’écoute qu’à moitié, le temps de piger les noms est finalement arrivé. L’hôtesse du district, une jeune femme à la peau bleu ciel et au crâne rasé, se dirige vers la boule de cristal contenant les noms féminins. Lentement, elle commence à fouiller dans les papiers. Mon cœur bat à rompre. Dans la foule, le temps semble être arrêté. Toutes les filles de 12 à 18 ans retiennent leurs souffles à l’unisson et répètent inlassablement un même refrain : « Pas moi, pas moi, pas moi…. ». L'hôtesse,sort un papier, le déplit....
« Erin Fox! » clame la femme du capitole.
Pendant que je scrute la foule pour trouver où est cette Erin, j’entends des soupirs de soulagement. La nervosité qui flottait dans l’air s’est dissipée en un instant. Enfin, après un long instant de silence, une fille au teint blême s’avance, ou plutôt est poussée, vers l’estrade.
Je me mors la lèvre lorsque je l’aperçois. Cette fillette ne doit pas avoir plus de 12 ans, et je vois déjà qu’elle s’apprête à fondre en larme. En montant les marches, elle trébuche et s’étale de tout son long sur le sol. Personne ne rit.
-Alors ma petite, quel âge as-tu? demande l’hôtesse, attendrie, lors qu'Erin atteind finalement le haut de la scène.
La pauvre doit le répéter trois fois pour qu’il soit audible.
- J’ai….j’ai eu 12 il y a deux semaines, murmure-t-elle. Des larmes silencieuses commencent à couler sur ses joues. Je sens qu'un rien suffira à la faire craquer, et ce, devant toute les caméras de Panem.
Sans plus de ménagement, l’hôtesse procède à la pige des garçons. Mais je ne l'écoute plus. Je suis trop occupée à ravaler ma frustration : pourquoi moi, pour ma première année, dois-je me retrouver avec une fille, petite et frêle, qui vient d’avoir 12 ans?
Finalement, je me reprends alors qu’un jeune homme blond, assez musclé mais manifestement terrifié, monte à son tour sur l’estrade. Les tributs se serrent la main, puis, ils sont amenés dire leurs derniers mots à leurs familles. Je vois Erin qui pleure à présent comme une madeleine, le visage caché par ses longs cheveux chatains. Je vois bien qu'elle essaye de le cacher,mais personne ne sera dupe. Je serre les poings.
À mon tour, je rentre le plus précipitamment possible dans l’hôtel de ville. Je ne veux pas que les caméras puissent me voir, dans l’état où je suis. Furieuse. Furieuse contre le capitole. Furieuse contre le sort. James doit se rendre compte à quel point je suis secouée, car il me dévisage.
-« Enfin, Esther, qu’est-ce qui t’arrive? » me demande-t-il d’un air d’incompréhension.
-« Qu’est-ce qui m’arrive? Mais, enfin...tu as vu cette Erin? Tu te rend compte quel tribut je vais devoir conseiller? Une gamine prête à pleurer à la première occasion! Une petite fille qui ne passera pas la première journée! » lui explique-je, révoltée. «De tous les habitants du district, je ne pouvais pas tomber pire.. Comment veux-tu que je lui trouve des sponsors, après la performance qu'elle vient de faire? »
Aussitôt, il m’attrape par les épaules et me regarde droit dans les yeux.
- « Ne répète jamais, jamais ce que tu viens de dire, tu m’entends? Peut importe ce que tu pense sur ses chances de survies, c’est ton tribut et tu vas tout faire pour qu’elle survive! répond-t-il, furieux. « Tu n’as pas le choix! »
- « Je le sais bien! Mais…je veux dire…c’est ma première année en tant que mentor…Alors pourquoi ai-je héritée d’un cas aussi désespéré? » Plus calme, je reprend : « Toi, tu as eu un garçon fort et solide : lui a une chance de remporter les jeux. Et moi, tout ce que j’ai…une fillette incapable de contrôler ses émotions... » Je m'entend soupirer. « ...pourquoi est-ce que le sort ne m’est jamais favorable? »
James me lâche soudainement. J’épprouve un choc que je me rends compte comment il me regarde. Avec mépris.
-« Tu me dégoute… » Je le regarde sans comprendre. « Enfin, réfléchie quelque secondes avant de dire des conneries pareilles! » explose-t-il. « Tu te plaint que le sort ne t'est pas favorable! Est-ce toi qui va devoir aller dans l’arène? Est-ce toi qui va risquer de mourir? Non! S’il y a une personne à plaindre, c’est cette pauvre fillette! Elle n’a pas méritée d’être pigée et elle ne l’a jamais voulue! Tu te pense malchanceuse? Dis-moi,que se passera-t-il pour toi si cette fille me gagne pas les Hunger Games? Rien. Rien du tout! Alors qu’elle, elle payera de sa vie chacune de ses erreurs! »
Sans plus de cérémonie, il tourne les talons et me laisse seule dans le hall d'entrée vide de l'hôtel de justice. Je suis sous le choc de sa déclaration. Il sait que je ne chercherais pas à le suivre : je le connais assez pour savoir que ce serait inutile.
Je me laisse tomber par terre, à défaut de chaise. Au fur et à mesure que j'y pense, je me rends compte qu'il a raison. Ça été totalement stupide de m'énerver ainsi. Je ne risque plus rien, à part peut-être le déshonneur, alors que cette fille, Erin Fox, il me semble, va connaître la terreur de l'arène. Pauvre gamine...Malheureusement, j'ai beau retourner la question dans tout les sens, je vois pas comment elle pourrait survivre, à part si je lui découvre un talent caché tout à fait spéctaculaire. Il me suffit de repenser aux carrières, ces enfants de 18 ans bien nourris et entrainés qui n'auront aucun scrupules à assassiner une fillette de 12 ans, pour en être sûr. Bien que je ne l'ai pas vu longtemps, elle ne m'a ni semblée particulièrement belle, ni bien batie. Au contraire, j'avais l'impression qu'un coup de vent aurait pû la briser. Le bon côté, c'est que vu ses vêtements, elle ne me semblait pas venir d'une famille trop pauvre. C'est bien, mais ça ne change rien à ma certitude : elle ne survivra pas au Hunger Games.
Puis, je repense à mon comportement. Je n'en reviens toujours pas d'avoir agis ainsi : j'ai criée contre mon ancin mentor, moi qui suis d'habitude si calme, si posée! Les jeux m'aurait-il plus changé que je ne le crois? Je n'ai jamais été quelqu'un de impulsif, qui pouvait agir sur un coup de tête. Toute mes actions et mes gestes étaient soigneusement calculés, pesés, pensés. Ce trait de caractère, qui aurait pu m'être fatal dans l'arène, m'a finalement sauvée : alors que les tributs de carrières foncaient tête baissées dans le piège des juges, mon intuition et ma réflexion m'ont sauvée. Enfin, je n'ai pas remportée les jeux qu'avec cet évênement, mais si les organisateurs avaient mis en place une bataille de corps à corps comme grande finale, je n'aurait pas faire le poid. Je suis plutôt petite, peu musclé, et bien que je sois agile et ingénieuse, le maniement des armes me fait cruellement défaut.
Prenant une grande respiration, je me résout à me lever et à me diriger à grand pas vers la gare. Il est plus que temps de rencontrer la petite fille que le capitole a destiner à l'abattoir.