Noir comme Neige

Chapitre 4 : La théorie de Neville

2377 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2016 20:34

 

LA THEORIE DE NEVILLE

 

 

Albus sauta aussi loin qu'il le put en balançant les bras. Il s'enfonça dans la neige épaisse jusqu'aux genoux et les pompons rouges de son écharpe, assortis à son bonnet, voltigèrent joyeusement.

- A toi, Crocmou ! appela-t-il en se retournant et en agitant un moufle.

Dans son trou de neige, le dragon se rassembla sur lui-même et se tortilla, la langue sortie entre ses petites dents acérées. Il bondit d'un seul coup – pop ! – et retomba dans la trace laissée par le garçon.

Seules ses oreilles noires pelucheuses et l'angle osseux de ses ailes dépassaient.

Albus pouffa de rire.

- T'es pas très bien caché !

Autour d'eux, la plaine était immensément blanche, comme une mer de crème sous le ciel bleu très pur, et les deux maisons semblaient être des voiliers à côté d'une île d'arbres.

 

oOoOoOo

 

Neville se renfonça dans le fauteuil et croisa les mains devant son visage, l'air pensif.

- Qu'est-ce que tu en dis ? demanda Harry en s'asseyant en face de lui après un dernier coup d'œil par la fenêtre.

Dehors, James, Hugo et Ron jouaient en poussant des hurlements de yankees. A l'étage, Rosie et Lily avaient installé une dînette sur la moquette et parlaient d'ogres et de harpies comme du dernier bulletin météo en sirotant du lait chaud.

Hermione était posée sur une marche d'escalier avec sa quatrième tasse de thé et Arthur Weasley était assis à côté d'Harry sur le canapé.

 Ginny était debout près de l'évier et s'essuyait les mains avec le torchon de vaisselle.

Il y avait des livres ouverts partout, sur le carrelage, le buffet, les coussins, et la table disparaissait sous une tonne de parchemins.

Neville se décida enfin à parler.

- Il y a une dernière possibilité que nous n'avons pas envisagée, dit-il lentement.

- Créature magique, manifestation des pouvoirs d'Albus, chat enchanté, dragon inconnu… qu'est-ce qu'il reste ? demanda Ginny en fronçant un sourcil.

Harry enleva ses lunettes et se mit à les essuyer d'un geste frustré.

Hermione but une gorgée de thé, les yeux fixés sur Neville.

- Je crois que je sais ce à quoi tu penses, dit-elle.

- Quoi, encore ?

Harry se tourna vers elle brusquement et les lunettes lui échappèrent. Elles tombèrent sur le carrelage et se brisèrent avec un bruit cristallin.

- Oh, Harry, murmura Ginny, immobile.

Son mari respira profondément.

Ils étaient épuisés. Simplement épuisés, c'est tout. Ils avaient cherché Albus partout, s'étaient inquiétés à en mourir, avaient à peine dormi et cette énigme leur usait les nerfs.

Hermione se leva posément. Elle ramassa les lunettes et pointa sa baguette sur la tige.

- Reparo.

Les morceaux de verre dansèrent dans l'air et s'assemblèrent à nouveau. La jeune femme brune sourit en tendant l'objet remis à neuf à Harry.

- ça faisait longtemps, dit-elle.

Il se détendit et sourit à son tour.

- ça faisait longtemps, en effet.

Il remit les lunettes sur son nez et se tourna de nouveau vers Neville.

-  Vas-y, explique, dit-il d'une voix radoucie.

Neville se racla la gorge.

- Et si c'était un animagus ?

M. Weasley se pencha en avant, les yeux fixés sur le jeune professeur.

- Mais Harry n'a pas réussi à le désenchanter, pourtant.

Ginny s'était rapprochée et perchée sur l'accoudoir du fauteuil. Harry lui prit la main, tout en écoutant attentivement.

- ça n'empêcherait pas ! dit Neville. Ses mains anguleuses s'animèrent alors qu'il expliquait sa théorie. "La magie est en continuelle évolution, on le sait. Dumbledore s'en est aperçu quand il a découvert que l'amour de ta mère te servait de bouclier, Harry. Qui nous dit que ce n'est pas une forme d'enchantement juste plus imposante que ton sort habituel ? Un animagus avec une forme aussi étrange pourrait venir de n'importe où."

- Mais pourquoi s'intéresse-t-il à Albus, alors ? s'écria Ginny en se tordant les mains. "Qui est-il ? Pourquoi venir ici ? Qu'est-ce qu'il veut ?"

- Attends, je n'ai pas dit que c'était un animagus. J'ai seulement dit qu'il ne fallait pas oublier cette possibilité, protesta Neville, un peu paniqué.

Hermione croisa les bras et avança le menton, comme à cette époque lointaine où elle devait encore prouver aux deux garçons que ses idées étaient très-intelligentes mais viables.

- S'il s'agit d'un animagus, on le saura très vite, dit-elle fermement.

- Comment ? cria Ginny.

- Il ne grandira pas, tout simplement, dit Arthur Weasley en adressant un sourire rassurant à sa fille.

Hermione acquiesça.

- Ce n'est sûrement pas un chat métamorphosé, alors on finira bien par trouver de quel genre de créature magique il s'agit, dragon ou autre, ajouta-t-elle.

Neville hocha vigoureusement la tête.

- Et si c'est la peluche d'Albus, elle disparaîtra d'elle-même lorsqu'il n'en aura plus besoin, conclut Harry en se levant et en serrant sa femme dans ses bras. "Tout ira bien, Ginny."

Elle ferma les yeux, puis les rouvrit et se tourna vers la fenêtre.

- En attendant, je ne veux pas qu'on le perde des yeux une seule fois, murmura-t-elle.

Dans la plaine, Albus s'était arrêté de sauter. Il avait un point de côté et du mal à respirer.

Le petit dragon se fraya un passage dans la neige et vint se coller contre lui, fourrant son museau sous l'aisselle du garçon en roucoulant doucement, comme s'il s'inquiétait pour lui. L'enfant le ramassa, glissant ses moufles avec délicatesse sous les longues ailes noires, et lui embrassa le nez.

- Hé, Crocmou, chuchota-t-il. "Quand est-ce que tu vas te mettre à voler ?"

 

oOoOoOo

 

Ron haussa les épaules en enfonçant ses mains dans les poches de son blouson en cuir brun. Son haleine se condensait en petites volutes transparentes.

- Je ne vois pas pourquoi Ginny en faisait tout un plat, mais bon… au moins, ça devrait la rassurer un peu.

Les yeux fixés sur la plaine où jouait son fils, Harry soupira.

- Elle a gardé des cicatrices de son expérience avec le journal intime de Tom Jedusor, dit-il. "Imagine confier tous tes secrets à ce que tu crois être ton meilleur ami pour découvrir un jour qu'il s'agissait d'un être à part entière en train de te manipuler. Je la comprends un peu. J'étais dégouté quand je me suis aperçu que le livre de potions bourré de bons conseils appartenait à Rogue…"

Ron sourit en coin.

- Her-mignonne t'avait prévenu, gloussa-t-il.

Harry sourit aussi.

- Et Severus Rogue n'était pas un ennemi, finalement…

Ils restèrent quelques instants sans rien dire. Même des années après, la tragique fin du professeur qui avait consacré sa vie à protéger Harry restait douloureuse comme une coupure mal refermée.

- En tout cas, c'est bien pour Al que sa mère se soit rassurée un peu, reprit Ron, brisant le silence. "Ginny était un casse-cou de première quand elle était gamine, mais elle est devenue complètement timorée."

Il fronça une narine, l'air dépité, gratta un peu sa barbe rousse.

- Hermione aussi.

Ce fut le tour d'Harry de se mettre à rire.

- On a vieilli, elles sont devenues mères. Ça change les gens, Ron !

- Oui, mais même.

Ron étira les bras au-dessus de sa tête et bâilla largement.

- En tout cas, moi, à l'âge d'Al, j'aurais adoré avoir un dragon, au lieu de cette vieille goule sans intérêt.

- Ce n'est pas ce que tu disais quand on était en classe de Soins aux Créatures Magiques… rectifia Harry entre haut et bas. Puis il ajouta : "En tout cas, j'espère que Crocmou ne va pas continuer sur sa lancée, sans quoi on aura un autre problème très vite."

Ron hocha gravement la tête.

- Plutôt, oui.

Dans la plaine couverte de neige, Albus, ravi, faisait la course avec le dragon – et ce dernier gagnait sans effort.

Depuis ce matin, il était presque aussi grand que l'enfant.

Pendant la nuit, ses cuisses s'étaient musclées, son cou allongé, et une sorte de crête en fourrure avait poussé toute droite au milieu de son front. Ses mâchoires étaient plus larges, mais ses oreilles aplaties et ses prunelles rondes avaient gardé un air de bébé animal ahuri.

Albus n'avait pas eu l'air de trouver ça anormal, quand il s'était éveillé, avec le dragon deux fois plus gros que la veille roulé en boule au bout de son lit, sa queue en forme d'as de pique traînant sur le plancher, un ronron puissant au fond de la gorge.

Les ailes de la créature s'étaient aussi développées, mais semblaient plus adaptées à sa taille, à présent. Elles se déployaient légèrement alors qu'il bondissait dans la neige comme une énorme panthère d'un noir de jais.

- Vas-y, Crocmou ! cria Albus, haletant. "Vole !"

Le dragon tourna la tête entre deux bonds, la langue pendante comme s'il riait, et s'écrasa une motte de neige la seconde d'après. Le petit garçon éclata de rire et courut le rejoindre en s'enfonçant dans la neige épaisse jusqu'au bord de ses bottes fourrées.

- Paf le dragon ! gloussa-t-il en tirant sur la queue de Crocmou pour l'aider à se dégager du monticule blanc poudreux.

Le dragon s'assit et s'ébroua, projetant de la neige partout. Sa fourrure se gonfla, ébouriffée.

Il donna un coup de langue à l'enfant haletant, qui s'appuyait contre lui pour reprendre son souffle.

Albus étendit les bras.

- Comme ça, tes ailes, regarde. Vroooom et tu t'envoles !

Sa crête décoiffée et les yeux papillonnants, Crocmou éternua, l'air très peu intéressé.

Albus courut en rond autour de lui, sautillant et agitant les bras.

- Et hop, dans le ciel ! Tu n'as pas envie de voler ? demanda-t-il en s'arrêtant quand le pincement dans ses poumons devint trop douloureux.

Le dragon mâchouilla dans le vide, d'un air de suprême ennui.

Albus fit la moue.

- Crocmou, dit-il sévèrement.

Un coup de langue affectueux lui balaya la figure en guise de réponse.

Le petit garçon s'essuya le visage avec un rire cristallin. Il sauta au cou de l'animal et tous deux roulèrent dans la neige douce comme un matelas. Albus fut le premier à se redresser. Vautré contre le flanc rebondi du dragon, il gratouilla la gorge pelucheuse jusqu'à ce qu'elle se mette à ronronner.

Deux petits nuages de fumée bleutée s'échappaient des narines de la créature béate qui renversait la tête en arrière dans la neige.

- Crocmou… je t'aime, chuchota l'enfant.

Puis il toussa et couvrit sa bouche de son autre main comme on le lui avait appris.

Quelque chose raclait de nouveau à l'intérieur de sa poitrine, comme une pelote d'aiguilles coincée sous son diaphragme.

Le dragon roucoula en relevant la tête, inquiet, comme la crise ne se calmait pas.

Le soleil était très haut dans le ciel azuré au-dessus de leurs têtes. Il faisait encore très beau, ce jour-là. La neige scintillait autour d'eux, d'un blanc éblouissant.

Le dragon noir s'était enroulé autour de l'enfant pour lui tenir chaud.

- Oh, souffla Albus en regardant dans le creux de sa main, quand la toux s'arrêta enfin.

 

 

A SUIVRE...

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