Le Prix à payer - Highlander Fanfiction

Chapitre 1 : Les Hasards de la Nuit

12364 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 5 mois

Paris – Février 2019

 

Darius effleura la couverture du livre que son ami venait de poser devant lui. Du cuir patiné, une reliure ancienne, et ce parfum si particulier des ouvrages ayant traversé les siècles. Il baissa les yeux et reconnut immédiatement le titre.

Les Confessions, murmura-t-il avec un sourire discret. Je ne savais pas que tu gardais ce genre de relique.

— Disons que j’ai mes propres façons d’archiver le passé, répondit Methos en haussant légèrement les épaules, sa tasse d’infusion entre les mains.

Il caressa du bout des doigts les marges jaunies, savourant ce contact familier. Il ouvrit l’ouvrage avec précaution, faisant glisser les pages entre ses doigts, comme s’il réveillait un souvenir enfoui.

— Je me suis dit que celui-ci te rappellerait quelques discussions d’un autre siècle, lança Methos d’un ton légèrement taquin.

Le prêtre haussa un sourcil avant de refermer doucement le livre.

— Tu as toujours eu un goût étrange pour réveiller les fantômes du passé.

— Et toi, tu as toujours eu un goût étrange pour les vénérer.

Darius esquissa un sourire, mais son regard trahissait une lassitude profonde.

— Le XXIe siècle n’a pas tant changé les hommes, souffla-t-il. Ils cherchent toujours des réponses aux mêmes questions.

— Nous aussi, d’ailleurs, répliqua Methos.

— La vraie question, ce n’est pas ce que nous ignorons, mais ce que nous choisissons de retenir.

— Ah. La mémoire sélective. Tu crois encore qu’il y a un mérite à se souvenir de tout ?

— Pas de tout. Mais de certaines choses, oui.

Methos fit tourner la tasse entre ses mains avant de hausser légèrement les épaules.

— Peut-être. Ou peut-être que tu es juste un vieux nostalgique qui n’a jamais su se détacher de son passé.

Darius ne répondit pas. Ce jeu, ils le jouaient depuis des siècles. Et malgré tout, ils continuaient à se retrouver ici, à échanger ces mots qui n’étaient ni des certitudes ni des absolus. Juste une manière de se rappeler qu’ils existaient encore.




La pendule de l’agence affichait 18h36. Aélis referma son carnet avec un soupir théâtral, laissant tomber son stylo sur le bureau comme s’il pesait une tonne. Traduire des contrats de fusion d’entreprise n’avait jamais été son rêve d’enfant, et pourtant, la vie l’avait menée là. Au moins, elle maîtrisait désormais l’art subtil de la « clause de résiliation anticipée » et de la « non-opposabilité des créances ». Parfait pour briller en soirée… à condition d’être entourée d’avocats insomniaques.

Elle massa brièvement ses tempes, les yeux piquants après des heures passées à jongler entre le jargon juridique et un café tiède oublié sur son bureau. Elle savait que Noé l’attendrait devant chez elle, fidèle à leur rituel du soir. D’un geste automatique, elle attrapa son téléphone et tapa un message :

"Je ne vais pas tarder, à tout à l’heure."

Puis, avec un soupir résigné, elle enfila son manteau et se prépara à affronter le froid parisien.

 

Dehors, l’hiver étendait son manteau glacé sur la ville. La jeune femme ressentit l’envie de marcher un peu, de se perdre dans le tumulte silencieux des rues. Elle aimait cette solitude feutrée qu’elle trouvait au milieu des passants pressés, cette impression d’être invisible et en sécurité dans la masse.

Son trajet habituel, du Marais jusqu’à Montparnasse, faisait moins d’une heure de marche. Elle savait qu’elle arriverait à l’heure, même en rentrant à pied. Le métro lui sembla moins attirant qu’une promenade à travers la ville, alors elle resserra son écharpe, enfonça ses mains dans les poches de son manteau et s’engagea sur le Pont Notre-Dame. La lumière des réverbères, douce et diffuse, éclairait ses longs cheveux ondulés, qui s’échappaient de son écharpe et dansaient doucement au gré du vent.

Arrivée sur l’île de la Cité, elle ralentit en apercevant la cathédrale. La toiture, en pleine rénovation, était illuminée par de puissants projecteurs, projetant des ombres imposantes sur les pierres séculaires. Le spectacle avait quelque chose de solennel, presque intemporel. Elle resta là un instant, les mains enfoncées dans les poches de son manteau, avant de reprendre sa marche, bifurquant sans trop y réfléchir le long des quais. C’est alors qu’elle se retrouva face à une petite église qu’elle n’avait jamais remarquée : Saint-Julien-le-Pauvre. Elle s’arrêta, indécise, observant l’édifice comme on jauge un inconnu qui vient de nous adresser la parole.

La porte s’ouvrit soudain, laissant échapper un souffle de lumière et de chants liturgiques. L’air glacé de la rue se mêla à la chaleur tamisée de l’intérieur, et Aélis, prise d’une impulsion inexplicable, fit un pas en avant. Sans trop comprendre pourquoi, elle franchit le seuil.

À l’intérieur, quelques silhouettes étaient assises en silence, tandis qu’un petit chœur répétait un cantique. La musique flottait dans l’air, apaisante, presque irréelle. Elle prit place discrètement sur une chaise en bois, ses doigts gelés retrouvant un semblant de chaleur. Elle observa les voûtes de pierre qui amplifiaient chaque note, se laissa bercer par l’harmonie des voix. C’est joli, admit-elle intérieurement. Bon, ça ne va pas me faire croire en Dieu, mais niveau ambiance, c’est pas mal. Les yeux fermés, elle s’abandonna un instant à la mélodie, jusqu’à ce que le chant s’éteigne.

Alors qu’elle observait les chanteurs qui rangeaient leurs affaires, un prêtre s’avança vers eux. Il avait la quarantaine, les cheveux châtains, et une présence qui émanait à la fois de douceur et de gravité. Il s’arrêta, juste un instant, en apercevant la jeune femme. Ce fut à peine perceptible, une fraction de seconde où son regard trahit une émotion fugace—un trouble, une hésitation. Puis, presque aussitôt, son expression redevint paisible, comme si rien ne s’était produit. Elle ne nota rien d’anormal, mais Darius, lui, resta silencieux un instant de plus avant de détourner les yeux, son esprit frôlé par une sensation familière qu’il n’osait encore nommer.

— Merci pour ce soir, dit-il à l’intention des chanteurs. Je vous vois dimanche à l’office ?

Après quelques salutations, les choristes quittèrent l’église, laissant Aélis et le prêtre presque seuls, hormis quelques fidèles en prière.

Il s’approcha alors d’elle, son regard toujours empreint d’une curiosité teintée de trouble.

— Bonsoir mon enfant, dit-il doucement. Je ne crois pas t’avoir déjà vue ici. Puis-je t’aider ?

Elle se leva, son regard accroché au sien. Il dégageait une étrange sérénité, mais aussi quelque chose d’indéfinissable.

— Oh, non, merci. Je suis simplement entrée par hasard. C’était très beau… les chants.

Un sourire énigmatique éclaira le visage de Darius.

— Si cela t’a plu, ils répètent les mardis et jeudis soirs. Tu es toujours la bienvenue, peu importe les circonstances.

— Je… Je ne sais pas, murmura-t-elle. Je ne suis pas croyante.

Il marqua une pause, inclinant légèrement la tête comme s’il réfléchissait à la meilleure réponse. Puis, avec une sincérité désarmante, il déclara :

— Moi non plus…

Aélis leva brusquement les yeux, son expression oscillant entre surprise et incrédulité.

— Un prêtre qui ne croit pas en Dieu ? C’est un concept expérimental ?

Darius laissa échapper un rire léger.

— Je crois que la foi est un chemin plus qu’une destination. Je suis ici pour guider ceux qui en ont besoin. Peu importe mes propres croyances, c’est ma vocation.

Elle l’observa un instant, l’air à la fois intrigué et amusé.

— C’est rassurant, en fait. Moi qui pensais que mettre les pieds ici sans conviction était déjà une hérésie…

— Disons que je préfère les esprits curieux aux âmes résignées, répondit-il avec un sourire énigmatique.

Un silence s’installa, léger. Finalement, il tendit la main vers elle.

— Je m’appelle Darius.

— Aélis, répondit-elle en serrant sa main avec une pointe de curiosité.

Darius sembla hésiter une fraction de seconde, puis posa sa main gauche par-dessus leur empoignade.

— J’ai toujours cru que les rencontres n’étaient jamais le fruit du hasard. Peut-être que nos chemins se croiseront à nouveau.

La jeune femme soutint son regard, et acquiesça doucement.

— Peut-être…

Puis elle se détourna, sortant de l’église avec une étrange sensation au creux du ventre. Darius, quant à lui, resta immobile, fixant la porte close. Il le savait. Cette rencontre n’était pas anodine.




Lorsqu’elle arriva enfin devant chez elle, Aélis repéra Noé appuyé contre le mur, les mains enfoncées dans les poches de son manteau. Il souffla dans ses paumes pour se réchauffer avant de lever les yeux vers elle.

— Vingt minutes à me geler dehors… Tu sais, je crois que je mérite au moins un chocolat chaud en compensation.

Elle esquissa un sourire et se pencha pour l’embrasser rapidement, son nez encore glacé par l’air nocturne.

— Désolée, j’ai pris un détour. J’ai... fait un arrêt dans une église.

Noé recula légèrement, ouvrant les yeux comme si elle venait de lui annoncer qu’elle songeait à devenir nonne.

— Toi ? Dans une église ?

— Je sais… C’est inattendu, hein ? Moi aussi, j’essaie encore de comprendre ce qui s’est passé.

— Et tu en es ressortie indemne ? Pas d’illumination divine ? Pas d’appel mystique à tout plaquer pour aller prêcher dans le désert ?

— Non, rassure-toi. Juste une soudaine appréciation pour les chants liturgiques… et pour le chauffage intérieur, plaisanta-t-elle en resserrant son écharpe.

Il soupira avant de secouer la tête avec un sourire en coin.

— Tant que tu ne t’inscris pas à un ordre monastique, ça me va.

Elle rit doucement et glissa sa main dans la sienne, savourant sa chaleur.

— Viens, on va dîner avant que tu ne commences à t’inquiéter pour mon âme.

Noé leva les yeux au ciel, faussement dramatique, avant de lui emboîter le pas.




Methos referma la porte de son appartement avec un soupir las. La soirée avait été longue, mais ce n’était pas l’effort physique ou la fatigue qui pesaient sur lui. C’était ce sentiment lancinant d’inquiétude et d’insatisfaction qu’il n’avait pas su ignorer depuis plusieurs jours.

Il alluma une lampe sur pied, diffusant une lumière douce et tamisée dans la pièce. Son appartement était sobrement meublé, mais un œil attentif aurait remarqué la richesse des éléments qu’il conservait : des livres anciens en cuir patiné, des rouleaux d’archives, et quelques souvenirs rapportés de ses voyages à travers les siècles. Pour Methos, ces objets étaient des ancres, des fragments de mémoire qu’il choisissait de retenir.

Il se dirigea vers un petit coffre en bois qu’il n’avait pas ouvert depuis longtemps. Assis en tailleur devant la malle, il souleva le couvercle, et l’odeur légèrement musquée du bois ancien s’échappa dans l’air. Des journaux intimes, des parchemins, des lettres écrites avec des encres effacées… mais son regard se fixa sur une petite boîte noire au fond, qu’il extrayait rarement. Il l’ouvrit avec une lenteur presque rituelle. A l’intérieur, une photo en noir et blanc, légèrement jaunie par le temps. Il la prit entre ses doigts avec une infinie douceur.

Alexa. Son visage souriant, radieux, débordant de vie. La photo avait été prise sur l’île de Santorin, où elle avait trouvé un bonheur inattendu lors de leur voyage ensemble. La mer d’un bleu profond en arrière-plan contrastait avec les bâtiments blancs aux coupoles bleues si emblématiques de l’île.

Il se souvenait du vent qui soufflait ce jour-là, soulevant ses cheveux, et du son de son rire, clair et insouciant. Ce moment précis était gravé en lui : ils avaient parlé de projets impossibles, de rêves éphémères, et de la façon dont ils voulaient que chaque instant compte. C’était juste avant que sa santé ne se dégrade, avant qu’ils n’arrivent à Genève pour affronter l’inévitable. Il se souvenait encore des derniers instants. Le parfum de la myrrhe qu’il avait utilisé pour l’oindre, les mains d’Alexa, si fragiles, serrant encore les siennes. Son regard avait été clair jusqu’à la fin, plein d’un amour silencieux et accepté.

Methos déglutit difficilement. Il avait toujours su que l’immortalité était une malédiction, mais avec Alexa, il l’avait ressenti avec une acuité brutale. Leur temps ensemble avait été si court, et pourtant il avait pesé sur lui plus lourdement que des siècles de batailles.

Il reposa la photo sur ses genoux et passa une main dans ses cheveux. La relation qu’il avait aujourd’hui avec Elise lui semblait soudain absurde. Elle voulait tout contrôler : chaque sortie, chaque absence, chaque mot qu’il prononçait. Elle exigeait des certitudes qu’il ne pouvait donner. Avec Alexa, il n’y avait eu ni promesse ni attente : juste une volonté commune de vivre, pleinement, jusqu’à la fin. Cette absence de pression avait permis à leur amour d’être pur, sans compromis.

Il se leva lentement et rangea la photo dans sa boîte, qu’il remit dans le coffre. Les souvenirs étaient lourds, mais ils ne lui faisaient plus aussi mal qu’avant. C’était un rappel silencieux de ce qu’il ne voulait plus vivre : s’enfermer dans une relation où il étouffait.

— Demain, je mettrai fin à tout ça, murmura-t-il pour lui-même. Il ne pouvait plus continuer à se mentir.

Il referma le coffre et souffla lentement, ses yeux verts fixés sur un point invisible dans la pièce. Le passé était inaltérable, mais le futur, lui, pouvait encore être choisi. Et Methos savait qu’il choisirait toujours la liberté, même si cela signifiait être seul une fois de plus.



 

La semaine touchait à sa fin, et les interrogations d’Aélis au sujet de Darius ne faisaient que grandir. Pourquoi lui avait-il avoué son absence de foi alors que sa fonction dépendait entièrement de cette croyance ? Pourquoi avait-il ressenti le besoin de partager une telle confidence dès leur première rencontre ? Et en quoi croyait-il, s’il croyait seulement en quelque chose ?

Ces questions la troublaient, et plus elle tentait de les ignorer, plus elles revenaient hanter son esprit au moment où elle s’y attendait le moins. Ce n’était pas comme si elle avait l’habitude de se poser des dilemmes religieux en préparant son café du matin. Sa raison lui soufflait d’oublier, de passer à autre chose, mais sa curiosité prenait le dessus. Elle voulait comprendre. Comprendre ce prêtre singulier et les raisons qui l’avaient poussée, elle, à entrer dans cette église.

Sur un coup de tête, elle décida d’assister à l’office du dimanche. L’idée n’était pas totalement absurde—après tout, elle avait bien survécu à son premier passage sans être foudroyée sur place. Observer Darius dans son rôle de prêtre pourrait lui donner des indices sur cette étrange contradiction qui l’intriguait.

 

Elle pénétra dans l’église à onze heures précises, juste avant le début de la messe. Le prêtre se trouvait déjà devant l’autel. Lorsqu’elle franchit la porte, il leva les yeux comme s’il avait perçu sa présence malgré le brouhaha ambiant. Un instant, il sembla surpris, mais il se reprit rapidement et fit signe à la chorale d’entonner un premier chant.

Tandis que l’office débutait, Aélis choisit une place à l’arrière, dans une section désertée par les fidèles, qui préféraient se rapprocher de l’autel. Elle se contenta de suivre les mouvements de l’assemblée, se levant et s’asseyant en même temps qu’eux, mais sans participer aux chants ni aux prières. Elle observa Darius avec attention, cherchant un indice, une faille dans son discours qui lui révélerait la contradiction entre son rôle et son absence de foi. Pourtant, il semblait habité par ce qu’il disait, non pas comme un homme convaincu, mais comme quelqu’un qui connaissait parfaitement le poids des mots qu’il prononçait.

 

Une fois la messe terminée, elle attendit patiemment que la foule ait quitté l’église avant de s’avancer vers le prêtre, qui rangeait les objets liturgiques. Sans s’interrompre, il tourna légèrement la tête vers elle, un sourire aux lèvres.

— Bonjour, Aélis ! lança-t-il. Je ne m’attendais pas à te voir aujourd’hui. Es-tu venue pour te convertir ou simplement pour écouter la parole du Seigneur ? plaisanta-t-il.

Elle prit quelques secondes pour réfléchir, croisant les bras avec un sourire en coin.

— J’étais curieuse de voir comment un prêtre athée menait un office.

Il hocha la tête, un air amusé dans le regard.

— Tu as un peu de temps ? demanda-t-il.

Elle acquiesça, haussant légèrement les épaules.

— Laisse-moi deux minutes pour terminer ici, ajouta-t-il en rangeant les derniers objets, puis je serai tout à toi. J’ai d’ailleurs quelque chose pour toi.

 

Intriguée, elle le suivit jusqu’à son logement, attenant à l’église. La pièce unique était modeste et fonctionnelle, combinant chambre, bureau, coin salon et cuisine rudimentaire. Un vieux poêle trônait dans un coin, une grande bibliothèque débordait de livres anciens, et un échiquier entamé attirait l’œil sur une petite table. Aélis balaya la pièce du regard, partagée entre la surprise et une certaine résignation amusée. Évidemment. Une chambre de moine, un poêle antique et des bouquins plus vieux que la moitié des immeubles parisiens. Manquerait plus qu’un chandelier en fer forgé et on se croirait dans un décor de film d’époque.

Elle se demanda vaguement si Darius possédait ne serait-ce qu’un objet datant de ce siècle—puis son regard tomba sur un tourne-disque posé sur une commode.

Bon, presque.

Près du bureau, un panneau en liège attira également son attention. Quelques vieilles cartes postales y étaient punaisées, envoyées de destinations variées : Venise, Kyoto, Tombouctou. Leurs images, fanées par le temps, représentaient des paysages exotiques ou des monuments célèbres, et certaines portaient des écritures à l’encre noire ou bleue, presque effacées. Elle se mordit la lèvre, hésitante à poser des questions. Elle voulait en savoir plus, mais elle se retint. Ce n’était pas le moment.

 

Darius se dirigea vers son bureau et en sortit un CD qu’il lui tendit.

— Puisque tu as aimé les cantiques, voici de quoi en écouter chez toi. Ce sont des chants du XIIIe siècle, aussi anciens que cette église. Une vieille connaissance les a enregistrés.

— Oh… un CD ? lâcha-t-elle avant même d’y réfléchir.

Elle releva les yeux vers Darius, qui arqua un sourcil amusé.

— Oui, un CD. Un disque compact, support musical révolutionnaire à la fin du XXe siècle, déclara-t-il d’un ton faussement professoral.

Aélis esquissa un sourire, mais une pointe d’embarras la traversa. Elle n’avait pas voulu paraître ingrate, et pourtant, sa remarque sonnait presque condescendante.

— Non mais… c’est juste que maintenant, on écoute la musique en ligne, ajouta-t-elle rapidement. Je ne suis même pas sûre d’avoir de quoi le lire chez moi… mais je vais regarder !

Darius laissa échapper un léger rire, secouant la tête.

— Si ton ordinateur te fait défaut, il y a toujours un lecteur ici.

Elle fit tourner le boîtier entre ses doigts avant de relever le regard vers lui, cette fois avec un sourire sincère.

— Merci. Je trouverai un moyen de l’écouter.

Il s’installa ensuite devant l’échiquier, avançant un pion distraitement. La jeune femme l’observa un moment avant de briser le silence.

— Tu joues aux échecs… contre toi-même ? demanda-t-elle, intriguée.

— La solitude a ses exigences. Je me tiens compagnie comme je peux. Mais si tu veux, on peut faire une partie.

Elle hésita. Elle se sentit un peu gênée à l’idée de lui avouer qu’elle ne connaissait pas le jeu, mais sa curiosité l’emporta.

— Je ne sais pas jouer, avoua-t-elle finalement en fronçant légèrement le nez.

Le prêtre haussa les sourcils, visiblement surpris par sa réponse. Un éclat indéfinissable traversa son regard, comme si cette révélation défiait un souvenir enfoui. Il resta silencieux un instant avant de se ressaisir.

— Raison de plus pour apprendre. Assieds-toi, je vais t’expliquer les règles.

Elle s’installa en face de lui, croisant les bras avant de poser les mains sur la table.

— Pourquoi pas. Peut-être qu’un jour je te donnerai du fil à retordre, dit-elle en souriant.

Darius esquissa un sourire, son regard s’adoucissant, et se mit à expliquer les bases avec une patience infinie. Ce fut le début d’un rituel étrange qui, elle le pressentait, allait se répéter.



 

Methos s’appuya contre le chambranle de la porte, les bras croisés. Élise se tenait devant lui, le regard dur, mais sous la surface, il devinait la tristesse contenue.

— C’est à cause de moi ? demanda-t-elle.

Il soupira.

— Non, Élise. Ce n’est pas une question de faute. Mais ça ne fonctionne plus. Tu ne me fais pas confiance, et je ne peux pas être avec quelqu’un qui doute sans cesse de moi.

Elle serra les bras autour de sa taille.

— J’essaie, Adam. Mais quand tu pars sans prévenir, quand tu reviens tard sans jamais dire où tu étais… J’ai l’impression qu’il y a une partie de toi qui m’échappe.

Il esquissa un sourire, plus las qu'amer.

— Peut-être que tu n’as pas tort.

Elle baissa les yeux, comme si cette réponse contenait déjà la vérité qu’elle redoutait.

— Et tu ne veux pas m’en parler, n’est-ce pas ?

— Non. Et toi, tu ne peux pas continuer comme ça. À surveiller mon téléphone, à me demander où j’étais toutes les nuits où je ne dormais pas chez toi. Ce n’est pas ce que je veux. Ce n’est pas ce que je suis.

Un silence pesant s’installa. Finalement, Élise inspira profondément et releva le menton.

— Je suppose que je savais déjà que ça finirait ainsi.

Methos hocha lentement la tête.

— Tu es quelqu’un de bien, Élise. Tu mérites quelqu’un qui pourra te donner ce dont tu as besoin.

— Et toi ? Qu’est-ce que tu mérites, Adam ?

Il resta silencieux un instant, puis haussa légèrement les épaules.

— Probablement rien de tout ça.

Il s’approcha, posa une main sur son bras.

— Prends soin de toi.

— Toi aussi.

 

Sans un mot de plus, il attrapa son manteau et quitta l’appartement. Dans la rue, il inspira profondément. Une autre relation qui s’effaçait, une de plus parmi tant d’autres. Il se demanda, non sans cynisme, si l’amour n’avait pas changé avec le temps. Autrefois, on se laissait plus d’espace. Aujourd’hui, tout semblait surveillé, mesuré, oppressant. Mais il avancerait. Comme toujours.




Peu à peu, une nouvelle routine s’installa dans la vie d’Aélis. Une à deux fois par semaine, après le travail, elle passait chez Darius. Ils jouaient aux échecs, débattaient sur des sujets philosophiques ou écoutaient de la musique ancienne. Ces instants, loin du bruit du monde, devinrent une bulle d’air, une pause bienvenue dans son quotidien effréné. Elle appréciait cette relation singulière, où elle pouvait à la fois apprendre et se détendre sans jamais se sentir jugée.

 

Un soir, environ un mois après leur première rencontre, la jeune femme poussa la porte du logement de Darius et s’arrêta net. Il n’était pas seul.

Un homme à la longue chevelure sombre, attachée en queue de cheval par une barrette en argent, était assis en face de lui, concentré sur une partie d’échecs. Il avait une carrure imposante, des sourcils épais et un regard perçant qui se posa brièvement sur elle avant de revenir au plateau de jeu. Elle sentit immédiatement une présence forte, une sorte d’assurance tranquille émanant de lui.

— Je joue si mal que ça pour que tu m’aies déjà remplacée ? lança-t-elle en croisant les bras, un sourire espiègle aux lèvres.

Darius releva la tête, amusé, tandis que son interlocuteur esquissa un sourire discret avant de se lever lentement.

— Duncan MacLeod, se présenta-t-il avec un accent légèrement écossais.

Il tendit une main ferme qu’elle serra, notant la force contenue dans sa poigne.

— Je suis un vieil ami de Darius. Il m’a dit qu’il avait trouvé quelqu’un pour jouer à ma place, sous prétexte que je ne venais pas assez souvent. J’ai été piqué au vif et je voulais voir qui osait me détrôner.

— Désolée, je ne savais pas que je créais une rivalité. Je peux repasser si je dérange.

— Pas du tout, reste avec nous ! intervint Darius avec un clin d’œil à son ami. Et puis, Duncan n’a encore jamais mangé personne… à ce que je sache.

Leurs rires remplirent la pièce, brisant la tension, et Aélis s’installa avec eux. Duncan l’observa à la dérobée alors qu’elle prenait place. Darius était méthodique, toujours. Il ne tissait pas de liens sans raison. Il l’avait ressenti lui-aussi. Il ne dit rien, mais l’évidence s’imposa à lui. Il fit tourner une pièce entre ses doigts avant d’avancer un pion sur l’échiquier.

— Tu pratiques un sport ? demanda soudainement Darius à Aélis, d’un ton presque détaché.

— Rien de régulier, mais j’aime bien courir. Pourquoi ?

— Je pensais simplement que tu pourrais être intéressée par les arts martiaux, ajouta-t-il en jetant un regard en coin à Duncan.

Ce dernier ne broncha pas, mais il comprit immédiatement où son ami voulait en venir.

— J’ai un dojo, précisa-t-il après un court silence. J’y enseigne plusieurs disciplines.

Aélis sembla réfléchir un instant.

— Ça fait longtemps que je me dis que je devrais essayer un art martial… Mais je n’ai jamais sauté le pas.

Duncan croisa les bras, la jaugeant d’un regard plus attentif.

— Ce n’est pas juste un passe-temps. Ça demande du temps et de la discipline.

La jeune femme perçut la nuance derrière ses mots. Il ne la décourageait pas, mais il voulait voir si elle prenait réellement la chose au sérieux. Darius, lui, esquissa un léger sourire, comme s’il s’attendait à cette réaction.

— Tu sais, on dit souvent que certaines rencontres changent le cours d’une vie.

Elle leva les yeux au ciel, amusée.

— Tu as toujours des phrases toutes faites pour chaque situation.

— Disons que l’expérience parle d’elle-même, répondit-il d’un air énigmatique.

Elle hésita. Elle avait tendance à éviter les décisions qui l’engageaient sur le long terme, mais en même temps, elle détestait avoir des regrets. Finalement, elle haussa les épaules et sourit.

— Pourquoi pas ?

Duncan ne répondit pas immédiatement. Il savait que Darius venait de la pousser sur un chemin dont elle ignorait encore la portée. Mais il respectait son ami, et il savait qu’un jour, elle comprendrait.

— Très bien. Passe au dojo quand tu voudras.

Il avança un pion sur l’échiquier, songeur. Elle n’avait encore aucune idée de ce qui l’attendait.




Après son inscription au dojo, Aélis sentit une tension nouvelle dans sa relation avec Noé. Ce soir-là, alors qu’elle rangeait ses affaires après son entraînement, elle vit son nom s’afficher sur l’écran de son téléphone. Elle décrocha immédiatement.

— Tu es encore là-bas ? demanda-t-il sans préambule.

— Oui, je viens de finir. Je vais rentrer chez moi.

Un silence. Puis Noé soupira.

— Aélis, j’ai l’impression qu’on ne se voit plus autant. Tu passes tes soirées à voir un prêtre ou à t’entraîner aux arts martiaux. C’est quoi, tu cherches à m’éviter ?

Elle referma son sac avec un léger agacement, mais prit sur elle pour rester calme.

— Non, bien sûr que non. Je voulais juste essayer quelque chose de nouveau. Et Darius… Ce n’est pas ce que tu crois. Ce n’est pas une conversion tardive.

— Pourtant, la dernière fois, je suis rentré et tu étais en train d’écouter des chants religieux, fit-il remarquer.

— Tu ne vas pas être jaloux d’un prêtre, quand même !

Noé ne répondit pas tout de suite. Elle l’imaginait de l’autre côté du téléphone, cherchant ses mots.

— Ce n’est pas ça… J’ai juste l’impression que tu t’éloignes. On ne passe déjà pas beaucoup de temps ensemble, et maintenant, tu te lances dans tout ça…

Elle inspira profondément. Elle comprenait son point de vue. Depuis quelques semaines, elle avait en effet moins de temps pour eux. Et même si elle aimait ces nouvelles expériences, elle ne voulait pas sacrifier sa relation.

— Écoute, je vais essayer d’équilibrer les choses. Comme ça, on aura plus de temps pour nous.

Noé sembla hésiter, puis il souffla :

— D’accord… Je veux juste qu’on se garde du temps tous les deux.

— Je comprends. Je vais faire attention.

 

Elle raccrocha en soupirant. Elle ne voulait pas d’un conflit inutile. Elle appréciait Noé, mais elle ne voulait pas non plus renoncer à ce qui lui apportait un équilibre nouveau. Elle allait devoir apprendre à concilier les deux.



 

Le bar était faiblement éclairé, un murmure constant de conversations mélangé au cliquetis des verres formait une toile sonore discrète. Methos entra d'un pas mesuré, son regard scrutant rapidement l’intérieur avant de choisir une table isolée près d'une fenêtre embuée. Il s'assit avec une légère nonchalance, tirant sur le col de son manteau sombre.

Un serveur s’approcha rapidement, et l’immortel commanda une bière sans réelle conviction. Le serveur hocha la tête et s’éclipsa, le laissant seul avec ses pensées.

Il aimait observer les gens. Ça lui rappelait que, malgré tout ce qu’il avait traversé, l’essence de l’humanité n’avait jamais changé. Il promena son regard sur les tables voisines. À quelques mètres, un couple semblait engagé dans une discussion animée, leur langage corporel trahissant une dispute larvée. Plus loin, un groupe d’amis éclatait de rire, leur joie contagieuse apportant une lueur à l’atmosphère sombre.

— Rien ne change vraiment, pensa-t-il en tambourinant distraitement ses doigts sur la table.

Les visages différaient, les modes changeaient, mais les mécanismes restaient les mêmes. Les gens cherchaient toujours l’amour, la reconnaissance ou l’échappatoire temporaire de l’oubli. Methos avait vu tout cela pendant des millénaires, et pourtant, il n’était pas moins fasciné par ce spectacle immuable.

Le serveur revint avec sa bière. L’immortel le remercia d'un signe de tête et prit une première gorgée. La fraîcheur du liquide lui fit du bien, dissipant un peu la tension accumulée ces derniers jours.

Il promena de nouveau son regard autour de lui, s’arrêta sur les vieux miroirs éraflés qui recouvraient le mur derrière le comptoir. Le reflet que lui renvoyaient les glaces était celui d’un homme dont les yeux avaient tout vu, mais qui semblait toujours prêt à en voir davantage. Des siècles d’expérience se lisaient dans ses traits, mais aucune lassitude ne les alourdissait. Il portait les épreuves et les triomphes du temps comme un manteau léger, conscient du poids mais jamais submergé. Il y avait une curiosité vive et inébranlable dans son regard, même teintée du cynisme d’un homme qui savait que tout changeait pour mieux rester identique.

Il termina sa bière et posa quelques pièces sur la table avant de se lever. Le monde l’observait toujours, mais ce soir, il était prêt à observer en retour. En sortant du bar, il plongea dans la nuit fraîche, sa silhouette se perdant dans les ruelles de Paris comme un fantôme insaisissable.




Aélis avait trouvé un équilibre fragile mais précieux. Malgré la conversation tendue avec Noé, elle n’avait pas renoncé à ses nouvelles activités, même si elle faisait des efforts pour préserver leur relation.

Ce soir-là, elle était passée chez lui après son entraînement. La tension de leur échange téléphonique flottait encore entre eux, mais au lieu d’en parler, ils s’étaient retrouvés dans une routine rassurante. Noé s’affairait en cuisine pendant qu’elle, assise sur le plan de travail, picorait distraitement un morceau de pain. L’odeur du basilic et de l’ail embaumait la pièce, et elle se surprit à savourer cet instant simple, ce petit bout de quotidien qui les définissait.

— Si tu continues à me voler les ingrédients, le pesto va être un peu léger, fit-il remarquer en lui lançant un regard en coin.

Elle esquissa un sourire et haussa les épaules.

— C’est un risque à prendre.

Noé roula des yeux avant de se rapprocher, posant doucement une main sur sa cuisse.

— Tu es crevée, constata-t-il en effleurant son front du bout des doigts.

— Un peu, admit-elle. Mais c’est une bonne fatigue.

Il hocha la tête, sans rien ajouter. Pendant un instant, elle se laissa aller contre lui, profitant de sa chaleur familière, de cette présence qui l’avait toujours apaisée. Noé était là, comme toujours. Patient. Constant. Mais ces derniers temps, elle sentait un léger décalage. Comme si leurs vies prenaient doucement des chemins opposés sans qu’aucun d’eux n’ose le dire à voix haute. Elle inspira profondément, chassant cette pensée.

— On regarde un film après ? proposa-t-elle, cherchant à prolonger leur moment de répit.

— Bien sûr. Mais d’abord, tu m’aides à finir ce dîner au lieu de tout grignoter.

Elle rit doucement et sauta du plan de travail, décidant de se laisser porter par la simplicité de l’instant. Malgré tout, une ombre persistait au creux de son esprit.

Ses soirées se partageaient désormais entre ses entraînements d’arts martiaux et ses visites, même si elles étaient moins nombreuses qu’auparavant, à Darius. Ces moments à l’église lui apportaient une sérénité inattendue, un contrepoint apaisant à la tension physique de ses cours. Une véritable amitié s’était peu à peu nouée entre elle et le prêtre. Elle prenait plaisir à lui faire découvrir des artistes contemporains, même si Darius, avec son goût marqué pour les classiques, se montrait souvent sceptique face à ces nouvelles sonorités. Cela l’amusait d’observer jusqu’où elle pouvait pousser sa curiosité musicale.

Mais à mesure que ces nouveaux repères s’installaient dans sa vie, elle se demandait combien de temps encore elle pourrait continuer à jongler entre deux mondes qui, peu à peu, semblaient s’éloigner l’un de l’autre.

 

Un soir, alors qu’ils discutaient dans les appartements du prêtre, elle s’était mise en tête de lui faire découvrir les groupes de rock indépendant de son adolescence. Armée de son téléphone portable et d’une paire d’enceintes portatives, elle parcourait ses playlists avec un enthousiasme communicatif.

— Bon, on va commencer par un grand classique, avait-elle annoncé avec un sourire malicieux. Prépare-toi, c’est culte.

Elle lança 1979 des Smashing Pumpkins, bercée par la nostalgie des années lycée. Darius, assis dans un fauteuil en bois, l’avait écoutée sans broncher, son visage affichant une expression à mi-chemin entre la perplexité et la curiosité.

— Alors ? Qu’en penses-tu ? s’était-elle exclamée après quelques minutes.

Il avait haussé un sourcil, comme s’il pesait ses mots pour ne pas la froisser.

— C’est… intéressant, avait-il dit avec une lenteur délibérée.

— Intéressant ? avait-elle répété, feignant l’indignation. Tu n’as jamais entendu parler de ce groupe ? Mais tu n’es pas si vieux pourtant !

Darius avait alors esquissé ce sourire énigmatique qu’elle commençait à bien connaître.

— Disons que j’ai été élevé « hors du temps », avait-il répondu, d’un ton à la fois mystérieux et taquin.

Elle avait éclaté de rire, secouant la tête devant son incapacité apparente à se laisser séduire par ses références musicales.

— Tu es incorrigible, avait-elle rétorqué avant de changer de morceau. Mais je ne m’avoue pas vaincue. Tu verras, tu finiras par admettre que cette époque avait du génie !

Elle prit un malin plaisir à naviguer entre des morceaux connus et d’autres plus audacieux, issus de groupes underground qu’elle avait découverts à l’université. Si certaines mélodies semblaient éveiller l’intérêt du prêtre, d’autres lui arrachaient des grimaces qu’elle trouvait irrésistiblement drôles.

Ces moments de légèreté apportaient un équilibre bienvenu à leurs échanges plus sérieux. Elle sentait qu’il appréciait ces instants où il pouvait, pour un temps, poser le poids de sa sagesse pour simplement partager une complicité sincère et sans attentes.



 

Le dojo résonnait encore des derniers bruits de frappes sur les tatamis lorsqu’Aélis récupéra sa bouteille d’eau et s’assit sur un banc pour reprendre son souffle. Son cours venait de se terminer, et la chaleur de l’effort contrastait avec l’air froid qui filtrait par la porte d’entrée. Elle déboucla ses protections avec des gestes précis, tout en jetant un regard discret vers l’homme qui venait d’entrer.

Il se tenait près du comptoir, en conversation avec Duncan. Grand, élancé, les cheveux bruns coupés courts, il avait un regard perçant qui semblait jauger l’environnement avec une distance calculée. Son allure contrastait avec les habitués du dojo : il ne portait ni tenue de sport ni d’équipement, simplement un jean et un pull sombre. Il avait cette façon d’être là sans vraiment l’être, une présence à la fois discrète et inévitable.

Elle détourna les yeux, concentrée sur son sac. Ce n’étaient pas ses affaires. Pourtant, lorsqu’elle se releva pour rejoindre Duncan, l’homme tourna la tête vers elle et esquissa un sourire en coin, un brin moqueur.

— Alors c’est toi la nouvelle élève de Duncan ? Bon courage. Il est exigeant.

— Merci du conseil… mais vous avez l’air d’être encore vivant, alors j’imagine qu’on s’en remet.

Un éclat amusé traversa brièvement le regard de l’inconnu, mais il se contenta d’un léger hochement de tête.

— Ça dépend des définitions de "vivant", fit-il remarquer d’un ton énigmatique.

Duncan, qui venait de s’approcher, leva les yeux au ciel.

— Ignore-le, Aélis. Il aime se donner des airs mystérieux, mais en réalité, il est juste insupportable.

— Un talent que je cultive avec soin, répliqua l’homme en glissant les mains dans ses poches.

Le Highlander secoua la tête avant de se tourner vers elle.

— Aélis, voici Adam Pierson, un… ami. Il passe de temps en temps.

— Enchantée, répondit-elle en serrant brièvement la main tendue.

Le contact fut léger, presque fugace. Il y avait quelque chose dans son regard qui la mettait un peu mal à l’aise, une impression indéfinissable. Peut-être était-ce cette manière qu’il avait de l’observer, non pas avec insistance, mais avec une attention trop précise, comme s’il cherchait à déceler quelque chose qu’elle-même ignorait.

— Et donc, pourquoi cette visite impromptue ? demanda Duncan en se tournant vers son ami.

— Je voulais juste prendre un verre avec un vieil ami, répondit-il d’un air nonchalant. Et constater de mes propres yeux que tu continues d’imposer des tortures aux pauvres âmes égarées qui s’aventurent ici.

— C’est marrant, je pensais que les vrais amis évitaient de s’infliger ce genre de spectacle, lança Aélis avec un sourire en coin.

Methos tourna légèrement la tête vers elle, comme s’il l’observait sous un nouvel angle.

— Disons que j’aime voir les gens lutter pour atteindre la perfection.

Elle haussa un sourcil, faussement sceptique.

— Ou alors tu préfères regarder les autres transpirer pendant que tu restes assis confortablement.

Un éclat amusé traversa les yeux de l’immortel.

— J’appelle ça de la sagesse, corrigea-t-il, impassible.

Duncan, qui assistait à l’échange, secoua la tête en soupirant.

— Ne l’encourage pas, Aélis. Il est déjà insupportable au naturel.

— Oh, je l’ai remarqué, répliqua-t-elle du tac au tac.

— Touché, murmura l’intéressé, l’ombre d’un sourire effleurant ses lèvres.

Elle attrapa finalement son sac et fit un pas en arrière.

— Je vous laisse entre vieux amis, alors.

— À bientôt, Aélis, lança Duncan avec un clin d’œil. Et continue de t’entraîner, tu progresses.

Elle hocha la tête et quitta la salle, sans prêter attention au regard échangé par les deux hommes.

— Elle est au courant ?

— Pas que je sache…

Methos se contenta d’un léger hochement de tête, l’air toujours amusé, mais cette fois, avec une étincelle d’intérêt réel.




Quelques minutes plus tard, dans l’arrière-salle du dojo transformée en petit salon, Amanda se laissa tomber sur un fauteuil, étirant ses jambes avec un soupir de satisfaction. Grande et élancée, elle dégageait une élégance naturelle qui contrastait avec le cadre spartiate du dojo. Ses cheveux blonds presque blancs, coupés très courts, encadraient un visage délicat illuminé par de jolis yeux noisette pétillants de malice. Duncan s’installa près d’elle, tandis que Methos s’adossait contre le mur, les bras croisés.

— Alors, qu’est-ce que tu penses d’elle ? demanda Amanda en croisant les bras derrière sa tête.

— Rien de particulier, répondit Methos en haussant les épaules. Elle ne sait rien. Elle a encore du temps… peut-être.

Duncan hocha la tête, pensif.

— Je l’aime bien. Elle a du potentiel.

Amanda esquissa un sourire en coin.

— Et tu crois qu’elle tiendra le choc ?

— Difficile à dire, répondit Duncan. Tout dépendra de la façon dont elle découvre la vérité.

Il fixa la porte un instant, puis changea de sujet, son regard passant sur Methos.

— Alors, comment va ta vie sentimentale ? Amanda m’a dit que tu avais rompu avec Élise.

— Ah, Amanda et sa manie de toujours tout savoir, soupira Methos avec un sourire ironique.

— Ce n’est pas difficile, tu n’es pas particulièrement discret, rétorqua cette dernière avec amusement.

Methos passa une main dans ses cheveux, son sourire s’effaçant légèrement.

— Ça ne pouvait pas fonctionner. Elle voulait savoir où j’étais, pourquoi je rentrais tard, pourquoi je disparaissais sans prévenir. Trop de questions, trop de doutes. Je ne peux pas être avec quelqu’un qui exige ce que je ne peux pas donner.

Amanda leva un sourcil moqueur.

— Tu vois, Duncan sait y faire, lui. Il est toujours avec moi, après tout.

— Jusqu’à ce que tu disparaisses du jour au lendemain, corrigea-t-il.

Elle lui envoya un sourire éclatant.

— Ce sont les retrouvailles qui comptent, chéri.

Methos les observa un instant, un léger sourire flottant sur ses lèvres, avant de détourner le regard.

— Je crois que je vais me tenir loin des histoires de cœur pendant un moment. Je commence à en avoir marre.

Amanda se redressa légèrement, intriguée.

— Depuis Élise ou… depuis Alexa ?

Le silence s’installa brièvement. Methos haussa les épaules avec une nonchalance feinte.

— Alexa… c’était différent.

— Elle comptait vraiment pour toi, répondit Duncan en hochant lentement la tête.

— Oui, souffla Methos, presque à contre-cœur. Elle était malade, et je n’ai eu que peu de temps avec elle. Mais ce temps comptait.

Amanda posa une main légère sur son bras, pour une fois sans moquerie. Il répondit par un sourire discret avant de se détourner.

— Bon, ce n’est pas tout ça, mais j’ai soif. Il te reste des bières ?

— Toujours à profiter des bonnes choses, Methos, lança le Highlander en secouant la tête.

— Il faut bien que je trouve un sens à l’éternité, répondit ce dernier.

Il alla fouiller dans le frigo. L’ambiance se détendit progressivement, et la soirée continua dans le dojo, entre discussions, taquineries et vieux souvenirs partagés.




Les semaines passèrent, et peu à peu, Aélis s’habituait à la présence occasionnelle d’Adam au dojo. Il ne venait pas régulièrement, mais lorsqu’il était là, il observait les entraînements d’un œil attentif, échangeait avec Duncan et plaisantait parfois avec Amanda. Toujours en retrait, il semblait plus apprécier le rôle de spectateur que celui de pratiquant.

Un soir, après un entraînement particulièrement éprouvant, Aélis retira ses gants et s’étira en grimaçant. Ses muscles criaient grâce, et elle avait l’impression d’avoir été passée sous un rouleau compresseur. Elle essuya la sueur sur son front avant de le remarquer, assis sur un banc à côté de Duncan, les bras croisés, l’air vaguement amusé.

— Toujours en vie ? lâcha-t-il d’un ton faussement impressionné.

Elle souffla, s’affalant sur le banc à côté de lui.

— À peine. J’ai encore du mal avec certains enchaînements. C’est frustrant.

— C’est normal. Tout le monde galère au début. Enfin… ceux qui persistent.

— Merci pour ce soutien moral.

— Oh, mais c’est un vrai compliment, ironisa-t-il. Si tu tiens bon, tu finiras peut-être par éviter de t’écraser lamentablement sur le tatami.

Aélis lui lança un regard sceptique.

— J’ai comme l’impression que tu ne parles pas en théorie.

— Disons que j’ai vu mon lot de chutes spectaculaires. Et de grands discours sur la persévérance qui finissent en abandon au bout de trois semaines.

— Eh bien, tu vas devoir t’habituer à me voir ici encore un moment, rétorqua-t-elle.

Il esquissa un sourire en coin, comme si elle venait de réussir un premier test invisible. Duncan, qui suivait l’échange avec amusement, s’appuya contre le banc.

— Adam connaît bien la discipline, mais il préfère l’observer plutôt que de s’y replonger.

— Un passionné du combat… qui refuse de combattre. Intéressant, répliqua la jeune femme, le regardant avec curiosité.

Methos haussa légèrement les épaules.

— Je me contente d’apprécier le spectacle. C’est bien plus divertissant.

— Tant que tu ne me regardes pas trop de haut, plaisanta-t-elle.

Il pencha légèrement la tête, un éclat narquois dans le regard.

— Ne t’inquiète pas. J’ai une très bonne vue, même d’en bas.

Elle secoua la tête, retenant un sourire. Il avait du répondant.



 

Aélis ouvrit la porte, surprise de voir Noé sur le seuil, un sac de courses à la main.

— Hey, fit-elle en arquant un sourcil. Je ne savais pas que tu passais ce soir.

— J’ai envoyé un message, mais tu ne l’as pas vu, je suppose, répondit-il avec un sourire agacé.

Elle jeta un coup d’œil rapide à son téléphone posé sur la table du salon. Écran noir. Elle n’avait même pas fait attention.

— Désolée.

— Pas grave, j’ai pris de quoi faire des pâtes. Tu as déjà mangé ?

— Non, non, entre.

Elle referma la porte derrière lui tandis qu’il déposait son sac sur le comptoir de la petite cuisine. Elle s’adossa à la table, le regardant sortir les ingrédients.

— T’as eu une longue journée ? demanda-t-il en ouvrant une boîte de sauce tomate.

— Un peu. L’entraînement a été intense ce soir.

— Tu es vraiment à fond, hein.

Elle haussa les épaules.

— J’aime ça. Ça me fait du bien.

Il hocha la tête, mais son sourire s’effaça légèrement.

— Ouais… J’ai remarqué.

Aélis sentit le changement subtil dans son ton.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

Noé posa lentement la boîte sur le comptoir et prit une inspiration, comme s’il hésitait à formuler ce qu’il avait sur le cœur.

— Je sais pas, Aélis. J’ai juste l’impression qu’on partage de moins en moins de moments comme ça. Avant, on cuisinait ensemble, on regardait des films… Maintenant, c’est boulot, dojo, Darius.

Elle ouvrit la bouche pour répliquer, mais aucun mot ne vint tout de suite. Parce qu’il n’avait pas totalement tort.

— C’est juste une phase, finit-elle par dire. J’ai besoin de ces nouvelles habitudes, mais ça ne veut pas dire que je t’oublie.

Il la regarda un instant avant de sourire doucement.

— Alors prouve-le.

Il s’approcha, glissant une main sur sa hanche pour l’attirer contre lui. Il pencha légèrement la tête, cherchant son regard, avant de l’embrasser. C’était un geste familier, une habitude ancrée dans leur quotidien. Et pourtant, quelque chose clochait. Elle répondit au baiser, mais trop tard. Pas par envie, par réflexe. Comme si son esprit avait mis une seconde de trop à enregistrer ce qui se passait.

Noé s’écarta, son regard scrutant le sien. Aélis vit l’ombre d’une blessure passer dans ses yeux, cette infime seconde où il comprenait sans qu’elle ait besoin de dire quoi que ce soit. Il ne posa pas de question, ne fit aucun reproche. Mais il n’avait pas besoin de parler pour qu’elle sente le poids de ce qu’il ne disait pas.

Alors, dans un élan presque instinctif, elle se pencha à son tour et l’embrassa. Cette fois, c’est elle qui initia le geste, voulant chasser l’inconfort, effacer l’espace qui s’était creusé entre eux. Il répondit immédiatement, sans hésitation. Mais au fond d’elle, elle savait déjà que ça ne changeait rien. Elle n’était pas sûre de vouloir voir jusqu’à quel point.




Darius posa une tasse fumante sur la table basse et s’installa dans son fauteuil.

— J’ai toujours su que tu ne venais pas me voir uniquement pour le plaisir de ma conversation, mais il faut admettre que ta présence devient de plus en plus rare.

— Je suis un homme occupé, Darius. Le savoir est une denrée précieuse, et quelqu’un doit bien s’assurer qu’il ne tombe pas entre de mauvaises mains.

— Ah, bien sûr. Le devoir des Guetteurs. Je me demande comment tu trouves encore le temps de te rappeler que tu es immortel.

Methos esquissa un sourire en coin.

— Je m’arrange.

Le prêtre ne répondit pas tout de suite. Il prit une gorgée de thé, observant son vieil ami avec ce calme implacable qui le caractérisait. Methos connaissait ce regard. C’était celui d’un homme qui savait où il voulait en venir.

— Alors, reprit Darius en reposant sa tasse, qu’as-tu pensé d’elle ?

— De qui ?

— Aélis.

— Elle est obstinée. Curieuse. Mais elle ignore encore tout de ce qui l’attend. Et à ce stade… peut-être que c’est mieux ainsi.

Il fit tourner distraitement sa tasse entre ses mains, l’air songeur.

— J’ai vu des générations entières apprendre à survivre dans des époques où disparaître était facile. Mais aujourd’hui… Les identités ne s’effacent plus, tout est suivi, enregistré. On peut disparaître aux yeux d’une personne, mais pas de la société.

Il marqua une pause, son regard glissant vers Darius.

— Comment on fait, maintenant ?

— C’est une question que chaque génération a dû se poser. Nous n’avons jamais eu d’autre choix que d’embrasser notre destin, parce que le monde ne nous laissait pas d’alternative. On apprenait à survivre ou on disparaissait.

Methos hocha la tête, pensif.

— C’était plus simple, autrefois. Une épée au côté ne posait pas question. Un duel dans une ruelle sombre n’attirait pas l’attention. Aujourd’hui…

Il marqua une pause avant de reprendre, l’air songeur :

— Aujourd’hui, nous sommes censés respecter des règles que le monde ne tolère plus. Les combats, la fuite, le Jeu lui-même… tout devient plus compliqué. Plus risqué.

Darius eut un léger rire.

— Ce n’est pas la première fois que nous disons ça. Le monde change, et nous trouvons toujours un moyen de nous adapter.

— Tu parles de nous… ou d’elle ?

— Quelle différence ?

Methos souffla un rire bref, avant d’hausser les épaules.

— Nous avons appris avec des règles claires, même si elles étaient brutales. Mais elle…?

Il s’interrompit un instant, pensif.

— Ce qu’elle ignore encore, c’est que ces règles sont devenues floues. Et ce flou est dangereux.

— Ce n’est peut-être pas plus mal, répondit Darius d’un ton tranquille.

Son ami le dévisagea, cherchant à percer ses intentions.

— Alors c’est comme ça que tu la vois ? Une autre de tes protégées ?

Darius ne nia pas, se contentant d’un sourire fugace.

— Je l’accompagne sur un chemin qu’elle empruntera quoi qu’il arrive.

— Et tu penses que ce sera suffisant ?

— Peut-être pas. Mais je n’ai jamais prétendu être le seul à pouvoir l’aider.

Methos secoua la tête, amusé malgré lui.

— Je commence à voir où tu veux en venir.

— Tu as toujours été rapide à comprendre.

— Je pensais que tu avais abandonné ce genre d’habitude.

— On n’abandonne jamais vraiment, Methos. On apprend simplement à choisir ses batailles.

Ce dernier haussa un sourcil, son regard se faisant plus attentif.

— Et celle-ci vaut la peine d’être menée ?

— Je n’ai pas dit que c’était une bataille, rétorqua Darius avec un calme déconcertant. Juste une histoire qui commence.

Un silence s’installa. Methos croisa les bras, son regard se perdant un instant sur la bibliothèque chargée de volumes anciens. Il connaissait Darius depuis bien trop longtemps pour ignorer quand il tentait de le manipuler.

— Pourquoi moi ? finit-il par demander.

— Pourquoi pas toi ?

— Duncan est déjà là.

— Duncan suit toujours le même schéma, répondit Darius, répétant presque mot pour mot ce qu’il avait déjà pensé. Il a sa manière de faire, et elle a son efficacité. Mais Aélis est différente.

— Dans quel sens ?

Darius laissa passer un instant, comme s’il pesait la réponse.

— Elle est jeune. Seule, même si elle ne le voit pas encore. Elle n’a pas idée de ce qui l’attend, ni de ce qu’elle devra affronter.

— Et tu penses que je serais d’une grande aide sur ce sujet ?

— Disons que tu as plus d’expérience que la plupart d’entre nous quand il s’agit de survivre.

Methos souffla un rire.

— Un beau compliment, tourné d’une façon qui évite de me traiter ouvertement de lâche.

Darius ne répondit rien, se contentant d’un sourire paisible. Methos secoua la tête, mais il sentait déjà que l’idée avait été plantée dans son esprit. Il détestait quand Darius faisait ça.

— Qu’est-ce que tu attends de moi, exactement ?

— Rien. Absolument rien.

— Tu es incorrigible.

— Moi ? Je me contente de faire du thé et de bavarder avec un vieil ami.

Methos but une gorgée, laissant le silence s’installer à nouveau. Il ne savait pas s’il avait envie de jouer ce jeu. Mais une part de lui savait déjà qu’il ne résisterait pas à la tentation. Il posa sa tasse sur la table et lança un regard faussement critique à Darius.

— Au moins, tu as appris à faire du thé, il était temps.

Ce dernier esquissa un sourire.

— Mieux vaut tard que jamais...



 

Quelques semaines plus tard, après un nouvel entraînement, une pluie battante s’abattait sur la ville. Aélis poussa la porte du dojo en resserrant les pans de sa veste, observant la rue noyée sous des torrents d’eau.

Elle jeta un regard vers l’intérieur de la salle. Duncan rangeait du matériel, et non loin de lui, Adam était encore accoudé contre le mur, les bras croisés. Il était arrivé un peu plus tôt pour voir son ami et discuter, comme il le faisait parfois, sans raison apparente—du moins, sans raison qu’il admettait volontiers. Lorsqu’il la vit hésiter sur le pas de la porte, il s’approcha, un parapluie à la main.

— Tu comptes rentrer sous cette pluie ?

— Je n’ai pas vraiment le choix, il y a encore cette grève des transports.

— Viens, je te dépose. Ma voiture est garée un peu plus loin.

Elle hésita une seconde, puis acquiesça. Après tout, elle n’avait aucune envie d’arriver trempée chez elle. Ils marchèrent sous le parapluie, avançant d’un pas rapide sur les trottoirs détrempés. Une fois à l’abri dans la voiture, elle soupira en attachant sa ceinture.

— Merci, vraiment. Heureusement qu’on ne vit pas ensemble, sinon je suis sûre que si mon copain me voyait débarquer devant chez moi, déposée par un inconnu, j’aurais encore droit à une scène.

Methos jeta un coup d’œil vers elle avant de démarrer la voiture.

— Il est du genre jaloux ?

— Disons qu’il ne comprend pas trop pourquoi je passe autant de temps au dojo… ni pourquoi je traîne avec un prêtre.

— Ah, Darius, fit Methos, l’air amusé.

Aélis esquissa un sourire, surprise. Comment pouvait-il savoir ? Puis l’évidence s’imposa : Duncan. Après tout, ils étaient amis de longue date, ce n’était pas si étonnant qu’ils partagent ce genre d’informations.

— Oui. Je ne suis pas croyante, mais… j’aime nos discussions. Ça me change les idées.

— Et ton copain voit ça d’un mauvais œil.

— Il s’inquiète, je suppose. Mais parfois, j’ai juste l’impression qu’il veut que je sois plus… cadrée. Qu’on passe plus de temps ensemble. Je comprends, mais je suis arrivée à Paris il n’y a pas si longtemps et je ressens le besoin de me faire mon propre cercle. Je ne veux pas seulement fréquenter ses amis à lui.

Methos hocha la tête, le regard fixé sur la route.

— Je connais ça.

— Vraiment ?

Il haussa légèrement les épaules.

— Ma dernière relation s’est terminée pour des raisons assez similaires. Trop d’attentes, pas assez d’espace.

Aélis observa son profil un instant, sentant une sorte de compréhension tacite s’installer entre eux.

— Alors tu as choisi la liberté, murmura-t-elle.

Il esquissa un sourire, presque imperceptible.

— On va dire ça.

Le silence qui suivit n’était pas gênant, juste naturel. Comme s’ils n’avaient pas besoin d’en dire plus pour comprendre l’essentiel.

 

Lorsqu’ils arrivèrent devant chez elle, Aélis détacha sa ceinture et hésita un instant avant de tourner la tête vers lui.

— Merci pour la course. Et… pour la discussion.

— À charge de revanche, répondit-il avec un sourire léger.

Elle referma la portière et s’éloigna sous la pluie, tandis que Methos la regardait disparaître dans le hall de son immeuble, songeur.



 

Noé posa son téléphone sur la table avec un soupir, croisant les bras alors qu’Aélis entrait dans son appartement. Il ne semblait pas en colère, mais il y avait une fatigue dans son regard, une lassitude qu’elle ne lui voyait pas souvent.

— Ça fait combien de temps qu’on n’a pas passé une vraie soirée ensemble ?

Elle referma la porte derrière elle, haussant un sourcil.

— On s’est vus il y a trois jours.

— Oui, mais avant ça ?

Elle fronça légèrement les sourcils, déposant son sac près du canapé.

— Noé, qu’est-ce que tu veux dire ?

Il inspira profondément, cherchant ses mots.

— Je sais que tu veux voir du monde, et je suis content que tu t’intègres ici. Mais parfois, j’ai l’impression que tu t’éloignes de moi, et je ne sais pas si c’est juste dans ma tête ou si c’est réel.

Elle pinça les lèvres, prise de court par son ton. Elle s’était attendue à une accusation, à une pique. Pas à ça.

— Je… Noé, ce n’est pas contre toi. Je t’ai dit que j’avais besoin de me faire mes propres amis. Je suis à Paris depuis moins d’un an, je ne veux pas juste dépendre de ton cercle.

— Je comprends, mais…

Il hésita, sa langue claquant contre son palais alors qu’il cherchait la meilleure façon de formuler sa pensée. Il savait que la suite risquait de mal passer, mais les mots lui échappèrent avant qu’il ne puisse les retenir.

— … tu es entourée de mecs, Aélis.

Dès qu’il vit son visage se fermer, il sut qu’il avait fait une erreur. Elle se redressa légèrement, croisant les bras.

— Et alors ? Duncan, Adam, Darius… Tu sais très bien avec qui je traîne. Ce n’est pas comme si j’avais quelque chose à cacher.

— C’est pas la question, c’est juste… étrange.

Il poussa un soupir et passa une main sur sa nuque, comme s’il essayait de se dépêtrer d’un piège qu’il s’était tendu lui-même.

— J’ai l’impression que tu t’éloignes, répéta-t-il plus doucement.

La jeune femme sentit son irritation monter, mais elle lutta contre l’envie de répondre trop vite.

—Tu insinues quoi, exactement ?

Sa voix était plus sèche qu’elle ne l’aurait voulu, mais elle se força à garder un ton mesuré. Noé secoua la tête, mal à l’aise.

— Non, je dis juste que…

— Que quoi ? Que je devrais limiter mes fréquentations à ce qui te rassure ?

— C’est pas ça, Aélis. J’ai juste…

Il se frotta le front, cherchant ses mots.

— J’essaie juste de comprendre où je me situe dans ta vie, c’est tout…

Sa voix était plus basse, presque lasse. Il détourna les yeux, et Aélis sentit quelque chose se nouer dans sa poitrine. L’instant d’avant, elle était sur la défensive, prête à se battre. Maintenant, elle voyait qu’il n’essayait pas de la contrôler. Il essayait juste de comprendre. Elle inspira profondément, cherchant à faire retomber la pression.

— Écoute… Je suis fatiguée. On parlera de ça une autre fois, d’accord ?

Noé la regarda un instant, puis hocha la tête sans conviction.

— Un jour, tu comptes me les présenter ?

Elle hésita, baissa légèrement les yeux.

— Peut-être… On verra.

Le silence pesa un instant de plus avant qu’elle ne lâche un soupir et change de sujet.

— Je suis crevée. Tu veux qu’on se commande un truc à manger ?

Noé hésita, puis acquiesça, forçant un sourire.

— Bonne idée.

L’orage semblait passé, mais Aélis savait qu’il couvait encore sous la surface. Et au fond, elle ne savait même pas si elle voulait vraiment l’apaiser.



 

Methos était appuyé nonchalamment contre le mur du dojo, les bras croisés sur sa poitrine. Son regard suivait les mouvements d’Aélis alors qu’elle s’entraînait sous la supervision de Duncan. Elle n’avait rien d’exceptionnel—ni une maîtrise fulgurante, ni des lacunes inquiétantes. Juste une élève appliquée, déterminée. Une parmi tant d’autres. Et pourtant, il continuait de l’observer.

Les mots de Darius lui revinrent en mémoire, insidieux. Il n’avait rien demandé à Methos, pas directement. Il avait juste laissé entendre qu’Aélis ne pouvait pas tout apprendre seule.

Comme si c’était mon problème.

Il l’avait croisée plusieurs fois ces dernières semaines. Elle trouvait peu à peu ses repères, et son amitié avec Duncan et Darius ne lui avait pas échappée. Une part de lui se demandait combien de temps cela durerait, combien de temps elle pourrait encore exister dans cet entre-deux, inconsciente de la frontière qu’elle finirait par franchir. Il aurait pu l’ignorer. Mais il n’avait rien de prévu ce soir-là, et Darius avait toujours eu l’art d’implanter des idées dont on ne parvenait pas à se débarrasser.

Lorsqu’elle termina son entraînement, essuyant la sueur sur son front avec une serviette, il se redressa et fit quelques pas vers elle. Elle releva les yeux, un peu surprise mais sans réserve.

— Aélis, dit-il avec un sourire léger. Bien joué ce soir.

— Merci, répondit-elle poliment.

— Tu as des projets pour la soirée ? demanda-t-il avec une nonchalance délibérée.

Elle haussa un sourcil, visiblement curieuse.

— Pas vraiment.

— Dans ce cas, viens boire un verre avec moi. Rien de mieux pour se remettre d’un entraînement.

 

 

Elle hésita un instant, suffisamment pour que son esprit lui souffle que c’était une mauvaise idée. Pas à cause d’Adam en lui-même. Il était amusant, facile à vivre, et surtout, il n’attendait rien d’elle. C’était justement pour ça qu’elle avait envie d’y aller. Mais elle savait aussi que Noé n’apprécierait pas. Après leur accrochage, sortir boire un verre avec un autre homme, c’était comme souffler sur des braises.

Elle aurait pu rentrer directement, calmer le jeu. Faire ce qu’on attendait d’elle. Mais elle en avait assez de toujours peser ses moindres décisions. Alors elle haussa les épaules et lui offrit un sourire.

— Pourquoi pas. J’ai besoin de me changer les idées.

Et tant pis pour le reste.

 

Ils s’installèrent dans un bar discret, où l’ambiance tamisée contrastait avec le vacarme du dojo. La musique jazzy en fond sonore créait une atmosphère feutrée, propice aux confidences. Il commanda une bière, elle opta pour un verre de vin.

— Un choix sophistiqué, commenta Methos en levant son verre.

— Et toi, tu compenses un manque de raffinement avec de la simplicité assumée ?

— Exactement. Je suis un homme de goût minimaliste.

Elle lui lança un regard amusé avant de porter son verre à ses lèvres.

La conversation se fit naturellement, glissant des arts martiaux à des sujets plus personnels. Aélis découvrit un homme cultivé, drôle, dont l’humour piquant la prenait parfois au dépourvu.

— Tu es trop sérieuse quand tu t’entraînes, lui fit-il remarquer en jouant distraitement avec son verre. Il faut apprendre à lâcher prise.

— C’est facile à dire pour quelqu’un qui a déjà toutes les bases, répliqua-t-elle.

— Peut-être. Mais ça s’applique aussi à la vie en général.

— Ah, et tu es un expert en lâcher-prise ?

— Absolument. Si tu as besoin de conseils pour procrastiner et éviter les responsabilités, je suis ton homme.

— Ça, j’avais déjà deviné.

Il lui adressa un sourire faussement modeste avant de boire une gorgée de bière.

— Et toi, tu appliques ce principe à ta vie ? demanda-t-elle, mi-curieuse, mi-provocante.

— Disons que j’ai appris à ne pas trop m’attacher aux choses qui peuvent disparaître.

Il y avait dans sa voix une pointe de gravité qui retint son attention, mais avant qu’elle ne puisse creuser, il enchaîna sur un ton plus léger.

— Et ton copain ? Il pense quoi de ton entraînement au dojo ?

Elle soupira et avala une gorgée de vin avant de répondre.

— Il a du mal à comprendre. Il trouve que je passe trop de temps là-bas… et que je suis entourée d’un peu trop d’hommes à son goût.

Il esquissa un sourire en coin.

— C’est un crime, de vouloir élargir son cercle d’amis ?

— Apparemment, oui.

Elle se surprit à apprécier ces échanges bien plus qu’elle ne l’aurait cru. Avec lui, la conversation était fluide, naturelle. Il ne posait pas de questions intrusives, ne cherchait pas à lui imposer quoi que ce soit.

 

Inconscients de l'homme à la cicatrice qui les observait de loin, immobile dans l'ombre, Methos et Aélis poursuivaient leur conversation sans se douter du danger. Depuis des semaines, cet inconnu surveillait discrètement son ancien frère d’armes, épiant ses moindres mouvements. Ce qu’il cherchait ? Une ouverture, un moment de faiblesse. Et ce soir, il l’avait enfin trouvé. Une lueur satisfaite traversa son regard. Le temps d’agir était venu.

Aélis rentra chez elle à pied, portée par une légèreté inattendue après cette soirée. Absorbée par ses pensées, elle ne remarqua pas la silhouette qui la suivait dans l'ombre jusqu'à l'entrée de son immeuble. L'homme s'arrêta quelques instants, fixant la porte qui s'était refermée derrière elle, impassible. Puis, sans un bruit, il disparut dans la nuit.



 

À peine eut-elle posé son sac que son téléphone vibra. Noé. Elle hésita une seconde, puis décrocha.

— Où étais-tu ? Tu n’as pas répondu à mes appels, ni à mes messages, je commençais à m’inquiéter, demanda-t-il sans préambule.

Aélis pinça les lèvres, déjà agacée par son ton accusateur.

— J’étais sortie.

— Sortie ? Avec qui ?

— Avec Adam. On a bu un verre.

Un silence pesant s’installa. Puis la voix de Noé s’éleva, teintée d’une colère contenue.

— Sérieusement, Aélis ? Tu ne trouves pas ça un peu déplacé ?

— Déplacé ? Noé, c’est juste un ami. Tu ne vas pas commencer à me faire une scène parce que j’ai bu un verre avec quelqu’un.

— Ce n’est pas juste "quelqu’un". C’est ce mec que tu vois tout le temps au dojo. Tu passes plus de temps avec lui qu’avec moi.

Elle sentit une pointe de culpabilité l’effleurer, mais elle se raidit aussitôt.

— Tu dramatises.

— Non, Aélis, je constate. Depuis des semaines, tu t’éloignes, tu passes ton temps avec eux et moi… moi je suis quoi, dans tout ça ?

Elle inspira profondément, essayant de garder son calme. Mais l’impulsivité prit le dessus, et les mots lui échappèrent avant qu’elle ne puisse les retenir.

— À force de penser qu’il se passe quelque chose avec lui, peut-être que ça va finir par arriver. Lui, au moins, il me laisse respirer.

Le silence qui suivit fut brutal, presque violent.

— Bonne nuit, lâcha-t-il finalement d’une voix froide avant de raccrocher.

 

Aélis resta figée, le téléphone toujours à la main. Une vague de culpabilité l’envahit aussitôt. Pourquoi avait-elle dit ça ? Elle savait qu’elle avait dépassé les bornes, et pourtant… elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une pointe de soulagement. Comme si, enfin, elle cessait de plier sous le poids des attentes de son compagnon.

Elle s’affala sur le canapé, fixant le plafond. La dispute tournait en boucle dans sa tête, et malgré tout, une seule pensée persistait : elle n’avait pas envie de s’excuser. Pas cette fois.

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