Domaines
Ces petits drabbles sont nés d'une discussion sur le forum, et de ma conviction que Sandman est une une série qui appelle structurellement au cross-over puisque les Eternels sont universels et que toute histoire appartient forcément à l'un ou l'autre de leurs domaines.
Dream : Récurrence
Ces temps-ci, il y a une nouvelle salle dans le pavillon de la récurrence.
Les murs sont nus, les décors et le mobilier stockés le long de l'entrée des figurants, et chaque nuit les servants du Rêve modifient la pièce pour la même scène mille et mille fois répétée. La trame du rêve est simple, et vraiment, ce qui demande le plus de travail c'est l'installation du chemin pavé entre les maisons victoriennes biscornues tellement plus grandes qu'elles en ont l'air, la mise en place minutieuse des enseignes animées, la décoration des devantures qui changent un peu pour chaque rêveur.
Une fois le décor planté les rêveurs se succèdent, entrent en scène et vaquent à leurs activités banales dans les pièces de carton-pâte, accomplissant des gestes quotidiens dont ils ne se souviendront pas dans l'Eveil, flous et futiles face à l'ombre de la peur qui les laissera tremblants dans leurs lits, couverts de sueurs froides. Ils se figent, quand la peur de ce rêve prend forme dans leur dos.
Ce cauchemar particulier est tant rêvé ces temps-ci que la forme de la peur est presque figée, toujours la même silhouette blanche comme de l'os drapée d'ombres voraces et mouvantes, les yeux comme des flammes et le visage plus ou moins flou selon l'imagination du rêveur.
Il n'y a pas beaucoup de règles immuables dans le Rêve, pas beaucoup d'éléments de l'Eveil que l'on ne puisse plier et déconstruire, peu de lois physiques capables de restreindre le bourgeonnement des esprits. Mais dans cette salle du pavillon de la récurrence, les rêveurs découvrent nuit après nuit que leur baguette est inerte entre leurs doigts, qu'ils ne peuvent transplaner quand le Cauchemar se tient face à eux dans l'encadrement de la porte. Les quelques étincelles que certains d'entre eux parviennent à produire rebondissent sans dommage sur les replis de l'ombre, futiles, toujours, et tous les Alohomora du monde ne pourraient desceller les portes closes contre lesquelles ils butent encore et encore, jusqu'à la lumière verte.
Lucien hésite à prévenir le Maître que cette peur est en train de muter, de passer du rang de terreur nocturne à celui de Cauchemar, l'un de ceux tissés de choses hideuses, d'ombre et de mort, qui ont leur propre volonté, leur existence unique et autonome. L'un de ceux qui croissent comme un cancer et flétrissent les replis du Rêve dans lesquels ils se logent, l'un de ceux qui cannibalisent les songes moins puissants qu'eux, se nourrissent des peurs nocturnes et en tirent leur force. Celui-là n'est pas le Corinthien, pas encore, mais il a le potentiel, et rêves après rêves le fixent, ancrent son esprit et sa volonté dans la trame changeante du domaine.