Noir comme Neige

Chapitre 5 : Vole, dragon, vole !

2730 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 08:42

 

VOLE, DRAGON, VOLE !

 

Ginny soupira en se redressant.

- Non, Albus, dit-elle gentiment mais fermement. "Tu ne peux pas sortir jouer. Demain, si tu te sens mieux."

Les yeux brillants de fièvre de l'enfant étaient fixés sur elle, suppliants, et sa bouche affichait la moue la plus mignonne de l'univers, mais elle ne céda pas.

- J'ai dit non, répéta-t-elle. Alors tu restes dans ton lit et tu fais un bon dodo, okay ? Tu seras plus vite à demain, tu verras.

- Mais maman…

- Non.

Elle l'embrassa sur le front, puis remit en place le linge mouillé et froid avant de remonter la couverture.

- Dors vite, chéri.

Elle quitta la pièce après une dernière caresse sur le nez du dragon qui occupait maintenant la moitié de la chambre et referma la porte avant de s'appuyer contre le battant.

Le sourire tendre qu'elle avait montré à son fils s'affaissa et disparut. La gorge serrée, elle leva les yeux vers Harry qui attendait, appuyé contre le mur du couloir, les bras croisés.

- La fièvre n'est pas descendue, murmura-t-elle. "Oh, Harry… qu'est-ce qu'on va faire ?"

Le jeune homme secoua la tête, l'air sombre.

- Je ne sais pas, dit-il à voix basse. "Je ne sais pas…"

Le cœur de Ginny se sera en entendant l'enfant tousser de l'autre côté du battant.

Cela faisait trois jours, déjà.

Albus était rentré, étonné et un peu effrayé, montrant à sa mère le caillot de sang serré dans son petit poing.

- J'ai mal dedans, comme le hibou quand il a avalé de travers, avait-il expliqué avec ses mots d'enfant.

Comme si de petites pattes crochues s'accrochaient dans sa trachée, déchirant les parois fines dans ses poumons.

Le dragon le suivait, ses yeux verts et or inquiets, roucoulant doucement comme s'il était triste.

A Sainte-Mangouste, le guérisseur avait froncé les sourcils et marmonné tout le long de l'examen. Albus s'était plaint de ses mains froides, avait avalé les potions amères sans rechigner et s'était finalement endormi dans les bras de son père pendant qu'un autre sorcier multipliait les sorts de diagnostique, sans résultat.

On leur avait dit de le ramener et à leur retour, Albus, heureux, avait joué un moment dans les escaliers avec Crocmou qui faisait trembler les marches en y cavalant. Il semblait aller beaucoup mieux. Puis, pendant que Ginny préparait le souper, James était arrivé en panique : "maman, Al crache et c'est tout rouge. C'est dégoutant !"

Elle avait trouvé Lily en train de donner à boire à son frère dans une tasse en plastique de sa dinette moldue, le dragon couché sur la moquette d'un air coupable et Albus barbouillé de sang qui n'arrivait pas à reprendre sa respiration.

Et depuis la veille, Albus ne mangeait plus. Il ne tenait pas sur ses jambes et des cernes bruns s'étaient creusés sous ses yeux, comme s'il était rongé de l'intérieur.

- Qu'est-ce qu'ils ont dit ? demanda finalement la jeune femme rousse, les lèvres tremblantes.

Elle savait déjà la réponse. Harry n'aurait pas été si coi si sa visite avait été fructueuse.

- Qu'ils ne savent pas, chuchota-t-il finalement. "Que…"

Elle secoua la tête pour l'empêcher de terminer sa phrase.

Les mots étaient trop insupportables, trop vides de sens, trop irréels.

- Tout allait si bien, il y a trois jours, souffla-t-elle, la voix rauque. "Tout allait si bien jusqu'à ce que…"

C'était le soir où ils avaient condamné le doudou. Le soir où Albus avait disparu.

Le soir où le dragon était apparu.

Les yeux de Ginny se rétrécirent en minces fentes d'un noir d'encre.

- Je savais que ce n'était pas quelque chose de bon, siffla-t-elle entre ses dents, la main sur le loquet pour retourner dans la chambre et faire sortir l'animal.

Harry posa sa main sur celle de sa femme et fit non de  la tête, très lentement.

- Je leur ai posé la question, dit-il. J'ai amené une boule de poils, je leur ai expliqué. Ça n'a rien à voir, Ginny. Je te le promets. Ce n'est pas la faute du dragon. C'est… il est juste malade, Ginny. Peut-être… il va s'en remettre, mon amour. Il-il est fort. Les enfants ont une surprenante capacité de récupération. Il…

Les mots se précipitaient, se bousculaient dans sa bouche, sans réussir à le convaincre. Les larmes coulaient maintenant sans retenue sur les joues de Ginny et Harry espérait qu'il parviendrait à retenir les siennes suffisamment longtemps pour que la jeune femme reprenne le contrôle.

- Maman ?

Ils tournèrent la tête à l'interrogation inquiète et Ginny essuya ses joues d'un geste vif.

- Qu'est-ce qu'il y a, James ? demanda-t-elle en s'agenouillant devant lui et en lui adressant un sourire crispé supposé être rassurant.

- Est-ce que Al va mourir ?

Le cœur d'Harry se glaça si violemment que sa respiration se coupa quelques secondes, puis il avala sa salive et se pencha vers son fils. Il lui caressa la tête d'une main, tandis que de l'autre il pressait l'épaule de Ginny pour l'aider.

Le couinement aiguë qu'avait étranglé la jeune femme ne risquait pas de calmer le garçon de huit ans qui les observait avec de grands yeux sérieux.

- Al sera sur pieds dans quelques jours, il a juste pris froid, c'est tout, mentit Harry avec un aplomb qui le surprit lui-même. "Et maman est fatiguée, elle prend ça trop à cœur. Ne t'inquiète pas, James. Tout va bien."

James se mordilla les lèvres. La tête bouclée et rousse de sa sœur apparut derrière lui. La petite fille se tenait au pull de son frère.

- Est-ce qu'on va manger, alors ?

Harry et Ginny échangèrent un regard coupable.

Il était plus de midi. Le temps semblait dilué, sans couleur et sans repère, pour eux, depuis trois jours. Mais James et Lily avaient besoin d’eux aussi.

Harry ramassa leur fille qui lui noua ses bras autour du cou et Ginny prit la main de leur fils.

- Oui, dit-elle d'une voix étouffée qui s'affermit au fur et à mesure qu'elle parlait. "Oui, on va manger, tu as raison. Vous devez avoir une faim de loup !"

- Une faim de loup-garou ! approuva James qui, après une hésitation, décida de croire les sourires mal assurés de ses parents.

- Une faim de loup garou péteur, insista Lily, enchantée de pouvoir utiliser son mot préféré sans se faire gronder. "Est-ce que je pourrais donner du poisson à Crocmou tout à l'heure, moi aussi, maman ?"

Ils descendirent à la cuisine et leurs voix diminuèrent peu à peu dans le corridor.

Albus, enfoncé dans ses oreillers, renonça à suivre la conversation. Il aurait bien voulu participer au débat sur le choix du dîner, mais l'idée de manger était fatigante et il avait un peu la nausée.

Il tourna la tête vers le dragon et sourit.

Son visage était presque aussi blanc que l'oreiller, mais ses yeux verts se nuançaient d'émeraude et d'or pailleté, un peu comme ceux de l'animal qui s'approchait en ronronnant.

Les ailes de Crocmou remplissaient la pièce comme de longues draperies de satin noir et ses grosses pattes de velours étaient presque aussi grosses que le ballon de James. Il posa sa tête sur la couette et ferma les yeux de plaisir quand l'enfant gratta la fourrure sur le dessus de son museau. Ses oreilles pelucheuses se rabattirent en arrière et sa queue ondula sur le sol.

- Crocmou… tu veux pas voler ?

Le dragon entrouvrit un œil et lécha le visage de l'enfant qui se débattit en riant.

- Ah, ça colle !

Il s'interrompit très vite, secoué par une quinte de toux.

Le dragon émit de doux bruits de gorge, poussant du museau contre son bras.

- D-d-désolé, dit finalement Albus en essuyant sa bouche sur la manche de son pyjama.

Il entoura le cou du dragon de ses bras, enfouit son visage dans la fourrure noire si épaisse.

- Crocmou… tu m'emmènes dans le ciel ?

Le dragon ronronna plus fort, ses yeux verts fixés sur la fenêtre par laquelle entrait à flots le soleil. Il dégagea soudain sa tête, les oreilles dressées comme s'il avait entendu quelque chose.

- Qu'est-ce que tu as vu, Crocmou ? demanda Albus en tournant la tête lui aussi.

Le linge mouillé glissa de son front quand il se faufila hors du lit en forme de bateau. Il marcha sur la pointe des pieds jusqu'à la fenêtre, l'ouvrit et scruta le ciel immense, si bleu, dans lequel se reflétait la plaine recouverte de neige. Le froid se glissait sous son pyjama, le faisant frissonner. Il se serra contre le dragon qui s'était approché derrière lui.

L'aile sombre se replia autour de lui, créant un chaud cocon de plumes et de duvet de jais.

Albus toussa de nouveau. Il tendit sa petite main, observant comme le soleil la teintait à contre-jour.

- On y va, Crocmou ?

Le dragon roucoula comme un reproche. Les yeux de l'enfant se firent ronds et suppliants, les lèvres retroussées en une moue irrésistible.

Le dragon leva les yeux au ciel, exactement comme un être humain l'aurait fait, puis donna un léger coup de tête au petit garçon qui perdit l'équilibre.

La seconde d'après, Albus, ravi, à cheval sur le cou du dragon, empoignait deux touffes de poils.

- Allez !

L'animal posa ses deux pattes avant sur le rebord de la fenêtre et sa queue en forme d'as de pique ondoya derrière lui. Il se faufila dehors d'un mouvement souple, s'accrocha sur les briques et le lierre comme s'il s'y collait sans effort et escalada le mur de la maison jusqu'au toit pointu. Debout sur les tuiles saupoudrées de neige, il hésita, la tête tournée vers le soleil, puis s'étira.

Albus sentit la puissance qui circulait sous l'échine de la bête, comme un flux bouillonnant qui déferlait dans les muscles. Les ailes noires immenses se gonflèrent comme deux voiles et les griffes firent pétiller des étincelles sur les tuiles quand le dragon prit son élan.

Il ouvrit la bouche et comme le jour où Arthur avait essayé de prendre la photo, une lueur bleue s'alluma sous sa glotte. Il y eut un craquement suivi d'un chuintement étourdissant, puis quelque chose éclata dans le ciel, comme une comète argentée.

Pendant un instant, le monde arrêta de tourner.

Couché sur l'encolure noire, Albus rouvrit un œil.

Il vit d'abord l'aile noire étendue, le duvet à peine effleuré par le vent, le bout des plumes auxquelles s'accrochaient des filaments de nuages. Puis il entendit le ronron du dragon, redressa la tête et découvrit l'immensité autour de lui.

Sur le vent baigné d'or par le soleil, le dragon volait en plein ciel.

Il était encore plus grand qu'avant.

- Oooh, souffla Albus.

Ses yeux se plissaient à cause de la vitesse. Il lâcha le poil onctueux et étendit les bras, renversant la tête en arrière.

- Vole, Crocmou, vole ! cria-t-il à pleine voix.

Le dragon roucoula comme s'il riait en sourdine.

"Comme tu es impétueux, Petit Frère…"

Albus regarda autour de lui d'un air étonné, puis se pencha vers la tête du dragon, scrutateur.

- Tu parles ?

L'œil vert et or du dragon cligna avec bienveillance.

"Je parle."

Le visage de l'enfant s'illumina.

- Oooh, répéta-t-il.

Le rire éclos dans le silence harmonieux du ciel ressemblait à un chant.

"Tu n'as pas froid ?"

Albus caressa le flanc de l'animal.

- Non, et toi ?

"J'ai une grosse fourrure – et toi juste un pyjama, Petit Frère."

L'enfant gloussa.

- C'est vrai.

"On va rentrer, maintenant. Tu dois te reposer."

- Oh non ! Encore, s'il te plaît, dragon.

Il claquait des dents, mais le rêve ne pouvait pas s'arrêter déjà. Il voulait aller toucher les étoiles, voir s'il pouvait gagner à la course le train à vapeur qui emmenait Teddy à Poudlard, aller visiter des licornes, se poser sur un volcan.

"Les volcans, ça ne sent pas très bon, tu sais. Et je croyais que tu m'appelais Crocmou…"

Albus sourit en se couchant sur l'encolure de l'animal, tout près de la peau sous laquelle il sentait pulser le cœur du dragon, chaud et puissant.

- Merci, chuchota-t-il.

Le dragon effectua un gracieux demi-tour dans le ciel bleu et revint vers la maison en battant des ailes lentement, comme une berceuse.

Lorsqu'il se posa dans le jardin, le petit garçon s'était endormi.

Harry et Ginny déboulèrent hors de la maison. La jeune femme arracha l'enfant du dos de la créature magnifique et énorme, et l'enveloppa dans une couverture avant de courir vers la maison.

"Tout ira bien, mère…"

Harry s'arrêta et fit volte-face, certain d'avoir entendu une voix. Il considéra longuement le dragon en fronçant les sourcils, soutint le regard vert et or pendant un moment, puis rentra dans la maison à son tour.

Le soleil fondait en draperies de carmin et d'indigo, et la lune pâle montait sur la plaine recouverte de neige.

Entre le Terrier et la maison au toit pointu, le dragon immense et noir se tenait immobile, contemplant le jour qui mourrait.

 

 

A SUIVRE...

 

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