Le Livre des Ombres

Chapitre 10 : Failles

Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 22:30

« La plupart des mécanismes de la vie connaissent des ratés, des failles. La mort, jamais. »
- Jean Hamburger

Trop souvent dans la vie, on pose la résolution d’une situation potentiellement conflictuelle ou problématique pour un choix duale. Blanc ou noir, gauche ou droite, rester ou partir, fromage ou dessert, et toute cette infinité de choix cornéliens qu’il vous faut faire quotidiennement. Et il est vrai que certaines fois, on n’a pas de troisième choix (ce qui est bien dommage). Et encore pire, le second choix est parfois une simple chausse-trappe pour vous orienter sur l’autre choix. Pourtant, on trouve parfois des choix triples intéressants, psychologiquement parlant.
Notez donc cette histoire : deux condamnés suspectés d’être complices dans une quelconque sordide affaire se voient proposer un marché. S’il dénonce son acolyte, et que l’autre ne dit rien, il en aura pour trois ans, et l’autre, sept ans. S’ils restent muets tous les deux et n’avouent rien, ils croupiront dix ans en cellule. Mais si jamais ils se dénoncent l’un l’autre, ils resteront  à l’ombre pour quinze ans chacun.
Et que croyez-vous qu’il arriva ?
Si vous avez voté ‘réponse C- double dénonciation’, vous remportez le gros lot et avez le droit de revenir en seconde semaine. Plutôt que de s’en tenir à la sage décision de ne rien dire pour écoper le moins possible, les deux ne se sont pas fait confiance. Et si jamais l’autre décidait de le trahir pour réduire se peine ? Le duo faisant le même raisonnement, ils finissent pas aboutir à la plus mauvaise solution.
Qu’est-ce que vous dites ? Ce n’est pas une situation à trois choix ? Bon, disons simplement, trois possibilités. Ne chipotons point. Et puis, de toute façon, ce n’est pas vraiment de cela qu’il était question.
Nous avions laissé un Ash Twilight passablement mal réveillé aux prises avec ce qu’il croyait être Pauline, ce qui se révéla être une prise de position un peu fausse. Complètement fausse, en fait. Et c’est là qu’intervient le schmilblick (mais pas celui de Guy Lux, mort dans cette version de la réalité avant d’avoir pu animer cette émission télévisée).
Face à la peur, il n’y pas que deux solutions possibles, A : fuite (ou repli stratégique si on aime les pléonasmes oiseux) B : combat. Mais quid de C : indifférence ? Une forme de fuite aussi, peut-être, tout en ne bougeant pas, ce qui ne laisse pas d’être pas d’être paradoxal. Ou pas.
En tout cas, pour Ash Twilight, il était difficile d’être indifférent à la source de peur qui se penchait sur lui en exhalant un subtil parfum qui versait entre les œufs pourris et le jus de pruneaux fermenté. Les ailes du nez du psychologue se plissèrent de dégoût noble.
« Hm… J’ai déjà connu pire. Tu as oublié ta brosse à dents depuis un bail, toi, non ?
- Bwhaaaar !
- Ah. Je me doutais qu’on allait en arriver là. »
Calme, Ash. C’est juste un de ces infectés en phase très très avancée… Curieusement, ils sont beaucoup moins drôles à observer alors qu’ils ne sont pas en contrebas ou dans une cellule sécurisée, hein part’naire ? Et l’intérêt scientifique de ses dents pourries s’approchant de ton visage est également considérablement réduit. Tactique de neutralisation numéro sept recommandée.
Ash expédia un coup de pied rapide et maladroit dans l’entrecuisse du zombie. Son pied heurta quelque chose de tout à fait répugnant, et le mort-vivant auquel il manquait un œil ne cilla pas de l’autre, envoyant une main lui serrer la gorge avec une force déloyale.
Le contact de la chair putride était déplaisant au possible. Ses choix se réduirent à néant, il ne pouvait plus ni fuir, ni combattre. Il se sentait si faible que c’en était ridicule. Oui, ridicule, il n’allait quand même pas se faire croquer au lit ? Il mit ses deux bras sur celui de l’agresseur pour tenter de lui faire lâcher prise, en vain. L’air commençait à lui manquer et l’étrillage des jambes n’amenait rien de bon. Pourquoi ce tas de bidoche au cerveau grillé avait-il encore assez de bon sens pour le paralyser d’une manière efficace ?
Rassemblant toute son énergie,  il banda ses muscles et tenta de sursauter pour se libérer de l’étreinte horrible. Il ne réussit qu’à accentuer la pression  un moment et crut que sa pomme d’Adam allait se briser.
Le zombie lui décerna une gifle de sa main libre pour le maintenir tranquille. Celui-là n’avait pas l’air d’aimer sa viande encore gigotante. Des points noirs commencèrent à danser devant les yeux se voilant du colosse affaibli…
Jusqu’à ce qu’un gros point noir se forme au milieu du front de la créature impie. Elle grogna de dépit, et s’effondra en avant, laissant un peu de l’arrière de son crâne pourri sur sa veste en guise d’adieu.
Il massa doucement sa gorge meurtrie et se releva à demi avec une lenteur extrême, récupérant son souffle avec bruit. Il voyait indistinctement Pauline qui se tenait sur une paire de jambes tremblotantes, les mains tout aussi peu assurées tenant le colt .45 encore chaud. Elle ne paraissait pas remise de ce qu’elle venait de faire.
« Bien, Pauline. Je vois que tu n’as pas oublié d’enlever la sécurité, cette fois-ci », parvint-il à articuler.
Elle lui adressa un sourire vaillant.
« J’apprends bien mes leçons.
- C’est plus que jamais le temps de bien apprendre, approuva-t-il faiblement. Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Je dormais confortablement sur toi quand la vitre s’est brisée… Je me suis réveillée en sursaut et je suis tombée par terre. Quand j’ai vu… Quand je l’ai vu venir dedans, je me suis cachée dans le coin. Il ne m’a pas vu et s’est dirigé tout de suite vers toi. Je suis désolée d’avoir mis autant de temps à prendre le pistolet. »
Il fit un geste négligent de la main.
« Le principal, c’est de rester envie. Par contre je vais avoir du mal à trouver un pressing près d’ici… »
Il contempla ses vêtements d’un air malheureux, plissant les lèvres avec révulsion en sentant l’odeur de putrescence qui s’y était imprégnée. Pauline ne put s’empêcher de rire- un peu hystériquement-, en constant qu’il semblait plus incommodé par l’état de son ensemble vestimentaire que par la mort à laquelle elle venait de lui faire échapper. Elle n’arrivait pas s’il fallait être vraiment timbré ou juste un peu excentrique… Mais elle l’aimait bien quand même.
Il sortit du lit, les jambes encore un peu flageolantes, et tendis la main en prenant un air sérieux.
« Passe-la moi. Je te remercie vivement de m’avoir sauvé la mise sur ce coup-là, très chère, mais il ne peut pas y en avoir qu’un à avoir réussi à entrer et je préfère aider les autres plutôt que de rester à récupérer. Je pense pouvoir m’en servir mieux que toi. Tu es avec moi ?
- J’ai entendu des cris et un bruit de sirène, précisa-t-elle. Je viens avec toi. »
Il saisit l’arme avec un contentement manifeste en vérifia le chargeur.
Six balles. Il était donc plein juste avant. Il ne savait pas comment elle avait mis la main sur une telle arme, c’était un coup de chance. La production de ce colt avait commencé dès avant la première guerre mondiale, et continué longtemps après. Vingt coups par minute, portée de cinquante mètres. Cartouches de 11,4 millimètres, puissance d’arrêt remarquable, et… Comment savait-il tout ça ? Un autre mystère à ajouter à la liste. Il ne souvenait pas le moins du monde avoir suivi un entraînement militaire poussé. Ni d’avoir voué un culte aux armes à feu.
Peu importait en l’espèce, il lui suffisait d’avoir la conviction qu’il avait l’une des meilleures armes de poing qu’on pouvait espérer trouver en ce moment.
Il tint fermement la crosse en main et ouvrit la porte de leur taudis, la jeune fille le suivant précautionneusement. Avec ses poings, elle ne pourrait pas lui être d’une aide immense, sauf à faire diversion ou en l’avertissant des mouvements autours d’eux. Ce n’était pas chose facile, car les sources de lumière étaient rares. L’utilisation du bois était très stricte et on s’en servait rarement pour allumer des torches- même si c’était le cas en ce moment, il voyait poindre des points de lumière rouge-orangée au loin.
Les zombies étaient-ils nyctalopes ?
Ils décidèrent que oui quand ils entendirent un concert de tapage contre une ‘maison’ voisine se muer en un concert de grognement dans leur direction. Pauline se rapprocha encore plus près de son protecteur auto-désigné. Celui n’en menait pas tellement large, car la seule luminescence des étoiles ne lui permettait que de distinguer une masse sombre et informe se diriger vers eux en traînant des pieds. D’autres bruits inquiétants se firent entendre de directions différentes.
 Peur. Paranoïa. Où est l’ennemi ? Quel est son nombre ? Que prépare-t-il ?
Cette dernière question était superfétatoire. Bien que ne comprenant toujours pas l’intérêt, même d’un point de vue organique, de vouloir préférentiellement se nourrir d’humains vivants plutôt que de chasser la faune inférieure qui subsistait à l’extérieur, il n’y avait pas à se faire un dessin sur leur intention.
Des cris de peur retentissaient au loin. Il comprenait parfaitement qu’on veuille exhorter ses frayeurs, que l’on n’ait pas assez de contrôle pour les réprimer. Cependant, c’est plus dangereux qu’autre chose. Cela risquait plus d’attirer davantage de zombies vers le malheureux ou la malheureuse plutôt que de faire venir un éventuel sauveteur. Parmi ceux qui peuvent entre le cri de détresse, il y en aura bien plus qui vont se recroqueviller encore plus sur eux-mêmes en plaignant mentalement cette personne infortunée (et se flattant en arrière-plan de ne pas être à sa place) sans lever le petit doigt pour elle. Pourquoi aller risquer sa vie alors qu’on aimerait déjà voir la sienne en sécurité ? On se sentait juste désolé pour celui ou celle qui allait mourir.
C’est peut-être le raisonnement qu’il aurait du tenir. Après tout, il n’avait rien d’un héros, mémoire incomplète ou pas. Il avait forcément effectué de mauvaises choses. Il prenait Pauline sous son aile parce qu’elle réussissait à l’émouvoir, mais aussi parce qu’elle pouvait lui être utile. Il aidait Camp Darwin parce que cela lui procurait une certaine satisfaction d’avoir un défi à relever, et que cela correspondait à ses visées personnelles. Et maintenant il tentait une brave sortie juste pour l’impressionner, ou se convaincre qu’il était autant un homme d’action qu’un homme de pensée ?
Ou mieux encore : un homme de pensée pensant en homme d’action, et agissant en homme de pensée. Enfin, vous voyez la chose. A moins que ce ne soit tout simplement le fait de ne pas pouvoir rester seul avec elle dans leur taudis pas très sécuritaire dans l’attente du prochain visiteur nocturne, avec lequel il ne ferait pas bon dîner.
Pas gluants, écœurants. Il n’était pas en position avantageuse… Il suffisait qu’il se concentre sur l’élimination du premier groupe pour qu’un autre vienne l’assaillir dans son angle mort. C’est généralement comme ça que ça arrive dans un roman, un fil ou un jeu. Le protagoniste du moment regarde partout, fonce sur un danger droit devant, et se fait attaquer par derrière au plus mauvais moment…
Une autre Loi Universelle Mystérieuse. Et il n’allait pas se faire avoir par l’une d’elles. Ce serait bête de se faire tuer juste après s’être fait sauvé, et il avait encore moultes choses à faire.
Il décida alors de saisir le poignet de Pauline avec fermeté.
« Tu te sens d’attaque pour battre ta performance au sprint d’hier ?
- Je n’aime pas rester avec des inconnus tard le soir. Surtout ceux qui vous sautent à la gorge pour vous accueillir.
- Et tu as bien raison, il y a certaines choses qui ne changeront jamais même après une apocalypse. Les visiteurs du soir sont encore moins fréquentables de nos jours. Tu es prête ? »
Sans attendre de réponse, il l’entraîna dans la direction qui lui paraissait la plus sûre. Ils ne heurtèrent rien mais s’attirèrent l’intérêt vorace du groupe de mort-vivants qui bifurqua pour les poursuivre. Ce qu’il y a de bien avec ce genre d’invités nécrosés, c’est qu’ils ne sont pas très rapides. On voit bien d’ailleurs à leur visage pas très frais que la mort n’est pas très bonne pour la santé, même si elle est censée éliminer toutes les maladies. Cela ne comptait bien évidemment pas pour l’agent R.
Ils coururent sur plusieurs cinquantaines de mètres, jusqu’à se rapprocher de la lueur de torche la plus proche. Ils étaient toujours en plein cœur de la zone dangereuse, avec son lot de cris angoissés, sans aucun d’agonie, ce qui était déjà ça de rassurant. Quelques coups de feu venaient ponctuer les exclamations vocales, provoquant en retour des grognements assez pathétiques. C’est une autre caractéristique des zombies que de toujours chercher à faire croire qu’ils souffrent lorsqu’on leur distribue quelques balles ou coups dans le buffet, alors que ce n’est même pas vrai. L’agent R devait retirer toute émotion, toute sensation pour ces êtres dépossédés de la moindre once d’humanité, sauf celle la plus ancienne et la plus bestiale,  la plus stupide également.
D’un autre côté, on avait l’impression de leur rendre service en entendant ces râles de fin de vie… Ou de morte-vie, plutôt. Et cela donnait un son plaisant aux oreilles : un de moins. Et dix de plus à abattre.
Car les zombies ont aussi la fâcheuse habitude de compenser leur relative lenteur par des formations groupées, ou bien des positionnements qui rend inévitable un câlin non désiré avec eux. Ils aiment se fourrer dans les endroits les plus improbablement idiots, comme les armoires ou les toilettes. Heureusement, les premières au Camp Darwin étaient hors de portée de la Horde, et les secondes n’étaient pas aussi angoissantes que les vraies.
Angoissantes dans le sens où l’on pourrait trouver l’un d’entre eux dans une cabine, entendez bien.
Alors qu’ils faisaient une pause méritée, le duo aux cheveux blonds tendit l’oreille. La voix du colonel retentissait à travers toute la partie nord du camp et sûrement un peu plus loin, il avait gardé un mégaphone en réserve pour ces cas d’urgence. Sa voix ne trahissait aucune anxiété particulière et restait tout ce qu’il y a de plus calme et martial.
« A tous les citoyens : ne sortez pas de vos habitations ! Nous avons une faille de sécurité niveau trois. Un pan de la muraille a du être ouvert au nord-ouest. Nous sommes en train de nous déployer pour repousser la Horde et repérer précisément la brèche pour la refermer le plus vite possible.
Barricadez-vous. Si votre habitation n’est pas sûre, allez chez un voisin aux premiers signes d’alerte, ne restez pas seuls. A tous ceux qui seraient dehors en ce moment, regroupez-vous près des torches ou allez au ruisseau. Ne tentez rien de dangereux.
Nous avons le plein contrôle de la situation. Dès que nous aurons repoussé la première vague, des patrouilles quadrilleront le camp pour venir à bout des éventuels ennemis qui seraient arriver à passer notre ligne de surveillance. Surtout ne paniquez pas et appliquez les consignes de sécurité. Si vous les respectez, il n’y aura pas de victimes. Je ferai des annonces régulières sur l’avancée de la situation. »
Ne paniquez pas ! Quelle idée de génie. Cela doit être la première fois que la communauté subit une attaque sérieuse. Cet incident va briser l’aura d’invincibilité qu’ils se donnaient et va les rendre anxieux, mauvais. Bien sûr qu’ils vont paniquer ! N’étaient-ils pas censés être totalement à l’abri grâce à toi, colonel ? Et pourtant non, grande surprise. Rien n’est immuable dans l’univers. Même les dieux finissent par périr, tout est question de longueurs de temps variables entre les différentes espèces, entités, choses matérielles ou immatérielles, inertes ou vivantes. Reste à faire en sorte que ce ne soit pas déjà la fin de Camp Darwin…
Près d’eux et de la torche, quelqu’un paniqua quand même. Plusieurs, même. Bruits de mitraille désespérés. Echos de fuite tout aussi désespérée. Et un dernier cri le plus désespéré qui soit : celui qu’on laissait en guise d’appât pour couvrir la retraite vers une position plus sûre. Il n’avait pas besoin de bien percevoir les voix pour comprendre qu’il devait s’agir de cela. La torche faisant des bonds dans la pénombre, éclairant brièvement des têtes qui n’auraient pas pu se présenter au concours de mister Univers, ou quelque bêtise dans le genre.
Une lutte fugace s’engagea dans le psychisme de Ash Twilight. Laisser mourir quelqu’un si proche de lui, s’il n’y avait pas eu Pauline, étant donné le nouveau monde dans lequel il vivait, ne lui aurait pas pesé grand poids sur la conscience puisqu’il s’agissait d’un militaire et que depuis le temps, il aurait du être préparé à une telle confrontation. De l’autre, il y avait justement Pauline. En prenant encore un autre angle, pouvait-il réussir là ou une petite escouade venait de s’en aller ventre à terre, abandonnant un camarade dans la joie du moment ?
Hmm. De plus, la petite course venait de lui enlever une part de son tonus. Quoi qu’on puisse en croire, posséder une arme ne vous donne pas tant de puissance si vous n’êtes pas en bonne condition physique.
«  Au secours ! S’il vous plaît ! Quelqu’un ! »
Bon, allez. Autant essayer sans trop gâcher de balles.
Pauline le retint par la manche, et il vit presque son expression d’intense opposition à ce projet.
« Tout le monde mais pas lui, Ash !
- Et en quel honneur ? Si j’attends une minute de plus, il va servir de snack à la douzaine de morts-vivants qu’il droit rester.
- Parce qu’il s’agit de Josh, révéla-t-elle avec glaceur. Tu ne reconnais pas sa voix ? »
Il ne répondit pas. C’était un bon point pour elle. En même temps, s’il sauvait le soldat émasculé, il pourrait désamorcer une possible rancœur de ce dernier envers lui. Il n’avait aucun lien direct avec ce qui lui était arrivé, mais au cas où… Il fit part de sa décision à la jeune femme, qui le trouva trop magnanime pour le coup, et souhaitait ardemment aller se regrouper avec les autres militaires près de leur campement. Les échos de la bataille qui faisait rage un peu plus loin étaient toujours préférable à cette situation-là.
Il ne s’en laissa pas compter, et agit de la manière la plus idiote possible. Il siffla bruyamment et explosa la tête d’un des zombies d’une balle bien placée, avec une précision qu’il ne se serait pas connu. La diversion aurait eue un effet non négligeable sur un groupe de personnes vivantes. La fraction de la Horde s’arrêta quelques instants dans son mouvement de curée vers Josh, comme un ensemble de mécanismes dans lequel on aurait glissé quelques grains de sable.
Puis elle fit demi-tour pour se diriger vers eux, bras levés mécaniquement et ridiculement en avant. C’était l’effet désiré, mais Ash se retrouva ‘dumbfounded’ sur le moment. Dans un éclair de brillante réflexion, il chargea à travers la masse pour rejoindre un Josh passablement médusé de voir le psychologue venir à son aide.
Twilight se carra contre le mur d’une habitation dont les citoyens ne devaient pas sentir très à l’aise, n’ayant pas la force de recommencer le processus.
« Tu as une arme ? »
Josh confirma et montra rapidement son pistolet. Ash le saisit sans autre forme de procès.
« Brûle-leur les yeux avec la torche. Pauline va courir autour d’eux pour les désorienter. Je te couvre.
- Quoi ? Pauline ? balbutia le militaire.
- Josh, si tu perds du temps à parler une nouvelle fois, on va tous y passer et tu vas me faire regretter d’être venu. Fonce ! »
Aiguillonné par cette dernière phrase comme par un choc électrique, il se leva d’un bond et alla narguer les morts-vivants avec sa torche, les mettant en feu. Avec de si belles cibles, Ash fit un carton. Pauline avait bien compris son intention et vainquait sa peur de son mieux en ne s’arrêtant pas une seconde dans son tourbillon. Josh se montra plus courageux que prévu et ne flancha pas, comprenant peut-être qu’il n’avait pas tellement le choix. Au bout d’un moment, il n’arriva pas éviter un vicieux coupa de patte d’un des morts-vivants qui l’envoya bouler contre terre, la torche passant à quelques centimètres de son visage. Le psychologue aux talents de tireur insoupçonnés avait épuisé le chargeur du pistolet de Josh et se voyait mal lui demander juste à l’instant s’il avait des munitions sur lui. Il restait encore trois cadavres ambulants qui se penchaient sur le soldat se tortillant en hurlant pour échapper à leur étreinte.
Ash se demanda si cela valait la peine d’utiliser une autre des balles du précieux colt .45 pour en finir avec eux. Josh lui donnait l’impression d’une larve anencéphale. Les bras se tendaient vers lui et il n’avait même pas le réflexe de ruer pour les repousser et s’enfuir…
Une arme tomba soudainement à ses pieds. Pauline, pleine d’énergie face au danger, venait d’en récupérer une lâchée par un des militaires en fuite. Ash regarda rapidement de quoi il retournait : un Uzi. Un merveilleux, noir, mortel, petit Uzi. La plus belle vision qu’on pouvait avoir en pareil moment : le pistolet-mitrailleur le plus fiable du monde. Il se jeta dessus, vérifia rapidement qu’il était prêt à tirer, mit un genou au sol et dégomma le trio putride. L’un d’eux s’écroula en plein sur Josh qui brailla de plus belle. Il lui fallut de longues secondes pour comprendre que le danger était écarté.
Il finit par se dégager du mort-mort et à reprendre fébrilement la torche qui menaçait de se consumer.
La lumière lui révéla le visage impavide de Pauline. Il ne savait pas trop quoi dire. La situation était pour le moins gênant. Il sentait presque palpable son envie de
« Le tuer ? minauda Ash. Pauline, est-ce que tu peux me dire à quoi a servi cette séquence épique, menée rondement, si c’est pour l’inhumer juste après ?
- C’était ton idée au départ, répliqua-t-elle, sur un ton affreusement détaché. C’est toi qui avais l’arme donc j’ai suivi. Maintenant qu’il nous a aidé à nous débarrasser de ceux-là, j’ai bien envie de le tuer moi-même pour ce qu’il m’a fait. Tu sais mieux parler que moi. Tu n’auras qu’à leur dire comment on a essayé de le secourir, mais qu’il s’est fait tuer quand même…
- Si tu lui administre une balle dans le corps, je ne pense pas que ça fera bon effet, fit-il juste remarquer sans  s’émouvoir.
- Une balle perdue ? » tenta Pauline avec de l’espoir dans les yeux.
Ash déglutit. Il n’avait pas décelé chez elle la volonté farouche de continuer à torturer Josh- ou plutôt, celle de finir de le torturer, même si elle n’y avait pas pris part en personne. Pouvoir tuer un vivant n’était pas inappréciable actuellement, mais il espérait, peut-être naïvement, la protéger d’avoir à faire ce genre de choses. Il avait des sentiments ambivalents envers elle. Plic-ploc, plic-ploc, la laisser faire ou pas ?
Josh le regardait avec une telle misère qu’il avait presque envie de renoncer à toute pitié. Il devait se sentir totalement piégé, entre son ancienne victime revancharde et celui qu’il pensait fortement avoir été la main du crime, ou son instigateur, pour venger Pauline. Pourtant, ils venaient de lui sauver la mise…
Juste pour qu’elle puisse mieux profiter de sa position de faiblesse ? Il n’avait qu’une seule arme sur lui, et l’avait prêtée hâtivement.
« Je ne vais pas te faire la morale, Pauline. Durkheim se retournerait dans sa tombe en voyant cette nouvelle anomie qui est là, la morale s’est brisée avec le cataclysme, en grande partie. Il faudra la restaurer, pendant la période de transition, on est beaucoup moins regardant…
Je ne vais pas te donner de leçons non plus. Si c’est ta volonté sans conteste de le tuer pour ce que tu as fait, je comprendrais. Je crois qu’il comprendrait aussi, sans apprécier forcement ce juste retour de bâton. Il jouait de sa position sur toi. Maintenant c’est toi qui es en position de force. Il est là devant toi, incapable de faire autre chose à part supplier.
Est-ce que ça te donne vraiment envie de mettre fin à sa vie ? Sur l’instant, tu penses que ça n’aura aucune conséquence. Il ne suffit pas de vouloir pour tuer. Les résultats d’un meurtre sur le système psychique, lorsqu’on n’y est pas préparé… Tu pourrais le regretter toute ta vie. Je sais que tu n’es pas une tueuse dans l’âme. Alors je pense que sans même considérer des histoires d’être magnanime, tu devrais t’abstenir pour ton propre bien. Il a déjà été puni. Le Très-Haut se chargera bien de le faire une seconde fois si jamais il voulait encore t’offenser.
La loi du Talion, tu connais ? Un œil pour un œil, une dent pour une dent… De plus, une vengeance supplémentaire ne t’amènera rien, rien que du vide. »
 Pauline fit la moue. Il y avait du vrai dans ce qu’il disait, il devait s’y connaître. Cela n’apaisait pas tellement son envie de meurtre. Elle avait été contente en apprenant quel sort il avait subi. Ce soir, elle avait envie d’aller jusqu’au bout. Sans se l’avouer, elle avait encore peur de Josh. Peur que cette petite taquinerie sanglante ne l’ait rendu encore plus hargneux, comme le laissaient à penser ceux qui passaient sous sa férule pour le planning des tâches à effectuer. Peur que ne pensant pas que le vrai coupable ait été tué, il choisisse de répliquer sur celle qui était forcément la principale suspecte dans son sort. Pour être tranquille, il fallait que la peur soit éliminée à la racine, pas seulement avec quelques épines en moins.
Ash était avec lui, mais il n’était pas infaillible- personne ne l’était. Il se pourrait qu’un jour il ne soit pas là et qu’elle ne puisse pas se débrouiller seule contre le soldat rancunier, avide de vengeance aveugle. Et elle ne voulait pas connaître une situation pareille, ne pas même rester avec cette possibilité dans l’esprit. Si elle le tuait là, tout de suite, si Ash venait la conforter dans sa version des faits, ce serait fini, tout simplement. Elle ne craindrait jamais plus Josh, elle serait un peu plus heureuse dans un environnement tourmenté malgré le relatif calme de Camp Darwin- brisé définitivement cette nuit.
Twilight la regardait du coin de l’œil, en surveillant de l’autre le militaire plongé en quasi catatonie, attendant la sanction. Elle vacillait, ébranlée un tout petit peu dans sa conviction. Durant ses études, il s’était forgé une conviction : un être humain peut devenir n’importe quoi. Il suffit de presser aux bons endroits, aux bons moments.
Et la formule restait la même pour modifier l’opinion de quelqu’un, lui faire changer d’avis. Il décida qu’il était temps d’actionner son levier.
« Mais surtout, Pauline, je serai déçu que tu fasses ça. Je crois en un mieux pour ce qui reste de l’humanité. Je voudrais que tu partages ma vision, et que tu n’aies pas de sang sur les mains. Je ne le tuerai pas pour toi, si tu cherches à faire ta maline. Et je crois que nous sommes en train d’assez éprouver ses nerfs. »

Si vous n’arrivez pas à convaincre, persuadez. Pauline hésita encore pendant quelques mortelles secondes. Elle subodorait qu’il ne ferait aucun geste pour l’empêcher de prendre l’Uzi et de coller quelques balles à Josh en guise de paiement en retour. Il ne plaisantait pas non plus. Elle n’avait pas envie de lui déplaire, bien qu’elle ai payé sa dette.
« Tu as raison, lâcha-t-elle. Il n’en vaut pas la peine.
- Parfait. Alors, allons-y. J’entends les bruits de pas gluants de nos invités de tout à l’heure qui se rapprochent.
- Quoi ?! » s’étrangla Josh, qui du coup ne savait pas s’il avait de la chance d’avoir été épargné.
Le couple ne répondit rien. Ash passa le pistolet du militaire à la jeune femme, rangea le colt dans sa poche, et garda en main le précieux pistolet-mitrailleur. Il n’allait pas tenter le diable, si celui-ci avait survécu avec tout ce qui tramait en surface, en redonnant son arme à Josh. Ash était plutôt allergique au risque de se prendre une balle dans le dos.
Josh leur implora de les attendre et détala dès qu’il entendit les premiers grognements de la précédente fraction de horde se rapprocher de lui. Il n’irait pas refaire le brillant du numéro du pyromane sans peur. Il mit un pied devant l’autre pour appliquer le processus de la marche, et…
… tomba de tout son long contre le sol, se cassant une dent et lâchant de nouveau la torche, dont la précieuse lumière s’éloigna en grésillant. Un des morts-vivants n’était pas mort-mort. Il faut encore rajouter cette particularité au folklore : par malice ou par une Loi Universelle Mystérieuse, certains miment une mort complète pour mieux leurrer leur proie. Idée réfutable en apparence, car il n’a toujours pas été prouvé que les zombies possédaient un Q.I. supérieur à dix (pour les meilleurs d’entre eux). Si vous vous appelez Claire Redfield, ou Chris Redfield, vous saurez que c’est vrai.
La panique s’installa dans chaque fibre de l’être humain prénommé Josh. Sa mâchoire le faisait souffrir horriblement et la main tenait fermement sa cheville. Il n’osait pas regarder en arrière ; il n’y avait rien de bon à y voir. Il rua avec toute la force qu’il pouvait condenser dans son pied…
 Plusieurs torches fixes avaient été installées à quelque distance de la section militaire du Camp. Les balles fendaient l’air à intervalles réguliers, abattant en une ou plusieurs fois les envahisseurs putrescents qui continuaient à affluer d’un point inconnu dans l’obscurité. La bataille faisait mollement rage depuis quelques minutes et aucune des deux parties en présence n’arrivait à faire reculer l’autre. Les zombies ne semblaient pas faiblir en nombre en dépit du nombre grandissant des leurs, bien morts cette fois, qui se mettaient à joncher le sol en tas de plus en plus gros. Un enseigne, même si le titre n’avait guère plus d’importance que pour eux, remarqua le duo qui s’avançait vers leur position. En quelques jours, la silhouette du psychologue était connue de tous, ce qui ne tempéra par l’irritation du gradé.
« Qu’est-ce que vous faites ici, professeur ? Et avec une jeune fille ? Les instructions du colonel étaient pourtant claires, et vous êtes un civil comme les autres, même avec… Pourquoi est-ce que vous avez cette arme sur vous ?
- Paix, monsieur Miles. J’ai éprouvé un certain sentiment d’insécurité lorsqu’un de ceux-là est venu faire une visite surprise dans notre taudis. J’ai failli passer de vie à trépas, et si ce n’est pas le cas, c’est grâce à elle. Nous ne sommes pas allé dans une autre maison pour la bonne raison qu’elle était assaillie par un groupe de zombies. J’ai préféré voire ce que je pouvais faire en allant jusqu’ici. Pour l’arme, c’est l’un de vos hommes qui l’a lâché en laissant courageusement derrière Josh. »
Miles fronça les sourcils.
«  Josh ? On m’a dit il n’y pas un quart d’heure qu’il avait été tué au cours d’un échange avec un groupe d’ennemi qui nous prenait à revers. Je ne le vois pas avec vous non plus… »
Ash regarda négligemment derrière lui. Il avait fait une croix sur le sort de Josh après lui avoir laissé la vie sauve. Il n’avait pas désiré prendre le risque de faire fléchir Pauline dans le sens contraire en montrant de la compassion envers l’émasculé.
« Effectivement, nota Twilight, neutre. J’aurai juré qu’il était juste à nous suivre derrière. Je peux vous assurer que c’est la simple et bonne vérité. Il était seul face à une douzaine de zombies, et nous sommes intervenus en chemin. Vous allez me jeter devant la cour martiale pour avoir voulu secourir l’un des vôtres ?
- Je vois d’abord vérifier cela avec le reste l’escouade qui est revenue de là-bas. Je préfère d’abord croire mes compagnons d’armes avant quelqu’un d’autre. Et douze, vous dites ? Une belle performance pour un professeur en psychologie, une fille et un soldat apeuré. »
Ash haussa les épaules.
« Nous nous sommes assez bien débrouillés. Il suffit de rester concentré et méthodique. Se laisser gagner par la peur, c’est déjà mourir un peu. Je retournerai bien en arrière vérifier que Josh ne se soit pas simplement barricadé quelque part, seulement j’ai peur de croiser en chemin une autre « formation ennemie », si vous voyez ce que je veux dire. Vous en avez laissé passer quelques-uns.
- En plus de raconter une histoire improbable, de contrevenir aux ordres, vous ramenez des ennemis sur nous ? s’exclama Miles, effaré. Bon sang. Vous-
-… n’avez qu’à vous prendre à vos propres hommes. Je ne suis pas celui à les mettre sur la sellette. Maintenant, est-ce que vous allez me mettre aux fers pour insubordination ou me laisser faire du ball-trap avec vous ? Et j’aimerai aussi que vous preniez soin d’elle. C’est premièrement pour ça que je suis venu jusqu’ici, puisqu’il aurait été dangereux qu’elle ne s’en remette qu’à moi pour sa sécurité. »
Le second grimaça. Ce n’est pas tellement un désir poliment exprimé qu’un ordre en filigranes. Pour qui se prenait ce type, avec sa grande carcasse ? Enfin, s’il disait la vérité, c’est qu’il savait se débrouiller avec des armes… Il tenait son Uzi d’une manière étrangement professionnelle. Ils avaient déployé une partie de leur maigre garnison pour quadriller la zone et prévenir toute fuite de zombies hors de leur périmètre de défense, de toute évidence, ce n’était pas suffisant. Ils étaient une trentaine sur le front, et déjà c’était juste suffisant pour repousser la marée de pourritures sur pattes. D’autres étaient partis fabriquer d’urgence des bombes à eau avec de vieux sacs et des explosifs légers, et d’autres encore prenaient du matériel en vue de colmater la brèche, où qu’elle soit.
Pauline, quant à elle, était vexée en partie de l’explication du grand blond- c’était touchant de constater qu’il voulait veiller à sa sécurité, elle aurait préféré rester auprès de lui. Elle se sentait bien à proximité du rescapé du désert et craignait moins tout ce qui pouvait leur arriver, même si elle avait du le sauver elle-même. Si elle avait été à sa place, ou un de ces soldats, elle ne pensait pas que cette personne aurait pu s’en sortir convenablement.
Elle ne dit pas de ridicule « sois prudent » lorsque Miles céda à la requête et fit emmener Pauline au camp intérieur, se contentant de le regarder droit dans les yeux, l’air de dire « toi, si tu ne reviens pas vivant, ce sera ta fête. Je baladerai ton corps partout jusqu’à ce que ton âme en sorte et que je la torturerai des semaines durant pour m’avoir laissée en mourant bêtement. »
Ash reçut le message cinq sur cinq et lui fit un clin d’œil.
Miles lui donna une claque rude dans le dos.
« Désolé d’avoir été un peu sec avec vous. Le colonel a été très strict sur le port d’armes, aucun civil ne doit en posséder… Mais vous avez raison, ce n’est pas le moment de pinailler. Nous avons besoin de tout le monde. Je vais avertir le reste des hommes. Nous verrons pour Josh plus tard, ça ne m’étonnerait pas qu’il soit allé se cacher quelque part sans vouloir retourner au casse-pipe. Même quand il avait encore ses gonades, il n’était pas très courageux. Venez. On va vous trouver du putride à dégommer… »
Et en effet, il y en avait des masses. Au début, le reste des militaires envoyés contrer la menace le prit de haut. Ils n’aimaient pas qu’un civil s’intègre à eux, même ce nouveau type qui avait les faveurs du colonel. Le monde était bien tranché dans leurs esprits, d’une netteté impeccable : civils dans les logements, à creuser dans le désert, construire, réparer, élever, planter, s’occuper entre eux, eux à récolter les fruits de leur labeur.
Cette vision s’était atténuée après la grande fête, mais pas au point de les accepter comme milice. Si les militaires n’avaient plus l’exclusivité de leur rôle de protecteurs bienveillants, le reste de la population pourrait bien se dire qu’avec un peu d’entraînement elle pourrait se débrouiller tout aussi bien avec les armes et le matériel militaire… Et inverser la situation, ou bien encore les expédier dehors en souvenir de leur période de tyrannie.
Ce n’était pas ce que ce professeur bizarre voulait, n’est-ce pas ? On resta méfiant avec son histoire.
Le respect commença à augmenter lentement lorsqu’on s’aperçut qu’il avait une belle propension à tirer en plein dans la tête et qu’il ne restait pas outrageusement planqué derrière les autres. Les balles de l’Uzi tranchaient l’air, émettant un son plaisant de chairs perforées.
Le flux des mort-vivants ne se tarissait pas pour autant. On restait vigilant, alignant les têtes autant que faire se pouvait, évitant à tout prix de gâcher les munitions. L’arrivée du groupe qui avait eu premièrement l’idée de faire de Pauline et de Ash leur en-cas nocturne avait créé un surplus de tension en venant les attaquer sur une portion plus faible de leur formation.
Ash se sentait… Bien. Toute peur l’avait quitté. Il avait atteint cet état aussi grisant que dangereux, où, boosté par l’adrénaline, une impression d’invincibilité vous enveloppe, vous poussant à foncer sur l’ennemi en dépit du danger, arrivant même à occulter la douleur lorsque vous vous faites blesser. Parce que vous le savez bien : les phénomènes psychologiques ne sont pas qu’un ensemble de produits abstraits de l’esprit, et ont souvent une assise biologique, notamment, la grande variété des hormones et des neurotransmetteurs. Il peut être triste de penser que l’on pourrait simplifier un être humain à une cathédrale chimique, un ensemble de cellules codées génétiquement, l’esprit, une étincelle des neurones, l’âme, une croyance pour bannir la peur de la mort.
Que l’on pourrait… Ou pas.
La fusillade continua longtemps, entrecoupée de courtes annonces de Maverick qui se tenait un peu à l’écart du nexus de violence, dispensant des nouvelles réjouissantes sur l’avancée du combat, sûr que de toute manière, personne ne serait là pour le démentir. Il n’était pas encore au courant de la présence de Twilight.
La bataille menaçait de s’éterniser- ou du moins, d’aller en défaveur des humains qui finiraient par manquer de munitions, alors que les zombies n’avaient pas besoin de choses aussi triviales. Il était impossible de faire une percée à travers ce mur continu de silhouettes mornes et affamées sans craindre de perdre la moitié de la tête de lance au premier engagement au corps à corps. Ah ! Il y en avait qui regrettaient les bons vieux fusils à baïonnette. Pas assez de pelles en bon état pour espérer imiter une tactique des précédentes guerres mondiales, et pas assez de désespoir pour recourir aux grenades. Les moments de bravoure se succédaient, les tirs d’élites se multipliaient, et cela ne suffisait pas. La seule consolation était de se dire qu’apparemment il n’y avait qu’une seule faille, et qu’ils faisaient tout pour la contenir.
L’arrivée des soldats partis chercher de quoi faire des bombes à eau fut providentielle. Ah, les sales trucs ! Comme c’était plaisant de voir leurs rangs fondre en quelques explosions aquatiques, très salissantes et très efficaces. Les zombies glissaient sur leurs prochains liquéfiés, voyaient leurs pieds salement endommagés par le dérapage et se rentraient les uns dans les autres, s’attaquant même parfois aveuglement. Encouragés par cette contre-offensive musclée, plusieurs soldats sortirent de leurs abris de fortune et foncèrent, armes de corps à corps en main. Leur exemple fut suivi, et Ash participa personnellement à l’inversion de tendance. Une bombe à eau était expulsée occasionnellement pour ne pas réduire le rythme de perforation des lignes bigarrées de morts-vivants, tout simplement le contenu d’un sceau pour économiser les sacs plastiques. Ils avançaient à grande vitesse, massacrant purement et simplement la horde, l’adrénaline se répandant dans tout leur système nerveux, central et périphérique. Bientôt, la faille fut en vue. Enfin, la faille…
C’était un travail très propre. Presque la forme d’une grande porte avec à peine quelques cafouillages dans le bois, d’où se déversait encore et encore les zombies, pantins sans âmes. Les armes à feu parlèrent de plus belle pour boucher cette entrée qui n’avait rien à faire là. Ceux qui transportaient les planches se mirent en attente de pouvoir les clouer le plus rapidement possible, dès que le point de faille serait sécurisé. Une perspective heureuse qui arriva bien plus tôt que prévu, alors qu’on donnait tout ce qui restait pour venir à bout de l’engeance en décomposition.
Tous les chats et chiens se mirent à miauler (de façon stridente) pour les premiers et aboyaient (à donner envie de leur balancer des chaussures dessus) pour les seconds tous en même temps, durant quelques secondes de stupéfaction. Les soldats en oublièrent d’appuyer sur la gâchette. Et pour cause : les zombies venaient de se figer sur place, les bras pendants, le regard encore plus vide si c’était possible. Puis, dans un bel ensemble, ils firent demi-tour par là où ils étaient venus. Médusés, les militaires observèrent cette retraite silencieuse et effrayante. L’un d’entre eux, ne comprenait pas pleinement la situation, finit de vider son chargeur sur l’un des battant en retraite. La victime morte-vivante s’écroula, sans que cela génère la moindre réaction chez ses comparses.
Il ne restait plus pour indice de leur présence que l’ouverture aménagée dans la muraille, les corps des zombies définitivement décédés, et, de façon surprenante, le cadavre de l'un des leurs. En fait, ce n'était pas si surprenant en soit. L'éclairage des torches n'était pas la panacée, et il se pouvait qu'un soldat aventureux se soit perdu dans la masse à un moment ou à un autre. Ce qui était dérangeant, outre le fait de voir qu'on n'avait pas prélevé quelques morceaux de viande sur lui, c'était que tout ce qui couvrait son corps avait été proprement arraché. Et sur ton torse, avec une précision délicate, on avait inscrit en creusant dans la chair pour former des lettres de sang :
" Remembrance of the past... "
Les victorieux hommes finirent par être mitigés. C'était une conclusion assez inattendue... Et pas tellement satisfaisante en un sens. On prévint immédiatement le colonel, qui arriva sans grande pompe. Il observa la scène macabre, puis s'occupa du trou si bien fait, source du trouble de ce soir. Le mystère était résolu sur un point : quelqu'un, ou quelque chose, avait déposé un petit pont de fortune en bois, permettant le passage des putrides qui quittaient les environs immédiats de Camp Darwin. Ce qui, tout compte fait, ne faisait qu'épaissir l'énigme, à moins de considérer les choses sous un angle bien obscur. Il ordonna de rapatrier le bois à l'intérieur puisqu'il n'était pas question de gâcher, et de refermer la brèche sans délai. Puis il commanda au reste de la troupe de le suivre pour rentrer au campement afin d'organiser la suite des événements. Ce ne fut qu'en bout de chemin qu'il remarqua enfin la présence du professeur, qu'il se hâta de prendre à part pendant qu'un de ses subordonnés commençait à dresser un bilan sommaire de la situation, et après avoir eue une petite conversation avec Miles.
Il était impossible dire s'il était ravi ou furieux.
"Twilight ! dit-il en guise de préambule en aparté. A chaque fois que je pense mettre des limites sur vos compétences, vous revenez à la charge juste pour me contredire. Je vous savais dissimulateur, bourreau, apaisant les tensions, discoureur, idéaliste, et maintenant voilà que j'apprends que vous êtes également soldat dans l'âme. Notre petite compagnie ne tarit apparemment pas d'éloges sur vous. Bien que Josh soit toujours porté manquant. Vous m'exaspérez le plus souvent, mais je dois dire que vous avez eu une excellente idée. Il est juste dommage d'avoir perdu un homme dans l'affaire, et quelques blessés sans gravité qui sont déjà entre les mains expertes de notre infirmière.
- Je vous demande pardon, colonel ? fit Ash, qui avait peur qu'il ne parte dans le mauvais sens. Une excellente idée ? J'ai fait ce que tout...
- Allons, ne soyez pas modeste. Il fallait avoir du cran. Je ne sais à quoi vous pensiez. Je parle bien entendu de cette brèche que vous avez faite dans la muraille. Un peu osé. Vous auriez pu m'en parler auparavant. Je pourrai me débrouiller pour cacher aux citoyens les détails, et nous aurons ainsi tout le bénéfice d'une action d'éclat. Le brasier qui va être mis en place sera une preuve suffisante, en plus de votre témoignage qui sera très bien monté, j'imagine. Beau travail. "
Twilight se laissa aller à une petite pique d'angoisse.
" Colonel, il y a un problème.
- Quoi donc ? Je trouve que c'est parfait comme ça. C'est juste ce qu'il fallait pour redorer notre blason. Je commence à pleinement apprécier vos méthodes, même si vous auriez pu en faire sorte que nous puissions intervenir plus rapidement.
- C'est que, Colonel, j'allais justement vous féliciter d'avoir organisé ça vous-même."
Maverick le regarda sans comprendre sur le coup. Puis il réalisa l'implication simple et monstrueuse de la chose.
" Je n'y suis absolument pour rien, affirma-t-il, et Ash le croyait sans peine.
- Nous nous sommes fourvoyés tous les deux. Maintenant..."
Il laissa sa phrase en suspens. L'autre hocha sombrement la tête. Il ne voyait pas de raison pour lui de cacher qu'il était l'auteur de cette faille, s'il disait ne pas l'être, il ne mentait alors pas. Il reprit rapidement contenance.
" Alors je vous charge de trouver rapidement qui a fait ça, professeur. C'est bien dans vos cordes, non ? Enquêter. Cela n'enlèvera en rien notre bénéfice dans l'affaire. Mieux, lorsque nous aurons neutralisé celui ou ceux qui sont à l'origine de la brèche dans nos défenses, notre image remontra encore dans l'estime des citoyens.
- C'est plus compliqué que ça, colonel, contra Ash en s'efforçant de garder sa patience intacte. Sans discuter de l'efficacité de vos sentinelles, j'ai bien examiné la faille en question. La façon dont elle a été faite montre qu'elle n'a pu l'être que depuis l'extérieur. Idem pour le pont primitif. Celui qui a fait ça agit de dehors. Et, d'une façon ou d'une autre, il ne craint pas la Horde.
- Vous réalisez ce que vous dites ? fit in petto le maître de Camp Darwin. C'est délirant. Personne ne peut survivre au désert la nuit. La Horde vient toujours réclamer des victimes. Toujours.
- Cela vous paraît délirant parce que vous avez peur d'un ennemi inconnu, corrigea sèchement le psychologue. N'allez pas me mettre des entraves avec des raisonnements simplistes. Il faut accepter les faits. Les zombies se sont retirés sans aucune raison apparente. Ils ne sont pas intelligents par eux-mêmes, ils n'auraient jamais stoppé l'attaque seuls. La conclusion que je peux en tirer est qu'il y a quelqu'un ou quelque chose dehors qui a un certain contrôle sur eux, et qui ne veut pas nous voir survivre plus longtemps. Et sûrement lui qui a laissé ce sympathique message sur le corps de Jones. Non, pas la peine de me rétorquer que ça paraît incroyable. Vous avez déjà lu les aventures de Sherlock Holmes ?
- Qu'est-ce que cette question stupide ? Vous croyez vraiment que je prenais du bon temps à lire ce genre de choses pour le grand public ?
- Je ne sais pas si vous étiez un lecteur tout court, répondit effrontément son complice officieux. On retient souvent une citation du célèbre détective fictif : " Quand on a éliminé l'impossible, ce qui reste, aussi improbable que cela puisse paraître, est forcément la vérité ". Il est a priori impossible que ça vienne de l'intérieur. Vous savez ce que cela implique si cela vient de l'extérieur, la brèche a été faite juste au dernier moment pour laisser passer la Horde. Un délai trop juste pour trouver un abri aux monstres au dehors. Et même si c'était le cas, il y a bien quelque chose qui a agi pour qu'ils battent en retraite. Ou préférez-vous considérer l'hypothèse selon laquelle ils ont évolués tout à coup, sont devenus capable d'élaborer une stratégie, de l'appliquer sans fausse note, et de fuir lorsque le rapport de force n'est plus en leur faveur ?
- Je préfère ne rien considérer du tout dans ce genre. C'est à vous de penser à ce genre de choses. Faites comme vous voulez, trouvez une explication. Je donnerai une autre version de ce qui s'est passé, et vous pourrez compter sur le silence de mes hommes pendant toute votre 'investigation'. N'oubliez pas une chose, c'est que je ne vous ferai jamais totalement confiance. Encore moins en découvrant presque chaque jour de nouveaux éléments insolites sur vous, en si peu de temps. Si jamais je découvre que vous avez un lien avec cette nouvelle menace extérieure, vous pourrez numéroter vos abattis. A moins que ce soit le cas ET qu'ils ne soient pas contents de vous, d'où le message sanglant ?
- Parfait, le complimenta-t-il sans relever. Faire comme je veux ? Puissant colonel, me donnez-vous l'autorisation d'aller avec vos hommes patrouiller dans le camp pour tirer au clair l'éventuelle présence d'autres intrus passés au travers des mailles du filet ?
- Si ça vous chante, maugréa Maverick. Vous venez de transformer en nouveau cauchemar une issue bienheureuse. Disparaissez de mon champ de vision."
Il se le fit pas dire deux fois, restant sourd à son annonce au mégaphone indiquant que la menace avait été éradiquée, qu'on allait monter un bûcher pour s'occuper sainement des corps et qu'il n'y avait qu'une seule victime à déplorer, ainsi que le départ de patrouilles pour sécuriser, le cas échéant, le reste du Camp.
Il alla s'enquérir de Pauline. Miles lui apprit qu'elle n'avait pas tenu en place et que malgré tous les efforts de l'équipe, elle avait réussi à obtenir l'autorisation de revenir dans son taudis en gardant une arme sur elle, "parce que les rues ne sont pas très sûres quand même", et "qu'elle avait du ménage à faire et qu'elle n'allait pas attendre le grand dadais blond pour s'y mettre". Il sourit à cela. Ce brin de jeune femme avait une réelle force de caractère quand elle voulait s'y mettre. Il intégra ensuite une des minis escouades chargées de pacifier les possibles zombies restant dans la ville. Ils restaient prudents, mais bien plus détendus après cette décharge de balle, de sang pourri et de violence concentrée. Après un délai qu'il jugea suffisant, il se désolidarisa du groupe, prétendant rentrer chez lui. On le salua avec chaleur, ils avaient marché longtemps en croisant une autre patrouille sans voir l'ombre d'un putride, ni retrouver signe de Josh, d'ailleurs, dont le corps ne reposait en tout cas dans nul endroit visible en-dehors des bâtiments.
Il ne rentrait pas directement, bien sûr. Il avait une occasion rêver d'effectuer une action capitale, et qui s'accorderait parfaitement avec le nouveau problème qui se présentait à lui. Souvenir du passé... Cela sonnait une alarme dans son cerveau, sans en discerner l'origine. Juste un danger sérieux.
Très rapidement après la fin de la boucherie, il s'était senti de plus en plus fatigué. Quelque chose de plus intense qu'une simple déperdition d'énergie, normale après un tel affrontement. Il devait se dépêcher de faire son œuvre.
Ce fut difficile, et il craignit plusieurs fois de se faire entendre. Épuisé à l'extrême, il s'endormit sans sommation en s'écroulant sur le lit rudimentaire, réveillant Pauline qui elle, n'osa pas lui demander ce qu'il était parti faire. Il sentait drôle, sûrement encore à cause du jus de zombie qui avait imbibé une partie de ses vêtements. Elle crut l'entendre marmonner " Faut nourrir la Bête, part'naire", avant de sombrer elle aussi dans les douces limbes du sommeil.
Le lendemain, un cri résonna à nouveau dans Camp Darwin en guise de réveil-matin. Le cri strident, à plein volume, d'une petite fille, Anna. Elle jouait à cache-cache de bonne heure avec le reste de la marmaille, et s'était enquise de ce cul-de-sac. Elle il y avait trouvé quelqu'un qui faisait semble d'être mort. Elle s'était approchée pour lui dire que ça ne prenait pas avec elle et qu'elle s'était fait découvrir. Mais il y avait quelques petits problèmes. Ses pieds pataugeaient dans du sang en train de sécher, et la fille se trouva être une femme, une adulte.
Et puis, elle ne pouvait pas l'entendre : ses oreilles avaient été arrachées.
De toute manière, sans compter la perte de sang fatale, vous conviendrez qu'il est difficile de rester en vie lorsque l'intérieur du ventre vous a été arraché, n'est-ce pas ?

 

Loin d’ici

 

« Faites-le entrer ».

Voix presque cordiale. Moonlight tolérait l’échec : il aurai été stupide de régner par la terreur avec seulement des renforts négatifs. La carotte vaut mieux que le bâton à répétition. Toutefois, il n’y avait pas matière à être particulièrement radieux ce jour-là. L’équipe qu’il avait envoyé inspecter le centre en question était rentrée de son investigation.

Seul problème : il ne restait plus qu’une seule personne vivante de l’équipe des forces spéciales. C’était le dénommé Hunk, qui pénétra dans son bureau. Il portait encore les stigmates de combats épouvantables, et il n’avait réussi à se replier qu’au prix d’une blessure profonde à l’aine, qui cicatrisait plus rapidement grâce à l’une des trouvailles du Programme.

Moonlight appréciait assez Hunk. Il avait une mauvaise réputation : celle d’être toujours le dernier survivant. Mais Moonlight se fichait bien des superstitions, il lui importait bien plus d’avoir un soldat de cette trempe. Encore plus quand il s’agissait du seul témoin d’une affaire sensible.

D’un geste rapide, il l’invita à s’asseoir devant son bureau. Hunk s’installa en grimaçant de douleur, et essaya de se tenir aussi martialement que possible.

Moonlight croisa les mains sous son menton et scruta attentivement le visage du soldat.

« Vous êtes décidément très fort, Hunk. Encore une survie à porter à votre actif, dans des conditions encore inconnues. Je crois que je vais vous mettre en tête de liste pour vous faire profiter des avantages que le Programme va bientôt finaliser.

- Merci, Triarque, répondit Hunk en dissimulant le plus son avidité.

- Cette heureuse perspective attendra cependant votre récit, que j’ai attendu avec impatience depuis que vous êtes revenu ici. Comment se fait-il qu’un commando de nos hommes les plus expérimentés se soit fait décimer presque entièrement en allant enquêter dans un bâtiment au mieux vide, moyennement moins bien rempli de traîtres, au pire envahi de quelques zombies qui ne font pas le poids face à notre armement ?

- Dois-je tout vous dire en détail ? Monsieur.

- La narration de morts horribles ne me met pas en appétit à cette heure-ci, Hunk. Allez à l’essentiel sans omettre aucun élément important.

- Bien, Monsieur. Comme ordonné, notre équipe de douze hommes s’est rendu à la destination convenue pour procéder à une vérification générale de l’état des lieux. Nous avons tenté, sans succès, de contacter plusieurs fois le centre. Il n’y avait même pas de grésillements, juste une absence de réponse de leur part. Nous avons augmenté le niveau d’alerte de l’opération, puis nous avons atterri près de la porte principale qui menait au complexe souterrain. La partie en surface de la structure avait été presque entièrement recouverte de sable, sûrement une tempête.

Nous avons du forcer l’entrée…

- Pourquoi cela ?

- Les codes d’accès avaient été modifiés. Après avoir fait exploser la porte blindée, nous sommes descendus à l’intérieur du complexe. Tout paraissait fonctionnel. Le bruit de l’explosion n’avait attiré personne. Nous nous  sommes séparés en trois équipes pour passer le secteur au peigne fin. Il n’y avait aucun bruit, sauf celui de l’aération et du recycleur d’air. Les bureaux étaient déserts, les quartiers d’habitations aussi. La poussière s’accumulait lentement. Grâce au plan du complexe qui nous été fourni, nous sommes directement allé jusqu’au bureau de Rockwell.

- Vide, fit Moonlight en décroisant les doigts.

- Oui, Monsieur. La pièce avait été fouillée et des documents devaient manquer. Nous avons poussé plus loin notre inspection. Tout était calme et vide, mort. Le matériel semblait juste laissé à l’abandon, il n’y avait aucun dégât, ni aucune trace de passage d’infestés.

- Et ensuite ? Vous n’allez pas me dire qu’ils sont tous partis faire un petit pique-nique dans le désert sans jamais en revenir, laissant un centre fantôme derrière eux ?

- Non, Monsieur. Nous avons rehaussé le niveau d’alerte lorsque Erich et ses trois hommes ont fait une découverte dans un des laboratoires. »

Hunk secoua la tête, celle-ci animée de tics à l’évocation de ce souvenir.

« Oui ? l’encouragea Moonlight.

- Une partie du staff, ou du moins ce qu’il en restait. On sentait la voix d’Erich qui tremblait, Monsieur, et pourtant vous savez que ce n’est pas quelqu’un qui la sensibilité à fleur de peau. Il a décrit aussi rapidement que possible l’état dans lequel il avait trouvé les cadavres. Ils semblaient tous avoir subi un sort spécial. Certains étaient pendus par leur ceinture, d’autres en plusieurs morceaux, certains corps mélangés, des morts éventrés, dont on avait arraché les entrailles pour les suspendre un peu partout. Du sang, dans tous les coins, des inscriptions dans une langue inconnue sur les murs avec le sang.  Des yeux qui traînaient dans des bocaux d’eau. Quelques-uns avaient eu le crâne perforé par quelque chose de très lourd. »

Le Triarque ne cilla pas. Au contraire, cette courte description ne faisait qu’aiguiser sa curiosité.

« Ils étaient tous là ?

- Non, Monsieur. Bien que la plupart des corps n’étaient plus très identifiables, la liste que vous nous avez donnée nous a permis de faire le compte approximatif, comme pour plusieurs cadavres on ne pouvait pas vraiment déterminer s’ils étaient une seule ou plusieurs personnes. Ma sous-division a trouvé une grande partie du personnel, isolée dans une pièce qui devait servir à des essais cliniques et pour l’isolation. Ils étaient tous morts, sans exceptions. J’ai reconnu les effets d’un gaz de combat qui a été développé par l’O-3 récemment.

- De toute évidence, il s’agit de l’œuvre de quelqu’un qui faisait partie du personnel, peut-être l’action d’un espion mais j’en doute. Une traîtrise en interne… Toute cette sauvagerie est surprenante. Vous n’avez remarqué aucun autre saccage, aucun vol particulier, perte de données sensibles ?

- Nous n’avons pas eu le temps de vérifier à fond. Après avoir découvert le second site mortel, nous avons perdu le contact avec la troisième partie de l’équipe. Ils avaient annoncé avoir déniché une faille suspecte dans un mur, et des débris organiques susceptions. Quelques secondes plus tard, le souffle d’une explosion, puis plus rien.

- De mieux en mieux. Vous n’avez trouvé aucun survivant, je suppose ?

- Erich a mis sur la main sur un laborantin qui ne savait plus son nom. Il leur a parlé d’une bête aux yeux jaunes, et d’une autre aux yeux rouges. Il avait perdu la raison. Lorsqu’ils ont essayé de le ramener avec eux pour l’interroger dans un endroit sécurisé, il a pris la fuite. Ils sont partis à sa poursuite et l’ont retrouvé, mais sans sa tête. »

Moonlight haussa les sourcils. Il commençait à deviner ce qui s’était passé.

« Je suppose que la sous-équipe d’Ercih a connu un sort similaire peu après ?

- C’est cela, selon toute vraisemblance. Dès la confirmation de la mort du survivant, nous sommes passé en alerte maximale. Nous étions censés récupérer tout ce qui pouvait donner des indices sur la situation passée et nous regrouper avant de rejoindre le point d’extraction. Ils nous avaient paru plus important de mettre fin à la mission plutôt que de risquer la vie des membres restants.

- Ne me lancez pas ces yeux-là, je comprend très bien votre décision. Je n’aurai pas agi autrement. Quatre hommes perdus dans une explosion mystérieuse et quelque chose dans les parages pour vous décrocher la tête, c’est une raison suffisante pour abandonner. Vous ne vous êtes jamais regroupé ?

- Presque, Monsieur. Toute communication avec Erich a été interrompue après la décision de regroupement. On pouvait entendre un son de fuite avant que leur équipement de transmission ne soit détruit d’une façon ou d’une autre. Il est le seul à être arrivé à l’endroit convenu. Le côté gauche de son torse avait été labouré et il lui manquait plusieurs doigts. Il a du rencontrer la vraie terreur pour crier comme il l’a fait. Il hurlait de fuir à tout prix et qu’il était poursuivi par le Diable en personne. J’avoue être resté saisi pendant un petit moment. Erich avait toujours eu des nerfs d’acier.

- Et ensuite ?

- La chose dont il avait si peur nous a rattrapé et lui perforé la poitrine avec son bras. Elle était si rapide que je n’ai pas eu bien le temps de voir de quoi il s’agissait. J’ai ordonné la retraite immédiate. Mon instinct m’a soufflé que nous n’avions aucune chance contre cet ennemi inconnu. Les autres ont tiré sur lui, mais j’ai couru sans attendre le résultat.

Ils m’ont suivi avez retard. J’entendais d’autres déflagrations, avant de me rendre compte qu’ils avaient tous les trois été tués en cours de route. J’ai dégoupillé toutes les grenades que j’avais derrière moi, en plusieurs fois, sans regarder le résultat. J’ai réussi à sortir du complexe et aller jusqu’au transport. Le pilote a eu assez de réflexes pour décoller immédiatement. »

Moonlight se rencogna dans son fauteuil et regarda pensivement Hunk. Vu la tournure des événements, il ne pouvait pas le blâmer. Il était mieux qu’il fut là pour lui raconter ceci, en privé. Les ramifications de cette catastrophe le concernait au premier plan, tant Preacher qu’Ifness n’avaient rien à apprendre là-dessus. Il y veillerait personnellement. Bien sûr, il y avait toujours le risque que Hunk se mette à parler s’il leur mettait le grappin dessus… Ce serait dommage de perdre un si bon élément, qui bravait la mort effrontément. Il allait plutôt l’intégrer à un cercle très restreint, dans lequel il serait à l’abri des curiosités.

« Fort bien, Hunk, déclara-t-il finalement, mettant fin à l’attente anxieuse du seul rescapé. Même vous devez encore être dans un certain état de choc. Vous avez fait le maximum selon ce que vous m’avez dit. Je vais prendre la suite de l’affaire, vous feriez mieux de tout oublier ce propos pour ne pas vous encombrer l’esprit.

- Bien sûr, Monsieur, répondit Hunk en voyant très bien la menace sous-jacente.

- Vous allez donc prendre un peu de repos loin des turpitudes de ce monde. Vous pouvez disposer. En sortant, allez voir le docteur Nova de ma part en lui disant de vous administrer une cure de remise en forme. Il comprendra. »

Hunk se leva, salua, allait partir, puis, se ravisant :

« J’allais presque oublier. Je crois que ceci vous était destiné, Triarque. Cela se trouvait près du corps d’un de ces malheureux. »

Il déposa sur le bureau une enveloppe rouge, puis sortit en refermant doucement la porte. Moonlight passa sa chevalière au-dessus de l’enveloppe comme si elle faisait office de scanner.

Pas de piège, pas de poison.

Il l’ouvrit, en sortant une lettre, qu’il lut sans attendre.

 

« Lorsque vous aurez trouvé cela, je serai déjà loin, même avec votre rapidité d’action. Vous noterez le soin que j’ai mis à ne pas détériorer les installations, qui étaient hors de cause dans l’affaire qui m’occupait. Cependant, toute la composante humaine, à quelques exceptions près, n’était qu’un nid mal garni. Je me suis permit de nettoyer tout cela.

Je pense que vous ne regretterez particulièrement pas la disparition du général Théodore Rockwell. Parmi les documents que j’ai conservé en guise de souvenir figure la preuve que le bon général essayait de vous doubler et d’entraîner les autres avec lui dans sa chute.

J’ai remédié à cela. Je n’attends aucune récompense de votre part, seulement un peu de paix. Je suis certain que vous ferez bon usage de mes travaux, bien que cela ne me préoccupe plus autant qu’avant.

Choisissez mieux vos collaborateurs, la prochaine fois. »

Moonlight rit doucement. Quel effronté !

Mystie sortit de son coin d’ombre, saisit l’enveloppe et la secoua. Un petit feuillet en tomba, que le membre du Triumvirat saisit au vol. L’écriture était rouge vif.

« Si non confectus, non reficiat. »

Tout marche si on laisse faire. En dessous de cette brève citation latine, un drôle de symbole : un œil ésotérique, avec trois pointes sous lui et quatre au-dessous.

« Nous savons de qui est ce mot… Mais pour l’autre ? » s’interrogea sa garde du corps personnel. 

Sans mot dire, il ouvrit un tiroir et en extirpa une photographie qui aurait pu représenter son propre visage.

« Je ne crois pas qu’il y ai matière à faire grand mystère là-dessus. L’oiseau s’est envolé du nid en cassant tous les œufs derrière lui. Quant à la bête qui a si salement massacré presque toute l’équipe de Hunk, il doit simplement s’agir de Légions. Nous le saurons bien assez tôt, et il l’apprendra peut-être encore plus vite que nous. »

Un kunaï se ficha dans la tête de la photo.

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